New day, new part, new luck to win ! || PV. Nuage de Vipère - abandon

Une nouvelle aube se lève. Puissante de quelques rayons, elle se donne pour les quelques membres de la Terre. Au fond de sa litière, Nuage des Marais s’agite. Jeune Apprenti perturbé par des songes auxquels il ne devrait même pas faire face. Luttant corps et âmes, crocs et griffes, effusions de sang et profondes balafres. Son adversaire ne lui laissait aucune chance de prouver sa valeur. Dans ses sombres pupilles brunes, il pouvait lire toute la haine que ce dernier lui vouait, mais pas seulement. Comme s’il avait abaissé toutes ses défenses, abattu les quelques centaines de murs qui cloisonnent son cœur, son cœur se heurtait aux battements saccadés de l’autre. Alors que le sang fuyait le corps de l’Apprenti tigré, c’est le cœur de l’autre qui semblait lâcher. Ralentissant, saignant de toute part, devinant facilement qu’un flot de tristesse se répandait dans l’esprit de l’autre, Nuage des Marais tenta de reprendre le dessus physique. Malgré ses tergiversations, ses gesticulations à outrance et toute l’énergie qu’il mettait en œuvre pour faire évoluer la situation en sa faveur, le corps si fluet de l’autre ne bougeait même pas d’un poil. Plus son sang se déversait sur le sol et plus les détails de l’autre lui apparaissaient. Une silhouette menue, fine, des formes qu’il semblait connaître. Pourquoi était-il incapable de renverser la situation alors que son corps était bien plus puissant que celui de l’autre. Le physique était-il suffisant ? Pour la première fois de sa vie, la peur émanait de son corps impuissant, de son esprit embrouillé. Au fur et à mesure que ses forces le quittaient, le tigré entrevoyait les nuances de l’autre. Un joli pelage écaille de tortue se dessina sous son regard de détresse et alors qu’il peinait à reconnaître son ennemi, un coup de patte ôta une vie fictive d’un corps imaginaire, toute la peine et la tristesse du monde accompagnaient ce geste.

Les yeux de l’Apprenti tigré s’écarquillent sur le monde des éveillés. En quelques secondes, il est revenu à lui. Sa vue floue au départ, prend de la netteté au fur et à mesure des papillonnements de ses paupières. Fatigué comme s’il avait passé la nuit à se battre, il eut du mal à se lever. Convaincu par le fait qu’il ne retrouverait pas le sommeil et qu’il ne voulait, de toute façon, pas le retrouvé, il sortit de sa litière, s’ébroua et quitta encore un peu somnolant la tanière dans laquelle il avait passé la nuit. Les quelques rayons du soleil, qui se battaient pour monter toujours plus haut, l’accueillirent, tentant avec faiblesse de réchauffer son pelage. Prenant quelques secondes pour s’acclimater à la lumière, aucune expression faciale de clairement fixer, il finit par libérer l’entrée de la tanière pour trouver son petit coin habituel dans le Camp. Un peu à l’écart de ceux qui étaient déjà éveillés, il prit soin de faire une petite toilette. Étonnamment, son poil laissait apparaître un goût amer sur sa langue. Ignorant ce fait et chassant de son esprit les souvenirs de son cauchemar, d’un simple revers de patte invisible, il se concentra de nouveau sur sa langue qui passait sur ses poils et s’appliqua à le remettre correctement en ordre. Plus ou moins satisfait du résultat, plutôt las de se nettoyer, il arrêta net et se mit à observer, quelques seconds touts au plus, le Camp qui s’éveillait. Rien ne se découvrait sur son visage si expressif d’habitude. Probablement parce qu’il ne ressentait rien, rien de bien intéressant, rien qui ne vaille de l’afficher sur son visage, rien qui ne méritait qu’il n’y prête plus d’attention que cela. Puis, répondant aux grondements sourds de son estomac, qui s’étaient actionnés il y a quelques secondes déjà, il se leva et rejoignit le tas de gibier sur lequel trônait de bien maigres proies, rassis par la nuit qu’elles avaient passé là. Sans ce soucier de la fraîcheur ou non de l’animal, il se saisit de la première qui vint et amorça lentement son retour à son emplacement initial lorsqu’il entrevue un corps qu’il connaissait bien. Un petit sourire vint trôner sur son visage en même temps qu’un frisson se répandit dans tout son corps. Le pas léger, il s’approcha de ce félin, le salua honnêtement et l’invita à le suivre, tant physiquement que verbalement :

