Le plus courageux d’entre eux || Petit Croc

À la surprise générale, Petite Grenouille était partie dormir plus tôt que d’habitude. Vif-Argent s’en était même inquiétée — est ce qu’une mouche l’avait piquée ? Était-elle malade ? La calmer pour la faire dormir était toujours un calvaire d’habitude, rendant le fait qu’elle y aille aussi tôt et de son plein gré d’autant plus étrange et inhabituel. Mais la petite justifia tout simplement ça sur le fait qu’elle avait beaucoup joué aujourd’hui (ce qui n’était pas faux, mais elle n’avait pas joué davantage que les jours précédents) et qu’elle était fatiguée. Et sur ses mots, elle s’endormit contre sa mère adoptive, sa précieuse boule de mousse entre les pattes.

Et le soir venu, alors que tout le monde était endormi, elle se réveilla. Elle avait entendu une reine dire à son enfant que s’il passait sa journée à dormir, il finirait par ne plus dormir de la nuit, et avait voulu vérifier si c’était vrai.

Et effectivement, c’était vrai.

Alors Petite Grenouille se retrouva toute seule, sans rien à faire. Elle souffla du nez, agacée.

Elle passa quelques minutes à regarder le plafond, songea à réveiller son frère mais s’attendait à se faire feuler dessus — ou pire, se faire tirer les moustaches par Vif-Argent. Elle soupira.
Puis une idée lui passa par la tête. Ses yeux se tournèrent, tout rond vers le ciel étoilé, à quelques longueurs de queue de là où elle se trouvait. Après avoir longuement vérifié, tout le monde dormait à point fermé.
Petite Grenouille réprima un rire, et sautilla jusqu’à la sortie. Elle trottina dans la clairière, fonçant droit devant elle, prête à sentir l’aventure et l’exploration souffler dans son pelage. Elle s’imaginait déjà toutes les merveilles qu’elle verrait là dehors, loin du campement dans lequel elle était piégée depuis quatre lunes, et tout ce qu’elle pourrait raconter à ses camarades qui, c’était certain, seraient trop méga jaloux.

Une branche craqua quelque part, elle avala un cri et fit aussi vite demi tour vers la pouponnière.

Là, sous les ronces si familières, elle se sentait en sécurité. Elle cracha sur ses pattes, qu’elle accusa de l’avoir ramenée ici sans lui demander son avis. C’était leur faute si elle n’était pas partie explorer !! … La vérité, c’est qu’elle avait peur d’y aller seule.
Un autre éclair de génie lui traversa l’esprit lorsqu’elle vit Petit Croc. À pas de loup, Petite Grenouille s’approcha de lui, essayant de se faire plus discrète qu’elle ne l’avait jamais été.

— Eh.

Rien à faire. Mais elle ne pouvait pas se permettre d’être aussi bruyante que d’habitude, au risque de réveiller tout le monde et de faire tomber son plan à l’eau !

— Psst. Croc. Elle lui tapota l’épaule de petits coups de pattes. Quand elle vit qu’il était réveillé, ses oreilles se dressèrent sur son crâne plus rapidement qu’un lièvre fuyant un renard.

— J’parie que t’es pas cap de sortir du camp.

Un joli rêve. Voilà ce qui berce l'esprit du chaton en cette nuit si claire. Il a presque réussi à obtenir qu'Étoile Feulante lui livre le post de chef sous prétexte qu'"il [serait] trop nullos et que Croc d'Zbabouin est le plus meilleur zespion du monde entier" quand un coup bien placé tente de l'enlever à cette douceur.

Grognon d'abord, l'animal au duvet hirsute grommelle discrètement, gesticulant afin de tourner le dos à son arracheur-de-rêve.

« Psst. » Dans toute sa fatigue, son corps reconnaît pourtant la voix d'une figure aimée. Assez aimée pour qu'il daigne se tourner à nouveau vers elle en tous cas. « Croc.
- Mmh? » alors que ses paupières s'ouvrent lentement car aussi lourdes que le plomb.

