Une ombre dans la nuit | Nénuphar

La nuit, son Royaume.
Au fond, le Royaume des nyctalopes, en général.
Il le savait, n'importe quel animal disposant d'une bonne vision dans l'obscurité penserait comme lui. S'il croisait un hiboux, ne penserait il pas, lui aussi, être le Roi de ces ombres qui s'étendaient en arbre ?

Etoile se tenait là, assit sur une branche. Son regard aiguisé parcourait les rochers qui s'étendaient devant lui. Ils avaient une jolie couleur argentée, comme son buste, que la lune beignait de lumière. Il aimait cette ambiance monochrome, comme lui, gris, blanc, dont le seul éclat de lumière était cette tâche, cette étoile sur son poitrail.

Il s'apprêtait à bondir pour explorer un peu plus ce territoire dont il ne savait rien, mais une odeur nouvelle le retint. Le bruit assourdissant de la rivière qui se glissait près des rochers, sournoise, avait masqué la venue d'un autre chat. Ou plutôt, d'une chatte, s'il en croyait l'odeur.
Elle était de ce clan, visiblement, et il finit par apercevoir une pelisse qu'il devina être rousse.

Le corps élancé, la queue exessivement longue... Il trouvait ça intriguant, cette allure toute cassée. Il attendit que la femelle soit suffisamment près de son arbre, dissimulé entre les ombres. Quand elle le fut, il se laissa glisser pile devant elle, presque museau contre museau.

Un sourire moqueur se glissa sur ses lèvres, il ondula la queue, la dressa fièrement.

« Bien le bonsoir, ma demoiselle. Il n'est pas bien sûr de se promener seule à la nuit tombée, votre mère ne vous l'a jamais dit ? » Ironisa-t-il.

« Ah... Ah ça alors, mince ! » Contre toute attente, elle sembla sincèrement surprise, sans une once d'hostilité. « Je ne m'attendais pas à tomber sur qui que ce soit ! Qui es-tu ? Comment tu t'appelles ? »

Elle se pencha pour sentir un peu son cou. Etoile se laissa faire, mais son corps se crispa imperceptiblement, tributaire des années de martyre qu'il avait été forcé de subir. Il eut un rire qui aurait pu sembler gêné, découvrant légèrement ses crocs, et puis, il chercha à croiser une nouvelle fois le regard de la femelle.

Elle semblait jeune et idiote. Jolie, enfin- Pas vraiment, pas tant que ça. Elle n'était pas jolie comme les chattes de salon qu'il avait déjà courtiser. Elle avait la beauté étrange des morceaux de verre brisé et, avec cette attitude naïve qui contrastait avec ses cicatrices qui parcouraient son flanc, Etoile se faisait déjà une idée du personnage.

Une femelle, certainement malmenée, devenue craintive, gentille, brisée et façonnée pour plaire. Etoile songea qu'elle serait un parfait jouet qui couine, pour un temps.
S'il n'avait pas à soigner sa première impression auprès de ce clan dont il parvenait maintenant à reconnaître l'odeur.

« Etoile, c'est mon nom, ma jolie. » Dit-il, sa queue vibra d'excitation. Il avait hâte de la bousculer. « Je me suis perdu, vois-tu ? Je n'ai pas l'habitude de cette forêt... Et toi, qui es-tu ? »

Il passa à côté d'elle, frôlant volontairement son flanc. Derrière elle, il l'observa par dessus son épaule, à l'affût de la moindre de ses réactions.

« Feuille de Lotus. » La pauvre petite chose l'avait suivit du regard, s'était retourné vers lui qui, à présent dos à elle, l'observait d'un œil sur son épaule. « C'est mon nom. Je suis guerrière au Clan du Tonnerre. M'enfin, je suis pas très douée haha ! » Il n'en doutait pas une seconde, elle n'avait pas l'air dégourdie. Et ces cicatrices, en plus d'en être la preuve, ne devait pas aider à ce qu'elle puisse se mouvoir avec aisance dans cette forêt.

Etoile avait connu bien des territoires boisés, mais il n'était jamais resté suffisamment longtemps pour en saisir toute la mesure. Il voyait encore la forêt comme un lieu de tous les dangers, comme un endroit où l'on risque sa vie bien plus qu'entre deux montagnes grises et rectangulaires que les maîtres habitaient.

« Mmrh mais bref... Tu t'es perdu alors Étoile ? Dis-moi d'où tu es venu, je devrais pouvoir t'aider à rentrer chez toi. » Cette innocence dans son regard, alors que la lune s'y reflétait par tâches argentées, le dégoûtait presque. Il songeait qu'en dépit des souffrances évidentes de son corps, elle n'avait pas encore assez prit de coups.
Il aurait aimé brisé ce regard, lui donner toute l'horreur de celui qu'il posait sur le monde. Toute l'horreur de la haine, de la trahison, de la souffrance, des articulations qui craquent, des cages trop petites, des mères à moitié mortes.

Son visage, cependant, ne bougea pas. Il souriait toujours, calmement. Il était maître de la situation, aucun emportement n'était nécessaire.
Il se tourna vers elle, une nouvelle fois, s'assit face à elle.

« Les noms des chats de clan sont si... Particuliers ! » Il ria volontairement, finit dans un ronronnement profond et grave qui se tut bien vite. « Feuille de Lotus. C'est joli, je dois l'admettre... C'est- Cela te va bien. Tu semble aussi fragile qu'un lotus. » Il souffla ces derniers mots entre ses crocs, joueur.

Puis il souffla du nez, encore une fois, guilleret. Il ne fallait pas non plus l'effrayer.

« Je n'habites pas dans cette forêt, pas encore, alors je doute que tu puisses m'aider. J'aurais aimé apprendre à connaître vos clans pour... Enfin- Tu sais. La vie de solitaire est dangereuse et parfois, douloureuse. »