(LP) Paresse & gourmandise [PV Eau Turquoise] -abandon

L’hiver était bel et bien installé, depuis plusieurs semaines déjà. Comme si le malheur qui s’était abattu sur le clan ne suffisait pas, le froid les assaillait, gelant tout sur son passage et raréfiant les proies.
Fort heureusement,, les températures n’étaient pas aussi catastrophiques que lors de l’année du blizzard, et rien que ça était déjà un soulagement. Eau Turquoise pouvait donc dormir un peu mieux, en arrêtant de s’inquiéter pour ses petits : ils ne mourraient pas de froid pendant la nuit.

Un problème en moins, donc, mais ses nuits n’étaient pourtant pas si tranquilles. Quand bien même ses journées étaient fatigantes, à devoir s’occuper de neuf chatons – ce qui n’était pas une mince affaire – elle tardait à trouver le sommeil. Et lorsque enfin elle sombrait dans les bras de Morphée, sa nuit était entrecoupée de toute sorte de rêves et de réveils, le cerveau préoccupé par l’enlèvement de ses cinq petites perles. Chaque jour, Petite Nuit, Petite Améthyste, Petite Ambroisie, Petit Quartz, et plus récemment Petit Blaireau manquaient à l’appel, déchirant son cœur.

Mais elle devait rester forte et courageuse, pour les neufs petits restants. Alors, elle faisait de son mieux pour ne pas paraître trop amochée, comblant ses enfants de mots doux et rassurants, sans laisser paraître son inquiétude.

Ce matin-là, les petits lèves-tôt jouaient déjà hors de la pouponnière. Moment de répit pour Eau Turquoise, qui en profita pour grappiller quelques heures de somnolence en plus. Une oreille contre la mousse chaude de la pouponnière et l’autre en l’air pour vérifier que tout se passait bien, au dehors, elle reposait ses yeux, pas mécontente d’être un peu au calme.

Pourtant, son repos fut vite troublé. Un bruit d’objet traîné au sol piqua d’abord sa curiosité, lui faisant ouvrir un œil, puis le fumet délicat d’un poisson, parvenant jusqu’à ses narines, acheva de la réveiller.
La jeune mère se redressa, baillant à s’en décrocher la mâchoire, avant d’étirer ses membres antérieur. Son éveil se termina juste à temps pour pouvoir assister au spectacle qui suivit : Petite Méduse, dont le sommeil – d’habitude bien plus long et profond – semblait avoir été troublé par la faim qui agitait son estomac, entra non sans difficulté sous le couvert de la pouponnière. Elle traînait là un poisson presque aussi gros qu’elle, qu’elle peinait à transporter. Mais une fois en place, elle pu le lâcher pour s’en délecter, à peine son souffle repris.

Eau Turquoise contempla la scène d’un œil amusé, en voyant sa fille si déterminée. Petite Méduse était connue pour sa paresse, mais que ne ferait-elle pas pour de la nourriture !

« Eh bien, j’en connais une qui a les yeux plus gros que le ventre ! » Ronronna la femelle bleutée, posant ses yeux rieurs sur le chaton. « Tu vas tout manger ou on peut partager ? »

Et comme pour prouver sa bonne foi, son ventre émit un gargouillement bruyant, qui la fit pouffer.

À peine ouvrit-elle la bouche, que Petite Méduse tressaillit, marquant sa surprise d’un sursaut sous le regard amusé d’Eau Turquoise.

« Je gargouillais, pardon... » Se justifia la chatonne, son regard dépité tourné vers sa mère. Et tandis que cette dernière se précipitait d’amorcer un geste, rassurant son bout de chou qu’il n’y avait aucune mal, le visage de Petite Méduse s’éclaira alors qu’elle la devançait : « Mais je vais en garder pour Petite Ambroisie et les autres quand ils rentreront de voyage chez le Clan du Tonnerre ! »

Un voile de tristesse assombrit les yeux de la Reine alors qu’elle perdit brusquement toute la légèreté avec laquelle elle s’était levée quelques instants plus tôt. Ses chatons, ses adorables chatons n’étaient plus là, et chaque pensée pour ses pauvres petits, sans doute transis de froid et de peur parmi ces barbares du Tonnerre, lui faisait l’effet d’un poignard planté dans son cœur.
Mais elle n’était pas seule, elle ne devait pas se complaire dans sa tristesse et sa mélancolie. Le plus important était d’éloigner ses autres enfants de ces émotions qui lui bouffaient le cœur. Tant pis si elle devait leur mentir pour les protéger.

En un mouvement, elle secoua la tête, se forçant à revenir sur terre et à chasser ce qui la tourmentait. Alors, de nouveau, elle adressa un grand sourire a sa si jolie fille, tandis qu’elle lui murmurait avec douceur :

« Mange donc si tu as faim, ma princesse. On en trouvera un autre plus gros pour tes frères et ta sœur, quand ils rentreront. »

Et avec tendresse, la reine vint entreprendre de nettoyer le poil de sa fille alors qu’elle finissait son repas.