« Bonjour Nuage de Vipère. Est-ce que ça te dirait de partager un morceau avec moi ? J’aimerais bien qu’on parle tous les deux. »

Son souffle était régulier. Sa mine apaisée, ses paupières fermées. Elle dormait profondément au milieu de la Tanière des Apprentis. Elle avait prit sans hésiter la place au milieu de la tanière. Certain tremblait de froid sur les côtés, mais elle avait bien chaud entre sa sœur et un autre apprenti. Un petit sourire se dessina sur son visage. Ses pattes avant exerçait des petites pressions sur la litière mousseuse. Quel rêve pouvait bien t-elle faire ? Oh, seul le Clan des Étoiles le sait.

Soudainement, la petite boule écaille-de-tortue se réveilla. Ses grands yeux bleus s'ouvrirent lentement, le sourire béa figé sur ses lèvres. Elle bailla dévoilant sa blanche rangée de crocs. Oh, elle aurait tant aimé rester là une éternité. Sa litière était tellement confortable et la chaleur enivrante, qui voudrait se lever ? La jeune femelle leva la tête pour voir qui était là et qui ne l'était pas. Seules quelques rares personnes s'étaient levée et certains mentors venaient chercher leurs apprentis. Elle regarda alors la sortie et vit les légers rayons de soleil tentant vainement de monter la température. Nuage de Vipère soupira. Elle regrettait tellement le doux été, qui lui semblait si lointain. Elle ferma les yeux quelques instant et imagina le soleil lui brûler la fourrure, la pile de gibier abondante, le camp mouvementé, l'herbe verte lui chatouiller doucement les coussinets. Elle les rouvrit et baissa les yeux. On oublie toujours les mauvais côtés des choses, jusqu'à ce qu'ils reviennent. L'été n'a pas que du bon, mais c'est comme tout. Elle leva la patte comme si elle essayait d'attraper quelque chose. Elle essayait d'attraper l'été. Oh, tout est plus beau pendant cette saison, songea t-elle. Un flash lui revint, comme si son cerveau essayait de lui faire comprendre qu'elle ne devait pas être nostalgique. Sa chute dans les marais. Elle serra les dents et son air devint dur. Le goût de la défaite était si amer. Elle trembla violemment, comme si elle venait de retourner dans la maussade réalité.

L'hiver était morne et sans saveur. Les journées étaient grisâtres et se ressemblaient toutes tellement. La terre se reposait et le printemps reviendrait, c'est ainsi qu'est fait le cycle éternel de la vie. La petite femelle de se leva d'un geste rapide. Elle s'étira longuement, faisant craquer ses muscles endoloris de la nuit passée roulée en boule. Elle soupira et marcha lentement vers la sortie du repaire des apprentis. Elle avait l'impression d'être restée longtemps dans sa litière et pourtant il n'en fût rien. La morsure du froid était douloureuse. Poils longs ou pas personne ne pouvait renier le fait que les températures étaient glaciales. Avant de sortir elle se retourna et regarda sa litière la mine désespérée. Elle ne voulait vraiment pas sortir. Elle sortit. Elle entreprit de faire sa toilette. Elle passait sa langue râpeuse sur ses duveteux poils. Et elle répétait ce geste, encore et encore. Quand elle jugea son pelage parfait (même si elle le trouvait toujours parfait à présent), elle se dirigea vers la Tanière des Anciens. Passant devant la pile de gibier, elle loucha sur une prise. Elle se lécha les babines admirant longuement cette proie maigre mais qui lui semblait un festin à cette période de l'année. Une grande silhouette tigrée débarqua dans son champ de vision, s'emparant de la bestiole au passage. Nuage de Vipère prit une expression agacée et sa queue battait l'air. C'était l'unique proie qu'elle voulait, et évidemment, c'était Nuage des Marais qui l'avait prise. L'écaille-de-tortue grommela et l'imposant mâle s'approcha d'elle.


