On the Path of Our Ancestors - end

À peine une heure qu'elles étaient parties, et Songe Lunaire la ralentissait déjà. Elle n'avait même pas encore eu l'occasion de s'échauffer les muscles ou se fatiguer les pattes qu'elle devait faire le piquet, pendant que madame allait voir ailleurs pour des herbes. À quoi bon être Cheffe si c'était pour être à la merci de sa Guérisseuse.... Bon, Étoile de Suie était de mauvaise foi, mais elle avait quand même acquiescer (sans trop rechigner) à la demande de la petite chatte tigrée. L'hiver et le blizzard n'avaient été sympa pour personne, et probablement encore moins pour les réserves de la Guérisseuse. Si elle pouvait se réapprovisionner ici, peut-être qu'elle passerait le reste du voyage en silence et ne viendrait pas emmerder Suie. C'était un espoir à entretenir.

La meneuse avait ainsi été abandonnée au pied des Quatre Chênes tandis que Songe Lunaire allait s'amuser gentiment toute seule. L'endroit, d'ordinaire suintant de la magnificence accordée par la tradition des assemblées, était aujourd'hui un lieu vide, triste. Entre les broussailles cassées par le blizzard et la neige fondante qui révélait un sol spongieux, la place avait perdu tout son charme. La chatte ne pouvait qu'espérer que la prochaine assemblée se déroule dans de meilleures circonstances... Ce serait sa première en tant que Cheffe. La première occasion de démontrer sa puissance, son ambition, sa volonté de redorer la réputation du Tonnerre. Convoitise et anxiété se mêlaient en elle, la faisant bouillonner dans l'appréhension de ce futur rassemblement. Tant que le corps d'Étoile du Lion n'y refaisait pas surface, que sa Lieutenante restait à sa place et que personne ne sortait des rangs, tout irait bien. Ouais.

Soudain, l'odeur d'un autre matou lui vint au museau. Après le blanchissage du blizzard, l'endroit n'était que plus sensible aux nouvelles odeurs. Il n'en fallut pas long à la meneuse pour identifier la senteur comme étrangère, et seulement quelques secondes de plus pour qu'elle l'associe au clan vivant au nord du sien. Ces charmantes créatures de l'ombre. Au moins, celle-ci semblait seule, pour autant qu'Étoile de Suie pouvait en juger. En espérant que d'autres n'étaient pas en train de cerner Songe Lunaire... Mais elles étaient en territoire neutre, sacré, même, en pèlerinage; la loi du Clan des Étoiles devait prendre le dessus sur leurs petites querelles. Ainsi, tendue mais sans plus, la chatte garda position, attendant que l'étranger s'avance.

─ C'est moi ou ça commence à puer ? Grommela-t-elle, toujours si amène (et originale).

Un bruit. Des pleurs. Je me lève, précipité, je sors de l'odeur douce de la tanière. Il pleut abondamment, une pluie fine qui colle aux fourrures et souille le ciel. Une pluie rouge. Je vois Lenlen s'approcher de moi, le visage recouvert de ce liquide poisseux ; une odeur infecte me saisit à la gorge ; tout devient écarlate, ça me coule dans les yeux, je vais me noyer je vais

Je me réveille en sueur, les yeux écarquillés. Je hoquette, je me sens mal. Je me relève, sors à la hâte et vais vomir derrière mon antre. La bave aux lèvres, les yeux dans le vague, je réalise. Une vision. C'était une vision. Un danger va s'abattre sur nous, un mal que je dois éviter à mon Clan, à ma sœur - son image ensanglantée me sert le cœur. Après avoir prévenu mon chef, je quitte le camp. Nos ancêtres n'attendent pas, et ils veulent me voir. Je sais que je suis encore assez faible, après cet épisode de blizzard, mais le Clan de l'Ombre n'a pas trop souffert - je sais bien que les choses auraient pu virer au cauchemar, qu'on aurait pu tous y passer, et qu'à la fin il ne reste que notre chef marchant sur des cadavres, je sens qu'il ne respecte pas assez les Étoiles, alors je dois prier plus, encore plus, et les contenter, et leur donner mon corps, et leur donner ma vie, ma sang, mon travail mon amour mon respect et ma crainte.

Je décide de partir en direction des Quatre Chênes. Ce n'est pas le chemin le plus rapide, mais je souhaite me recueillir aussi là-bas, et voir si les arbres ont bien tenus face aux éléments. Arrivé sur ce lieu saint, force et de constater que les broussailles portent les stigmates du vent, et que le sol est détrempé. Je prends ça comme un mauvais présage, la dégradation de notre relation à nos ancêtres, encore un mauvais signe. Ça sent le charnier futur, l'avenir en décomposition, la malédiction.

