[Banquet] Le Faisan

Le Faisan.

Nuage de Bourgeon sourit faiblement à Nuage de Feuille. C'est que, en temps normal, elle adorait la surprendre, à condition toutefois de ne pas le faire au mauvais moment. Hors de question de jouer à cela en pleine chasse où lors d'une patrouille. Au camp toutefois, il n'y avait jamais grande conséquence. Mais Bourgeon avait l'esprit un brin ailleurs pour en profiter pleinement. Heureusement, et alors que la rouquine allait répondre, Nuage du Matin se matérialisa. Se plaignant du froid, à quoi feuille tenta une remarque qui fit rire Bourgeon.

- Il l'avouera jamais mais s'il dit ça, c'est parce qu'il adore quand je l'écrase.

Et sans attendre, Nuage de Bourgeon vint se coller à Nuage du Matin dans un de ces câlin coup de tête qu'on voyait plus souvent Cœur Brisé faire. Le genre capable de vous sonner à moitié, toutefois, la tabby n'allait pas laisser Feuille en reste et volontairement, elle s'écroula a demi sur sa cadette dans l'instant qui suivait. Nuage de Foudre plus loin approchait, visiblement lui aussi intéresser par le faisan plus loin, centre de l'attention.

- Ca fera du bien à tout le monde de manger un morceau, pas vrai ? Elle donna un coup de truffe à Nuage de Feuille tout en se relevant, adressant un regard chaleureux à ces amis. On en chipe un morceau et on se met ensemble pour en profiter ? Hors de question de laisser l'un ù l'autre s'isoler. Vivre en clan signifiait ensemble. Et pour Bourgeon, cela comptait. Enfin à supposer que vous êtes capable de vous frayez un passage. Cette fois, elle les taquiner tout en s'éloignant vers le faisan. Après tout, elle escomptait bien manger, avec une pareil proie, même juste une bouchée la revigorerait. Et au final, avoir ces camarades près d'elle avait déjà largement contribuer à lui redonner le petit coup de fouet qu'il lui manquait ce jour là.

« Le Clan des Étoiles bénisse ce repas tiède.

Et nos bien-aimés disparus de nous donner la Force de finir la saison auprès de Ceux qui sont restés.

Mangeons à notre faim ce soir...

Et surtout tous ensemble. »

Tous ensemble.

N'est-ce pas ce qu'il a toujours voulu? Faire partie de cet ensemble?

Le Clan est liesse. Y'a Masque de Serpent avec l'oeil plus gros que la panse qui cherche ses gosses, et Louve, et ses potes à querelles. Y'a les plus petits qu'on dispute s'ils s'approchent trop du genre de proie qu'ils ont pas encore le droit de goûter. Peuh, comme si ça pouvait empêcher Coeur Brisé d'en voler un lambeau et de l'amener en douce à la pouponnière, il songe en secouant la tête, sa parrure en plumes dissimulant l'ombre à ses babines.

Partout autour les familles s'agglutinent, les amis — Arc-en-Ciel se fait coller aux pattes par cet imbécile de Tache de Poire, sous les rires nasillards de Queue de Cerise qui s'approche avec Sève de Sapin — les amours bourgeonnant — La fille à Bec a l'air d'avoir un oeil sur Racine Claire — et ceux qui se fanent ensemble — mêmes quelques aînés sortent du terrier de leur vieille souche pour quémander un moindre quelque chose.

Il fait froid, mais Étoile Foudroyante ne le ressent pas.

Il voit les chats bouger autour de lui, s'activer, rire, se disputer, vivre, mais il ne les entend pas.

Il n'est pas dans son corps. Son corps est plongé dans un souvenir qui n'est jamais arrivé, dans le reflet d'une flaque qui insiste à se reformer malgré toutes ses tentatives de la boire. Il voit Waffle rire avec Museau Bleu, il voit Nuage du Rossignol se blottir contre Coeur de Puma, qui ne la remarque pas, il voit auprès de Source Fleurie et ses enfants les parents de la première, Étoile Masquée et Jolie Abeille. Il les voit lever leur tête du butin, puis, leurs yeux se tournent sur lui, le harponnent, au même titre que l'émail de leur plus joli sourire.

Étoile Foudroyante détourne vivement la tête, regarde ailleurs, fait mine de porter son regard au reste du campement que soudain Étoile de Cendre apparaît à ses côtés. Il s'empresse de se lever sur les pattes - le contrôle qu'il a sur son corps lui donne une vivacité qui surprend, plutôt que d'inquiéter, et il attire les yeux sur lui lorsqu'il vient poser les pattes sur le butin que lui et Coeur de Puma ont rapporté.

Il se plonge les dents dans les chairs, et en raidissant le dos, en gonflant les postérieurs, arrache un exagéré lambeau qu'il brandit aux yeux de tous. Il entend des acclamations et des blagues, et pour amplifier le spectacle, pour se donner l'impression d'en faire partie, d'être là avec eux, il se ramasse sur lui-même puis, jete le lambeau en l'air, qu'il rattrappe d'un bond et un CLAP! des mâchoires.

Une courbette, un gloussement pratiqué, et le spectacle est terminé. La glace est brisée et on ne se retient plus d'approcher le festin pour s'en accaparer ses propres lambeaux. Étoile Foudroyante regarde ses guerriers (les siens? À lui?) se ruer sur la bouffe. Il s'éloigne pour leur laisser le champ libre, retournant s'affaisser au pied du rocher craquelé.

Ses yeux lui jouent des tours. Il ne distingue plus son Clan des fantômes de la poudreuse.

L'envie d'accuser Coeur de Puma se fait sentir (qui sait si ce n'est pas sa prière qui les a réveillés?), mais qu'à cela ne tienne: il mange. À coups de dents voraces et avec appétit, éhonté de festoyer sans faire le moindre effort de soigner ses masques d'apparence.

L'hiver donne faim après tout, et la faim?

La faim rend fou.

HRP: