[BLIZZARD] Première leçon : survie en conditions extrêmes - abandon

Rivière Sombre s'était levé avant l'aube. A vrai dire, il avait assez mal dormi, moins à cause du froid – le Clan de la Rivière ayant la chance d'avoir parmi les guerriers les plus velus de la forêt, mais plutôt à cause des nouvelles responsabilités pesant sur ses larges épaules. Il avait organisés les premières patrouilles de chasse selon les ordres d’Étoile du Corbeau. Il leur avait ensuite demandé dans quelle partie du territoire ils pensaient aller chasser, avant de leur ordonner de le prévenir personnellement si la moindre odeur intruse devait se faire sentir. Ainsi, des patrouilles pourraient être envoyées pour chercher soit les chasseurs perdus, si le Clan des Étoiles tenaient encore à les mettre à l'épreuve, soit des voleurs de proies, autant dire de futurs macchabées. Le temps ne s'améliorait pas et il espérait, ne serait-ce que pour le moral des chasseurs, qu'ils ne reviendraient pas bredouille. Sa queue tiqua nerveusement.
Il tourna la tête vers la tanière des apprentis.

On lui avait confié Nuage de Saumon depuis plusieurs levés de soleils déjà, alors que la tempête commençait à peine en réalité. Il ne pouvait pas se permettre d'attendre indéfiniment la fin de la tempête pour commencer son éducation. C'était indigne d'un mentor, indigne d'un lieutenant, et indigne vis-à-vis du Clan, qui avait besoin de chasseurs plus que jamais. Oui, mais sortir avec un chaton aussi jeune revenait quasiment à sortir seul. Il préféra jouer la sûreté et se dirigea vers la tanière des guerriers, à la recherche de lève-tard. Pierre Moussue n'avait pas bougé d'une moustache depuis que son frère et lieutenant avait quitté la tanière. Pour un peu, il l'aurait réveillé juste pour ça. En lui enfonçant ses pattes glacées dans le cou. Ce ne fut que le souvenir de son apprenti qui sauva le sommeil du chat blanchâtre. S'ils avaient tous deux un passé difficile, Pierre Moussue s'en était surtout servi pour aiguiser sa langue mieux que n'importe quelle griffe. Non, il lui fallait quelqu'un de doux, de rassurant. Un guerrier l'observant d'entre ses paupières se rendormit en voyant sur son visage qu'il avait trouvé sa perle, ou plutôt sa pierre.

Le lieutenant enjamba les corps endormis du mieux qu'il le pouvait et se dirigea vers la femelle, qu'il réveilla du bout de la patte. Aigue-Marine était une toute jeune guerrière, qui avait à peine quitté la tanière des apprentis, pleine de douceur envers les membres de son Clan. Nul doute que la sortie encouragerait le trio. Si le blizzard le voulait bien.

Réveilles-toi, Aigue-Marine. Nous sortons chasser.

Il sortit de la tanière dès qu'il fut à peu près sûr que la chatte était réveillée, ne tenant pas à réveiller beaucoup plus de monde au final. Ceux qui dormaient à présent travailleraient plus tard aux fortifications. Autant qu'ils prennent des forces.

Réveille-toi, Aigue-Marine. Nous sortons chasser.
La jeune guerrière entendit ces paroles comme si elles lui étaient criées depuis l'autre rive d'un torrent agités par des flots épais et continus. Autrement dit, c'est à peine si elle distingua les différents mots qui formaient la phrase. D'ailleurs, elle faillit presque ne pas se réveiller ; mais le museau qui pressait à présent son flanc se fit pressant, et ce contact physique ne pouvait pas passer aussi inaperçu que des paroles. Aigue-Marine répondit donc à cet appel et sortit douloureusement de sa torpeur.
Lorsque ses yeux bleus s'ouvrirent enfin, elle fut aveuglée par la lumière blanche très vive qui filtrait à travers les fougères qui constituaient les renforts de la tanière des guerriers. La neige est encore là... souffla-t-elle en son for intérieur. Depuis que la tempête de neige faisait rage, elle avait apprit à reconnaître la teinte que prenait l'horizon masqué par la poudreuse et le gel. Ce matin-là ne faisait pas exception.