Ça sent le Clan du Tonnerre aussi. Arrivé sur l'esplanade, je vois une chatte imposante se tenir sur ses gardes, chatte qui m'adresse des douceurs. Je sens aussi l'odeur de Songe Lunaire, elle doit chercher des plantes dans le coin. Pas que ça m'intéresse hein, les autres Clans peuvent crever de maladies, mais je me dis que cette chatte doit l'accompagner, donc ne doit pas être une menace. Et puis, nous sommes sur un terrain neutre. Tandis que j'avance de quelques pas, prenant soin de ne pas me casser la gueule - rigole oui, rigole - j'exhume de ma mémoire le souvenir de son nom ; je sais que je l'ai déjà vue en Assemblée.

"Écorce de Suie, ne sois pas si rude avec toi-même, je sais bien que l'hygiène n'a pas l'air d'être ton fort, mais tu n'embaumes pas à ce point. Quoique, tu m'excuseras, je ne tiens pas plus que ça à t'approcher." Pardonnez moi si je pèche par hargne et manque de modestie, mais je peux pas les saquer ces sous-races. "Alors, tu joues la baby-sitter pour votre charmante guérisseuse ?"

Bien lentement, mais sans trace d’agressivité, l'étranger se présenta à son regard. Il ne lui en fallut pas long pour l'identifier. Parce qu'un jeune Guérisseur qui joue les vieillards infirmes, ça ne court pas les chemins. Il n'y avait que l'Ombre pour accepter pareille créature à ses côtés ─ quoique, la Rivière avait bien une sourde comme garde-malade. À croire que les chefs n'avaient pas pu se résigner à exercer les dures lois de la survie, et avaient faiblis à leur vue. Quoique, à regret, Étoile de Suie devait bien admettre que ces bêtes fragiles avaient de leur utilité, comme les prouesses d'Esprit Soucieux à son art n'avait tardé à se faire connaître. Il était même plus doué que sa propre Guérisseuse, bien qu'il lui en coûtait de l'admettre. Avec un peu de chance, Songe Lunaire était une élève rapide et ne tarderait pas à rattraper le savoir que son maître avait emporter dans la tombe. En tout cas, elle ne manquerait certainement pas de corps blessés sur lesquels pratiquer, si les rêves de conquête d'Étoile de Suie venaient à se réaliser.

Bref, tout cela pour dire que sitôt Esprit Soucieux apparut à son regard, la grosse chatte détendit ses muscles aussitôt. Le Guérisseur n'irait jamais jusqu'à l'attaquer, surtout pas en ce lieu. Cela dit, sa présence en cet endroit, de surcroît en solitaire, ne manquait pas de piquer la curiosité de la femelle. Ce qu'un Guérisseur pouvait trouver d'intéressant aux Quatre Chênes, surtout après un pareil ravage météorologique, la dépassait, mais comme Songe Lunaire s'y était elle aussi arrêtée, peut-être y avait-il quelque chose de vraiment intéressant pour ces timbrés des herbes. La seule chose qui lui important était leur cheminement vers les Hautes Pierres, mais comme sa compatriote se faisait attendre, garder compagnie à Esprit Soucieux était la seule option potable.

─ Écorce de Suie, ne sois pas si rude avec toi-même, je sais bien que l'hygiène n'a pas l'air d'être ton fort, mais tu n'embaumes pas à ce point. Quoique, tu m'excuseras, je ne tiens pas plus que ça à t'approcher.
─ Hn, ils vous font toujours aussi drôles, dans les marais. Ça doit être les vapeurs, grommela-t-elle en guise de réponse.
─ Alors, tu joues la baby-sitter pour votre charmante guérisseuse ?
─ On dirait. J'ai apparemment rien de mieux à faire que transporter ses fleurs. Le voyage va être long et pénible.

Elle avait poursuivit sur le même ton, si chaleureux. Taisant sa destination et son rang, du moins pour le moment. À vrai dire, l'envie de le crier sur tous les toits la démangeait ─ orgueil, quand tu nous tiens ─ mais, tant qu'elle n'aurait pas obtenu ses vies supplémentaires, révéler son nouveau rang lui semblait un paris risqué. N'importe quel chat n'hésiterait pas à tuer un futur Chef avant que celui-ci n'accède à sa puissance, cela allait de soi. Et si Esprit Soucieux ne semblait de prime abord lui causer aucun soucis (loul), les paroles qu'il rapporterait à son clan pourrait rapidement mettre des bâtons dans les roues de son ascension. Mieux valait taire la réelle raison du voyage.

