Si on pouvait le décrire physiquement comme un grand chat, élargi par les épaisses marbrures en ondes de son pelage charcoal ainsi que par la réputation qui collait à la traîne de son ombre, lorsqu'il s'assied au pied du Sycomore centennaire, il perdit toute sa parrure, et tout son panache.
L'aube découpait les branches côté Rochers des Serpents, se trouvant plus loin dans la clairière, et les rayons qui se faufilaient entre les branches enchevêtrées et les feuilles caduques du vieil arbre coupèrent le phénomène en deux: d'un côté l'arbre scintillait comme des grains de lumière sur la surface de l'eau, de l'autre, les ombres de la nuit tardaient sur l'écorce.
— Ça, c'est le sycomore. C'est l'arbre que mon mentor m'a enseigné à grimper, et que le mentor de mon mentor lui a été enseigné à grimper, et son mentor avant lui, et ainsi de suite. Il n'a pas fini de grandir: après chaque cycle, il continue d'étirer ses pattes - ses branches - pour, un jour, tenter de percer le ciel.
Un sourire indicible lui fit plisser les paupières à l'intention du géant d'écorce derrière lui. Même en levant le menton, il n'en voyait pas le bout. Il n'a encore jamais réussi, il dit. J'ignore s'il réussira durant les cycles qu'il me reste, les vôtres, ceux des apprentis qui vont suivre, ou ceux qui les succéderont. Qui sait, ptêt' bien qu'il n'y arrivera jamais, mais qu'il réussisse ou non, moi, j'ai toujours admiré sa persistance.
Il se détourna du feuillage, qu'il voyait par dessous, pour redescendre sur terre, où les deux apprentis patientaient.
— Là - il leur désigna de grosses racines sorties de terre, qui se recourbaient en noeuds où, en s'approchant, où pouvait voir des champignons et des fleurs y pousser. Il s'assied. On les a déterrées pour les voir, et ce n'en est qu'une toute petite partie. Voyez-le ainsi: on voit la pointe de leur genou, mais rien de leur tour de grasset, (d'un ressort, il souleva un postérieur bien haut au-dessus de sa tête) de leurs jarrets (il toucha l'articulation du bout de son nez), de leurs pattes, (monta l'articulation jusqu'à ses coussinets bien exhibés) phalanges, (remua les orteils) et griffes (ses phalanges s'écartèrent pour laisser se recourber les griffes hors de leurs fourraux respectifs).
Et pendant que sa patte était à portée, il en profita pour y donner un gros coup de langue, puis des plus petits, s'arrêtant aux griffes qu'il nettoya à coups de dents.
— Il est dit que les arbres se cramponnent à la terre, avec leurs racines, comme nous, avec nos griffes. Pour grimper, vous devrez faire comme l'arbre: (Il rabaissa sa patte, se rassied convenablement, et remonta sur les quatre dans le même mouvement fluide.) Petit un, (il leur tendit une patte avant, qu'il crispa sous leurs yeux) sortir vos griffes pour vous cramponner à son écorce.
Petit deux, (comme pour s'étirer le dos, il s'aplatit le ventre dans l'herbe et força une flexion dans le genou, dans le jarret, bombant ses quadriceps sous ses marbrures) renforcer vos racines, pour développer votre force à soulever votre propre poids. À l'horizontale, c'est la terre qui vous porte; à la verticale, c'est vous-mêmes. Et vous êtes beaucoup plus lourds que vous le croyez.
...et Petit trois, (il se redressa, s'ébroua de long en large en fermant le mouvement d'une ondulation de régal avec la queue) imitez sa persistance. On sait que vous voulez monter, mais c'est inévitable de tomber: coussinez vos chutes, en repliant les coudes, et recommencez. Le plus vite vous vous familiarisez avec cette réalité, le plus vite vous vous remetterez de vos chutes.
Okay, je vous montre.
Il leur tourna le dos, leur fit voir les aquarelles de son pelage, et les fit danser en se trémoussant la croupe pour se donner un élan.
Il bondit.
Il se décrocha de terre sur la hauteur de sa longue queue avant de stopper son arc montant d'une vive étreinte du sycamore entre les bras.
Petit un - ses griffes cliquetèrent sur l'écorce. D'une ondulation de l'échine, il se donna une première tractée. Sa queue fit le balant dessous lui, un pendule allant du levé du jour au coucher de la nuit, et il recommença le geste,
Petit deux, et avec aise : quelques tractées, quelques poussées avec les pattes arrières et on le vit monter, monter, et monter jusqu'à ce qu'il puisse tâter des branches plus haut avant d'en trouver une suffisament ferme pour se ratatiner sur le tronc et s'écarter d'un autre bond- il s'agrippa à la branche, tout son feuillage bruissa avec l'agitation, le va-et-vient le bas-en-haut pendant qu'il se hissait dessus -
Petit trois - quand soudain, sa patte glissa.
— Wops--
Je plaisante - après la première bourrasque au nez il rentra ses pattes, son corps pivota sur lui-même et il feutra sa chute - tout le choc alla à sa queue, qui chassa l'herbe et les feuilles derrière, et il se releva sans le moindre souci.
— ... C'est la base: se cramponner, se soulever, tomber, recommencer. Ça vous dit d'essayer?