Aigue-Marine se leva, s'étira en baillant et prit le temps de sortir de son sommeil ; c'était difficile. Elle avait envie de tout, sauf de sortir à l'air frais - que dis-je, gelé. En fait, elle n'avait envie de rien hormis se pelotonner sur sa couchette de mousse et de s'endormir à nouveau, et jusqu'à ce que la saison des neiges ait disparu, cette fois.
Mais les responsabilités du Clan l'appelaient. Pour la première fois de sa vie, elle regretta l'époque de la pouponnière.
Un peu plus réveillée, la jeune tigrée se dirigea vers la sortie de la tanière, où l'attendait le chat qui l'avait sortie de ses rêveries. Elle était si profondément endormie qu'elle n'avait même pas fait attention à l'identité de celui qui l'avait réveillée. Elle se fit la réflexion qu'elle avait un sommeil bien trop lourd pour une guerrière, et que ce n'était pas digne de son rang : il fallait qu'elle soit sur le qui-vive, même lorsqu'elle dormait. Elle promit de s'améliorer.

« Bonjour, Sombre Rivière, » souffla-t-elle avec douceur lorsqu'elle reconnut le tout nouveau lieutenant. Avec son épais pelage sombre, il se découpait à la perfection sur le fond neigeux. Aigue-Marine admira les courbes du jeune matou. Elle avait toujours beaucoup aimé les nuances de son pelage, qui mettaient parfaitement en valeur ses muscles. « Où m'emmènes-tu ? » demanda-t-elle, ravie de se retrouver avec le lieutenant. Vu la cote des femelles dans le Clan de la Rivière - merci à la politique d'Étoile du Corbeau - se rapprocher un peu de la hiérarchie pouvait être une bonne idée. Et puis, de toute façon, Aigue-Marine avait toujours adoré la cohésion entre des membres de Clan, et elle était toujours partante pour l'entretenir.

Un frisson parcourait déjà les entrailles de la jeune guerrière de la Rivière. La journée allait être longue : elle souffrait déjà du froid. Elle se secoua dans l'espoir d'épaissir quelque peu son pelage puis se replia sur elle-même afin de conserver le maximum de chaleur en elle.

HRP:

Le guerrier attendit que la femelle sorte de la tanière des guerriers, le museau levé, les yeux plissés, dans une vaine tentative de sonder un ciel d'un gris uniforme qui ne promettait aucune accalmie pour le moment, et qui continuait de déverser sa neige. Un souffle de vent lui battit le visage comme un coup de patte, envoyant des flocons jusqu'au fin fond de son épais duvet. Il secoua la tête et la queue, agacé de son attente. Il scruta l'intérieur de la tanière, cherchant son corps parmi les autres. Il allait pour réveiller la jeune chatte plus fermement lorsqu'elle daigna enfin quitter sa couche et le rejoindre, pour être accueillie par un regard réprobateur de son aîné.

Bonjour, Sombre Rivière.
Rivière Sombre retint une remarque sur sa lenteur au réveil alors que le Clan souffrait de la famine, mais ne fit que pousser un soupir. Il préférait mettre cette légère erreur sur le compte de la fatigue, de la jeunesse, plutôt que sur celui de la paresse. Après tout, il avait lui aussi le sommeil plutôt lourd, le plus souvent réveillé à coups de pattes par Poil de Biche sous prétexte qu'il ronflait. Mais dorénavant, c'était à lui qu'il incombait de faire attention à ce qu'une simple erreur ne devienne pas une habitude. Son regard s'adoucit un peu.

Où m'emmènes-tu ?
Chasser, répéta-t-il. Nuage de Saumon a besoin d’entraînement, le Clan de nourriture. J'ai pensé que ta présence pourrait l'encourager. Ah, le voilà justement.

Il accueillit son apprenti d'un signe amical de la queue, ravi de voir un lève-tôt. Il s'imaginait déjà devant aller le chercher au fond de sa couche, mais le chaton les rejoint de lui même, sa robe sable presque effacée dans le blizzard. Lui-même, à sa façon de se tenir, donnait l'impression de vouloir s'effacer, la tête basse, l'air timide.

Tu es debout tôt, mon garçon. C'est bien, le félicita son mentor. J'allais justement te chercher, tu vas apprendre à chasser aujourd'hui, et j'ai demandé à Aigue-Marine de se joindre à nous. dit-il en désignant la femelle d'un mouvement de museau.