Je grogne. Bon, si on a bien un truc en commun, c'est notre chaleur et notre allant envers l'autre. Je la considère, elle, avec son pelage terne, son air d'imbécile heureuse et son embonpoint qui sent l'obstruction des vaisseaux sanguins par des amas de graisse infâme, à l'image de sa personne, de son odeur, de son Clan. Drôle d'idées pour nos Ancêtres de foutre des chats dans les arbres. Preuve qu'ils sont pas naturels ces sous-races. Oups. Tolérance, paix et amour, oui oui, voie du guérisseur. Coup d’œil vers les nuages, pas de signes menaçants. Mon mentor doit sans doute m'applaudir de ses pattes cristallines.

Je me recentre vers elle, fouettant l'air de ma queue. Pas de trace de Songe Lunaire. La lieutenante n'a pas l'air d'en avoir quelque chose à carrer, à croire qu'elle ne porte pas sa guérisseuse dans son cœur. Bon, c'est pas qu'elle est naïve et bien maladroite, ma collègue, mais elle doit être docile. Et qu'importe son clan, un soigneur doit être respecté, respecté pour ses compétences, respecté pour son lien avec les Étoiles, pas n'importe quel lien hein, un putain de mariage kiddo, respecté car sans lui, le Clan dépérit : sans nos Ancêtres, nous sommes perdus. J'espère pour la grosse qu'elle l'a compris, sinon elle va au devant de grave ennuis. Des ennuis de type mortel selon mon pronostic.

"Ah, ça part en voyage chez les Foudroyés ? Vous allez visiter des maisons d'écureuils ? Avec le blizzard qu'il y a eu, tu me diras, c'est logique, quand la neige aura fini de fondre, votre Camp sera un véritable bourbier."

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Suivant ses répliques, le mâle battit l'air de sa queue, apparemment aussi agacé qu'elle à leur conversation. La perspective de poursuivre la rencontre la remplissait d'une joie débordante, pour sûr. Avec un mince espoir, Étoile de Suie tourna sa tête vers les chênes. Mais, non; pas de Songe Lunaire à l'horizon, venue la sauver de cette socialisation malaisée. Voire qu'à l'instant, elle désirait la présence de sa guérisseuse. C'était toujours mieux que celle du mâle à l'allure nerveuse. Qu'est-ce qu'ils étaient mal appareillés, quand même. Mais ce n'était pas comme si elle avait une habitude d'être amie avec les guérisseurs; disons qu'entre les mangeurs d'herbe et la grosse brute qu'elle était, le courant passait plus ou moins bien.

─ Ah, ça part en voyage chez les Foudroyés ? Sa voix s'éleva enfin, brisant le silence tendu. Vous allez visiter des maisons d'écureuils ?
─ Drôle, drôle, commenta-t-elle lacement.
─ Avec le blizzard qu'il y a eu, tu me diras, c'est logique, quand la neige aura fini de fondre, votre Camp sera un véritable bourbier.
─ Bah les rivières ont monté, clair, mais si j'étais toi j'm'inquièterais d'mes marécages, pas d'nos forêts. Ça doit bien être la merde, par chez vous, ronchonna-t-elle.

Pour qui il se prenait, déjà, de se préoccuper de leur camp ? Est-ce qu'elle venait les faire chier dans leur tourbière puante pour s'inquiéter de l'effet de la boue sur leur tronche ? Un peu de respect de leur autonomie mutuelle, quand même: ils étaient capables de gérer un surplus d'eau comme des grandes personnes.

La grosse n’aime pas les messagers des Étoiles, j’en mets ma patte à couper. Et vu la gueule de ma patte, elle en a coupé des trucs. Ce sentiment de rejet, d’ennui, c’est comme un voile visqueux qui vient se déposer entre elle et moi, une mixture blanchâtre et puante, qui englue nos mouvements et nous fait cracher des paroles acerbes.

Bon, c’est aussi parce qu’on s’entend sur notre racisme.

─ Bah les rivières ont monté, clair, mais si j'étais toi j'm'inquièterais d'mes marécages, pas d'nos forêts. Ça doit bien être la merde, par chez vous.

