A Million Dreams ~ ft Fifou -end

Le chat qui illustrait les légendes de leurs ancêtres ne réagit que peu, décevant sans doute un peu le duo, qui, sous les étoiles, contemplait néanmoins la créature aussi sublime que fantastique, mais la réaction du Bengal aux yeux de soleil fut une récompense et un prix nettement suffisants: un ronron, un regard malicieux, une caresse, pelisse contre pelisse, mêlant la nuit, la lune, le tonnerre, la rivière, en une nouvelle tempête, toute empreinte de douceur. Ils se trouvaient dans l'œil de l'ouragan, et leur jeu, qu'un Coup de Foudre bien remotivé s'apprêtait à continuer, leur offrait un îlot de calme, un cocon d'amitié, une pause, simplement, un refuge loin du monde. La muse, immobile, observait d'un regard de jade la scène devant elle - curiosité, ou surprise devant ce que faisait le mâle ? Les mots, oh, ça ne l'étonnait pas, elle commençait à connaître les paroles empreintes de charme, de taquinerie, et d'un peu de poésie, prose enchanteresse, que son ami pouvait souffler, mais son geste... Un regard vers elle, un effleurement de la queue, fugace comme un battements d'ailes de papillon, un rêve, un battement de cils, toucher délicat si vite effacé; le guerrier des bois, le prince de l'obscurité, s'était déjà éloigné, et ses moustaches, puis son nez, s'étaient glissés entre les barres de métal glacé.

« C'est le froid qui vous noue la langue? Je peux entrer vous réchauffer, si vous le voulez ♡ »

Et toi, il te gèle les neurones ?

Quel blizzard avait donc envahi l'esprit du beau mâle qui, de ce fait, jouait avec sa vie ? Il y avait à craindre, il fallait rester conscient de ce qu'ils faisaient, malgré l'amusement, les fous rires, les défis, les délires. Cette tanière de métal, cette prison, ce nid étrange dans lequel le léopard se tenait bien trop sage, enfin, cette cage... Elle était le royaume du prince de leurs légendes, et le parfum de celui-ci se mêlait à la senteur des Bipèdes qui pouvaient revenir, elle le savait. Ils étaient assez vifs pour s'enfuir, tous deux, sans hésiter, assez forts, agiles, souples et rapides pour se battre, aussi, mais seulement ensemble. Et s'il demeurait prisonnier... Museau Bleu avait bien trop de sens de l'honneur pour se permettre de le laisser, de l'abandonner, et bien trop de bon sens comme de loyauté pour ne pas retrouver son Clan, aux premières lueurs colorées de l'aurore. Alors, elle réfléchit, cherchant, futée et gracieuse, intelligente, joueuse, à détourner l'attention de ce chat qui, décidément, lui était l'impossible. Après l'avoir fait grimper à l'un des Quatre Chênes, il courtisait un des grands félins de jadis...

Sérieusement ? rit-elle, le voyant presser sa face contre les tiges d'acier.

D'un pas léger, sa fourrure lisse, épaisse, brillante au clair de lune la protégeant du froid que celles-ci dégageaient, la princesse de sable et d'écume s'avança, jusqu'à ce que sa silhouette épouse celle du mâle. Leurs fourrures mêlées, sa chaleur appelant à l'autre au rythme des ronrons, la guerrière, concentrée, tentait simplement de rappeler le Bengal à la raison. Et son souffle dans son cou, et sa voix à l'oreille... Juste au cas où le léopard eut voulu embrasser un tout autre félin un peu aventurier. C'était dangereux, de flirter ainsi avec l'animal comme avec les limites; alors, tout doucement, Museau Bleu tentait de ramener vers elle le Coup de Foudre émerveillé. Il n'y avait pas de sentiments, aucune intention de rompre le Code, de son côté, mais elle n'allait pas le laisser ruiner sa liberté. Alors, dans le secret des ombres de plus en plus, son esprit effleurant le souvenir de Cœur des Cascades, de ses frères, qu'elle aimait, comme une promesse de loyauté, elle ronronna, malicieuse:

« Tes amis ne te suffisent plus à faire des câlins ?
Il te faut encore viser plus haut, mon bien étrange oiseau ? »

Elle s'écarta doucement. Juste assez pour qu'il veuille la rejoindre, à présent.
Un câlin de chaleur, de douceur, pour faire fondre la glace et dompter le blizzard.

Je vous jure, ce qu'il ne faut pas faire...

Sa tête passa mais non sans devoir s'étirer le cou, rouler des épaules et les remuer pour tenter de s'y glisser membre par membre - tête, patte, poignet, un avant-main raide maintenant et l’acromion de la première épaule- son postérieur tomba légèrement vers l'arrière en s'abaissant et il balaya l'herbe par terre d'un tour de queue. Dans la cage, le fauve n'eut vraiment de mouvement que son oreille, qui tiqua, comme le faisait son oreille guérie parfois. Seulement la taille de la sienne ne tiqua pas seulement - elle fouetta toute un périmètre dans l'air et Coup de Foudre voulut se tourner pour jubiler à son intéressée - regarde! Lui aussi, tiquait de l'oreille! Ils avaient déjà quelque chose en commun !

La chatte toutefois n'était pas restée derrière et s'était avancée, légère, vers le bengal, pour se frotter contre lui et l'aider dans sa traversée, qui sait? Coup de Foudre redressa vite sa croupe pour se mettre à la hauteur de son amie mais pour ce-faire il dut reculer l'avant-main qu'il avait réussi à entrer, raide et droit, dans cet entre-deux entre la liberté et la captivité. Il détourna son regard du somptueux animal pour porter d'yeux rieurs sur sa complice qui lui minauda:

— « Tes amis ne te suffisent plus à faire des câlins ?
— Ne dis pas de sottises ♡ répondit le bengal sans poursuivre sa pensée car tout ce qui sortit de sa gueule ensuite furent les tons d'un très gras ronron.
— Il te faut encore viser plus haut, mon bien étrange oiseau ? »

Et elle se déroba de lui et il sentit sa croupe s'abaisser et se reculer avec ses postérieurs - son menton se coinça entre deux barreaux et il agrippa l'un d'eux d'une patte en sortant les griffes, émoustillé. Elle ne voulait pas l'accompagner?

