Toujours en panne /Sid - Elise Lemoine - Armin/

« Très peu pour moi ! Je préfère marcher, et puis je dois encore acheter quelques trucs pour Alba. Tu la connais, toujours à trafiquer tout ce qu’elle trouve hein. »

Ah et donc c'est lui qui s'occupe de faire les commissions d'Alba ? Et ça le dérange pas d'être désigné d'office pour ce genre de tâches ingrates ? Sacré Armin. Il m'a l'air de s'être résigné à poursuivre jusqu'au bout sa vie nulle et plate. Peut-être qu'en quelque sorte, ça le rend plus sage que moi, moi qui me prend gamelle sur gamelle à chaque fois que j'essaye de sortir des sentiers battus... Ce qui est sûr, c'est qu'on se ferait tous bien chier à faire le boulot d'Armin, au Zéphyr. Heureusement qu'il est là.

« Mais tu devrais peut-être ramener Élise ! On ne devrait pas laisser une fille ici, avec tous les gens bizarres qui traînent. »

Ce que je pense très fort, mais sans le dire, c'est que son idée est complètement débile. Elise, c'est qu'une droguée de l'Orage, hors de question qu'on me voie traîner avec ça. Surtout que franchement, elle a sûrement beaucoup mieux à faire. J'ai deux souvenirs amers qui se coincent au travers de ma gorge. Une connasse qui me faisait les yeux doux juste pour se foutre de ma gueule, et une autre qui m'en a toujours voulu, je crois, d'avoir cru d'emblée qu'elle se foutait de moi. C'est trop risqué, sérieux.

Mais punaise, pas besoin de regarder Élise longtemps pour piger qu'elle est complètement inoffensive. Ceci dit, si je relâche ma vigilance, c'est sûr que j'vais faire une connerie. C'est obligé. C'est comme si c'était déjà fait.

Y a que ceux qui font rien qui font jamais de conneries.

J'respire un grand coup. Je démarre la moto. Ça fonctionne correctement. Peut-être que pour une fois tout ira bien. J'me met à parler, d'un ton tout gentil qui me plaît pas trop, à moi.

" Où tu veux aller, Elise ?"

Et maintenant je regarde Armin. J'regrette déjà presque d'avoir pas dit "non". Je la sens pas du tout cette histoire. S'il est témoin d'un fiasco, pitié, qu'il la ferme. J'suis déjà assez ridicule comme ça. Pourquoi j'ai peur comme ça ? Pourquoi j'me sens tellement nul, tout le temps ?

Spoiler:

"N'importe où mais vas super vite !"

Ok. Ou bien j'inspire confiance, ou bien elle est très conne. En fait non, la vérité c'est que je lui inspire confiance parce qu'elle est très conne.

En tout cas elle se cramponne bien. Ça me fait tout drôle. Mais je me cramponne bien aussi, parce que là, je me sens vraiment pas en confiance. J'fais un gros bruit de moteur, mais bon, Armin avait déjà reculé. Il est pas con, lui.

Du coup j'recule pour sortir de ma place. J'regarde même pas si y a des voitures à gauche et à droite, de toute façon le coin est mort. Et une fois que j'suis placé dans le bon sens pour rouler dans le parking et je fonce.

Elle veut des sensations, moi aussi.

Je pige qu'il y a un dos d'âne au dernier moment, je freine comme un bourrin parce que ces machins-là, ça ressemble beaucoup trop aux machins sur lesquels Ethan fait ses figures acrobatiques. Je passe dessus. Y a la route. J'ai un stop. Je passe quand même : "On s'en fout".

J'me fais klaxonner derrière. J'me retourne pour voir la tronche de ce connard d'automobiliste (oui parce que je vois pas trop l'intérêt d'avoir des rétros) et je manque le trottoir de peu.

Y a un feu rouge. Là je m'arrête, pas le choix, y a un scooter arrêté devant moi. Le feu passe au vert. Le scooter part. Je cale. Je tente de redémarrer, et je re-cale. Ça gueule derrière. La sueur coule sur mon dos. J'ai pas de casque.

" Tu fous quoi ? " Que je fais à la fille, comme si c'était sa faute.

Putain j'arrive à démarrer. J'me casse à fond. Le feu était orange, mais pas grave. J'marrête sur le bord de la route, à droite, c'est une ligne de bus, mais j'vois pas de bus.

" Bon vazy j'te laisse là, t'es trop nerveuse, ça me fait faire des conneries "

La vérité c'est que j'ai chaud, j'ai mal à la tête, j'ai honte, j'ai peur. J'veux qu'elle dégage, qu'elle me laisse de l'air, et je ne pense vraiment plus qu'à ça.

Purée mais j’hallucine. J’ai la moto arrêtée et elle reste plaquée contre mon dos.

"Tu es tout chaud. Tu es sûre que sa va ?"

C’est le désastre c’est le désastre. Qu’est ce qui m’a pris, sérieux, de l’emmener en moto. Elle est gentille peut-être, mais là, vu l’allure où je m’enfonce, j’vais pas tarder à me retrouver en Nouvelle-Zélande.

Faut arrêter ce massacre. Je tourne la tête vers elle, mes pieds tiennent la Honda en équilibre sur la voie de bus.

« Bon écoute, si t’es chaude, rentre propager le sida dans la Fraternité. Moi j’ai vraiment pas chaud, faut que je rentre, à plus. »

J’veux juste qu’elle descende et qu’elle me fiche la paix, j’me rend bien compte qu’avec ça dans le dos, c’est pas possible de rester concentré.

Je sais que je vais regretter, que je suis trop con, qu'Ethan se foutrait bien de ma gueule s'il voyait ça, mais définitivement, c'est non.