« J’parie que t’es pas cap de sortir du camp. »

Sans même qu'il ait à y penser, Petit Croc se dresse, droit comme un piquet. Pas cap?! C'est sans appel. Moi, pas cap?!

« Ch'uis hyper-méga cap de tout! »

Son cri offusqué résonne dans la pouponnière, crevant le silence d'une flèche sonore à la pointe bien aiguisée. Petit Croc s'écrase sur lui-même, regarde autour de lui comme soudain terrorisé à l'idée de réveiller un adulte.
Enfin.

Avant tout : terrorisé à l'idée de ne pas pouvoir prouver qu'il est giga-supra cap !

Puisque seule Vif-Argent se tourne en grommelant -encore assoupie- le matou file en vitesse de la pouponnière, sans même guetté qu'il est bien suivi par l'autre petite.

Une fois à l'extérieur, éclairé par la lune, Petit Croc se tourne vers son amie et lui balance :

« Viens! J'vais t'montrer que ch'uis archi-cap !! »

Et alors, le chaton noir se met à galoper le long de la barrière de ronce qui entoure le Camp, à la recherche d'une issue. Plus fin stratège qu'on ne pourrait le croire, il se vante : « Comme ch'uis un super-zespion eh bah ch'sais qu'y faut pas passer par la sortie pass'que y a un gaarde!! Faut trouver un trou P'tite Grenouille et même qu'après on pourra faire tout qu'est-ce qu'on veut!! Ha-ha! »

Évidemment, Petit Croc n'est jamais sorti seul auparavant. Mais rien ne vaut une petite partie de frime devant sa super-méga copine !

Petit Croc se dresse, ainsi qu’un large sourire sur le visage de Petite Grenouille. Bien sur qu’il était cap ! Sinon il serait pas son ami ! Mais quand le chaton poussa un cri, elle s’immobilisa, plus figée que toutes les roches de CerfBlanc réunies. Elle ne bougea pas un poil, coupa même jusqu’à sa respiration. La petite regarda autour d’elle, len-te-ment, le moindre mouvement décomposé, pour s’assurer que personne n’avait été réveillé. Elle entendit — puis vit — Vif-Argent marmonner et se retourner. Son cœur s’accéléra, et elle sentit la sueur monter sur son dos. Si elle avait été réveillée, elle s’était rendormie tout aussi vite. Elle poussa un soupir de soulagement, et se retourna vers son ami — avant de constater qu’il était déjà parti.

À son tour, elle fila de la pouponnière en vitesse.

— EH !! pesta-t-elle une fois sortie de la tanière. T’auras pu m’attendre quand même !
— Viens! J'vais t'montrer que ch'uis archi-cap !!

L’excitation prit le dessus sans attendre, et Petite Grenouille suivi les pas de son ami. Elle s’efforça de se mettre à sa hauteur, afin qu’ils soient tous les deux et non pas juste l’un avec l’autre. C’était techniquement la même chose mais aux yeux de Petite Grenouille, c’était radicalement différent. S’ils étaient des phrases, le premier seraient une proposition coordonnée, le second une subordonnée et sa principale.

— Comme ch'uis un super-zespion eh bah ch'sais qu'y faut pas passer par la sortie pass'que y a un gaarde!! Faut trouver un trou P'tite Grenouille et même qu'après on pourra faire tout qu'est-ce qu'on veut!! Ha-ha!

Les yeux du chaton pétillaient.

— Petite Salamandre m’a dit que le mieux pour sortir, c’était de passer par la litière où tout le monde fait pipi ! Comme ça personne peut suivre notre odeur et personne suspectera rien ! Par contre, ça pue !

Elle ponctua sa phrase par une grimace, et fonça vers le dit-lieu.
Et effectivement, l’odeur était plutôt forte. Pas vraiment l’endroit où qui que ce soit aurait voulu s’attarder. Ni même passer pour sortir du camp, mais comme Petit Croc l’avait si justement fait remarqué, la sortie principale n’étaient même pas une option envisageable pour les deux chenapans.