— Mais... il protesta, tout doucement, et l'opportunité...?

Bien sûr qu'il voulait retourner la voir mais il y avait devant lui (et devant elle!), à quelques obstacles près, un léopard en chair et en os et lui ne voulait qu'une chose, se recroqueviller au chaud entre ses pattes, sous sa tête, la nuque en vue à ses crocs et tant pis s'il était de trop. C'était seulement logique - pas de fantasmer sur bien plus grand que soi et probablement non compatible mais plutôt quelles étaient les chances qu'une telle occasion s'ouvre à lui dans les prochaines saisons? Nulles, quasiment - il se doutait que la plupart de ses camarades guerriers n'auraient jamais la chance de voir ces gros fauves car aucun ne s'autorisait de sortir du territoire du Clan pour explorer au delà. Aucun ne répondait à l'appel du risque, comme lui. L'appel du vide, l'abîme de la curiosité contre lequel il avait envie de se jeter.

Énervé il remonta sa croupe et écrasa un postérieur dans le sol, concédant à se reculer d'un pas - les moustaches passaient encore et à sortir la patte mais en réajustant son corps il s'y coinça la tête. ... Ou il se l'était coincée volontairement, car une part de lui était encore sous le charme du fauve.

— Je ne veux pas rater ma chance, Museau Bleu... »

Le fauve tiquait de l'oreille, et à cette vue, Museau Bleu ne put retenir un sourire, empli d'une certaine tendresse à l'égard du Bengal qui, fasciné par le léopard, n'en détachait les yeux que pour lui rendre, à elle, un beau regard de topaze rieuses. Coup de Foudre, lui aussi, tiquait de l'oreille, et alors, sous les étoiles, la vie était calme, et le monde était beau; il ronronnait, et elle aussi, leurs fourrures encore pressées l'une contre l'autre, mèches de poils entrelacées, ombre et lumière, leurs yeux se répondant, feu et eau, ciel et soleil. Et le mâle l'observait, ronronnant quelques mots, affectueusement. La muse des rivières laissa la voix de son étrange allié, camarade et ami, se poser sur sa pelisse comme une douce caresse, se poser sur son cœur comme une étoile d'espoir, et d'attachement aussi. Les mots du fils des bois, éclair dans la nuit, étaient emplis de cette malice charmeuse toujours présente, qui faisait vibrer son être tout entier, mais il semblait plus proche, plus doux peut-être que l'apparition du premier soir, aux Quatre Chênes. Parce qu'elle le connaissait un peu, maintenant, le prince des ténèbres...

« Ne dis pas de sottises ♡ »

Mieux valait peut-être en dire qu'en faire ? S'éloignant avec délicatesse, la sublime guerrière de lune put voir le félin tout d'ombres vêtu reculer un peu, mais son menton se coincer entre deux des arbrisseaux de métal formant une forêt-cage tout autour du grand chat. Une patte accrochée à un de ces arbres à l'écorce scintillante, les griffes sorties comme pour une nouvelle escalade et les prunelles lumineuses d'intérêt, Coup de Foudre lui demanda, comme ce soir-là à grimper jusqu'aux plus hautes branches pour tutoyer les étoiles:

« Mais... et l'opportunité...? »

L'opportunité... De la découverte, bien sûr. Du jeu. De la liberté. L'ivresse du vent et du danger, à s'en rendre saoul aux merveilles du monde. Mais l'opportunité avait un coût, et la fille de l'onde, plus prudente quoique tout aussi curieuse que son camarade, n'étaient pas sûre qu'ils veuillent le payer. Ces grands chats d'autrefois, respecteraient-ils la trêve aux mille émotions et aux mille défis en filigrane de leur curieux lien, à ces deux chefs de leurs existences, qui s'appelaient amis ? Avaient-ils un code, eux aussi, ces rois d'autrefois, ou les considéreraient-ils tout au plus comme de vulgaires proies ? Museau Bleu en frissonnait, et Coup de Foudre aussi, envie, curiosité, incertitudes un peu anxieuses, et bien sûr intérêt. Les deux explorateurs de cet endroit féerique, aux airs de légendes de pouponnière, un conte de leur ère, fixaient les profondeurs d'abysses insoupçonnées: restait seulement à décider, ou non, de s'y jeter. Toujours coincé dans la cage - et bien plus prisonnier de s'être laissé charmer par le fauve enchaîné -, le Bengal du Tonnerre soufflait à l'intention de la reine de lumière:

« Je ne veux pas rater ma chance, Museau Bleu... »

C'était le moment de faire un choix, le temps des décisions qui les mèneraient plus loin.
Un instant, la lieutenante considéra le léopard paresseusement installé dans sa prison argentée;
Puis, son regard de jade sage et doux revint vers celui qui avait formulé un vœu si insensé.
Ils brillaient, soleil et lune, sous la lumière des étoiles muettes:
Un autre fantôme de jadis respirait, palpitait, vivait devant eux.
Et bien sûr que c'était tentant, Museau Bleu le voyait bien aussi !
Mais est-ce que ça valait la peine d'y risquer toute sa vie ?
Les deux équilibristes, l'autre en guise d'équilibre, tanguaient sur la corde raide, très haut.
Ils attendaient un signe, un plongeon de haut vol, de prendre une décision, comme les trapézistes.
De se lancer, simplement, de se laisser rattraper. Mais ce numéro-ci... Il n'avait pas de filet.