« Bonjour Nuage de Vipère. Est-ce que ça te dirait de partager un morceau avec moi ? J’aimerais bien qu’on parle tous les deux. »

La petite féline haussa les épaules ne prenant même pas la peine d'user sa salive. Elle évitait à tout prix le regard vert du matou. Elle l'esquivait. Elle le suivait alors à contre-cœur, trop fière pour laisser ce maigre repas finir dans l'estomac d'un tel être. Elle s'installa donc et enroula son épaisse queue autour de ses pattes duveteuses. Elle poussa du bout des coussinets la proie vers le matou l’encourageant poliment à entamer en premier la proie.

« Que veux-tu me dire ? » Miaula t-elle froidement.

Allait-elle le suivre ou bien est-ce qu’elle allait rester plantée-là et le planté lui ? Sans se soucier réellement de l’avis et de la réponse de cette dernière et après lancé une ultime invitation à Nuage de Vipère, Nuage des Marais prit la direction de son petit coin dans le Camp. Il emprunta un pas lent et sûr de lui, faisant mine de ne pas douter du choix de l’Apprentie. Si elle savait ce qui lui trottait dans la tête, toute trace de crédibilité serait envolée depuis bien longtemps. Lui qui d’habitude savait très bien comment parvenir à ses fins, avouait douter lorsqu’il s’agissait de jouer avec la petite femelle écaille de tortue. Et pour cause, il ne l’avait pas choisi pour rien. Il l’avait choisi parce qu’il aimait sentir ce petit goût du risque, ce petit hic, ce petit détail que les autres n’avaient pas. Cette incertitude faisait partie intégrante des choses qui avaient fait que son choix s’était porté davantage sur elle que sur un ou une autre. Et puis, qui dit qu’il l’avait vraiment choisi en tout état de cause. Qui dit que le hasard ou bien même le destin n’avait pas fourré son nez là-dedans ? Ce ne fut que lorsqu’il entendit les pas légers de l’Apprentie derrière les siens qu’un sourire exposa ce petit avant goût de victoire. Pour le moment, il n’avait pas idée de comment rentrer dans son petit jeu avec elle. Il voulait juste partager un petit moment avec elle, faire semblant d’être son ami, peut-être qu’ainsi, les victoires seraient plus simples. Il se rappela avec une certaine nostalgie de son plongeon dans les marais, petit plongeon qu’il avait fait avec elle, après que cette dernière ait tenté de le mener en bateau. Le pire dans cette histoire, c’est qu’il ne s’en était pas rendu compte avant, il aurait pu s’en vouloir, mais venant de l’Apprentie, il se disait qu’il ne pouvait pas tout prévoir, il ne le pourrait pas tant qu’il ne lirait pas en elle comme dans un livre ouvert. L’arrière-train posé sur le sol, la queue enroulée autour de son corps en position assise, Nuage des Marais accueillit avec plaisir la présence de Nuage de Vipère. Et alors qu’il posa la proie face à elle, cette dernière la lui renvoya, l’invitant ainsi à commencer.

« Que veux-tu me dire ? »

Le froid de sa voix rappela avec plaisir au matou tigré comme elle était agréable au possible. S’il n’avait pas eu, en cet instant, les crocs plantés dans la chair un peu rêche de la maigre proie qu’il avait choisie sur le tas de gibier, il aurait certainement souri à ses mots. Avalant rapidement le peu de viande qu’il avait prélevé de la proie, il se redressa un moment, passa un léger coup de langue sur ses babines et poussa du bout de la patte la proie vers la novice. De loin, les félins pouvaient certainement croire à un potentiel rapprochement amical ou amoureux de deux Apprentis d’un même Clan, ce qui pourrait être tout à fait cohérent, enfin s’il ne s’agissait pas de ces deux-là. Un bref sourire posé sur les babines, Nuage des Marais releva rapidement la tête vers l’Apprentie et figea ses yeux verts dans les siens. Que voulait-il lui dire après tout ? Est-ce qu’il ignorerait les questions qu’il se posait depuis leur petit moment passé aux marais ou bien est-ce qu’il tenterait d’y voir plus claire ? Le fin mot de cet épisode l’avait laissé étrangement ballant, avec un goût de semi-victoire, ne comprenant pas bien où il avait fait fausse route ou bien ce qu’il avait bien pu dire ou faire pour renverser si rapidement le moral de la femelle. Bien plus emporté par la curiosité que par de bêtes formalités qui lui auraient certainement sauvé la mise, l’Apprenti tigré articula d’une voix se voulant amicale et chaleureuse, tout en sonnant si fausse dans son esprit :