— J’passe devant !! s’écria-t-elle. Et elle s’enfonça dans les fourrées.

Courant non pas à sa suite, mais à ses côtés, Petite Grenouille y mêle ses propres informations de zespionne super-renseignée :

« Petite Salamandre m’a dit que le mieux pour sortir, c’était de passer par la litière où tout le monde fait pipi ! Comme ça personne peut suivre notre odeur et personne suspectera rien ! »

Malin ! Petite Salamandre est souvent ennuyeux parce qu'il ne veut pas jouer avec eux -ou partir en exploration, comme maintenant- mais Petit Croc doit lui reconnaître sa malice. Et puis de toute façon, ce n'est un secret pour personne : Petite Grenouille est mille fois la meilleure plus courageuse ! Alors il faut bien que son frère trouve d'autres qualités…

« Par contre, ça pue !
- Pas autant qu'la gueule de Gros-Rage-Dort! Ha-ha! » répond le mâle du tac-au-tac.

Une balle perdue pour le gros matou tigré. C'est ça de ne manger que d'la viande de rat !

« J’passe devant !! » couine alors la petite brune en se jetant dans les fourrés.

Pas très loin derrière, Petit Croc piaille de frustration. Les rameaux lui fouettent le visage mais il n'en a que faire; quelque chose de plus important l'attend de l'autre côté : prouver qu'il est cap !

Mais bientôt, Petit Croc découvre que son amie ne lui ment pas; ça pue à mort!! Et finalement, sans doute plus que la gueule de Gros-Rage-Dort, c'est dire !

« Pouaaah! » en grimaçant de dégoût. « Ça schmoute! »

Pris directement aux narines, il fait l'erreur de s'arrêter net. Renfrognant, les babines retroussées, les oreilles plaquées en arrière et la queue agitée, il peste : « Trop nulle comme idée! Merci P'tite Salamandre! »

Il jette un regard à son amie pour voir si elle est aussi dégoutée que lui et malgré les haut-le-cœur qui l'assaillent, Petit Croc trottine jusqu'à Petite Grenouille. Un objectif en tête : être cap à tout prix.

Petite Grenouille se mit dans la peau d’un chat du Clan de la Rivière, retint sa respiration et FONÇA. Et même malgré son apnée, elle pouvait tout de même sentir l’odeur autour d’elle… et quelle odeur ! Elle réprima un haut de cœur, accéléra le mouvement et ni une ni deux, se retrouva hors de la litière mais surtout, hors du camp.
Petit Croc, lui, n’était toujours pas là. Elle l’entendit pester.

— Trop nulle comme idée! Merci P'tite Salamandre!

Le chaton leva les yeux au ciel et, après une grande inspiration pour rassembler tout le courage qu’elle possédait (il lui en fallait bien plus pour simplement retourner dans la litière que de sortir du camp), elle passa sa tête dans les fourrées.

— Qu’est ce que tu fais ? Dépêche toi !! Si tu restes trop longtemps l’odeur va te rester dans les poils !

Et clairement, Petite Grenouille n’avait vraiment pas envie de dormir avec un ami qui sentait le corbeau mal digéré.
En l’attendant, elle prit le temps de regarder tout autour d’elle. Ce n’était pas bien différent du campement — sans doute parce qu’ils se trouvaient juste à côté — mais tout ici était bien moins… organisé. Beaucoup plus sauvage. Et elle trouva ça beau.
Le sol recouvert d’une couverture de feuilles qui n’avaient pas encore été toutes foulées, les champignons, certains aux pieds plus fins que d’autres. Les troncs intactes de coups de griffes. Elle entendit le cri d’une chouette au loin, et en se concentrant (et en omettant les plaintes de son camarade) elle pouvait entendre la nature, libre et chaotique. Elle sentait l’excitation lui monter des pattes jusqu’aux oreilles. Ses yeux, eux, grimèrent le long d’un gigantesque pin.

