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Thème X - Terres Inondées
 
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 Le ciel pleurait avec elle ~ ft Blaireau, Méduse... -abandon

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MessageSujet: Le ciel pleurait avec elle ~ ft Blaireau, Méduse... -abandon   Le ciel pleurait avec elle ~ ft Blaireau, Méduse... -abandon Empty31.10.18 0:35

Vous savez cette sensation d'irréel qui vous frappe parfois quand quelque chose est trop sombre, trop triste, trop douloureux ? Cette envie d'un sourire vacillant, d'un rire, même, d'un "non, non, tu te trompes", ou d'un "tu inventes pour me faire marcher" ? Ce sentiment de déni absolu qui laisse le vide quand finalement, il s'en va ? Et ce vide-là...

L'automne suivait son cours, plus frais que jamais.
Les feuilles, tombées en nombre, constellaient le sol.
Le paysage aux couleurs flamboyantes se mourait
Dans un dernier spectacle de couleurs, enfin.
L'eau chantait, et le vent murmurait.
Tous se préparaient pour la saison des neiges,
Museau Bleu plus que toute autre, lieutenante.
Enfin... Les autres jours. Mais pas aujourd'hui.

Songeuse, la belle vétérane à la pelisse de sable et d'écume observait, depuis la tanière des guerriers, les gouttes de pluie qui s'écrasaient au sol. Plic. Ploc. Plic. Ploc. Un mouvement régulier, comme les aiguilles d'une horloge, pour ces fragments d'eau qui s'étaient accrochés aux roseaux, avec en contrepoint le bruissement régulier de celles, plus nombreuses, plus vives, aussi, qui tombaient du ciel. Ce n'était qu'une journée pluvieuse parmi tant d'autres, belle, même, entre nuances froides et chaude, la guerrière de la rivière aimant l'eau et restant au chaud grâce à sa douce et épaisse fourrure beige et bleutée. Mais rien n'était comme avant, parce qu'il y avait une personne en moins, dans le Clan. Une reine, que la princesse regrettait, à présent. Une étoile de plus dans le ciel, cette fois - et une page tournée dans le grand livre des cycles de la forêt de Cerfblanc, parce qu'avec la mort de sa compagne, c'étaient les dernières bribes de l'époque d'Étoile du Corbeau qui disparaissaient. Les derniers morceaux... À part Museau Bleu elle-même, peut-être; elle, elle subsistait, après la mort de son meilleur ami, et à présent, d'Eau Turquoise - et ça lui pesait; elle avait vu bien trop de gens mourir. Forte, fière, courageuse, déterminée, la lieutenante remplissait encore fidèlement son rôle, blessée ou non, mangeant après les autres, cédant son tour à la tanière du guérisseur et allant voir Echo des Ruisseaux ensuite, conservant des secrets, répondant à ses devoirs auprès d'Étoile d'Or et du Conseil, et aurait refusé de toute façon obstinément une place dans la tanière des anciens, mais ce jour-là... Elle se sentait lasse. Son cœur était fatigué, et elle pouvait sentir dans son âme les lunes du passé, à présent. Elle n'était pas ancienne, mais... Elle avait changé. Et à présent, ses proches se trouvaient au Clan des Étoiles.

Comme Elle
Un pincement au cœur
Museau Bleu soupira;
Elle avait préféré, bien sûr
Ne pas aller dire adieu
Ne pas aller à la veillée
Pour laisser la famille
Entourer Eau Turquoise
Et tous se retrouver
Parce qu'elle n'était
Qu'une amie de secrets
Une camarade des ombres.
Mais Elle
Eau Turquoise avait été
Une amie précieuse, une alliée
Sans lui en vouloir, lui reprocher
Ses actes; et elle avait élevé
Les plus beaux enfants du monde
Forts, courageux, doux, aimants.
Pour plusieurs portées, elle était
La mère parfaite, la reine du Clan.
Et Museau Bleu la regretterait.
Museau Bleu la regrettait.