« Tu paierais n'importe quel prix, pour une opportunité telle que celle-ci ? »

La curiosité dans la voix de la jolie femelle était bien réelle;
À l'instant où chacun trouvait ses limites, elle voulait voir les siennes.
Parce que, lui rappela son épaule blessée à jamais, la vie n'est pas sans risques.
Jamais. Et pourtant, si on en prend aucun, peut-on réellement dire que l'on a vécu ?
Quel prix faut-il payer, quel prix pour une vie, pour une chance, une poussière de magie ?
Le cœur battant face aux sirènes, son cœur criant Ulysse plutôt qu'un autre marin,
Museau Bleu attendit. Mais avant même qu'il ne la dise, elle avait tout compris.

« N'importe quoi, pour cette chance-là... »

Sa voix s'éteignit dans la nuit.
Elle l'aiderait, bien sûr.
Après tout, elle l'avait suivi.

La tête dans l'étau qu'étaient les barreaux de glace noire lui refroidissaient et la gorge, et l'arrière de la tête, réveillant ses sens et quelques morceaux de souvenirs d'une époque plus froide qu'était cette frisquette soirée d'automne. Il n'avait qu'à passer entre ces barreaux pour entrer la cage du terrible animal et l'amadouer de ses charmes. Il n'avait qu'à passer! Museau Bleu le savait aussi! Il entendit sa voix planer derrière lui comme un dernier écho de conscience:

— « Tu paierais n'importe quel prix, pour une opportunité telle que celle-ci ? »

Bien sûr que oui. Quelle question. Il n'avait rien à perdre dans cette situation - la vie, peut-être, mais et puis? Il avait vécu une belle vie - ou non - son insouciance s'embrouilla à sa Vision qui le secoua d'un tremblotement d'hésitation. Ou non - la pensée se réécrivit et se corrigea : il vivrait une belle vie, car s'il la vivait plus longue il aurait l'occasion de rencontrer davantage de chats, nouer de nouvelles alliances, donner du momentum à son voeu d'entente entre les clans ; Coup de Foudre plissa une paupière car mitraillé de pensées il ne sut quoi répondre exactement à la belle chatte qui se profilait, derrière lui, soucieuse de le garder en vie.

— -...

Il ouvrit sa bouche et aucun son n'en sortit, alors il la referma, fronçant légèrement les sourcils tout en abaissant légèrement les oreilles (sans les tiquer), avant de s'avouer vaincu en soufflant son air d'un soupir.

— N'importe quoi, pour cette chance-là...
— Je te l'ai dit...

« Ça ne m'ennuierait pas d'être détruit, et la véracité de cette remarque m'est très ennuyant, ha ha-ha ♡ »

Mais avant qu'il ne puisse réagir une ombre le couvrit dans l'obscurité et ses griffes crissèrent contre d'abord les barreaux, puis contre un sol et sa paille qui s'envola lorsque son corps y tomba. Le léopard le projeta d'un coup de patte vers le fond de sa cage et le bengal alla y bouler sans histoires, les yeux ronds, levant faiblement sa tête dans sa catastrophe pour jeter un coup d'oeil là où il se trouvait quelques secondes plus tôt avant d'être emporté. ...Il aurait pu jurer qu'un deuxième Coup de Foudre se tenait encore entre les barreaux. Qu'il avait été séparé en deux. Qu'il ne vivait pas vraiment cet instant. Car son coeur battait lentement et un très grave grondement se mit à rouler dans l'enceinte de la cage, arrachant au bengal un frisson d'exitation, de même qu'une série de petits ronrons nerveux.

Il se retourna sur le ventre pour s'y applatir, tout en abaissant ses postérieurs en position de lordose car peut-être leur Très Vénérable Ancien avait choisi d'en faire son concubin? Sa queue s'agita un peu. Sa tête criait au danger et ses pattes s'étaient tendues mais il ne pensait plus à rien d'autre qu'avoir été foudroyé par la patte de léopard.

— Tu as vu ça?... Il miaula à sa partenaire, si elle y était encore, peut-être pour s'assurer qu'il ne rêvait pas. Et un rire fit rebondir ses mots : Ha ha hah tu as vu ça ?? ♡ ♡ ♡

L'avait-elle vu? L'avait-elle vu?? Car lui, non, il n'avait rien vu.

Perchés sur le métal froid, poli et lustré dans le clair de lune, les deux silhouettes amies, le prince de nuit tendu à l'extrême vers la cage et sa guerrière de lumière, deux pas derrière lui, un peu en retrait mais bien présentes, discutaient, reproduisant une scène qu'on eut pu croire irréelle: la jolie femelle était-elle réelle, ou n'était elle qu'une angélique apparition, cherchant à détourner le félin d'une fascination démoniaque incarnée dans une vision aussi puissante qu'ensorcelante ? La muse s'était tue, laissant celui qu'elle tentait de guider et de protéger, avec affection, réfléchir à sa réponse et à son choix - et son cœur, qui parlait haut, empli de loyauté, de douceur et de tendresse, battait très fort. Elle restait fidèle à son Clan, mais c'était loin de signifier qu'elle voulait voir mourir les autres, leurs membres fussent-ils tous aussi attirés par le risque que Coup de Foudre... Elle ne craquait pas pour ses charmes, elle ne le pouvait pas, mais elle l'aimait, à leur drôle de manière. Ils étaient les souverains de leur propre univers, ils partageaient des rêves. Et, Clan des Étoiles, elle avait bien assez perdu.

« -... »

Aucun son ne répondit, seulement la quiétude de l'air de la nuit. L'automne frissonnait d'un hiver à venir, et la brise sur la lande sentait bon l'eau, le ciel et les étoiles, le vent venu d'outre-frontière apportant le parfum des bois et de l'ombre. Tout était calme, tout était beau. Perfection céleste... La fille de l'eau et de la lune ferma une seconde les yeux sur un Bengal soupirant, les rouvrit pour faire face au Bengal obstiné. Ils dansaient en silence, entre prudence et inconscience... Et avec leur chance, la deuxième option était pour lui la préférée.

