Flurry [feat. Nuage de Braise] - end

Il ne se rendit compte de la pesanteur sur son dos que par le tranchant du bout de ses griffes - elles réveillèrent sur lui une constellation de petits points sur sa peau dessous son poil mais le choc qui lui prit ne tirait pas sa souche de la douleur, à proprement parler...

Sans se rendre compte qu'il était transi de froid, la bouffée de chaleur qui lui prit lorsque sa fille lova son corps au sien ne fit qu'amplifier son confort et la vibration de son ronron. À l'insu de Coup de Foudre, qui était occupé à subir des fourmillements de son échine à sa queue, Braise y allait à deux pattes maintenant autant pour poursuivre l'expérience que pour les réchauffer contre lui. Elle devait se concentrer autant sur l'expérience, qui était physique, que sur leur discussion, qui était vocale, et elle failli interrompre la première rien que pour réussir la seconde:

— « J'en... sais rien? Il dénota une hésitation dans sa voix, comme quoi ses mots sortaient sans la moindre réflexion.

Il mord pas très fort, hein, quand même, ça reste Bec!

Elle eut un rire en s'entendant elle-même parler, en s'imaginant après quoi un Bec capable de la mordre elle, et Coup de Foudre la rejoint à petits ricanements - ni trop forts pour ne pas être interprété comme condescendant, ni trop doux pour ne pas invalider Braise et sa blague.

— Mais des fois il me donne trop d'amour et ça fait mal!
— Ha hah, je vois! Il répondit avec le même entrain, je crois que je commence à comprendre...

Mais avant toute chose, il roula ses épaules, aplatit son menton dans la neige avant de le frotter contre sa patte, à côté, puis il releva sa tête et la tourna derrière pour en voir où était sa fille. Sur son menton dégoulinaient les flocons mais il ne semblait pas s'en soucier:

— Ça vient oui?

C'est qu'une de ses oreilles se pivota vers l'arrière en se rendant compte que Braise, derrière, en était rendue à presque s'arc-bouter sur lui, histoire de peser tout son poids dans son d -- Oh. »

Braise ôta ses pattes et les fit retomber dans la neige en descendant, suscitant un petit hoquet de stupeur au bengale qui agita sa queue d'un côté comme de l'autre, tendue, avant de vite la recourber à ses pattes. Se libérer du poids qui le pesait lui fit faire le mouvement inverse, c'est à dire qu'au lieu de se laisser écraser il se hissa assit pour regarder de haut la petite apprentie qui ne suivait rien du tout. Rendu perplexe par sa perplexité, Coup de Foudre comprit après coup qu'il se calquait trop à elle, aussi il prit la peine de lentement se dissocier.

— Qu'est-ce qui vient? Elle demanda, le prenant au pied de la lettre. On attend de la visite?

Ce n'était pas facile d'admettre que sa fille, chair de sa chair, ne possédait pas la même éloquence que lui ou son frère Bec, ou le même sens de l'observation que leur frère Roux. Il voulut tiquer mais c'est à contre-coeur qu'il se reconnut chez Braise, chat perdu dans une mer sensorielle sans guide ni carte pour le mener à destination.

— Non, Braise, il répondit donc. On faisait une expérience, tu te rappelles? D'abord, je testais ta rapidité à éprouver de la douleur. Ensuite, tu testais la mienne.

─ « ... Ah, d'accord. Braise acquiesça qu'elle avait entendu ce qu'il avait dit, mais entendre n'était pas comprendre:

Et maintenant? ... J'ai réussi?

Bien qu'il tiqua de la commissure, Coup de Foudre s'interdit de se laisser décourager. Il secoua la tête pour aider à nouveau Braise à marcher le même chemin de pensée que lui, veillant à ramener son attention sur ce qu'ils faisaient:

─ Ce n'est pas une question de réussite, il lui expliqua, mais de déduction à l'aide des résultats obtenus pendant l'expérience. Avec ce que j'ai vu, j'en déduis que tu as mal très vite, et à l'inverse, ou bien j'ai une haute tolérance à la douleur, ou bien je ne la ressens pas...