Le chaton semblait chercher ses orteils dans la neige fraîche. Pour un peu, il lui rappelait un chaton qui il y a de cela bien des lunes, osait à peine regarder son mentor dans les yeux. Ce serait à lui d'allier douceur et fermeté pour redresser cette petite pousse jusqu'à ce qu'elle devienne un grand arbre droit.

Ne t'inquiète pas du temps. Nous sommes là, tu marcheras dans nos traces et nous te protégerons du vent. Il intimait ainsi un ordre à la guerrière au pelage fourni. Il ouvrirait la voie et elle devrait faire rempart contre le vent pour le chaton au poil plus court et encore pelucheux.

Tu vas voir, en sachant chasser par un temps pareil, chasser lors des beaux jours te semblera bien plus simple. Nous ne sommes pas le Clan le plus résistant à l'hiver pour rien ~ l'encouragea-t-il avec un clin d’œil.

Mais tout d'abord, il faut que tu saches marcher dans la neige. La neige est moins épaisse ici qu'en dehors du camp, grâce à la protection du saule. Tu risques donc de t'enfoncer dans la neige une fois sorti. Alors bon, tu peux toujours y aller en creusant un tunnel. C'est une option. Mais il y en a une autre, qui te demandera moins d'énergie

Il leva sa patte et la secoua pour en enlever la neige et bien montrer à son élève comment il la plaçait au sol. Le gros chat marchait sur ses orteils, comme tous les chats, certes, mais écartait au maximum ceux-ci, montrant bien les poils entre ses coussinets.

En écartant les doigts comme ça, ton poids se répartit mieux, et tu t'enfonceras moins. Tu peux me dire un autre intérêt du fait de moins s'enfoncer ?

HRP:

Aigue-Marine vit arriver Nuage de Saumon, le tout jeune apprenti de Sombre Rivière. Il avançait dans la neige, tout penaud, parvenant à peine à se frayer un chemin dans la poudreuse, l'air frigorifié. Dure façon de commencer sa vie d'apprenti, songea la jeune guerrière, se rappelant qu'elle-même avait tout au plus traversé une période de faible neige lorsqu'elle était novice. Il y avait de meilleurs moments pour débuter un apprentissage... Mais le Clan des Étoiles réservait sûrement à Nuage de Saumon un grand destin, assez pour le mettre dès aujourd'hui à l'épreuve.
Aigue-Marine se demandait ce que leur voulait l'apprenti au poil de sable lorsque Rivière Sombre s'adressa à lui, le félicitant de se lever si tôt, et l'avertissant qu'une journée de chasse l'attendait en compagnie des deux guerriers. La surprise envahit l'esprit de la guerrière tigrée : elle n'avait pas compris cela. Mais elle se réjouissait de la nouvelle : vu l'air timide de Nuage de Saumon, elle savait qu'elle ne serait pas la seule à se sentir mal à l'aise face au lieutenant. À la différence que lui est encore un chaton, pensa-t-elle en soupirant intérieurement. Elle qui venait d'être nommée guerrière - il y avait quelques lunes - avait l'assurance d'un apprenti. Elle n'avait pas la carrure d'une combattante. Elle était persuadée que les membres du Clan la dénigraient pour cela, non aidés par la philosophie de la hiérarchie, qui jugeait les femelles comme des membres inférieurs.

Les explications de Sombre Rivière à son apprenti tirèrent Aigue-Marine de ses pensées. Elle l'observa : il paraissait beaucoup moins froid que ne l'avait été le regard qu'il lui avait lancé à elle lorsqu'elle l'avait rejoint. Il se montrait doux, patient, compréhensif, et protecteur.
La guerrière frissonna lorsqu'elle comprit que Sombre Rivière lui intimidait l'ordre de protéger Nuage de Saumon des intempéries. Elle avait si froid ! Elle sentait ses forces l'abandonner, et l'idée de donner ses dernières à protéger un chaton lui ôtait soudainement toute envie de sortir du camp. Mais c'était son devoir, il fallait qu'elle protège Nuage de Saumon. C'était l'avenir du Clan. Elle l'aiderait à devenir une recrue plus sûre de soi-même.