Museau Bleu n'eut pas le temps de lui répondre qu'elle ne le laisserait pas l'être, et que cette affirmation serait tout aussi vraie. Elle n'eut pas le temps de le faire bouger. Pas même le temps de voir pour le prévenir. Muette d'horreur, frêle lumière face aux ténèbres - et pourtant, elle était loin d'être petite -, elle vit une patte s'abattre, à la manière d'un chaton jouant d'une boule de mousse. Sauf que le chaton était léopard, prince d'orient lassé de ces insectes curieux, joueurs; sauf que la boule de mousse avait des pattes aux griffes crissant contre les barreaux puis le sol, une tête - si peu fonctionnelle soit-elle - et un cœur battant, qui avait fait vibrer le sien à l'unisson, dans leurs ronrons: la boule de mousse, simplement, s'appelait Coup de Foudre. Muette de stupéfaction, elle fixa un instant le regard du léopard de ses beaux orbes verts, larmes de pierre précieuse, avant de reporter son attention sur le corps qui avait roulé dans le fond de la cage, soulevant un nuage de paille. Muette d'angoisse, elle regarda son ami remuer faiblement puis lancer un regard vers elle sans paraître la voir, puis se retourner sur le ventre, s'incliner devant le grand félin du passé et, d'un ton excité, lui miauler:

« Tu as vu ça?... »

Il riait et, alors, elle respira.

« Ha ha hah tu as vu ça ?? ♡ ♡ ♡ »

Oui, elle avait tout vu, et elle n'en voulait pas davantage. Alors, vive comme le vent qui chantait dans le cœur des fougères, rapide comme le torrent contre les pierres lustrées, Museau Bleu se glissa dans l'ombre de la lune jusqu'à son ami-éclair-tonnerre. Son cœur à elle grondait d'une tempête d'émotions. Elle avait eu peur pour lui... Elle ne voulait pas expliquer son décès, à personne, jamais. Et puis... Une nouvelle question s'épanouit en elle, comme une nouvelle fleur de lumière: à cet instant, au milieu des fleuves des enfers, l'ange de la rivière ne put s'empêcher de se demander si des mini-Coup de Foudre attendaient, loin d'ici, que leur père revienne jouer, leur raconter des histoires dans la pouponnière, parler avec eux, ou bien les entraîner. Elle n'en savait rien, et c'était peut-être l'inconvénient de ces petits moments volés dans la nuit, éclats de pierre taillés par le joaillier de leurs vies... La question lui brûlait la langue, mais les mots attendraient encore un peu. Pour l'instant, il devait sortir de là, vite.

« Coup de Foudre, viens... »

Une lumière dansante, au loin, sur le sol, un petit faisceau de soleil que Museau Bleu ne comprit pas immédiatement. Un rayon de soleil à minuit... Le cirque avait-il réussi à capturer les éclairs ? Après tout, quand on contemple un félin de légende, on peut bien commencer à croire aux miracles ! Mais bientôt, ce fut un autre souvenir qui lui revint. Un souvenir d'elle, beaucoup plus jeune, alors qu'elle n'était qu'une apprentie qui découvrait son monde. Un souvenir d'été, une nuit chaude et douce, que l'onde rendait plus fraîche, une nuit paisible, incroyable de magie, passée à chasser, à observer les lucioles qu'elle appelait des fées, et à apprendre sur son monde, encore et encore, formulant mille questions avec curiosité. Un souvenir qui la mena à un camp de Bipèdes qui dormaient dans des nids de tissu, cette nuit-là, l'un d'eux fixant quelque chose qui ressemblait à une feuille couverte d'écritures à la lumière d'un rayon de soleil à minuit. Et Museau Bleu, en même temps que le nom de l'objet, qu'elle entendait encore de la voix de Cœur des Cascades, son ancien mentor, se rappela des Bipèdes. Cette fois, sa voix était toujours douce, mais plus urgente en appelant.

« S'il te plaît. »

Oui, elle avait tout vu, ils avaient vu... Mais ce Bipède ne devait pas les voir.
Tout était lent, si lent, et si rapide tout à la fois. Le temps n'était plus qu'illusion.
Lent - elle tira Coup de Foudre vers elle, se glissant entre les tiges de métal.
Rapide - ils contemplèrent encore un peu le grand félin, gravant l'image dans leur tête.
Lent - elle ressortit de la cage, le faisant la suivre avec patience et délicatesse.
Rapide - ses battements de cœur faisaient écho aux pas de celui qui approchait du lieu.
Lent - le léopard laissa échapper un feulement presque joueur et déçu, appel.
Rapide - le faisceau de la lampe les balaya tous deux, lançant la grande course-poursuite.

Ils le sèmeraient, bien sûr qu'ils le sèmeraient.
Ensemble, de toute façon, rien n'était impossible.
Et quand ils trouveraient du calme, Muse pourrait penser.
Elle pourrait graver leur légende dans son cœur et ses rêves.
Elle pourrait rire et aimer cette soirée, et le grand léopard.
Elle pourrait, enfin, poser sa question au Bengal, son allié.

Dis-moi, Coup de Foudre... Cette histoire de pouponnière, as-tu des gens à qui la raconter ?

Quand on se croit grand chat parmis ceux de son Clan, on développe la certitude de prendre beaucoup de place dans l'espace, mais dans cette cage de glace noire et réfléchissante il y avait bien plus grand que lui et qui déplaçait bien plus d'air d'un coup de sa queue ou d'un fouettement de son oreille que lui en retombant de tout son poids. Pour la toute première fois de sa vie, Coup de Foudre se sentit petit - et ne se sentit plus si Coup, ni si Foudre que ça. Réduit à ne plus être qu'un Chat un peu trop Docile face au Légendaire Léopard qui marchait de ses pas lourds vers lui, il s'entendit déglutir, s'aplatissant davantage au sol comme s'il aurait pu fusionner avec. Sa queue eut un autre nerveux battement et ses yeux ne regardaient plus rien d'autre que l'épaisse et chaude pelisse qui roulait sur ces muscles bien plus épais que ne l'était son corps au complet. Il se laissa hypnotiser par les taches noires qui se mouvaient devant lui, penchant imperceptiblement la tête sur le côté, et il entendit la voix de ░░░ ░░░░ l'appeler mais

— « Coup de Foudre, viens...

ses yeux avaient escaladés ces colonnes de fourrure et de mouchetures pour se faire piéger par le regard et l'éclat anis qui réfléchissait dedans dans la nuit noire. Il vit le fond des pupilles verticales du fauve devenir aussi limpide que du cristal - il eut l'impression que le Léopard voyait au travers de son masque, au travers de son apparence, au travers de sa chair, au travers de ses os, le réduisant au néant qu'il était vraiment. Il eut un tic dans la patte - il eut l'impression que lorsque le Léopard déplaça la sienne, traînant une vague d'air dans son mouvement, il avait pris possession de son corps et était sorti du sien. Son oreille se pivota lorsqu'il entendit quelque chose s'approcher de lui mais impossible de baisser les yeux.