Il pleuvait, ce qui encourageait les félins n'étant pas au dehors à demeurer dans leurs tanières, alors à présent, la lieutenante pouvait bien se rendre jusqu'à la tombe de son amie, pour imiter le ciel, non ? Elle devait à la belle reine bleutée un dernier hommage, un au revoir, un merci; elle lui devait des mots qu'elle n'avait pas eu le temps de dire, ou en tout cas, pas assez dit; elle lui devait beaucoup, de ces lunes de vie... Et Museau Bleu n'oubliait jamais une loyauté, une dette, une allégeance, une amitié; il n'en fallut pas plus pour la faire avancer. Trempée, sous la pluie, elle se trouva bientôt silhouette solitaire, parlant à la terre, et, dans la brise, à l'infini du ciel - on ne voyait pas encore les étoiles, mais Eau Turquoise plus que personne était là-haut, dans l'azur, la survivante en était persuadée; une âme de pareille légèreté, clarté et pureté ne pouvait que s'y trouver, et s'y réfugier... Et la vétérane souhaitait à son amie le bonheur éternel.

Juste pour Elle
La princesse se mit à parler.
Un voix douce, presque murmurée.
Les mots qu'elle n'avait pas eu le temps
De dire, à la maman de ses enfants.

« Coucou, Eau Turquoise... Je ne sais pas trop comment c'est, le Clan des Étoiles, mais j'espère que tu es heureuse, et fière de ce que tous tes enfants sont devenus. Je... Les mots me manquent en fait. Aujourd'hui, tu seras une étoile dans le ciel, pour veiller sur eux, mais tu l'étais déjà ici - et tu as veillé sur tellement de chatons, avec des trésors d'amour. J'admire ça, tu sais ? Et je voulais juste... »


Sa voix s'éteignit
Comme une chandelle
Soufflée par la brise
Puis reprit, ténue.

« Je voulais juste te dire à quel point j'admirais ta gentillesse, ton affection, ta loyauté, ta capacité à pardonner. À quel point j'ai été heureuse et privilégiée, et à quel point ce que tu as fait compte pour moi... Je voulais juste te dire merci d'avoir été la maman que je n'ai jamais pu être, pour Méduse, Blaireau et Ambroisie, merci pour tout ce que tu leur as offert, et pour les personnes merveilleuses qu'ils sont devenus grâce à toi. Je... Je suis tellement désolée, Eau Turquoise. Pour tout. Et merci. »

Nouveau silence
Cette fois
Seulement rompu
Par
Un sanglot
Puis un deuxième.

À présent, Museau Bleu pleurait
Et le ciel, muet, pleurait avec elle.

_________________

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MessageSujet: Re: Le ciel pleurait avec elle ~ ft Blaireau, Méduse... -abandon   Le ciel pleurait avec elle ~ ft Blaireau, Méduse... -abandon Empty01.11.18 18:47

Eau Turquoise était morte la veille ... Oh, bien tendu son fils avait pleuré sa mort, bien qu'il ne l'avait jamais extériorisée. Elle était partie alors que lui était rongé par les remords, quel enfant indigne avait-il pu faire. Pourtant, il n'avait pas hésité à la veiller toute la nuit, malgré la tristesse qui lui pesait lourd.

Mais son décès était accompagné par le changement de météo. Il pleuvait, ils étaient en automne. Fierté du Blaireau contempla le spectacle de ses faibles yeux bleus, rongés par le chagrin. Une moue amer dessinée sur ses babines, il pensa à se retourner dans sa litière ... Et pourtant, il avait tant envie de retrouver sa mère plutôt que de se morfondre. Alors il allait se recueillir.

Le matou bicolore se leva avec lenteur, découvrant chaque parcelles de son corps puisque ankylosé à cause de cette journée, passée à être couché. C'est donc le regard quelque peu vide, qu'il se dirigea vers la tombe d'Eau Turquoise, dans l'idée de pouvoir rester avec elle, juste une fois ...