─ T’inquiète donc pas pour nous, Écorce de Suie, je te remercie. Au moins on a un chef fort, une hiérarchie forte pour nous soutenir. Parce que tu me diras, ça fait un bail qu’on l’a pas vu – ni senti – Étoile du Lion. À croire qu’il vous tendra pas la patte pour vous aider à vous réfugier dans les nids d’écureuils.

Je la dévisage un peu. C’est quand même bizarre, sa présence, ici. Une vétérante qui aide une guérisseuse ? Ça ne se fait pas, à moins que le Clan soit entièrement décimé. Eh puis, cette animosité qu’elle semble ressentir envers Songe Lunaire, ça sent pas bon. Les Foudroyés nous prépareraient un coup dans le dos que ça m’étonnerait pas. Je la vois bien aiguiser ses coutelas dans l’ombre de leurs grands arbres, et avancer à pas de loups sur leurs brindilles craquantes de mes deux, jusqu’au Chemin du Tonnerre, qu’ils traverseront rapidement, louvoyant entre les Monstres, acceptés par leurs semblables, et qu’ils se déploient autour de notre Camp, les crocs sortis et brillant à la faveur de la lune, prêt à bouffer nos petits et démembrer nos Anciens, souiller le sol de la pouponnière d’une mare de sang poisseuse -

Et là, je me rappelle de ma vision. Esprit Lent, ma douce sœur, mon seul amour si tu veux – pur kiddo, pur, vire toi ces saloperies de la tête – couverte d’hémoglobine, les yeux dans le vague, un peu révulsés, l’écume blanche pointant aux bords des babines, le corps secoué de spasmes, et je la vois tomber, tomber, comme dans un ralenti, dans du sable mou, dans du coton, mais elle tombe et elle meurt et c’est la chute et la fin et la fin -

Je m’ébroue, et me touche le poitrail. J’ai le cœur qui bat vite, et les entrailles qui pulsent. Ma vision, je dois en savoir plus. Un pèlerinage à la Pierre de Lune, voilà ce que je voulais faire. Je fais rouler mes épaules. Elle aussi, peut-être.

─ À moins que tu ne sois là pour cette raison ? Étoile du Lion, je veux dire, la cueillette de plantes, tout ça, ta présence pour une tâche si simple. Il prévoie un voyage chez nos Ancêtres ? Ou bien est-il déjà en route, et vous venez chercher de quoi l’apaiser dans ses derniers instants ?

Enfin, je ne me fais pas d’illusion, ça m’étonnerait qu’elle me parle des troubles de son Clan. Elle a pas l’air fine, mais pas au point de balancer son chef et sa liaison avec la mort.

─ T’inquiète donc pas pour nous, Écorce de Suie, je te remercie. Au moins on a un chef fort, une hiérarchie forte pour nous soutenir. [...] Il prévoie un voyage chez nos Ancêtres ? Ou bien est-il déjà en route, et vous venez chercher de quoi l’apaiser dans ses derniers instants ?

Elle haussa les sourcils, choquée qu'il prononce de telles insinuations si ouvertement. Qu'il se gêne pas pour assumer que leur chef se crevait lentement, ouais. Bon, il n'était pas loin de la vérité (quoique, en ayant tout faut), mais Étoile de Suie n'allait certainement pas lui faire le plaisir d’acquiescer au déclin du "chef", encore moins lui avouer sa réelle mort. Qu'il s'amuse à devenir avec les charades de ses Étoiles jusqu'à la prochaine assemblée. Et jusqu'à temps qu'elle reçoive ses vies. En attendant, Étoile du Lion demeurerait bien vigoureux.

─ Allons, allons, elle est où ta foi? Il est aussi jeune et fort (et idiot, et mort, poursuivit-elle mentalement) qu'à son habitude, le chef. C'est pas un p'tit froid qui va l'affaiblir. Il en est pas à sa dernière vie. Mais je peux t'retourner la question. Votre Étoile du Zozio, ça fait aussi un moment que j'l'ai pas croisée. Elles vont bien, ses belles idées de réforme?

Disons que les remous causés par Étoile du Balbuzard avaient résonné jusqu'à leurs voisins du dessous. Elle avait été un joli changement au meneur d'avant, un poltron qui n'avait pas grand chose pour lui, outre une fâcheuse habitude de perdre. Évidemment, le changement de pouvoir et la reprise des territoires qui venait avec avaient peu plus à Étoile de Suie, mais c'était presque bien de ravoir un meneur fort à la tête d'un clan. Restait à savoir où elle s'en allait, avec ses idées d'utopie égalitaire, la demoiselle. Même la femelle doutait qu'elle aurait bien accueilli les changements, si Étoile du Balbuzard avait accédé au pouvoir au Tonnerre. Que l'Ombre se débrouille avec leur chef. Elle s'ébroua, exposant ensuite la raison de son accompagnement de Songe Lunaire, histoire qu'Esprit Soucieux ne se fasse pas trop d'idées.