— S'il te plaît. »

La voix de Mus░au Bl░u embrouilla sa fascination et c'est en sentant des dents dans sa nuque qu'il refit brusquement surface comme lorsqu'Étoile d'Or l'avait si diligement repêché de la Rivière. En prenant une grande bouffée d'air il se sentit tiré vers les barreaux, ses yeux papillonnèrent car un reflet et le faisceau d'une lampe-torche non-loin l'aveugla une seconde et si une patte s'étira vers le Fauve qui eut un mouvement vers lui pour l'appeler à jouer davantage il fut vite sorti de la cage, à l'air frais de la liberté, sans se rendre compte qu'il courait maintenant à la suite de -- Museau Bleu! C'était Museau Bleu.

Elle courait- elle courait- il courait aussi mais pourquoi? Il avait l'impression d'étouffer - qu'une corde invisible dans son cou cherchait à le freiner et le ramener vers la cage et le Léopard mais plutôt que de docilement tourner les talons le bengal échappa un bruyant paillement en donnant un cou de tête vers l'avant quitte à s'étrangler. Il sortit les griffes- se donna une meilleure adhésion au sol, courrut sur l'herbe coupée de ce lieu d'Assemblée Artificielle et il doubla Museau Bleu devant, avant de se tourner et se laisser ralentir, le dos rond mais sans le moindre poil hérissé, et les yeux devenus noirs par ses pupilles qui s'étaient trop dilatées dedans, se freinant à sa hauteur. Une secousse lui prit des épaules à la pointe de son rachis mais ce n'étaient pas des tremblements de peur, plutôt ceux d'un rire et d'un ronron plus bruyants que jamais:

— --Mumuse est-ce que tu as vu?? ♡ Qu'est-he-h'est ce que c'était que ça !! ♡ Une luciole?? Oh- Tu es toute remontée! ♡ ♡ ♡

Elle courait - elle courait. Les pattes martelaient le sol, s'élevaient, revenaient le caresser, avant de s'envoler, le frapper, le caresser, soulevant les grains de sable du temps qui leur manquait dans la brise entourant le lieu fantastique qu'était le cirque, la course poursuite prenant des allures magiques aux côtés de l'immense nid rouge et or dont le tissu leur ouvrait les bras. Elle courait - elle courait. Ses yeux brillaient, dans le faisceau de soleil de la lampe-torche, dans les rayons de la lune, dans le scintillement voilé des étoiles brodées sur le ciel de soie indigo, et dans les lueurs colorées des projecteurs de la tente qui pouvait se prouver un refuge. Elle courait - elle courait. Son cœur battait, faisant trembler la muse de la rivière d'un nouvel élan de vie, la belle guerrière vibrant d'énergie, d'émotion, la peur et l'ivresse de la course se mêlant en une tempête qu'elle laissait s'échapper derrière elle. Elle était angoissée, bien sûr, en voyant le Bipède, mais... Tout ça lui rappelait les jeux d'enfant, à se poursuivre, à se défier, et loin d'être toute seule, elle était heureuse d'être accompagnée. Et ce même si, en cet instant, le prince des ombres semblait un peu étrange - et par là, elle entendait davantage que d'habitude. L'air était frais et le vent les portait: ils distancèrent bientôt le garde des félins de légende, pour créer la leur - et bientôt, un rire éclatant s'élevait dans le ciel.

« --Mumuse est-ce que tu as vu?? ♡
Qu'est-he-h'est ce que c'était que ça !! ♡
Une luciole?? Oh- Tu es toute remontée! ♡ ♡ ♡ »

Une luciole ? La question, l'attitude, le rire, l'hypothèse... À cet instant, Coup de Foudre, loin de Zeus et de tous ses éclairs, loin d'Aphrodite et de ses charmes, ressemblait à un bambin plus qu'à un roi, un enfant-souverain jouant de son petit monde, de sa couronne, et posant des questions. La question était désarmante de naturel, de naïveté aussi - la jolie muse se surprit à s'imaginer une mini-éclair poser la question à la place de son père -, et bientôt, un deuxième rire rejoignait le premier. Un rire joyeux, amusé, soulagé, un rire qui mêlait la magie, la gaieté, l'espièglerie et l'amitié, un rire couleurs, un rire fleurs, un rire bonheur, un rire soleil, un rire arc-en-ciel aux mille merveilles. Un rire qui s'envola, comme une luciole, lumineux dans la nuit, pour éclairer leurs vies. Et une fois de plus, Museau Bleu se sentit tomber amoureuse de la vie. Elle était heureuse, simplement, là, cachée dans le royaume des ombres, à s'amuser comme une petite de trois lunes en compagnie de son ami; adieu aux lois, adieu aux codes, adieu à tous les interdits: ils étaient ensemble, et ils étaient en vie. Tout - ou presque - leur était permis... Un ronron, tout doux, tandis qu'elle pressait sa fourrure retombée contre la pelisse d'obscurité du mâle qui riait tant qu'il s'était mis à en trembler. Le pire, c'était que son rire était, à n'en pas douter, des plus communicatifs ! À travers ses éclats d'allégresse, la fille de l'eau et de la lune répondit:

« Mais non, Fifou ! ♡
C'était un Bipède, voyons, avec une lampe ! ♡ »

Elle s'arrêta, penchant la tête, faisant mine de penser;
Puis, malicieuse, elle souffla, juste pour le taquiner
Quelques mots, bondissant sur lui pour le chatouiller.