— Tu crois qu’on pourrait grimper tout là-haut ? On pourrait voir comme les oiseaux !

Et alors, Petite Grenouille s'impatiente !

« Qu’est ce que tu fais ? Dépêche toi !! Si tu restes trop longtemps l’odeur va te rester dans les poils ! »

Il n'y comprend pas grand-chose. L'odeur ? Dans ses poils ? Mais l'odeur est ici, comme pourrait-elle aller dans ses poils ?
Lui, il ne sent rien, pas vrai ?! Il ne peut pas puer, puisqu'il ne sent rien.

Sentant son esprit s'embuer de réflexions envahissantes, Petit Croc se contente de faire deux-trois bonds jusqu'à traverser à son tour les fourrés; laissant la théorie des poils qui puent aux crottes de ses camarades de Clan.
De l'autre côté du buisson, c'est un tout autre monde. Enfin, pas vraiment puisque le paysage ressemble quand même beaucoup au Camp mais pour Petit Croc, il arbore un air différent, un air convoité : celui de l'interdit.

« Oh, wooooaaw »

Baignant dans la lumière de la lune, le dehors a fière allure. La cime des grands pins s'arrache au sol, déchirant le ciel. Abritée à leur base; une ombre inquiétante et secrète. S'approchant avec toute l'imprudence d'un chaton, Petit Croc s'émerveille face aux champignons clairs qui se dessinent en contraste sur les troncs vierges de toutes griffures. De là où il se tient, les mycètes apparaissent comme les gardiens des lieux se tenant tantôt au sol, tantôt dans les airs comme pour surplomber leur territoire.
Par terre, le mâle au pelage sombre peine à distinguer la couche d'aiguilles, de feuilles et de mousse et c'est à peine s'il peut anticiper ce qu'il trouvera sous ses pattes une fois sous les arbres, ainsi coupé de l'éclat lunaire. Si son corps réagit instinctivement en libérant des phéromones d'alarme de ses coussinets, Petit Croc n'en demeure pas moins assez imprudent pour s'exciter de sa propre peur.

C'est qu'à l'abri dans la pouponnière, il n'a jamais senti de tels shot d'hormones se diffuser en lui; ni ce regain d'énergie qui l'envahit soudainement.

« Tu crois qu’on pourrait grimper tout là-haut ? » La voix de son amie le ramène à Cerfblanc. Désignant un grand pin du museau, la petite brune lui lance : « On pourrait voir comme les oiseaux ! »

Petit Croc n'en mène pas large, sa langue pourtant très développée est annihilée par les effets de cette nouvelle drogue. Ne pensant même pas à formuler une quelconque sorte de phrase, le gamin hoche frénétiquement la tête -signe que l'idée lui plaît- avant de se jeter au pied dudit pin, gagné d'une nouvelle vivacité.

« Faut qu'on grimpe là-d'ssus ! » qu'il piaille juste en bondissant bêtement sur l'un des champignons accessibles.

Sans surprise, le chapeau fongique se brise sous ses pattes et Petit Croc regagne le sol aussi vite qu'il s'en était éloigné. « Aïe! » Tombé sur le derrière, le voilà qui renifle l'un des gros morceaux.

« Tu crois qu'ça s'mange ?! » Instant silencieux durant lequel on pourrait presque croire que la réponse lui importe. Mais dans ses yeux reluit soudainement un éclat malicieux et se tournant vers Petite Grenouille, il dit : « Hé, G'nouille...T'es pas cap qu'on en mange! »

Sans même attendre la réponse de son amie, Petit Croc croque à pleines dents dans le reste de champignon et commence à mâcher.

Qu'on ne lui dise pas qu'il est pas cap, hein !

HRP:

Petit Croc a une super idée : grimper sur les champignons pour escalader plus facilement le grand pin ! En plus leur chapeau a l’air élastique, comme s’il était possible de rebondir dessus pour sauter plus haut. Un énorme sourire sur le visage, elle s’apprêta à rejoindre son ami dans son idée quand elle le vit tomber par terre, le pied ayant cédé sous son poids.