Las dans ses mouvements, il finit cependant par arriver près de cet endroit sombre, construit par le chagrin et les regrets. Le guerrier soupira, comme pour se rassurer face à cette épreuve alors, il s'avança toujours plus, jusqu'à entendre une voix familière. C'était Museau Bleu, la lieutenante et une bonne amie de la famille. Le félin voulut sourire, mais le cœur n'y était pas alors il s'abstint. Il continua donc sa route, s'apprêtant à la rejoindre ... Elle qui devait sûrement se recueillir sur cette terre fraîchement retournée.

Mais ... Des paroles rudes de sens lui sautèrent au visage.

« [...] Je voulais juste te dire merci d'avoir été la maman que je n'ai jamais pu être, pour Méduse, Blaireau et Ambroisie, merci pour tout ce que tu leur as offert, et pour les personnes merveilleuses qu'ils sont devenus grâce à toi. Je... Je suis tellement désolée, Eau Turquoise. Pour tout. Et merci. »

Fierté du Blaireau se stoppa net, son regard bleuté ayant retrouvé tout son éclat bien que ... Perturbé. Il fixa le sol, sa vision se troubla. Son souffle se fit plus saccadé et lourd bien qu'il n'en remarquait pas la buée s'échapper sans demander son reste. D'une voix fluette, sonnant comme un cri étranglé, il souffla, perdu :

« Q- ... Quoi ... ?? »

Il rit. Ria jaune. Il prenait cela comme une plaisanterie de mauvais goût. Quelle genre de personne irait se recueillir pour balancer des blagues à tout va, juste afin de piéger un pauvre fils en plein deuil ? Alors il s'exclama malgré ce faux-rire qui lui comprimait les poumons :

« Tu rigoles, hein ... Pas vrai ?? »

Puis il se stoppa net. Il comprit qu'elle était loin de plaisanter, maintenant qu'il l'écoutait ... En superposant les tâches de Nuage de Méduse et Nuage d'Ambroisie à celles de Museau Bleu, tout prenait son sens. Et puis ... Cette marque sur le nez de sa sœur ... Et sa carrure mêlée à celle de Fierté du Blaireau ...

La ressemblance était frappante.

Affolé, il fit un pas en arrière, puis son derrière chuta abruptement sur le sol. D'une voix presque inaudible, il s'exclama :

« Non non non non ... C'est faux, c'est pas vrai ... »

Quel genre de cauchemar était-il en train de vivre ?
Cela voudrait-il dire que ... La famille qu'il possédait, n'était pas la sienne ?

Il en avait bien peur ...

_________________
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MessageSujet: Re: Le ciel pleurait avec elle ~ ft Blaireau, Méduse... -abandon   Le ciel pleurait avec elle ~ ft Blaireau, Méduse... -abandon Empty26.11.18 4:05

Laissant pour la première fois depuis longtemps libre cours à sa peine, sa voix s'étant tue et ses yeux de jade laissant échapper des larmes qui roulaient en cascade sur ses joues pour se mêler aux mille perles de pluie qui trempaient et ornaient désormais sa fourrure de sable et d'écume, la belle lieutenante n'avait pas immédiatement remarqué la présence silencieuse qui l'observait, pondérant sans doute de l'éventualité de la rejoindre, pour partager le deuil, la peine et les hommages. Non, Museau Bleu n'avait pas remarqué le jeune mâle qui l'observait, elle, sangloter sur la tombe de l'amie à qui elle devait tant; et elle ne pouvait pas deviner le cataclysme et le torrent de doutes qui venait de frapper ce jeune chat, un des innombrables enfants d'Eau Turquoise - et un des siens. Si elle avait su, bien sûr, elle n'en aurait rien dit; mais quand elle entendit une petite voix s'élever derrière elle pour balbutier un mot, avec incrédulité, son cœur manqua un battement, puis se serra. Avec une pensée aux Étoiles, implorant le nouvel astre d'une jolie constellation de lui venir en aide, elle se retourna vers Fierté du Blaireau, la gorge nouée. Ils avaient fini, alors, de fuir la vérité ? Bouleversée, Museau Bleu réalisa que, malgré tous ses souhaits d'un jour leur dire, même si elle ne gardait ce secret que pour les protéger, elle aurait peut-être préféré qu'il poursuive sa vie, continue de l'ignorer. Tout plutôt que cette perdition sur le visage du chat bicolore, et dans ses grands yeux bleus. Tout plutôt que le séisme qui, elle le voyait, ébranlait les fondations mêmes du monde de son fils.

