Chouette, j’suis perdu || Nuage d’Escargot - end

Non, elle lâcherait pas. Y'avait l'envie de lui hurler dessus, "TU VAS ME LÂCHER OUI" mais plus il y pensait, plus ses pattes lui faisaient mal, genre, d'avance.

Nuage d'Escargot ferma ses yeux et détourna la tête en se convaincant de... ne rien faire.

Rien pour empêcher la pleurnicheuse d'arrêter de pleurnicher, mais rien pour tenter de se relever et la ramener chez elle. En fait, il était bien dans l'herbe - du moins, c'est ce qu'il devait se convaincre. Là comme ça, tapi dans son motif en colimaçon, il glissa ses pattes sous son ventre émacié et redressa son long cou pour se réajuster et calmer son coeur et toute la rage dedans.

Sa queue s'agitait encore, en vain, entre les dents du chaton.

Le seul avantage avec la cassure, c'était de ne ressentir aucune douleur quant aux petits poinçons qui lui perçaient la peau. Ou bien c'est parce-qu'elle était tellement douloureuse, et comme avoir tout le temps les pieds dans l'eau, à un moment, eh bien, on ne le remarque plus.

Il avait beau se convaincre qu’il s’en foutait si l’inconnu le trainait au sol en s’en allant pendant qu’il s’accrochait à sa queue, il savait pertinemment que c’était faux et qu’il ne faisait que se mentir à lui-même. Cette idée le terrifiait presque autant que la créature de l’arbre qui pourrait revenir le capturer, et plus il y pensait, pire c’était. Il avait vu la rivière au loin, les rochers qui parsemaient le paysage un peu plus loin, sur lesquels il pourrait se cogner. C’était déjà arrivé qu’il se tape la tête contre un caillou quand il apprenait à marcher, et si le souvenir se faisait déjà flou, il se souvenait très bien de la douleur et ne voulait pas que ça recommence.

Alors quand l’adulte s’allongea dans l’herbe, Petite Glycine eut une idée. Il attendit patiemment, fixant de ses yeux larmoyants le chat gris, pour s’assurer qu’il ne bougerait pas. Puis, quand plusieurs minutes se furent écoulées, il lâcha sa queue pour bondir immédiatement après sur son dos. Le voilà à cheval sur un chat dont il ne connaissait même pas le nom, mais qui était sa seule garantie de sécurité pour l’instant. Ça le perturbait vraiment d’ailleurs, de ne pas connaître son nom. Après un grand reniflement pour ramener tous ces fluides d’où ils venaient, il se risqua à poser une question.
— C’est quoi ton nom à toi ?

Ça commençait à se calmer. Son coeur, sa rage, toute cette agitation. Même le vent avait décidé de souffler sur la situation, comme pour lui faire comprendre que tout n'était pas si gros, et comme pour lui rappeler de reprendre son propre souffle, "tiens, je vais t'aider". Et ça aidait, Nuage d'Escargot commençait à se calmer -- jusqu'à ce que le chaton ne lâche tout en même temps sa queue et ne tente de monter sur son dos.

C'était un chaton, et un chaton n'était pas lourd, mais c'est la vitesse avec laquelle il se précipita sur Escargot qui lui fit aussitôt répondre par un coup. Sec, il batta l'indésirable vers le sol et dans la même précipitation, défléchit ses articulations du haut de toute sa taille avec un brusque mouvement d'écart.

Et puis sa gorge se noua, et la vague de remords monta, et peu à peu vint l'effroi d'avoir attaqué un chaton qui ne lui demandait rien que son nom.

― J--

Il y en avait trop à dire. Par où commencer? Ce--

Ce n'était pas lui, qui--

― J'voulais pas-- l'apprenti se recula, tordant le cou et la tête pour fureter les parages et voilà, voilà, avec ce coup, il ne pouvait plus faire comme si le chaton n'existait pas.

Il ne pouvait pas se contenter de l'ignorer. Il n'avait pas le choix de le remarquer, et de, comble de l'horreur, faire quelque chose pour lui. Pour se faire pardonner -- il devait se faire pardonner. L'amener à Nuage de Poulpe? Feuille de Saule?? Encore heureux qu'il n'ait pas sorti les griffes...!