Bien qu'en temps normal il aurait trouvé ce revirement amusant, il semblait cette fois que quelque chose clochait trop pour en rire. Il se ressassa ses nouvelles découvertes à demi-voix: La neige te fait mal très vite, mon poids sur toi te fait mal très vite... C'est lui qui se laissa distraire, levant le nez tout en cillant lorsqu'un ou deux flocons lui tombèrent dessus (c'est qu'il les oubliait, pour la raison qu'il avait donnée). C'était la première Saison des Neiges de Braise - et de tous ses enfants en fait - et de découvrir que le froid de la neige était une sensation si intense qu'elle lui faisait mal, il ne put s'empêcher de pousser la réflexion plus loin:

─ « Nkt- ça peut devenir un problème, si tu décides de te battre, ou si quelqu'un t'attaques, ou si tu décides d'avoir des relations sexuelles...

Il n'avait vraiment réagi à son contact qu'en ressentant le doux pincement du tranchant de ses griffes dans sa peau - il aimait la douleur et ce qu'elle pouvait signifier, il trouvait donc dommage qu'à la lumière de ces nouvelles circonstances, Braise ne doive peut-être s'en passer?...

En sortant de ses réflexions il se rendit compte que Braise... sautait. Elle sautait, comme un jeune faon, dans la neige, sans autre explication que la neige lui faisait mal aux coussinets. Et ses oreilles s'abaissèrent un peu face à cette constatation. Il n'y avait pas que l'hypersensibilité, il y avait aussi - et il plissa les paupières - il y avait aussi tout le reste... Mais elle eut au moins la décence de l'écouter, de lui donner un peu de son attention volatile pour se concentrer sur ce qu'il disait, et tenter elle-même de tirer des conclusions quant à l'allure que prenait son avenir après la conscience de ces résultats.

— « Pourquoi c'est un problème? .... Si je me bats pas, c'est pas un problème, c'est ça? Se battre c'est méchant de toute façon.

Elle se gratta une oreille de la patte, et il fut tenté d'en faire de même, mais il se contenta de s'immobiliser, assit, pour sourire à Braise qui évoquait une opinion semblable à la sienne.

— « Et les relations sec-sen-sensationnels c'est méchant ça aussi?
— --Sensationnelles! Coup de Foudre éclata de rire. Tu veux rire, Chêne Argenté ne t'as jamais appris ce que c'est?

D'où viennent les bébés??

Pourquoi certains chats miaulent très fort la nuit???

Satanée reine revêche - il comprenait Roux de lui en vouloir de les avoir négligés lorsqu'ils étaient chatons, il aurait du se charger de les éduquer! Quel gaspillage de potentiel - et cette pensée lui arracha un petit rire intérieur, en se rendant compte à quel point il ne pensait plus la même chose de ses enfants. Il n'aurait pas battu un cil si l'un d'eux était mort d'on ne sait quoi dans leur enfance, car il n'y avait aucune attache. Mais depuis qu'il tentait de se rapprocher d'eux, de les rencontrer comme des individus à part entière, de les voir non pas en tant qu'insectes mais en tant que chats il regrettait presque de ne pas l'avoir fait plus tôt. Et maintenant il était là à essayer de rattraper le temps perdu, de faire de Braise son sujet d'observation, d'écouter sa façon de formuler ses phrases, de déceler tout ce qui pouvait être caché à son insu.

— C'est facile! Ah, quand même! Les chats miaulent la nuit parce qu'ils sont perdus! Et les bébés viennent du ventre des reines de la pouponnière!!! ...Ah, quand même.

...Décidément.

Le bengal avait sa patte dans la face, cherchant à taire ses petits hoquets d'un rire dérisoire à l'entente de cette explication. Vraiment, Chêne Argenté allait payer toute cette désinformation. Par où commencer? La question se réverbéra dans son esprit. Par où commencer... il devait marcher le sentier de la réflexion avec Nuage de Braise pour la faire arriver à la bonne conclusion. Elle ne s'y rendrait pas toute seule, il ne pouvait pas se contenter d'assumer. Compris? Aucune péconception. Trouver la racine de l'idée et la déterrer ensemble.

Alors tout d'abord, il concéda:

— .............. D'accord, les bébés viennent du ventre des reines, là-dessus il ne pouvait pas la contredire, mais qui a mit les bébés dans leurs ventres?

Il se retint un autre rire car il avait l'impression qu'on ouvrait leur ventre à ces pauvre reines pour leur implanter des chatons, comme certains insectes qui pondaient directement leurs oeufs dans les carcasses-à-en-devenir des mâles. Il cilla - assez discrètement pour ne pas distraire sa fille avec une expression de plus à déchiffrer. C'est que ses réflexions s'étaient légèrement écartées du sujet, pendant un moment...!