Les explications de Sombre Rivière s'allongèrent dans le temps. Chaque minute qui passait semblait une éternité, comme si le temps était gravement ralenti par le gel. Aigue-Marine frissonnait mais elle s'efforçait de ne pas le montrer, de peur de sentir davantage de dénigrement de la part du vétéran. Patiemment, rêvant intérieurement de soleil, elle attendit que le lieutenant ait terminé ses explications. Elle n'avait rien à ajouter, et d'ailleurs, pourquoi serait-elle intervenue ?

Nuage de Saumon est entre de très bonnes pattes, pensa-t-elle avec tendresse, il deviendra une très bonne recrue.

La brise glaciale pénétrait désormais sans mal son pelage encore duveteux, mordant sans pitié la chair ainsi offerte du petit. Un large frisson le parcourut, si bien qu'il se mit involontairement à trembler. La neige, elle aussi fourbe, s’immisçait cruellement entre les coussinets roses du matou sable, et trempait, en fondant, sa juvénile fourrure. Lui qui venait à peine de s'accorder un brin de toilette, il était le même qu'au réveil, avec tout ce vent qui emmêlait de plus bel son pelage mi-long. Ses oreilles semblaient brûler dans le froid ambiant, et l'impitoyable zef provenant des prairies. Il essayait tant bien que mal d'encaisser le coup, et de surmonter l'épreuve physique que représentait pour lui le simple fait d'être dehors.

Lorsque tonna la voix virile de Rivière Sombre, Nuage de Saumon faillit ne pas y prêter attention, tant il était inquiet par autant de froid et d'humidité. Et uniquement parce qu'il avait reçu une éducation stricte, il releva la tête et feint d'écouter le lieutenant. Il parvenait à attraper des mots ça et là, assez tout du moins pour comprendre la teneur de leur sortie avec Aigue-Marine. C'est étonnamment lorsque le mâle aux yeux ambrés adoucit le ton de sa voix, et tenta de rassurer son protégé que l'intéressé perdu le fil pour de bon. En effet, le vent venait d'habilement diriger la poudreuse sur eux. Étant le plus jeune, et dans ce cas précis, le plus court-sur-patte, le Saumon récolta les micro-flocons en pleine face, si bien qu'il retint un éternuement lorsque le voile frais s'en prit à sa belle petite truffe toute rosée. Les deux autres, avec leurs pelages d'hiver, n'avaient peut-être même pas ressenti l'assaut.

Il ne parvint finalement qu'à se concentrer lorsque son imposant mentor lui apprit comment marcher dans une telle masse de neige. Aussitôt emballé par l'idée que ses pattes ne finissent pas complètement congelée, l'apprenti-guerrier se concentra rapidement afin d'imiter le geste du matou marbré.

« En écartant les doigts comme ça, ton poids se répartit mieux, et tu t'enfonceras moins. Tu peux me dire un autre intérêt du fait de moins s'enfoncer ? »

Il se mit à réfléchir. C'est vrai ça, à quoi pouvait bien servir ce conseil, en situation réelle ? L'imagination débordante de Nuage de Saumon impressionnait -ou plutôt désespérait- souvent ses géniteurs, cependant il était important de noter que l'imagination en question était très axée sur un seul et même sujet : la peur du danger. Ainsi, et puisque la réponse lui bondit aux yeux comme un chasseur sur sa proie, il répondit d'une voix tremblotante, par peur de se tromper largement.

« Cela sert aussi à fuir plus vite en cas de dangers ? »

Il n'y croyait pas vraiment. Une fois prononcée à voix haute, sa proposition lui semblait soudainement stupide. Quel genre de vrai guerrier fuirait quoi que ce soit ? Un lâche... un Nuage de Saumon.

HRP:

Le mentor tira une petite moue accompagnée d'un « Certes » songeur à la réponse de son apprenti, feignant de considérer l'option. A vrai dire, il ne s'attendait pas vraiment à une telle réponse. Il savait son apprenti quelque peu nerveux, et l'imagination des chatons débordante – Petite Écaille lui avait bien dit une fois vouloir chasser un dragon et il avait fallu quelques minutes à son père avant de comprendre qu'elle et son frère parlaient d'un lézard – mais la réponse restait inattendue. Et révélatrice de la terreur qui serrait le chaton, à peine sorti de la pouponnière. Il échangea un bref regard avec Aigue-Marine, semblant lui demander si elle avait trouvé la réponse à sa colle.

