Action ou Vérité ? | Fifou - abandon

« T-tu as trop d'émotions pour moi... Je ne comprends pas ce que tu veux... »

Deuxième rupture, deuxième frisson qui parcourut le dos du rouquin. Son cœur dans le médiastin se serra, se serra si fort, et ses dents.. Elles se serrèrent pour ravaler son chagrin, pour faire reculer la boule de haine qui baignait dans sa gorge. Ils étaient si différents. Ils étaient beaucoup trop différents pour se comprendre, et il fallait que l'apprenti se fasse à l'idée que jamais, ô grand jamais, il n'allait pouvoir aimer quelqu'un comme un père. Le pire échec qu'il allait devoir encaisser depuis sa naissance.

« Tu veux que je me justifies? Mais tu me reproches de le faire. Tu es fâché. Tu es triste. Tu es vexé? Tu te sens trahi. Mais on ne se parle pas depuis longtemps. Je ne connais pas tes plans. Je ne sais pas si tu as cherché à te rapprocher de moi pour ensuite te venger de ce que je t'ai fait subir enfant. C'est plausible. C'est une possibilité. C'est toujours ce à quoi je pense - avec tout le monde. Qu'est-ce qui te rend différent. Qu'est-ce que je pourrais ficeller comme explication qui puisse te satisfaire. Nuit Hivernale détestait sa vie ici et voulait de toute manière quitter le clan? Fifi et Moi voulions la libérer de l'emprise des Étoiles sur elle?
Que je trouvais logique d'offrir à ces nouveaux chatons la présence que je vous ai refusée? Je ne comprends pas, je croyais que tu serais fier de moi. "Bravo, Fifou, tu t'améliores". »

A chaque phrase il s'en prenait plein la gueule, des gifles, des baffes, des flèches lui transperçaient le cœur. Sa déception était à la hauteur de ce qu'il avait tant voulu. Il avait visé beaucoup trop haut, quelqu'un comme Coup de Foudre ne pouvait pas comprendre quelqu'un comme Nuage Roux, et vice versa. Le fossé qui séparait les deux mâles était gigantesque. Roux avait pensé bien faire en le rebouchant petit à petit, mais en fait, il l'avait fait dans le vide. Il enroula sa queue autour de ses pattes et fixa le sol, regardant le camp de loin. Pourquoi était-il venu au monde si c'était pour souffrir ainsi ? Chaque bout de phrase était un supplice à entendre. Au fond de lui, il savait déjà que le petit chat roux pleurait à chaudes larmes, et qu'il se faisait du mal, comme Bec s'était fait cette nuit là.

« Ugh ... ... Faire semblant d'être comme vous est tellement... »

« fatiguant »

Fatiguant. Fatiguant.. Fatiguant ? Il était fatigant ? Immédiatement Roux se mit à respirer fort, à transpirer, sentant son rythme cardiaque s'emballer. Il se leva d'un coup, se mit à rigoler, lorsqu'il sentit les larmes lui mouiller les joues. Il cessa deux secondes, son sourire s'estompa pour faire face à la stupeur, l'horreur, il pleurait réellement ? Cette personne qu'il admirait tant, était-elle responsable de ces larmes ? Il hurla d'un coup, si fort qu'il entendent les oiseaux non loin décamper des arbres. Il s'emballa et se mit à avancer rapidement vers le bengal, avec une forte envie de lui renvoyer la gifle physiquement, que lui, lui avait envoyé verbalement en amont.

Mais, il se stoppa à quelques centimètres de son visage. Il avait grandi. Bientôt, ils faisaient la même taille. Alors, c'était simplement lui qui venait de le faire pleurer ?

« Fatiguant ?? » Il répéta, comme fou, le visage trempé par les larmes. Il leva la patta rapidement avant de stopper net son mouvement. « FATIGUANT ? » Il se retourna et fonça droit vers le tronc de l'arbre avant de s'y enfoncer le crane. Il défonça l'écorce de ses griffes tout en répétant le mot ''fatiguant'' qui avait fait déborder le vase. Puis, comme si le bengal était en fait l'arbre, il se défoula sur lui. Lui parlant comme si c'était vraiment lui. Avec le sang qui coulait de son front dû au choc contre le tronc.
« Je suis fatigant ? Qui est fatigant ? Nous ? Parce que tu dois faire semblant ? Mais, MAIS ?! Le fatigué ? C'est qui ? QUI ? » Il se retourna violemment vers le bengal.