— Aïe aïe aïe, ricane Petite Grenouille tout en trottinant vers son camarade. Ça va ?

Elle lui donne un coup de langue sur le front, comme elle a pour habitude de faire avec son frère lorsqu’il se fait mal. Ils s’amusaient à raconter que c’était un sort pour partager la douleur. Elle ne savait pas si ça marchait vraiment, mais en tout cas ça avait toujours été très utile pour sécher les larmes de Petite Salamandre avant même qu’elles ne commencent à couler ! Petite Grenouille en était très fière, même si elle n’avait rien inventé : c’était Vif-Argent qui lui avait partagé la méthode.
Elle vit le noiraud renifler le champignon casser, visiblement intéressé par cette nouvelle chose jusque là étrangère pour eux. Elle aussi elle voulait savoir ! Est-ce que ça sentait vraiment bizarre ? Ça sentait bon au moins ? À son tour, elle colla sa truffe sur le pied cassé. Ça sentait comme… la terre et le bois. Elle releva la tête, la gueule toujours entrouverte. Si seulement ça sentait comme la viande ou le poisson !

— Tu crois qu'ça s'mange ?! s’exclama Petit Croc comme s’il lisait dans ses pensées.
Elle étudia le champignon en penchant la tête, le tâtonna à coup de patte. C’était mou.
— Je pense qu’on peut croquer dedans donc on peut essayer !

C’était important de vérifier si elle pouvait mâcher quelque chose sans se casser les dents. Quand elle était encore plus petite, elle avait essayé de manger un caillou. Déjà c’était pas bon, mais en plus elle s’était fait tellement mal qu’elle avait du aller dans la tanière de Grande Digitale manger une plante pas très bonne. Quelque soit la réponse, elle se disait que ce fameux champi ne pouvait pas être aussi mauvais que le médicament de la guérisseuse.

— Hé, G'nouille...T'es pas cap qu'on en mange !

Quoi ?! Bien sûr que si ! G’nouille, elle était cap de tout ! Petit Croc ne l’attendit même pas et se mit à croquer dedans. Elle s’offusqua dans un « EH! » et ouvrit grand la gueule pour croquer un morceau encore plus GROS que le sien, pour lui prouver qu’elle était encore plus cap que lui !!

Le gout était… disons qu’il était similaire à l’odeur, et ce n’était pas vraiment ce à quoi elle s’attendait. Elle continua de le mâcher d’un air dubitatif, et plus le temps passait, plus elle avait envie de le recracher. Mais Petit Croc était devant elle, elle ne pouvait pas se permettre un tel affront ! Elle l’avala difficilement au point qu’on l’entendit déglutir. Avant de donner son avis à haute voix, elle voulait s’assurer d’une chose :

— T’en as pensé quoi toi ?

Ça ne manque pas : Petite Grenouille a vite fait de croquer à son tour ! Le goût se diffuse lentement dans la gueule du chaton noir et à mesure qu'il se révèle, Petit Croc peine à maintenir le rythme de la mastication. Ce n'est pas très bon, léger et désagréable, spongieux, filandreux à la fois. Ses papilles n'apprécient guère mais coûte que coûte, Petit Croc mâche.

Surtout; il salive. Il bave même un peu car le voilà qui ouvre à chaque fois un peu plus la gueule pour écraser l'étrange aliment entre ses molaires. Il avale, fermant bien les yeux sous l'effort. Lorsqu'il les ouvre de nouveau, son amie vient de finir aussi. Une grimace peu convaincue collée à la gueule, elle lui demande :

« T’en as pensé quoi toi ? »

...
Il hésite un peu.

...

« C'est dég'lasse !!! » qu'il piaille alors comme un verdict sans appel.

C'est peut-être mauvais, mais il serait tout à fait capable d'en manger une dizaines pourvu qu'on reconnaisse son courage !

« Et toi, t'en penses quoi ? »

Distrait, le petit mâle sombre agite un des restes du mycète du bout de la patte; fasciné par la texture.