« Q- ... Quoi ... ?? »

Il rit. Un rire jaune, pour celui qui allait en voir de toutes les couleurs.
Museau Bleu, la gorge nouée, l'observa, avec des yeux océans de tristesse.
Elle ne disait pas ce genre de choses pour se moquer, ou rire de leur peine.
La vétérane aussi portait le deuil. Et plutôt que le cœur à rire, elle l'avait à pleurer.

« Tu rigoles, hein ... Pas vrai ?? »

C'était presque drôle, comme il n'avait jamais su cacher ses ressentis.
S'il avait voulu mentir, il se serait trahi; en cela, son fils valait mieux qu'elle.
Lui, au moins, est sincère, murmurait le serpent dans le secret de son cœur.
Museau Bleu pouvait lire la panique dans ses yeux, en laissant le plus jeune comprendre.
Additionner deux et deux. Réaliser la vérité éclatante cachée depuis si longtemps à tous.
Les taches de Nuage de Méduse et Nuage d'Ambroisie. La marque sur le nez. La carrure.
Même les talents de la seule fille de la portée, bonne nageuse, piètre chasseuse.
Il y avait bien des indices, pour qui réfléchissait, et qui voulait les voir.
Figée, la belle dame vit son fils vaciller, comme ses certitudes.
Il s'assit lourdement, puis croisa ses yeux verts, pierres précieuses.
Les pierres de jade étaient embrumées de regrets et de larmes.
Et Fierté du Blaireau... Il était guerrier, mais à cet instant
Désemparé, il n'était plus rien d'autre qu'un enfant.
Et ce constat brisa le cœur de sa maman de sang.

« Non non non non ... C'est faux, c'est pas vrai ... »

Tentant de calmer son cœur dont le rythme semblait vouloir rattraper les battements perdus, à présent, la lieutenante vint s'asseoir face à son fils, instaurant malgré tout un peu de distance; aucun ne se soucia de la pluie. Elle inspira alors profondément, laissant quelques gouttes s'accrocher à ses cils, sentant le goût salé d'une perle qui s'arrêta à la commissure de ses lèvres - l'enfant ne devinerait pas, mais elle savait bien qu'elle ne pouvait se mentir à elle-même et accuser l'averse: elle pleurait. Une autre inspiration. Reprendre une voix plus posée. Quoique ténue, au moins, elle ne tremblerait plus. Et malgré tout, quand la princesse de la rivière posa finalement la question fatidique, lançant une discussion qu'elle n'avait absolument pas envie d'avoir à cet instant - non pas qu'elle ait le choix -, elle était plus fragile qu'elle ne l'avait jamais été auparavant. Tout simplement parce que, pour la première fois, toute affection avait déserté les yeux de son enfant.

« Qu'est-ce que tu as eu le temps d'entendre, Fierté du Blaireau ? »

Elle pleurait, et le ciel, muet, pleurait avec elle.

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MessageSujet: Re: Le ciel pleurait avec elle ~ ft Blaireau, Méduse... -abandon   Le ciel pleurait avec elle ~ ft Blaireau, Méduse... -abandon Empty13.01.19 20:45

La jolie femelle aux couleurs pastels pleurait ... Pleurait pour diverses raisons dont Fierté du Blaireau ne se doutait pas. Elle pleurait pour Eau Turquoise, pour ses tourments personnels, et surtout, en voyant cette mine effroyable venant de son fils, son propre fils. Il n'y avait plus de Madame Bleue, plus d'amie de la famille. Simplement une mère perdue et qui avait perdu son fils.