« BAH ARRETE ET TU SERAS MOINS FATIGUE ?! »

Il se remit à défoncer l'écorce mécaniquement, certaines de ses griffes finirent par céder et quelques gouttelettes de sang jaillirent sur ses pattes normalement toujours propres.

« Moi ? Moi je suis pas fatigué ? J'ai l'air d'être fatigué ? POURQUOI JE SERAIS FATIGUE ? Moi je suis pas fatigué, je suis pas fatigué, non je suis USE ! C'est vrai ça, voilà, je suis usé ! USE PAR VOUS TOUS »

Il hurla en direction du camp. Ses yeux étaient écarquillés comme jamais.

« Et.. »

Il colla son front contre le tronc, la bouche près de l'arbre, et se mit à hurler une dernière fois.

« Bravo Fifou, tu t'améliores. » Il le dit en pleurant, face contre le tronc, comme un chaton qui pleurait pour la première fois. Pourtant, il voulait vraiment y croire, à cette phrase.

"Il n'eut aucun geste depuis la haute branche de l'arbre où il était couché pour stopper le spectacle devant. Pas même un tic dans le visage, ou dans l'oreille, ou dans la queue. Il regardait en silence le chaton galoper dans la neige fondante, avec soudain un renard à ses trousses. "
░░░
Il n'eut aucun geste depuis sa position dans l'arbre pour stopper l'apprenti qui se rua sur lui. Pas même un tic dans le visage, ou dans l'oreille, ou dans la queue. Il regarda en silence le poil de Nuage Roux fendre l'air en projetant ses griffes vers ses yeux avant de le voir se stopper, rentrant le nez à une petite gifle de vent. L'apprenti bifurqua brusquement pour déverser toute sa rage contre le tronc montant de l'arbre voisin à leur branche. Coup de Foudre l'entendit crier :

Fatiguant ??

FATIGUANT ?

L'écho de ses cris aurait bien pu alerter quelques patrouilles mais il en fit fi, observant les larmes qui coulaient des yeux de son fils. Il débordait d'énergie, de rancoeur, de tristesse, il débordait du vide là où il avait besoin d'amour et à soutenir toute sa fratrie il n'avait personne pour le soutenir lui. Un copeau de bois vola - puis un second, et d'un élan de tout son rachis l'apprenti alla donner un superbe coup de boule dans l'écorce, s'ouvrant le front d'un plaie qui aurait pu paraître invisible dans le roux à son poil.

— « Je suis fatigant ? Roux prenait toujours tout sur ses épaules - même ce que Coup de Foudre ressentait. Il parut s'en rendre compte car il s'interrogea ensuite : Qui est fatigant ? Nous ? Parce que tu dois faire semblant ? Mais, MAIS ?! Le fatigué ? C'est qui ? QUI ? »

C'était Coup de Foudre. C'était Coup de Foudre qui était fatigué - il avait goûté aux bonheurs de l'amitié dans le Clan mais chacun s'était violemment retourné contre lui - cela allait de soi, pour lui, de se méfier même de son fils.

— « BAH ARRÊTE ET TU SERAS MOINS FATIGUE ?! »

Ce n'était pas si simple, et dans sa débandade l'apprenti semblait s'en rendre compte, griffant et griffant l'écorce jusqu'à se coller les pattes dans de la sève. Les coups étaient plus mous cette fois - moins vigoureux. Roux vivait une détresse que Coup de Foudre comprenait mais à laquelle il ne pouvait répondre. Il s'était assit, cependant, le dos droit et la carrure sans défaut, et dans l'oeil aucune trace de jugement ou de condamnation. Que l'analyse de l'espace et des mouvements et des actions qui le modifiaient.