Il y a un moment de suspend durant lequel le cœur de Petite Grenouille bat la chamade. Est-elle la seule à avoir eu du mal à manger le champignon bizarre ? Mais c’est avec toute l’honnêteté et la sincérité du monde que son ami lui lâche « C'est dég'lasse !!! ». La petite frisée tire la langue de dégoût et se met à rire. C’est vraiment pas bon, mais c’est quand même vachement marrant !
— Et toi, t'en penses quoi ?
— Plutôt manger une vieille souris boueuse ! Mais quand on le touche c’est rigolo.
Petit Croc s’amuse avec, et elle aussi. D’une patte, elle l’écrase, l’effrite, le fait rouler. La sensation sous ses pattes et rebondissante, presque caoutchouteuse, mais plus fragile. À force de le manipuler, elle en a plein de morceaux coincés entre les doigts.
— Berk. Hors de question de lécher ça.

Et puis, au loin, il y a quelque chose qui brille. Elle a l’impression que ça frétille en même temps que l’intensité lumineuse change. Pour attirer l’attention du noiraud, elle lui donne un coup d’épaule.
— Regarde là bas.
Petite Grenouille s’en rapproche. Plus elle avance, plus le sol sous ses pattes est marécageux, mais tant pis. La lumière l’appelle. Après tout juste quelques mètres, la voilà qui se retrouve nez-à-nez avec une colonie de lucioles.
Elle aurait pu s’émerveiller devant la beauté du spectacle, mais non : elle a d’autre priorités en tête.
— On goûte ?

Sa copine lui répond sans détour : « Plutôt manger une vieille souris boueuse ! Mais quand on le touche c’est rigolo. »

Ça c'est vrai ! Alors il hoche la tête frénétiquement. Rapidement. Jusqu'à ce que son petit cerveau cognant de bas en haut lui fasse mal. Mais qu'importe : Petite Grenouille a très raison alors il dodeline très fort !
Il s'arrête enfin pour reprendre leur exploration sensorielle : au toucher, ces trucs blancs sont effectivement... bizarres mais marrants. Il s'amuse à y planter ses petites griffes crochues tandis que sa voisine a l'air de les écraser avec ses coussinets colorés. C'est drôle jusqu'à ce qu'une bouillasse gluante lui reste sous les pattes. Comme lui, Petite Grenouille est une féline très expressive et la grimace qui lui déforme la gueule en dit long sur son dégoût.

Sa tête fait d'ailleurs rire un peu son copain au poil sombre jusqu'à ce qu'elle l'interpelle : « Regarde là bas. » en lui bousculant un peu l'épaule.

Petit Croc suit le regard de son amie -qui est passé du dégoût à la fascination en deux secondes et demi- jusqu'à apercevoir un drôle de spectacle. Sans rien rajouter, Petite Grenouille s'avance vers une nuée de petites étoiles qui flottent. Petit Croc n'est pas aussi subjugué que sa copine parce que malgré lui, une petite pointe de peur naît dans sa gorge.

« On goûte ? »

L'enthousiasme de la petite brune le rassure au moins assez pour qu'à son tour, il approche. Ses pattes font sponch-sponch dans la vase mais se salir, c'est bien le cadet de ses soucis pour l'instant.

« Pourquoi qu'y a des étoiles ici ?! » il demande à Petite Grenouille. Peut-être qu'elles sont tombées ? Lui aussi des fois, il tombe. « Si on les croque... on va pas les retuer ?! » La mort est un concept assez difficile à saisir pour Petit Croc mais alors si en plus de mourir puis monter à la Toison Argentée on peut aussi se péter la gueule et remourir croqué... c'est vraiment trop compliqué. « Mais euh... attention hein! Ch'ui cap!! »

Peut-être que ce sera une bêtise et qu'il se fera gronder par les Étoiles pas-maladroites (celles qui restent dans le ciel et qui trébuchent pas)... Mais bon! Ne pas être cap', ce serait pire!!