Aigue-Marine voit peut-être de quoi je parle …

Il ne fit pas durer le suspens plus longtemps, face aux deux chats grelottants.

Lorsque tu marches dans la neige, celle-ci crisse sous tes pattes. Plus tu t'enfonces, plus cela fait de bruit. Allons ! La pratique vaudra mieux qu'un vieux chat bavard. On est parti. ordonna-t-il en se relevant, avant de se diriger vers la sortie du camp, sa longue queue touffue en fanon dans le blizzard.

Le vent le frappa dès qu'ils furent à découvert. Ses oreilles n'étaient qu'un lointain souvenir, le froid le mordait jusqu'aux os, se bataillant avec la faim. Il fallait qu'une des expéditions revienne avec des proies, qu'il faudrait immédiatement rationner afin de nourrir tout le monde, à défaut d'apaiser leurs estomacs. Maintenir sa queue bien levée pour qu'elle soit bien visible des deux chats était en soit un effort, le vent cherchant à chaque bourrasque à la faire ployer.

Marche bien dans mes traces ! cria-t-il par dessus son épaule à l'apprenti, avant de s'adresser à la guerrière. Nous irons jusqu'à la Prairie, il y a peut-être quelques rongeurs !

{ Toutes mes excuses ! Le topic m'est complètement passé sous le nez }

Aigue-Marine rentra la tête un peu plus qu'elle ne l'était déjà lorsque l'interrogatoire de Rivière Sombre sembla se diriger vers elle. Bien qu'elle connaissait plusieurs avantages au fait de ne pas s'enfoncer dans la neige - le premier, pas des moindres, étant de ne pas se geler les pattes -, elle n'avait aucune envie qu'on lui demande de répondre : elle aurait trop peur que la réponse qu'elle choisisse de donner ne soit pas celle attendue, provoquant la déception du lieutenant, mais surtout, et c'était pire, son mépris.
Heureusement, le regard de Rivière Sombre ne s'attarda pas plus longtemps sur elle, et elle poussa un soupir silencieux lorsqu'elle l'entendit prendre la parole pour répondre. La réponse qu'il attendait était en rapport avec le bruit que les pas dans la neige produisaient ; bien. Aigue-Marine le savait, mais ce n'était pas la réponse qu'elle aurait donné en premier. Elle l'avait échappé belle.

Les trois félins se mirent ensuite en route vers la sortie du camp sous l'impulsion de Rivière Sombre, qui menait bien évidemment la route. Nuage de Saumon était au milieu tandis qu'Aigue-Marine fermait la marche, vérifiant que l'apprenti s'en sortait, et profitant aussi, et elle en profitait bien, de ce que les deux félins lui ouvraient une voie dans la neige, rendue plus facilement praticable.
Quelle faiblarde elle faisait ! Le Clan des Étoiles devait sentir de la honte en la regardant, puisque les Ancêtres pouvaient sûrement entendre les pensées de chaque félin, et ainsi le juger.
Mais à vrai dire, Aigue-Marine se souciait peu de cela à cet instant précis. Tout ce à quoi elle pensait, c'était au soleil de la saison des feuilles nouvelles, à la chaleur de sa couchette, au parfum d'un doux repas. Tout ce dont elle était privée depuis que ce fichu blizzard était apparu sur les terres de Cerfblanc.

Nous irons jusqu'à la Prairie, il y a peut-être quelques rongeurs ! Aigue-Marine sentit ses pensées négatives s'évaporer, et elle posa un regard vide sur Rivière Sombre, qui venait de s'adresser à elle. La prairie. Bien. Ainsi soit-il. Mais elle ne put s'empêcher de hausser les épaules, bien que ce geste ne se vît pas, tant sa tête, sa nuque et ses épaules ne faisaient qu'un en ce jour de tempête d'hiver. Aigue-Marine n'était pas persuadée qu'ils trouveraient des proies dans la prairie : tous les animaux cherchaient à se mettre à l'abri du blizzard, et leurs meilleurs chances étaient de se faufiler dans des fourrés, des buissons touffus, des troncs d'arbre remplis de feuilles mortes. Dans la prairie, surtout à l'heure actuelle, il n'y avait aucune végétation. Pas sûr, donc, que ce soit le meilleur choix. Mais enfin, Rivière Sombre avait sûrement une idée en tête. La prairie était un lieu parfait pour s'entraîner à bien se positionner lors de la chasse, ou à perfectionner ses techniques de combat. Ce n'était donc pas totalement vain, et Aigue-Marine décida de ne pas exprimer son opinion. Elle attendrait de voir.