« Qu'est-ce que tu as eu le temps d'entendre, Fierté du Blaireau ? » demanda-t-elle, tout en connaissant la réponse.

La lèvre inférieure du félin bicolore se mourra dans sa gueule. Il était désemparé, et surtout il ne comprenait pas cette question. Elle savait, alors pourquoi ? Elle voulait se rassurer, savoir que son secret était bien conservé et le serait pour toujours, pas vrai ? Il serra les crocs, déterminé à ne pas se voiler la face.

« Tu veux rire, pas vrai ?? Tu sais très bien ce que j'ai entendu. »

Il la fixa, partagé entre la tristesse et la colère. Un duel émotionnel se passait en son sein, un duel qui prenait bien plus d'ampleur qu'on pouvait le penser. Il se sentait trahi, abattu, ne sachant choisir entre se battre contre cette réalité des choses ou ... Tout laisser tomber. Après tout, ne serait-ce pas ce qu'il y avait de mieux ? Toute sa prétendue famille lui avait ouvertement menti, depuis sa naissance.

Le guerrier fixa le sol, jugeant que Museau Bleu n'avait plus besoin d'un seul regard de sa part. Elle ne méritait plus son regard bleuté, parce qu'elle lui avait menti : parce qu'elle était sa mère. Mais pourtant, la colère le poussa à aller se confronter à celle qui lui avait donné la vie, il s'approcha donc d'elle, suffisamment proche pour qu'elle sente son souffle rempli de reproches.

« TU m'as abandonné ! TU NOUS as abandonné !! Comment-... comment tu as pu ? »

Puis il se remémora ces nuits passées en compagnie de la rivière, ayant pour seul but de se confier, de libérer des émotions au plus profond de son être. Qu'il avait apprécié ces moments, où il se sentait comme un enfant comblé, où on lui disait qu'il était gentil et que tout irait bien. Maintenant, ces moments ... Ils avaient un goût amer, un sale arrière-goût qui ne voulait plus jamais partir.

Et c'est ainsi que la colère céda fasse à la tristesse.

« JE TE HAIS, toi, ET TES FOUTUES LEÇONS SUR LA FAMILLE ! » hurla-t-il.

Pourtant, ces mots sonnaient faux.
Madame Bleue était toujours là, enfouie dans son manteau de poils, dans son cœur devenu si fragile. Il l'aimait comme un fils, mais l'esprit avait remporté la bataille face au cœur.

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MessageSujet: Re: Le ciel pleurait avec elle ~ ft Blaireau, Méduse... -abandon   Le ciel pleurait avec elle ~ ft Blaireau, Méduse... -abandon Empty13.01.19 23:07

La mer dans les yeux de son enfant, la muse de la rivière la connaissait bien: elle en connaissait les vagues, l'écume, les murmures, les secrets, les remous, elle en lisait les trésors de barrières de corails, de perles, sans un effort, elle en perçait les profondeurs, en cernait les récifs; elle connaissait les dangers, les courants, les mauvais temps, aussi. Mais cet océan-là... Il était plus agité, plus tempétueux que tous les autres - il n'était que tristesse, perdition, reproche et colère. Hostilité, aussi; la même hostilité qui, mordante, planta ses crocs dans la gorge de la reine des eaux, pour un instant lui voler sa voix de sirène, et planta ses griffes dans son cœur, par les mots du jeune chat.

« Tu veux rire, pas vrai ?? Tu sais très bien ce que j'ai entendu. »

Considérant que tu m'as prise par surprise, non, pas forcément.
Mais à ton attitude... Tu as trop entendu pour ne pas comprendre.
Entendu davantage que tu l'aurais souhaité, et moi aussi, d'ailleurs.
Mais il n'y a pas de retour en arrière, désormais... Pauvre enfant.