« Je voulais simplement que tu éclaires mon esprit. Tu sais, la dernière fois, dans les Marais, tu n’as pas vraiment répondu à ma question, ça m’intéressait réellement d’en savoir un peu plus sur toi. »

La Vipère regarda le matou de très haut. Elle se sentait tellement au-dessus de tout ça. Elle le trouvait minable de vouloir briser les autres. Il voulait sans doute se sentir supérieur, ou pas, juste par sadisme. Elle le méprisait tellement. Même elle n'était pas si malveillante, même elle. La féline serra les dents, regrettant déjà d'avoir suivi Nuage des Marais. Elle le regarda mordre dans la proie brunâtre. Il se redressa et poussa délicatement la proie vers la petite écaille-de-tortue. Elle se baissa lentement et mordit dans la bête avec gourmandise. Elle ne mangea pas tant que ça, le stress lui monta à la gorge. Elle redoutait la discussion, de peur qu'il brise encore une fois sa fierté. La petite avait un ego surdimensionné et elle ne voulait pas que l'on y creuse des fissures. Elle se redressa rapidement et passa quelques brefs coups de langue sur ses babines et moustaches. Le félin plongea ses yeux verts dans ceux de l'apprentie. Une frisson lui parcourut tout le dos et elle détourna aussitôt son regard, mal à l'aise. Elle ne voulait pas le regarder droit dans les yeux. Il l'a dégoûtait au plus haut point.

« Je voulais simplement que tu éclaires mon esprit. Tu sais, la dernière fois, dans les Marais, tu n’as pas vraiment répondu à ma question, ça m’intéressait réellement d’en savoir un peu plus sur toi. »

Elle se doutait bien qu'il y avait anguille sous roche, et l'idiot venait de le prouver bêtement. Il voulait en savoir plus sur elle pour mieux lui faire mal. Mieux connaître l'ennemi pour mieux frapper. Il avait déjà gagné, pourquoi l'a cherchait-elle encore ? Il n'a vraiment que ça à foutre ? L'apprentie écaille-de-tortue leva ses yeux bleus au ciel. Qu'il était ennuyant. Il était obsédé par la même chose depuis le commencement de l'apprentissage de Nuage de Vipère. Détruire, briser la petite. Il ne devait avoir que ces mots en tête. Les marais lui revinrent en tête comme un flash. Ses yeux brûlèrent de rage. Elle avait oublié à quel point elle le haïssait. Tout en elle émanait la colère. Elle lui en voulait tellement de lui avoir cassé sa fierté. Elle le détestait. Son esprit clamait vengeance. Un sourire malveillant s'esquissa sur son visage candide. Elle l'aurait sa vengeance de n'importe quelle manière, elle l'aurait. Elle était reine de son monde, elle contrôlerait sa vie parfaitement, et tous seraient des pantins qu'elle manipulera. Elle en était persuadée. Il voulait en apprendre plus sur elle ? Tant mieux, il ne serait pas déçu de la découvrir. Ses yeux s'étaient transformés en deux flammes bleues qui luisaient sur son visage tricolore.

« Je n'apprécie pas ma demi-sœur, parce qu'on a pas les mêmes caractères, c'est tout. » Fit-elle d'une voix indifférente. D'un côté, ce n'était pas totalement faux, sa demi-sœur et elle n'avaient rien en commun. Mais elle lui en voulait salement d'être le rejeton de l'amour de son père et de Bec de Buse.

Elle commença à se lécher le poitrail pour remettre ses poils duveteux en place. Sa queue battait violemment l'air. Elle fulminait, elle voulait lui arracher tous les poils. Il lui avait assez pourrie sa journée de part sa présence et son invitation, ne pouvait-il pas la laisser en paix ? Elle releva la tête et le regarda d'une fausse douceur.