« Ou alors, c'était vraiment une très très grosse luciole ! ♡ ♡ ♡ »

Oublier ses soucis, l'espace d'une nuit. Oublier les clans, l'espace d'un instant. Il n'y avait plus d'ennemis, n'y avait plus d'opposants. Il n'y avait plus de cris, et non plus de feulements. Seulement la douce douleur d'avoir trop ri, et un concert de ronronnements. Ils étaient deux amis, avec des cœurs d'enfants. Et là, pressés l'un contre l'autre, dans le calme du cirque, là où l'enchantement exauçait tous les vœux, et où la magie les cachait tous les deux, Museau Bleu, contre Coup de Foudre, se sentit chez elle. Parce que le cœur n'a pas de lois, pour trouver allégeance... Elle ferma les yeux une seconde, attendant que son compagnon du soir, compagnon d'aventure, se calme, puis se risqua enfin, curieuse, à poser la question qui tournait dans sa tête depuis un bon moment.

« Dis, Fifou... Elle est comment ta famille à toi ? »

Ta famille à toi... À jouer les chatons, elle en reprenait même les erreurs de langage...
Mais elle s'en fichait éperdument, et un immense sourire illuminait son visage:
Cette odyssée à la recherche de leurs âmes d'enfant était le plus beau des voyages.

C'est en éclatant de rire que lui répondit Museau Bleu et Coup de Foudre se sentit tout de suite à l'aise - pas de réprimandes, pas de discours sur sa peur, only levity malgré quelque évènement où il venait de frôler la mort. Coup de Foudre abaissa son dos et se redressa pour se mettre à caracoler sur place, à trottiner autour de la belle chatte et se perdre dans la chaleur de sa fourrure qui rebondissait à son rire. Une fois de plus, lui aussi tombait amoureux de la vie - et une fois de plus il voulait partager cet amour à bon entendeur, même si l'image du Léopard dans sa cage, à une longueur de queue de lui, lui serait très difficile à s'ôter de l'esprit. Museau Bleu lui rendit son frottement et le mâle sentit comme un gonflement de chaleur lui prendre du bout des phalanges en remontant ses quatre pattes, puis il se secoua, tout ouïe à son amie:

— « Mais non, Fifou ! ♡
C'était un Bipède, voyons, avec une lampe ! ♡

— « Une lampe! ♡ il répéta, (em)porté par toute cette effervescence.

Il n'avait aucune idée de quoi s'agissait une lampe - il ne connaissait pas bien les Clans de Bipèdes. Il ne comprenait rien à leur Assemblée. Et pour lui les Monstres avaient des Carapaces d'Insectes.

— « Ou alors, c'était vraiment une très très grosse luciole ! ♡ ♡ ♡
— Ha hah elle était gigantesque! ♡ ♡ ♡ s'esclaffa le Bengal d'un autre petit tour autour de la belle chatte et ses longs poils, remuant la croupe et ondulant de la queue avant de s'arrêter pour humer une bonne bouffée d'air frais tout contre elle.

Le temps de latence fit son effet et ses fou-rires se turent uns à uns mais il ne perdit en revanche rien de sa bonne humeur renouvelée. Une patte de léopard l'avait touché. Il avait été projeté, dans l'espace, faute d'une patte de léopard. Un frisson lui prit dans le dos en revoyant le fauve le surplomber de haut et le laisser vulnérable au sol. Un autre, en se rappelant que ce-même fauve surpuissant l'avait appelé pour qu'il revienne. Encore ce sentiment d'étranglement - encore l'impression qu'il ne devait pas aller trop loin et qu'il devait revenir sur ses pas pour retrouver l'animal. Mais cette impression n'était plus la sienne, plus vraiment : elle appartenait au Coup de Foudre qui se trouvait dans la cage - et maintenant qu'il en était sorti, il devait s'en défaire.

— « Dis, Fifou... Et la présence de son amie l'aida à se recentrer. Elle est comment ta famille à toi ?

Il eut un petit hoquet de stupeur avant de rire à nouveau et se reserrer contre elle, éhonté dans ses manières.

— Nounou est le meilleur mentor! Il entretient son poil et se rend beau, il a une droiture d'esprit que beaucoup envient et c'est un maître du pince-sans-rire!

Il cilla, taisant son ronron pour jeter un regard en biais à son amie.

— ...Mais je suppose qu'il est comme toi, il ne veut pas partager son corps avec moi. Il dit qu'il est trop fidèle à Chouchou! Alors je lui propose d'inviter Chouchou à jouer avec nous mais il me dit non! Comme si la menace était écartée il s'assied, sèchement, recourbant sa queue contre lui, faisant la moue en se rappelant son mentor. Vraiment, ce chat est impossible à plaire !

Elle avait dit "famille", et la seule famille qui lui vint à l'esprit dans cet mer de dopamine était l'image de Renouveau Printanier et tout son corps tigré.

— Après j'ai eu Boule, Patte, Roux et Bec - Boule est une Boule, Patte donne des coups, mais Bec et Roux... Sa queue s'agita. Ils ne m'intéressaient pas vraiment, au début. Même si le Code du Guerier ne l'interdit pas, je n'ai pas envie de séduire mes propres petits... Mais maintenant qu'ils se développent une identité bien à eux, je suis déçu de ne pas avoir la chance de les découvrir comme ça.