Quand Fierté du Blaireau baissa les yeux vers le sol pour éviter le regard jade de celle qui lui avait donné la vie, même s'il ne l'apprenait qu'aujourd'hui, celle-ci sentit son cœur de mère se fissurer un peu plus, contemplant ce petit pour qui elle aurait tout sacrifié, jusqu'à sa propre loyauté, juste pour le protéger. Comme son frère, comme sa sœur, d'ailleurs. Comme elle les aimait ! Comme elle s'en voulait ! Son cœur se serra de tristesse, avant que son fils - elle n'avait jamais eu le droit d'utiliser ce mot, et pourtant, oui, il était son fils, celui qui tremblait comme un chaton, au moins aussi perdu à présent que même son royaume de pouponnière était remis en question, petit roi -, avant que son fils, donc, ne s'approche d'elle pour lui souffler quelques mots, d'une voix vibrante de reproches. Elle reçut les phrases debout, de face, et en pleine poitrine.

« TU m'as abandonné ! TU NOUS as abandonné !! Comment-... comment tu as pu ? »


L'ancienne amie d'Étoile du Corbeau, puis d'Eau Turquoise au fil du secret, aurait voulu pleurer, mais elle n'avait guère plus d'autres larmes à verser; alors son visage retrouva quelque peu son calme un peu triste et un peu nostalgique, cachant ses tourments et les frêles morceaux de son cœur de cristal qui, comme mille fragments d'arc-en-ciel, de souvenirs, d'amour et de glace, se muaient en gouttelettes et en poussières d'étoiles pour une âme détruite, et muette de détresse. Comment elle avait pu ? Il ne pouvait pas le savoir, bien sûr, mais elle... Comment aurait-elle pu un jour l'oublier ? La question du guerrier amena à la vétérane une vision du passé, unique, et aussi sublime qu'elle était douloureuse.

Elle se trouvait hors du camp, en compagnie d'Eau Turquoise, au moment de la mise bas, les deux reines, unies par leur secret, le dissimulant dans leurs cœurs, leurs esprits, et dans les longs poils beiges et bleutés de celle qui avait fait la plus belle des erreurs. Comme elle aimait déjà ces petits, qu'elle sentait bouger en elle ! Mais plus le terme approchait, plus une certitude se formulait, entre elles: Museau Bleu devrait renoncer aux petits, comme elle en avait émis l'idée, pour les protéger; Eau Turquoise prendrait soin d'eux... Elles se trouvaient hors du camp, quand les minuscules boules de poils avaient voulu voir le jour, prendre leur première inspiration, sentir l'air frais, l'odeur du lait, quitter ce corps pour le monde du dehors, et découvrir la vie qui commençait, comme une nouvelle floraison extraordinaire et inespérée; et c'était seule que Museau Bleu avait du mettre au monde ces trois petits - seule, avec la compagnie de son amie, bien sûr. Mais seule, sans Étoile du Corbeau, le père des chatons - qu'elle maudissait intérieurement parfois - et sans l'aide de Nuage des Ruisseaux, leur apprenti guérisseur - qui ne savait, ne saurait jamais son secret. Et face aux trois nouveaux-nés, c'était seule encore, hors du camp, qu'elle avait du faire son choix. Le choix de leur prodiguer un dernier câlin, un dernier coup de langue, de sécher ses larmes, museler l'affection débordante et l'amour infini qui s'exprimaient en elle, et de demander à Eau Turquoise, à nouveau, le regard rempli d'excuses face à la faveur qui se formulait là, trois silhouettes contre son ventre et une boule dans la gorge:

« Tu veux bien prendre soin d'eux ? »
« Comme de mes propres enfants. »