« Et toi, tu aimes quoi dans la vie ? Ta famille, tes amis, ou que sais-je ? » Fit-elle d'une voix candide ? Elle venait gentiment de lui rappeler qu'il n'aimait rien et qu'il n'avait pas de cœur, juste une fierté surdimensionnée et que sa vie était celle d'un minable apprenti qui ne faisait que le malheur autour de lui et qui semblait satisfait de cela. Pauvre petit, si pathétique. Elle allait le briser comme lui l'avait fait auparavant, il regretterait tout ses faits et gestes et ne pourrait même plus regarder son reflet dans les yeux moqueurs des autres.

Qu’allait être la réaction de Nuage de Vipère ? Est-ce qu’elle fuirait de nouveau la question, conciliant facilement une victoire peu méritante à Nuage des Marais ou bien est-ce qu’elle aurait enfin le courage de lui répondre ? Après tout, il n’était pas si légitime que cela qu’elle lui réponde, au vu de la question qu’elle lui avait posé en retour… Une question qui n’en était pas une, qui était simplement un prétexte, une diversion pour le faire chuter dans les marais. Pendant quelques secondes, il se rappela la sensation de l’eau crasseuse sur son pelage, cette tourbe froide et puante, qu’il avait fallu vaincre deux fois, une fois pour se sortir lui-même des marais et une autre pour venir en aide à la petite femelle qu’il avait emportée dans sa chute. Volontairement ou involontairement, lui seul était capable de répondre correctement à cette question. L’air hautain qu’avait adopté la femelle aurait pu froisser le tigré, mais d’en d’autre circonstance. Aujourd’hui, il était prêt à la laisser faire, à la laisser penser qu’elle était au-dessus de lui, pour avoir des réponses. Au fond, il savait qu’il n’en était rien. Il était depuis le début le seul maître et créateur de ce petit jeu, c’était lui qui avait initié la femelle à ce dernier, à cette petite haine naissante entre les deux. Il était le premier à avoir posé ses yeux sur son petit corps, le premier à avoir pris la décision de jouer à ce petit jeu cruel et peut-être un peu pervers pour certains. Ce petit regard hautain ne lui rappelait décidément que la participation de la femelle à la partie, rien de plus. Elle n’y gagnait rien à agir ainsi, rien du tout. Surtout quand elle était tout bonnement incapable de soutenir son regard. Un regard certes franc, mais un regard qu’elle ne parvenait à tenir. Pourquoi ? Nuage des Marais l’ignorait. Il doutait de son pouvoir à l’intimider, autre chose devait se cacher derrière cela, pourtant, il se plaisait à penser que c’était cela. Il se plaisait à croire qu’il était parvenu à semer le doute et la peur dans le corps de la petite Apprentie. Il aimant penser qu’il avait pris les devants sur ce petit jeu, qu’il avait en somme, un joker à chacune des parties. Joker qui lui permettait de gagner facilement. Qui gagnerait aujourd’hui ? Elle ? Lui ? Seule la suite en décidera. L’Apprenti n’oublia pas de remarquer le sourire mesquin sur les lèvres de l’Apprentie écaille de tortue et cette flamme qui s’alluma dans son regard. Pas certain de savoir décrypter la petite, il savait simplement que le même désir les animait, vouloir gagner l’un sur l’autre, prendre le dessus, prouver que l’un était plus intelligent et plus doué que l’autre. Mais qui gagneraient-ils ?

« Je n'apprécie pas ma demi-sœur, parce qu'on n'a pas les mêmes caractères, c'est tout. Et toi, tu aimes quoi dans la vie ? Ta famille, tes amis, ou que sais-je ? »

