Epilogue [PV Lapis, puis le Clan] - end

La quantité de félins qui s'étaient amassés dans la clairière du camp, le regard porté sur la tanière du chef, était devenue impressionnante. Petits et grands avaient compris le drame qui se préparait, et l'atmosphère qui régnait à la Rivière était pesante, lugubre. La mort d'un chef, qu'il soit aimé ou détesté, était toujours un événement hors-norme ; Aigue-Marine, en levant les yeux au ciel et en entendant l'écho de la rivière au loin, eut la nette impression que les autres Clans, en écoutant la nature répandre la nouvelle, seraient au courant bien avant que le Clan de la Rivière lui-même l'ait officialisée. C'était un événement presque mystique, que la guerrière au poil brun se surprit à vivre de manière très intense.
Jusqu'ici, elle n'avait jamais ressenti les choses de cette façon : trop petite pour comprendre l'importance des événements et pour deviner leurs conséquences. Aujourd'hui, approchant les 30 lunes de vie, elle avait grandi et son esprit avait mûri. Elle était encore très jeune, et son innocence ne l'avait pas quittée. Elle restait peu sûre d'elle, convaincue qu'elle ne valait pas grand chose, même si elle savait une chose, c'est qu'elle se dédiait corps et âme à faire de son mieux.

Le silence prit fin lorsque Lapis Lazuli sortit de la tanière du Chef. À sa mine grave, tout le Clan sut que l'impression qu'ils avaient depuis quelques minutes était confirmée. Étoile du Corbeau est mort. L'annonce fit l'effet d'un électrochoc à tous ceux qui étaient réunis, alors même qu'ils se doutaient de la nouvelle bien avant qu'elle ne fût officielle. Lapis Lazuli avaient ensuite donné les consignes d'usage : la veillée du corps, l'enterrement... et la suite des choses.

Aigue Marine. L'interpelée leva les yeux vers Lapis Lazuli. Elle était persuadée que celui-ci l'avait rejointe et venait parler avec elle de ce qui venait de se passer. Ils étaient si proches... Ils ne vivaient plus rien loin l'un de l'autre. Mais cette fois-ci, il n'était pas près d'elle, et sa voix ne s'adressait pas qu'à elle ; elle le comprit quand elle vit que le vétéran était toujours perché sur le promontoire, et que ses yeux ne la regardaient non pas elle, mais bien tous les félins présents. Elle me secondera en tant que lieutenante. En tant que guerrière, elle a mainte fois fait ses preuves malgré son jeune âge. Puisse le Clan des Étoiles veiller sur elle. Second électrochoc. Aigue-Marine était parfaitement incrédule. Elle fixa d'abord Lapis Lazuli, voulant s'assurer que ce qu'elle venait d'entendre venait bien de se passer. Puis son regard se déporta vers les autres membres de la tribu lorsqu'ils commencèrent à clamer son nom pour la féliciter. Des regards heureux se portaient sur elle, des paroles encourageantes lui étaient adressées, son nom résonnait dans la clairière. Et elle, elle était là, assise, incapable de bouger ne serait-ce qu'une moustache, complètement sous le choc de la nouvelle.
Elle venait d'être nommée lieutenante ! Elle, la jeune femelle tellement rabrouée par les prédécesseurs de Lapis Lazuli ; elle, qui avait eu du mal à quitter la tanière des apprentis ; elle, qui avait encore tellement à apprendre ; elle qui était si peu sûre d'elle ! Aujourd'hui, Lapis Lazuli venait de la choisir pour le seconder, et elle se retrouvait propulsé à un rang de pouvoir qu'elle n'était pas sûre de pouvoir tenir.

Elle savait qu'elle en était digne : elle était quelqu'un de confiance, et elle portait des valeurs qu'elle aurait à cœur de transmettre. Elle était loyale et Lapis Lazuli savait qu'il pouvait confier en elle les yeux fermés. C'était d'ailleurs certainement pour cette raison qu'il l'avait choisie, elle ; il avait beaucoup de mal à faire confiance, et l'autre personne qui jouissait de cet avantage était Nuage d'Écailles : une apprentie ne pouvait passer lieutenant.
Aigue-Marine méritait donc ce poste par sa loyauté et la confiance qu'on pouvait lui accorder ; mais était-elle destinée à un poste de pouvoir ? Saurait-elle prendre des initiatives, s'imposer, diriger les siens et tenir tête aux autres Clans - dont les meneurs la terrorisaient dans ses rêves ? Elle en doutait franchement et ne put s'empêcher de penser que Lapis Lazuli, s'il avait fait le choix du cœur, n'avait pas fait celui de raison. Elle ne serait pas à la hauteur.
Un pressentiment déroutant lui fit d'ailleurs savoir qu'elle ne serait jamais meneuse.

Plusieurs minutes étaient passées depuis l'annonce et si le nom d'Aigue-Marine ne cessait d'être scandé à travers la clairière, l'interpelée n'avait encore ni bougé ni parlé. Un regard vers Lapis Lazuli et elle sortit de sa torpeur : désormais, elle ne pouvait plus sa cacher, échapper à ses responsabilités, rester discrète. Désormais, elle était l'un des félins qui aurait le plus d'importance au Clan. Le poids énorme qu'elle sentait s'abattre sur elle la faisait paniquer ; mais elle prit sur elle et se redressa. Elle ne monta pas sur le promontoire ; l'idée lui paraissait tellement hors d'atteinte qu'elle ne lui traversa même pas l'esprit.

« Je... Merci à tous. Je me dévouerai corps et âme au Clan de la Rivière. » Un discours des plus brefs et timides ; mais sûrement que personne n'allait en être étonné. Il faudrait du temps et de la bravoure à la jeune Aigue-Marine pour se transformer en une pierre robuste et scintillante.

Cette journée resterait dans les annales. Aujourd'hui, les Étoiles rappelaient à leurs côté le grand Corbeau, machiste adulé pour certains, tyrans secrètement haï pour d'autres, moraliste devant l'éternel et engrosseur de femelles hors caméra. Quand le lieutenant émergea de la tanière de feu leur chef, il avait un regard décidé, aux yeux de Merle, l'air affirmé d'un nouveau meneur. Porté par le flot, l'oiseau chanteur l'acclama sous son nouveau nom, le sobre Étoile de Pierre. Les fils et neveux du mort se collèrent à sa carcasse, et nul doute que sa compagne le rejoindrait plus tard. En ce qui concernait Merle, un salut respectueux de loin lui suffisait bien, sans être hypocondriaque, il n'était pas assez attaché à la dépouille pour venir y foutre sa truffe.

Nouvelles exclamations, et il se retrouva à scander le patronyme de la jeune Aigue Marine, l'esprit un peu soucieux. Elle était bien jeune, à peine plus vieille que lui - et il était un beau et fringuant jeune chat ; elle n'était peut être, sûrement, pas assez expérimentée. Enfin, ce n'est pas comme s'il avait eu envie de prendre le poste. Non, sa vie tranquille lui plaisait bien. Et qui sait, les choses pourraient même être plus facile pour lui. Oui, il hocha la tête, content de la tournure des choses - dans la mesure où l'on pouvait être heureux d'un décès ; enfin, Matin Embrasé ne se privait pas de faire des faire des blagues.