C'était que la séduction, le charme et le sexe étaient pour lui une manière non pas de faire des chatons, comme l'avait cru Roux durant leur dispute, mais de mieux connaître les autres. D'apprendre à les cerner et les taquiner dans leur intimité était l'une des meilleures façons pour lui de se rappeler d'eux. Coup de Foudre oubliait les noms, certes, mais pas ses partenaires - et bizarrement il savait qu'il n'oublierait pas Museau Bleu à cause des aventures qu'ils vivaient ensemble. Les branches des Quatre Chênes, les Miroirs de l'Assemblée Artificielle et le Léopard dans sa cage de glace noire... Même sans partager son corps avec le sien, tout ces évènements l'avait marqué. Peut-être qu'il y avait plus d'une façon d'apprendre à découvrir les autres...? Mais lui-même comptait sur son charme pour attirer l'oeil. Et à compter autant sur son charme on s'attendait de lui qu'il donne son corps à n'importe qui, alors...

-- Sa queue ondula au sol, tassa quelques emballages de plastique qui les avaient suivis dans leur course et alla chattouiller les pattes de la guerrière de la Rivière à ses côtés.

— Et toi, ta famille à toi? ♡

« Ha hah elle était gigantesque! ♡ ♡ ♡ » riait le Bengal, tout en ondulant autour d'elle, s'amusant d'une luciole comme un enfant et pourtant jouant de son cœur d'une manière qui n'avait rien d'innocente, venant se blottir tout contre la jolie lieutenante, dans son poil doux et chaud, une étreinte comme un cocon au milieu du vent frais.

Après avoir échappé au Bipède, après avoir charmé le félin de légende - avoir tenté serait plus vrai, mais les plus belles histoires sont parfois un peu romancées -, après avoir pu contempler le léopard, en un frisson magique, dangereux et sublime, après avoir partagé ce monde de folie, duo caché dans la nuit, les félins aux prunelles d'ambre et de jade scintillantes comme des étoiles vibraient de bonne humeur, de secrets, d'une complicité intense, d'affection aussi, deux amis pour faire éclore les fleurs malgré l'automne, un papillon d'interdit prenant son envol entre leurs cœurs, leurs corps. Étrange chose que cet unisson... Retrouvant l'instant présent sous les ronrons du guerrier et dans sa voix racontant son Clan, la muse de la rivière chassa les autres pensées pour écouter la réponse à la question qu'elle avait posée.

« Nounou est le meilleur mentor! Il entretient son poil et se rend beau,
il a une droiture d'esprit que beaucoup envient et c'est un maître du pince-sans-rire! »

Mentor
Cœur des Cascades
Droiture d'Esprit

Coup de Foudre adressa un battement de cils,
Un regard, à la belle femelle de sable et d'écume;
Celle-ci, quelque peu émue, esquissa un sourire à la suite
- les mots suivants étaient bien à l'image de son étrange ami...

« ...Mais je suppose qu'il est comme toi, il ne veut pas partager son corps avec moi.
Il dit qu'il est trop fidèle à Chouchou! Alors je lui propose d'inviter Chouchou
à jouer avec nous mais il me dit non! Vraiment, ce chat est impossible à plaire ! »

Franchement amusée, rafraîchie par le récit décousu et les noms donnés par « Fifou »,
Museau Bleu riait franchement quand, poursuivant son histoire, son compagnon continua.
Elle apprit, dans le même temps, tendresse et enchantement, qu'il y avait des mini-éclairs
Quelque part, sous la cime des arbres, dans le camp de ses voisins outre-rivière.

« Après j'ai eu Boule, Patte, Roux et Bec
- Boule est une Boule, Patte donne des coups, mais Bec et Roux...
Ils ne m'intéressaient pas vraiment, au début.
Même si le Code du Guerier ne l'interdit pas,
je n'ai pas envie de séduire mes propres petits...
Mais maintenant qu'ils se développent une identité bien à eux,
je suis déçu de ne pas avoir la chance de les découvrir comme ça. »

Boule est une Boule

La muse des eaux, rivière, pluie, caresses et tempêtes, s'imagina aussitôt une petite femelle, plutôt ronde, toute douce, une de ces sortes de peluches vivantes à qui l'on ne veut rien que faire des câlins; avait-elle les prunelles, la fourrure de Coup de Foudre ? Des yeux comme des pierres précieuses, qui chez la plus jeune auraient la chaleur du soleil et des étreintes, loin de l'éclat étrange qui, parfois, dansait dans les topaze de son père, flammes et éclairs. Oui... Fifou restait ténèbres, même si, comme à cet instant, il était parfois douceur et tendresse, au milieu de ses ombres, si on s'y glissait pour jouer. Fifou était rivière, comme elle, sauvage, incroyable, un flot de surprises, de dangers, de merveilles; Boule... La vétérane se l'imaginait comme les rochers du soleil, après un bain dans l'onde pure: tièdes, réconfortants, sincères et sans mystère.

Patte donne des coups

Patte ? Patte, un petit guerrier - est-ce qu'il tenait de Fifou le fait de ne pas tenir en place ? Est-ce qu'il était grand ? Petit ? Probablement plus petit que Boule, estimait Museau Bleu, en tout cas pour ce qui était de la corpulence... Avec nostalgie, la femelle revit cette journée, tant de lunes passées, quand elle avait donné naissance à ses propres petits, et pu admirer les fourrures, mauve, noir, blanc, beige, bleuté; Méduse était une boule, elle aussi, à sa manière, alors que Blaireau donnait déjà des petits coups - Ambroisie, lui, se tenait tranquille, alors. Et l'espace d'un instant, volé, inespéré, quelques minutes trop vite écoulées, après la mise-bas, avant de devoir s'en séparer, la jolie guerrière avait été mère auprès de ses petits. Parce qu'en réalité, maman, elle le serait toujours, au cœur d'elle-même, dans les recoins de son esprit et de son âme, mais... Elle n'avait jamais pu les entendre l'appeler par ce nom, prononçant ce mot si simple, si évident, et pourtant si beau et puissant. Un pincement au cœur plus tard, Museau Bleu songea qu'au moins, désigner leurs familles par ce genre de surnom éviterait qu'elle ne doive révéler leurs identités. Personne ne saurait - elle avait renoncé, sacrifié. Toujours. À jamais.

Bec et Roux...