Ne l’ayant pas quitté des yeux depuis qu’elle l’avait rejoint, le tigré se réjouit de la voir s’agacer si facilement. Après tout, lui qui avait cherché le défi, la difficulté, se retrouvait face à une boule de nerfs plus facile à agacer qu’il n’y paraissait. Malgré sa comédie qui se voulait bien jouer, chacun de ses mots sonnaient faux aux oreilles du mâle. Ne croyant pas un traître mot de ce qu’elle disait, il faisait tout de même comme si. Captant plus particulièrement les derniers mots de la petite, il ne fut pas troublé d’entendre au fond de sa voix, une pointe acide. Que cherchait-elle à faire ? se demanda le tigré. Si elle pensait pouvoir le briser comme cela, elle s’y prenait affreusement mal. Nuage des Marais ne s’entouraient pas de relation amicale ou familiale inutile. Non. Il assumait parfaitement de n’aimer ni ses parents, ni certains membres de son Clan. Après tout, est-ce qu’il devait forcément rentrer dans la norme ? Être comme tous les autres ? Suivre bêtement comme un mouton ? Pourquoi faire ? Pour se sentir comme les autres ? Il n’était pas les autres. Il était différent. Et plutôt fier de cette différence, il ne comptait pas en faire une faiblesse. Au contraire. Il avait choisi de n’aimer personne, de ne s’attacher à personne. Par avance, peut-être pour se protéger ou peut-être bien par incapacité d’aimer, il avait fait ce choix, un peu à défaut. Mais ce dernier lui convenait parfaitement, lui collait à la peau et faisait de lui ce qu’il était, ce qui le définissait parfaitement. Un sourire narquois sur le visage, prouvant simplement ainsi que la remarque de la femelle ne le gênait nullement, il répondit d’une voix égale à lui-même, une pointe de sarcasme, mais tout en véracité :

« J’aime la vie elle-même, c’est déjà pas mal non ? Je n’ai nullement besoin de m’entourer de personnes superflues, comme tu vois, je fais un tri, sois honorée que j’accepte de te considérer comme une amie. Tu es la seule à qui j’offre ce privilège, ma belle. »

La queue de la Petite commença à battre dans tout les sens. Il l'agaçait. Pourquoi ? Il avait le don de la foutre en colère, elle attendait tout le temps quelque chose, et quand ce quelque chose ne vient pas à Princesse, Princesse s'énerve. Le jeu était énervant. La Vipère qui jusque là ne faisait que regarder bêtement le sol, trop lâche pour fixer l'autre leva ses yeux et les plongea dans ceux de Nuage des Marais. Son poil se gonfla. Elle voulait en imposer. Elle se sentit forte, malgré le ridicule de son raisonnement. Impossible de garde un calme olympien, elle était bien trop impulsive et colérique pour ça. Elle fit sourire de renard au matou, comme pour dire « Tu vois, je suis imprévisible, tu ne m'auras jamais. » Il n'en était rien. A chaque fois elle avait la même réaction, le calme, le malaise puis la colère. Saupoudrez le tout de fierté et de ridicule, vous obtenez Nuage de Vipère face à son ennemi, Nuage des Marais. Elle sentait toujours le besoin de lui prouver qu'elle valait beaucoup mieux que lui. Qu'il n'était qu'une tique qu'on enlevait sans pitié du pelage des putrides anciens. Nerveusement, elle commença sa toilette quand le matou répondit.

« J’aime la vie elle-même, c’est déjà pas mal non ? Je n’ai nullement besoin de m’entourer de personnes superflues, comme tu vois, je fais un tri, sois honorée que j’accepte de te considérer comme une amie. Tu es la seule à qui j’offre ce privilège, ma belle. »

Des flammes bleues commençaient à danser dans ses yeux. C'est lui qui devrait être honorée qu'Elle lui accorde du temps, elle n'avait pas que ça à foutre bordel ! Elle respira fort, ses griffes sortant et rentrant à une vitesse fulgurante. Elle avait envie de lui foutre un terrible coup de patte dans la tête. Elle allait gagner cette fois-ci. Perdre deux fois de suite ? Impossible, elle est bien trop parfaite pour cela. Elle avait envie de céder à la violence. Elle tenta de se calmer mais ça ne venait pas. Il ne méritait pas son « froid ». Aujourd'hui était la bonne elle le savait. Elle serra les dents, son cœur battait la chamade. Elle avait envie de pleurer tant elle était en colère. Elle ne tiendrait pas une minute de plus. Il se croyait intelligent ? Très bien, elle ne l'était pas. Il se croyait fort ? Il ne la connaissait pas, elle était bien plus dangereuse depuis la dernière fois dans les marais. Mais la Petite, eh bien, était restée naine. Évidemment, elle avait grandi, mais le matou tigré aussi. Elle s'était musclée, mais l'autre l'était davantage. Soudain, le vent froid de l'hiver lui parcouru l'échine. Ne fallait-il pas être solidaire en cette période ? Si, il le fallait. Elle ne pouvait pas ce permettre de créer des tensions inutiles. Mais ses pulsions de violence étaient plus fortes que sa morale. Elle n'avait qu'une envie, mettre un bon coup de griffe sur sa gueule de jeune coq. Elle respira un bon coup et reprit le contrôle de ses émotions. Elle reprit une pointe d'ironie dans sa voix aigu et cassée.