─ Ma présence avec la guérisseuse a rien de si poussé, t'inquiètes. Elle doit s'rendre aux cailloux pour faire chais-pas-c'que-vous-faîtes, et le blizzard a détruit et inondé pas mal tout, alors le chef voulait qu'un guerrier compétent l'accompagne. J'ai proposé, t'sais, l'altruisme et moi. Faut pas chercher plus loin.

─ Allons, allons, elle est où ta foi? Il est aussi jeune et fort qu'à son habitude, le chef. C'est pas un p'tit froid qui va l'affaiblir.

Elle sympa la grosse, mais le petit froid c’est quand même un bon gros blizzard, et si c’est pas un signe de la colère du Clan des Étoiles, je suis plus guérisseur. Et puis, ma foi, elle est bien gentille de pas en parler.

─ Il en est pas à sa dernière vie. Mais je peux t'retourner la question. Votre Étoile du Zozio, ça fait aussi un moment que j'l'ai pas croisée. Elles vont bien, ses belles idées de réforme?

Oh, oui. Balbuzard. Nos ancêtres l’avaient rappelé avant les grands froids, paix à son âme, elle veille maintenant sur nous depuis la voute étoilée.

Mais la guerrière adverse n’a pas besoin de le savoir. L’Assemblée arrivera bien assez tôt pour éclaircir ce point, et Serpentaire saurait faire taire les murmures. Heureusement, Écorce de Suie enchaîna vite, et je n’eus qu’à répondre d’un vague battement de queue pour m’éviter de m’embourber dans des explications sinueuses.

─ Ma présence avec la guérisseuse a rien de si poussé, t'inquiètes. Elle doit s'rendre aux cailloux pour faire chais-pas-c'que-vous-faîtes, et le blizzard a détruit et inondé pas mal tout, alors le chef voulait qu'un guerrier compétent l'accompagne. J'ai proposé, t'sais, l'altruisme et moi. Faut pas chercher plus loin.

Altruiste, elle ? Pas convaincu. Elle sent l’animosité, le rejet et le mépris, pas l’amour de l’autre. Je plains Songe Lunaire, ça doit pas être facile tous les jours de bosser avec de bons bourrins pas foutu de comprendre la délicatesse de notre boulot, la difficulté de notre voie. Et puis ils crèvent tous sans nous, mais ça a pas l’air de lui traverser trop l’esprit.

Mais donc ma collègue se rend en pèlerinage. Les choses ne se passent pas au hasard, elle a dû elle aussi recevoir un signe, comme ma vision sanglante, et part demander conseil à nos Ancêtres.

─ Tu nous rejoins donc pour partager les rêves du Clan des Étoiles ? Il semblerait bien que nous fassions le chemin de concert, j’y vais aussi. J’espère que t’as mangé des herbes fortifiantes, on est sensés jeûné. Enfin, je suis pas sûr que ça s’applique aussi à toi, comme tu n’es… pas bien fine, et pas seulement de corps, pensais-je, pas guérisseuse.

─ J'suis là pour protéger la guérisseuse, rien d'plus. Après l'blizzard, le chef veut pas qu'il lui arrive de quoi en chemin. Une avalanche ou j'sais pas. Vos jeûnes sacrés ça m'r'garde pas. Mais toi si tu veux faire le pèlerinage avec l'estomac vide et ta foi comme seule compagne, on comprendrait.
─ Merci de ta considération, Écorce de Suie.

Vexé, moi ? Voyons, ce serait donner trop de considération aux propos de l’autre grosse. Eh puis j’ai pas que ça à foutre, coupons court à la séance papotages. J’ai des Ancêtres à voir, une vision à clarifier, des prières à psalmodier par terre dans la poussière.

─ Bien, je vais pas abuser de ton temps plus longtemps hein, on sera mieux quand je serai plus loin. J’vais pas dire mes amitiés à Songe Lunaire, mais salue la de ma part.

Après un vague salut – plutôt un tremblement incontrôlé de l’oreille et des clignements d’œil intempestifs – je pris la route vers la Pierre de Lune, le pas pressé. Je souhaitais oublier les inepties impies proférées par la morue du Tonnerre, et découvrir au plus vite ce que voulait dire mon rêve.

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