Toi aussi tu dors pas ? (pv Nuage d'Argousier)

hrp:

Nuage de Papillon se trouvait dans une forêt sombre. Si sombre que la lune transparaissait tout juste de la canopée. Un mince croissant irrégulier se découpait de temps à autre entre les feuillages. Pas de quoi la rassurer alors qu’elle progressait sur le sol humide des bois. Très humide ce sol. Trop humide. La chatte rousse et blanche baisse les yeux et lâche un cri d’épouvante en constatant qu’elle patauge dans du sang. Du sang partout, imprégné d’une terre gluante, visqueuse. Une boue qui lui colle aux pattes et ne veut plus la lâcher. Tellement plus la lâcher qu’elle ne peut plus bouger. Et qu’elle s’y enfonce, enfonce, enfonce-

Elle se réveille en sursaut. Le cœur qui bat la chamade le poil hérissé, le regard hagard. Elle n’a pas l’habitude de faire des cauchemars. Et surtout pas des cauchemars aussi réalistes. Elle a toujours été celle qui dormait le mieux de sa fratrie. Un grognement lui fait reprendre le sens des réalités. En se redressant elle a donné un coup involontaire à Nuage de Coccinelle qui grommelle dans son sommeil. Mais sa sœur ne semble pas réveillée, tout juste perturbée. Nuage de Papillon reprend doucement son souffle et les battements affolés dans sa poitrine se calment. Ce n’était rien d’autre qu’un mauvais rêve. Pas de quoi paniquer. Juste un mauvais rêve.

Avec les événements récents par étonnant qu’elle soit aussi nerveuse dans son sommeil. La guerre elle ne l’a vu que de loin, à travers le retour des blessés et les récits à demi-mots des guerriers. Elle était loin du front, cachée dans les fourrés, prête à intervenir. Vraiment prête ? mais il n’y avait pas eu besoin, tout était allé dans le sens d’Etoile du Cobra. La Rivière semblait avoir retenu la leçon. Le clan était rentré et avait pansé ses plaies, pleuré ses disparus et un nouveau jour s’était levé. Mais les séquelles de la guerre étaient bien là, elles, et le niveau de nervosité n’était pas redescendu depuis le retour du champ de bataille. Alors qu’elle réfléchissait à tout cela elle aperçut deux pupilles brillantes apparaitrent dans l’obscurité de la tanière des apprentis. En plissant le regard elle reconnu Nuage d’Argousier.

Eh ! Psst ! Toi aussi tu dors pas ? Chuchota-t-elle.

La guerre, si terrible, si effrayante, si.. mortelle.
Nuage d'Argousier n'avait pas assisté à cette bataille sanglante, beaucoup trop jeune et inexpérimenté, il remerciait Étoile du Cobra de ne pas l'avoir envoyé. C'était à la fois un soulagement et une honte, un apprenti guerrier se devait de se battre pour non ? Et lui était resté cloitré dans sa tanière, frissonnant comme s'il avait été témoin des pires atrocités alors qu'il n'en était rien. Il regardait ses camarades dans la tanière des apprentis : un jour, c'est une certitude, il se battrait à leurs côtés, peut-être même.. peut-être même qu'il les verrait périr...

Un frisson parcourut sa colonne vertébrale, il ne laisserait personne toucher ses camarades ! Son regard dévia sur une chatte rousse - dont le pelage ne pouvait pas être distingué clairement sous lse ombres que projetait la lune -, il s'agissait de Nuage de Papillon, l'apprentie guérisseuse du clan. Elle, elle avait du courage : c'était elle qui, avec son mentor, pansait les plaies et rassurait les blessés. Elle était plus forte que lui, c'était une chance de l'avoir.

"Eh ! Psst ! Toi aussi tu dors pas ?"

C'était sa voix justement.

"N-non.. C'est que.. je pense encore beaucoup à la bataille, murmura-t-il en s'approchant d'elle."

Il pouvait se confier, non ? En tant qu'apprenti guérisseuse, elle n'allait pas le juger.. Elle ne devrait pas le juger..

"C'est juste que j'ai l'impression de n'avoir servi à rien.."

"N-non.. C'est que.. je pense encore beaucoup à la bataille.

Ils chuchotaient tous les deux afin de ne réveiller personne d’autre dans la tanière. A vrai dire il était fort probable que certains ne dormaient que d’une oreille ou d’un sommeil encore agioté pare les derniers événements. Mais avec la pénombre c’était difficile à percevoir. D’où elle se tenait Nuage de papillon voyait juste des boules de poils assoupis. Elle agita la queue afin d’inviter Nuage d’Argousier à la rejoindre et se mettre un peu à l’écart du groupe de félins endormis.

"C'est juste que j'ai l'impression de n'avoir servi à rien.."

Elle sentit son coeur se pincer en entendant la réflexion de son camarade. Elle aussi avait eut ce sentiment. C’était très étrange d’ailleurs. Elle s’était sentie immensément fière de venir en aide à Vent du Nord et au clan. D’assister dans les soins des blessés et de protéger les plus amochés. Et en même temps, en voyant les blessures lui parvenir, en constatant la dureté des combats, elle s’était sentie honteuse de ne pas y prendre part. Elle qui était une apprentie-guerrière à la base. Sa place n’aurait-elle pas du être sur le champ de bataille ?

"Les choses vont s’apaiser." dit-elle. Elle l’espérait plus qu’elle n’en était certaine. Elle sourit à Nuage d’Argousier, espérant le rasséréner. "Oh j’ai ce sentiment aussi ne t’inquiète pas. Mais parfois il vaut mieux rester dans l’ombre pour aider les autres."

Il vaut mieux rester dans l'ombre pour aider les autres, mais s'il avait été dans la lumière, n'aurait-il pas pu faire mieux ? Aurait-il pu sauver ses camarades blessés inutilement ? Quel honneur y avait-il à rester dans l'ombre, alors que des guerriers avaient fièrement donné leur vie ? Des pères et des mères, des sœurs et des frères, qui n'étaient plus là pour dormir dans un lit de mousse, à discuter avec un camarade... comme lui le faisait actuellement. Sa gorge se noua, elle avait raison. S'il avait été sur le champ de bataille, il n'aurait été rien d'autre qu'un boulet, un apprenti qui tape sans vraiment savoir où taper et qui se blesse à cause d'une petite erreur. S'il avait été là, il aurait fait pire que mieux. 

Alors peut-être lui fallait-il attendre pour devenir plus expérimenté, pouvoir défendre ses camarades comme il le fallait avec ses griffes et ses crocs.. Seulement, il n'en avait pas vraiment envie.. du moins, pas de la façon dont Étoile du Cobra le voudrait. Nuage d'Argousier ne deviendrait pas un grand combattant, il le savait - et il avait peur de décevoir sa famille -. Il aimerait parler, apaiser les tensions pour éviter les combats, mais comment faire alors qu'il s'était enfermé dans un mutisme que lui-même n'arrivait plus à briser ?

"Tu.. Tu es apprentie-guérisseuse.. chuchota-t-il, dis-moi si c'est grave de ne pas avoir envie de se battre ? Je.."

Il peinait à trouver ses mots, c'était comme si des dizaines de lapins lui courraient dans la tête, chacun avec une phrase différente, mais qu'il n'arrivait pas à en attraper un seul.

"Je veux protéger mes camarades plus que tout, mais est-ce que se battre est vraiment nécessaire ? Est-ce que ça fait de moi un lièvre apeuré ?"

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