«  Oh mais, j'en suis toute honorée ! Toi aussi tu sais, tu devrais l'être, je ne fréquente pas n'importe qui. »

C'est vrai, il devait être honoré de faire parti de son cercle de connaissances. Elle n'accordait pas son temps à tout le monde, bien trop occupée à s’entraîner au combat contre des vieux troncs d'arbres. Elle cherchait sans cesse la perfection et, il faut dire qu'elle était ambitieuse, mais après tout qui ne l'était pas ? Elle voulait toujours en faire plus, trop. Quitte à écraser les autres, elle avait besoin de se prouver des choses. Que voulez-vous y faire ?...

Honnête comme il ne l’était rarement, il livrait le fond de sa pensée, carte sur table, à cette minette avec laquelle il avait décidé de jouer. Pourquoi lui faire une telle confidence alors qu’il se refusait de parler de ceux qui composaient son cercle familial habituellement ? Il ne connaissait, lui-même, pas cette raison qui l’avait poussé, en dehors de ses retranchements. Pourtant, il ne regrettait aucun des mots qui n’étaient sortis de sa gueule. S’ils pouvaient trouver un quelconque écho dans la tête de la petite écaille de tortue, cela provoquerait certainement une pointe de satisfaction chez le tigré. Au fond, il n’avait fait que donner une façon de penser, la sienne. Si d’autre vouait des cultes à leur famille, ce n’était tout bonnement pas son cas. Il avait au moins ce point commun avec la minette qu’il avait ciblée dans son jeu pervers. Si elle pouvait manquer parfois de temps de réaction, le novice put entrevoir l’action prolifique qu’avait sa sainte parole sur le système nerveux de l’autre. Le simple son de sa voix suffisait à faire enrager la petite femelle. Les yeux émeraude du tigré n’avaient aucune peine à entrevoir cette douce aigreur qui flottait dans ses yeux, ce petit mélange de colère et de haine en une proportion tout à fait équitable. Et ce n’était pas l’attitude corporelle de l’autre qui démentait ce que ses iris disaient. Ses griffes se rétractaient et se sortaient à une vitesse folle, menaçant de labourer toute la terre présente sous ses ridicules pattes. Dire que le tigré exultait intérieurement d’un début de victoire si facile était peu dire. Il jubilait d’avoir autant d’emprise sur un si petit être qui faisait pourtant autant parler de lui. Le jeu en devenait presque trop facile. Les on-dit auraient-ils une fois de plus mentit en offrant des degrés de trop à l’attitude de la jeune ? Nuage des Marais était dubitatif. Après avoir gagné une première fois, avec une certaine aisance, il commençait à douter de la véracité de ces propos. Comme s’il, on ne répétait pas assez souvent que les rumeurs sont des calomnies sans nom. Si Nuage de Vipère ne montrait pas rapidement une autre facette, il s’en désintéresserait certainement. Une succession de victoire plus facile, les unes que les autres ne l’intéressaient que trop peu. S’il l’avait choisi, c’était pour le piquant de l’aventure, la non-certitude d’arriver victorieux une fois à la fin de la partie. Et pourtant, tout semblait aller à son avantage.

« Oh, mais, j'en suis toute honorée ! Toi aussi, tu sais, tu devrais l'être, je ne fréquente pas n'importe qui. »