« Nous y voilà » cria-t-elle. Murmurer était davantage dans ses habitudes, mais avec la force du vent d'hiver, Rivière Sombre et Nuage de Saumon ne l'auraient pas entendue. Elle avait donc crié afin d'être certaine qu'elle serait prise en compte.

En effet, la prairie se dressait désormais devant eux. Elle était immaculée, pas une seule tache de verdâtre à l'horizon, ni aucune tache couleur proie, d'ailleurs. Seulement du blanc : de la neige, du gel, et même de la poudreuse emportée par le vent.

La journée allait être longue.

On ne peinait même pas à la voir, cette lueur vivement éteinte dans les yeux ambrés du lieutenant, tandis qu'il répondait d'un « Certes » mou. Le regard teinté de bleu du novice ne tarda pas à rejoindre la terre, qu'il avait quitté le temps de répondre. Son cœur se serra, et il fut déçu de lui-même alors même qu'il s'attendait à cet échec. Mais qu'on s'y attende ou pas, un échec fait le mal d'un échec.

« Aigue-Marine voit peut-être de quoi je parle … » enchaîna alors le mentor à la sombre pelisse.

Mais Nuage de Saumon n'écoutait déjà plus. Il songeait ô combien il faisait honte à sa famille. Son père, le sang de son sang, la chair de sa chair, était pourtant un vétéran reconnu. Ciel Orageux, quel vaillant guerrier, c'est à se demander combien d'intrus il a chassé, et combien de bataille il a remporté. Le regard d'or, jaune foudroyant et rouge sanglant, c'est un monstre, c'est un dieu, c'est la tempête dans ses yeux, la même qui s'abat sur l'ennemi du Tonnerre ! Et le truc sable, là-bas, recroquevillé sur lui-même ? Cette chose qui ne mérite pas de l'appeler "père" ? C'est Nuage de Saumon, ce truc-là, cette tache dans la lignée.

« Allons ! La pratique vaudra mieux qu'un vieux chat bavard. On est parti. »

Le petit bicolore reprit ses esprits. Il porta un regard las sur la musculature saillante du meneur de la patrouille, et finit par le suivre, la patte traînante.

Aussitôt que la petite troupe fut à la portée du vent, elle fut frappée par ce dernier, qui s'infiltrait habilement dans le pelage du plus jeune des trois. Par réflexe, le bougre se mit à frissonner, contractant désespérément ses muscles pour se réchauffer. Quelques pas de plus, et déjà Nuage de Saumon ne savait plus dire s'il lui restait des oreilles, ou s'il sentait quoi que ce soit avec sa truffe. Ses coussinets aussi en prenaient un sacré coup puisqu'encore juvéniles, ils n'avaient jamais connu d'aussi grand choc. Sa queue d'un sable uni traînait dans la masse blanche, précédemment tassée par le passage de Rivière Sombre et le sien.

Il arriva un moment durant lequel le mâle marbré se tourna légèrement vers ses deux subordonnés, mais avec tout ce vent et cette neige qui leur arrivait droit dessus, son apprenti n'y compris rien, si bien qu'il lança un regard interrogateur dans le vide, comme si la neige allait lui répéter les dires de son mentor.

Le reste du trajet ne fit qu'affaiblir davantage le petit dernier. Et lorsqu'Aigue-Marine s'écria : « Nous y voilà ! », l'animal au menton blanc se surprit à soupirer de soulagement. Pourtant, lorsqu'il releva la tête, c'est la même étendue blanche qui l’accueillit. Quelque peu déconcerté, l'apprenti-guerrier lança un regard désespéré en direction de la féline.

Ceci fait, il se mit à lever son antérieure droite, la sortant de l'épaisse couche de neige dans laquelle elle logeait depuis un bon moment, puis il jeta un coup d’œil vers ses coussinets, comme pour vérifier qu'ils étaient toujours là. Il répéta cet exercice avec sa seconde antérieure, et ne prit pas le temps de regarder ses coussinets postérieurs, comprenant que ce qu'il faisait pouvait sembler étrange.