La première chose que Petite Glycine s’attendait à voir, c’était ce liquide rouge rubis. Le même que dans les souris mortes, le même que sur l’oreille de Petite Feuille. Le même qu’il y aurait du avoir sur son épaule, là où il avait si mal. Il n’y avait rien, mais il s’attendait à le voir apparaître à tout moment. Il le sentait. Son épaule le brulait, son sang s’affolait sous sa peau, le piquant à chaque nouveau battement de son cœur, suppliant qu’on le laisse sortir. Il essaya de se rappeler les mots de son père quand il était convaincu que sa sœur allait mourir. « Hééé, mais c'est rien ça, elle va bien ton oreille, » qu’il avait dit. Il se souvenait du soulagement instantané qu’il avait ressenti quand Masque de Serpent lui avait affirmé que tout irait bien, qu’elle n’allait pas mourir. De ses muscles qui s’étaient détendus, du rythme de son cœur qui s’était apaisé. Alors il se répéta tout bas « c’est rien ça, haw, c’est- c’est rien ».

Malgré son sourire figé pour l’éternité sur son visage, on pouvait y lire la terreur absolue. L’inconnu lui faisait plus peur que tout au monde, désormais. Il le regardait droit dans les yeux, pour le garder dans son champ de vision et s’assurer qu’il n’attaquerait pas à nouveau, comme s’il observait le plus horrible des monstres, le plus sans-cœur des tortionnaires, l’incarnation de la violence de Cerfblanc. Personne ne l’avait jamais frappé, et il n’avait jamais vu personne d’assez cruel pour s’en prendre à un chaton. Il savait que c’était un interdit que peu osaient franchir : même quand Frelon et Tigré faisaient de grosses bêtises qui auraient values à un guerrier un vilain coup de griffes, tout le monde se contentait de réprimandes. Parce qu’ils étaient des enfants.
Petite Glycine ne cria pas. Il était trop habitué à tout garder pour lui pour ne pas blesser Petite Feuille, qui avait peur des sons trop forts. Alors pour remplacer les hurlements dont son corps et son esprit avaient besoin, il changea le tout en peur panique, en respirations saccadées qui se coinçaient dans sa gorge. « C’est rien, » se répétait-il entre deux respirations difficiles. « Elle va bien mon oreille, » alors que c’était son épaule qui lui faisait mal. « C’est rien. »

[Not Glycine qui voit Escargot de la même manière qu’Escargot voit son père, oupsy]

― C'est rien, répondit sa voix en écho.

Parce-que si c'était son premier coup à l'enfant, eh bien c'était le premier de toute une vie. Si, si on lui demandait son avis (on ne lui demandait jamais son avis) il lui faisait un service en étant son premier tortionnaire. Il lui faisait un service: Nuage d'Escargot n'était pas très rapide, n'était pas très fort, n'était bon dans rien et si le réflexe de se défendre l'avait saisi avant le remoud de se défendre contre un chaton, au moins il n'avait pas sorti les griffes.

Au moins il n'était pas Griffe de Jais.

...Ça aussi, il devait se le convaincre.

Il détourna la tête et rangea ses pattes sous son ventre et colla sa queue cassée à son flanc, reprenant son souffle avec celui du vent. Il ne voulait pas voir plus vulnérable que lui. Il ne voulait pas voir sa première victime, et il ne voulait pas voir comment celle-ci le voyait lui: il voulait disparaître.

Il devait disparaître.

Mais avant, avant toute chose, il devait se calmer.

HRP:

C'est rien, ce n'était rien, ce n'était rien car il se calmait, car il ne le voyait plus, car la situation disparaissait et les conséquences et les représailles et la rengaine et puis soudain on se mit à crier et c'est comme si Nuage d'Escargot passa d'un état solide à un état gazeux car il était hérrissé dans les airs. En ce réceptionnant, ses yeux se rivèrent sur la chatonne qui n'en était plus à pleurnicher mais à hurler comme si elle mourait parce-qu'elle était tombée dans un tout petit trou dans l'herbe et l'agitation eut, malheureusement, raison de lui.

― DÉSOLÉ!

Il cria aussi, les larmes lui montant aux yeux parce que peut-être que ça la calmerait, peut-être que tout ce qu'elle voulait c'était des excuses.

― CHUI-DÉSOLÉ-CHTAI-DIT-QU'J'VOULAIS-PAS!

Et puis pourquoi elle ne voulait (pouvait) pas le laisser disparaître!? Pourquoi elle s'entêtait, à, à.. --....

À vrai dire, la pensée n'alla pas plus loin, car Nuage d'Escargot paniquait. C'est aussi la panique qui lui fit approcher la patte, délicatement, lentement, pour tenter de retourner le chaton sur ses quatre et aussitôt fait, se retirer prestement pour ne plus avoir de contact avec elle, incapable de réprimer cet énorme frisson de dégoût mais voilà, voilà, elle était à l'endroit et ça.. ça devait compter pour quelque chose?