Le calme qu’elle tentait de reprendre injustement à sa colère, transgressait dans sa voix qui se brisa à peine quelques mots sortis de sa gueule. Si au fond de lui, l’impression que tout cela n’était que trop facile continuait de croître, Nuage des Marais entrevoyait en cette tentative de reprise de contrôle sur soi, une certaine volonté. Si la volonté seule n’était pas une arme redoutable, il suffisait de la coupler à une banale ambition pour entrevoir de grands plans. Nuage des Marais y savait quelque chose. Lui, il pensait clairement avoir tout compris de la vie. Il avait rayé de sa vie ce qui pouvait le rendre faible en balayant d’un revers de patte tout contact autre que dédaigneux avec ceux qui l’avaient fait naître. En ce qui concerne ces frères et sœurs, il n’avait rien eut à faire, le Clan des Étoiles l’en avait tout bonnement débarrassé. Il lui en rendait d’ailleurs grâce lorsqu’il se savait seul à être le centre d’attention. Imaginer quelques secondes un félin lui faire de l’ombre lui déplaisait au plus au point. S’il avait fallu en plus qu’il élimine son propre sang, il aurait dû se salir les pattes. Il n’avait aucune attache émotionnelle et donc aucun point faible inutile. Qu’on touche à ses parents étaient bien la dernière de ses préoccupations, si le destin pouvait l’en débarrasser, il ne serait pas contre de ne plus les voir débouler derrière lui, le suppliant bêtement pour qu’il leur décoche un mot qu’il ne leur accordait jamais. Sûr d’avoir fait le bon choix. Sûr d’être intouchable, invisible. Nuage des Marais gonfla le poitrail et articula d’une voix qui semblait si vraie.

« Ravi de savoir que nous sommes entres personnes purement consentantes. Si tu voulais me faire l’honneur de trouver un sujet de discussion qui t’intéresse, tu m’enverrais au septième ciel. »

Plus elle y réfléchit, plus la Vipère se rendait compte du trouble de ses sentiments. Que ressentait-elle réellement pour Nuage des Marais ? De la haine évidemment, mais ne dit-on pas qui aime bien châtie bien ? L'apprenti tigré était le seul à la mettre dans tous ses états, comme s'il avait une emprise sur Nuage de Vipère. Évidemment qu'il en avait une, c'était la personne qu'elle craignait le plus, mais au fond ne cherchait-elle pas à lui plaire intimement ? La Petite baissa les yeux, gênée de penser cela. Pourquoi s’attacherait-elle à ce vil matou ? Non, elle ne l'aimait pas, elle s'en était convaincue. Que des points d'interrogation sans réponses. Et puis, pourquoi elle ? Pourquoi le félin s'était intéressé à elle et pas une autre ? Il y a des femelles bien plus difficiles à faire craquer, et bien plus belles aussi. Songea t-elle. D'un mouvement de la queue elle balaya ses ignobles pensées. Elle ne pouvait aimer qu'elle, personne ne méritait son affection, personne. Elle vivrait seule, sans aucune épaule, elle valait cent fois mieux que les autres, elle le savait. Elle allait être la meilleure, et elle l'était sans aucun doute déjà. Le cœur palpitant, sa poitrine se gonfla.

« Ravi de savoir que nous sommes entres personnes purement consentantes. Si tu voulais me faire l’honneur de trouver un sujet de discussion qui t’intéresse, tu m’enverrais au septième ciel. »

Nuage de Vipère avait envie de lui crier ce qu'elle avait sur son petit cœur. Lui demander une réponse à toutes ses questions. Lui dire qu'elle pensait sans cesses à lui, qu'elle voulait lui plaire, qu'il la regarde, qu'il l'admire, mais elle ne pouvait pas. Elle était bien trop fière, ou … timide ? Elle palpa doucement la terre comme pour déstresser. Que pouvait-elle bien lui dire ? Fallait-il y aller franco ou jouer l'hypocrisie. Après tout, être une menteuse c'était la seule chose qu'elle savait faire. Elle regarda longuement le matou dans les yeux. Il avait de beaux yeux verts, dans lesquels elle voyait une forêt printanière. Elle soupira longuement.

« Eh bien, qu'est-ce qui te plaît chez moi ? Balbutia t-elle. Enfin … amicalement évidemment ! »

Eh merde. Elle regrettait déjà ses paroles. Qu'allait-il penser d'elle ? Elle griffa la terre avec ses petites griffes. Elle se détestait, Ô grand dieu qu'elle se détestait. Pourquoi était-elle si bête ? Elle avait envie de se cacher dans sa litière. Il allait comprendre, tout comprendre. Il n'était pas dupe, elle le savait. Tout ça c'était de sa faute ! S'il ne s'était jamais occupée d'elle, elle n'en serait pas là aujourd'hui. Elle n'en serait pas là, non pas là ...