Un oiseau, une petite flamme. Envol et lumière. Liberté et espoir. Dans le velours de la nuit brodée de perles d'étoiles, dans les soieries du vent, écrivant leur histoire du bout des coussinets plutôt que par les griffes, en effleurements de fourrures, en pelisses de lune et d'ombre mêlées, en regards d'eau et de feu, la muse et l'éphèbe courtisaient ces idées, que les noms des deux derniers petits du mâle avaient, pour elle, évoqué. Dans un autre monde, où ils auraient pu tout vouloir, tout espérer, tout désirer - qui pouvait dire ce qui se serait passé ? Dans un monde de totale liberté, sans loyauté - qu'auraient-ils créé ? Dans sa tête, tout au moins, Museau Bleu tentait de s'imaginer les chatons de son ami - Bec et Roux. Pour le dernier, c'était simple: une fourrure embrasée. Pour Bec... Un nez étrange ? C'était mignon, comme nom. Museau Bleu chassa le sentiment étrange qui envahissait son cœur en pensant à des chatons, avant de lancer un regard curieux à son camarade hors-la-loi - séduire ses propres petits ? La belle dame n'avait jamais eu cette idée, et en était absolument déconcertée. Pourquoi ? Une autre interrogation, cependant, du Bengal cette fois, l'arrêta, dérivant la conversation vers elle - il lui retournait sa question, bien sûr. Et, Clan des Étoiles, la réponse était longue.

« Et toi, ta famille à toi? ♡ »

Elle lui adressa un petit sourire plein de malice, un ronron, avant de commencer.
Un petit défi, une gentille moquerie, un clin d'œil. Et elle raconta - au moins un peu.

« Je suis désolée pour Nounou, mais je pense que mon mentor est le meilleur !
Cascade est... Brillant comme les étoiles, il aime défier la rivière et s'amuser avec. »
Il brillait dans les constellations, et pourtant, rattrapée par le passé, elle parlait au présent.
« Cascade est très drôle, aussi, parfois sans le vouloir ! Il est honorable, on l'admire beaucoup !
Il est courageux, et agile, et fort. Il m'a tout appris. Et puis, c'est comme mon père de cœur. »

L'espace de ces quelques phrases glanées aux courants de sa mémoire...
L'espace de ces petites vagues de souvenirs qui déferlaient sur son cœur...
Elle était redevenue Bleuet, à nouveau; la chatonne effleurant son nez du sien.
L'apprentie maladroite mais appliquée des premiers jours, son élève, son amie.
Il l'avait vue dans les bons, dans les mauvais moments. Toujours. L'avait protégée.
Soutenue. Secouée. Aidée. Il l'avait instruite. Il l'avait fait croire en elle.
Et elle l'avait admiré, estimé, aimé, comme un père. Elle l'aimait pour toujours.
Il vivait dans chacun de ses appuis, chacun de ses équilibres. Cascade était le meilleur mentor.
Museau Bleu taquinait ses frères et Nuage du Corbeau, en disant cela, autrefois... Elle le pensait.
En cette douce nuit, elle répétait la même chose à Coup de Foudre - et les étoiles brillaient.

« Il y a aussi mes frères et sœurs. J'en ai plein, mais dans ma portée, il y a Lulu » Ombre de Lune, son confident « Foufou » Cœur de Fougère, son complice « et Riri » Pierre Lustrée, sa constante. « On est les quatre inséparables ! Lulu, c'est le plus discret, il donne des bons conseils, et des câlins ! Foufou... Son nom lui va bien, tout simplement. Je suis sûre qu'il aurait adoré le léopard. Et Riri, c'est le plus sérieux. » Elle fit la moue, comme lorsqu'elle habitait encore la pouponnière. « Parfois, il n'est pas drôle, du coup. Mais on l'aime quand même ! »

Une pause. Jusqu'ici, elle n'avait parlé que de sa famille constellation.
Et même pas de tout le monde, loin de là. Mais elle souriait en pensées.
À chaque visage. À chaque perle dans l'écrin délicat de son cœur.
Chaque fleur de son jardin. La suite de son récit, en revanche, quittait l'enfance.
C'était le souvenir d'une nuit vite passée, éclipsée, qui avait éclos en trois fleurs.
Trois petits poissons, trois petits - donc elle déguiserait les noms, à sa manière.
Alors, ce fut avec un autre sourire, moins enfantin, qu'elle acheva, en un murmure:

« Et j'ai des petits, moi aussi. Quatre. Je t'ai déjà parlé de Vent, la dernière fois...
La deuxième c'est Mauve. Elle est toute douce et câline. Et violette, aussi.
Elle non plus n'aime pas le combat... Comme Roi, son frère, d'ailleurs. Ils sont gentils.
Mauve est maternelle, et très affectueuse » la muse marqua une pause, se frotta contre son ami
- la nuit se rafraîchissait, et elle avait plus de fourrure que lui « et Roi... Imprudent, irréfléchi !
Quant au dernier, c'est mon Patte à moi, il donnait des coups lui aussi. Il aime beaucoup jouer...
Quand il était tout petit, il m'appelait madame Bleue, à cause de la tache sur le nez. » Elle rit.

Et, tandis que du bout de ce nez taché, selon ses frères, par trop de bleuets mangés,
De ce nez qui lui avait valu son surnom par Petit Blaireau, elle taquinait Coup de Foudre,
La muse de la rivière et fille de la lune lui demanda, sincèrement curieuse:

« Tu n'arrives pas à découvrir Boule, Patte, Bec et Roux d'une autre manière ? »

Et un flot d'images envahit sa mémoire
De Blaireau grimpant sur son dos
De confidences près de la rivière
De Méduse qui plongeait, le premier jour
D'Ambroisie qui pêchait ou jouait
De leurs rires, de leurs paroles
De leurs fourrures entremêlées
Quand elle allait voir Eau Turquoise
Et veiller sur le sommeil de ses enfants.
D'entraînements et de jeux et de discussions.

Elle les aimait tellement...
Elle les aimerait toujours.