Le regard de l'autre reine était infini de douceur et d'amour. C'était ce regard, et les mots de son amie, qui avaient décidé la muse, ce jour-là; les trois petits seraient aimés, chéris, tendrement, et protégés. Elle pourrait n'être que madame Bleue, pour eux, comme la nommerait un jour l'un des deux petits mâles blottis près de son flanc. Mais pour leur bien... Il fallait renoncer. Elle ne ferait pas d'eux des enfants illégitimes d'un chef dont le règne n'avait pas laissé le meilleur souvenir. Elle ne ferait pas d'eux des enfants hors-mariage, ils ne paieraient pas de ses erreurs à elle. Alors elle avait hoché la tête, et après avoir offert à ses enfants leur nom et encore un peu d'amour, elles s'en étaient retournées vers le camp, où une ribambelle de chatons avait trouvé sa place dans le nid d'Eau Turquoise. Et là, les pattes tremblantes de fatigue ou de peine, la Muse avait été parler à Étoile de Pierre, pour tout lui révéler - ainsi que leur choix de reines. Dans le silence mourant de cette antre du meneur, où elle avait partagé un dernier moment avec Étoile du Corbeau, son successeur avait écouté, accepté - et il avait caché la confidence, précieusement. Elle ne l'en remercierait plus jamais...


Un cri de Fierté du Blaireau ramena la reine au présent, après un kaléidoscope de souvenirs, de fragments de rivière, de jeux, de confidences, de cadeaux, de ronrons, de sourires, d'inquiétudes, de larmes, de fous rires, d'acclamations, et de trois fourrures aux motifs si familiers, tant aimés. Un attrape-rêves où toutes les perles se nommaient Blaireau, Méduse et Ambroisie, simplement. Et tout menait à ce cri. Museau Bleu l'encaissa, comme le reste - on ne brise pas un cœur déjà brisé... Alors pourquoi ça faisait si mal ?

« JE TE HAIS, toi, ET TES FOUTUES LEÇONS SUR LA FAMILLE ! »

Calmer sa voix et ses émotions.
S'assurer de paraître posée, forte.
Maîtriser le nouveau sanglot naissant.
Et prier Eau Turquoise pour l'aide d'une étoile.
S'il te plaît, aide-le quand je ne le pourrai pas.
Parce qu'au fond, elle savait qu'il la rejetterait.
C'était dans sa nature, son caractère.
Flamboyant, comme son Émeraude.
Trop pour pardonner tout de suite.

En réalité, pardonnerait-il un jour ?

« Je ne t'ai pas abandonné. » souffla-t-elle doucement, comme un chant d'amour.
« J'ai été là, à chaque étape. Pour jouer avec toi, pour t'écouter, pour te protéger.
Même de loin. J'ai été là comme je le pouvais, pour toi, pour Ambroisie, et pour Méduse.
Avec l'aide des rares qui savaient. J'ai été l'amie de la famille, et la mentor de ta sœur.
J'ai pris le seul rôle auquel j'avais droit, et l'abandon dont tu parles, ce choix...
Tu peux bien me le reprocher: je l'ai fait pour toi. 
»

Il n'apprécierait probablement pas cette phrase, mais c'était vrai.

« Je t'ai offert une famille, auprès d'Eau Turquoise.
Une enfance où tu ne serais pas jugé pour mes choix.
Une enfance où tu ne serais pas un enfant illégitime.
Une enfance loin des préjugés sur les chatons hors mariage.
Et elle t'a aimé, toujours. Mes leçons sur la famille...
Elle t'a aimé comme son fils, elle a été ta maman.
Et moi, depuis les ombres, j'ai veillé. Sur toi, sur vous.
»

Une grande inspiration, enfin, un regard fugace comme un battement d'ailes, vers le ciel:

« Comment j'ai pu, Fierté du Blaireau ?
Je m'en suis voulu chaque jour depuis.
Juge moi; je ne peux pas dire que je ne regrette pas.
Mais si c'était à refaire, je le referais cent fois.
»

Parce que je t'aime.
Pour toujours.

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