— « Moi ? Moi je suis pas fatigué ? J'ai l'air d'être fatigué ? POURQUOI JE SERAIS FATIGUÉ ? Moi je suis pas fatigué, je suis pas fatigué, non je suis USÉ ! C'est vrai ça, voilà, je suis usé ! Roux sentait qu'on se servait de lui. Il avait bien raison. Il hurla en direction du campement jusqu'à s'en enrouer la gorge:

USÉ PAR VOUS TOUS »

Et l'air lui manqua, et l'énergie aussi, et toute sa furie qui avait levé ses poils et qui avait porté ses coups s'étaient comme amenuisée, éteinte comme flammèche au vent - et Coup de Foudre se rappela bien cette nuit d'hiver, au Cirque, avec "Petit Serpent", près d'un tonneau où le feu brûlait à s'amuser à le faire propager sur des détritus et à se les lancer. Roux n'était plus aussi Roux - il était brun, grisé, noirci par la peine en collant son front à l'écorce, les oreilles basses, geignant, tout bas, avant d'enfin céder à des pleurs, à des sanglots, qui secouèrent ses épaules de petits sursauts saccadés.

« Bravo Fifou, tu t'améliores. »

On entendit la branche grincer - c'est car le bengal avait mit tout son poids dans une patte afin de se hisser sur les quatre.

Comme s'il répondait à un programme, à des mots magiques, il s'avança, en silence, feutrant ses pas pour s'approcher de l'apprenti le nez contre le tronc. Et tout doucement, et tout en regardant ailleurs surtout, il glissa sa queue à son jarret mais trouvant vite le contact déplacé il la retira pour plutôt aller lui effleurer sa queue fournie et rayée. Elles n'avaient pas la même forme - Roux ressemblait plus à Raton-Laveur qu'à son géniteur, mais il était de sa famille. Bien que le mot "famille" ne signifiait pas la même chose pour Coup de Foudre que pour autrui (comme le mot "ami"...) il savait qu'il comptait beaucoup pour Roux. Alors après observation, après avoir compilé les données, il posa à l'apprenti la question que ce-dernier semblait brûler d'entendre:

— ... ...Tu vas bien, Nuage Roux?

S'attendant à le voir tourner la tête, il abaissa légèrement la sienne, les yeux comme meurtris par toutes ces émotions volatiles qui le rendaient plus mal-à-l'aise qu'autre chose. Il lui fit aussi un sourire - l'ombre d'un sourire, pour l'encourager. Ce n'était pas parce-qu'il devait faire semblant de sourire que l'envie de l'encourager n'était pas réelle. Ce n'était pas parce-qu'il devait forcer l'inflexion dans son interrogation qu'il se forçait à poser la question.

Il ajouta:

— Si tu as besoin de pleurer, ne te retiens pas.   Ne t'en fais pas, je vais attendre... Il cessa de le regarder, comme pour lui laisser son intimité, mais sa queue cherchait un contact plus soutenu, comme quoi même s'il était psychologiquement distant, il était encore là, physiquement.

La tête collée au tronc, les yeux mi-clos, les dents serrées, il sentait les quelques dernières larmes rouler sur ses joues déjà bien trop humides pour l'apprenti qu'il était. Quelqu'un qui voulait être fort pour sa famille, à toujours vouloir le bien des autres, il avait réussi à se rendre malheureux. Il ne pouvait pas en vouloir à Coup de Foudre, c'était lui qui avait fauté il avait mal calculé son coup. Et maintenant il était là, à passer pour un fou, à se cogner la tête contre un arbre qui n'avait certainement rien demandé, à faire peur aux oiseaux, et à crier envers son clan qui ne lui avait jamais rien fait. Enfin si, certains membres du clan l'avaient certainement jugé, fils de l'ancienne meneuse du Tonnerre qui avait fichue la forêt en l'air. Mais ces personnes avaient eu raison de le juger, il ne valait peut-être pas mieux qu'elle, car finalement tout partait en cacahuète autour de lui.

Roux sursauta en sentant la queue du bengal effleurer la sienne. Le guerrier ne devait pas s'attendre à voir le rouquin sortir autant de sa zone de confort, le pauvre qui d'habitude gardait tout son sérieux et son calme, même dans les situations les plus inconfortables. Un grand silence s'installa, jusqu'à ce que Coup de Foudre perça l'abcès.

« Tu vas bien, Nuage Roux? »

Est-ce qu'il allait bien ? Il se le demandait vraiment, en retrouvant son calme, il se rendit compte de la bêtise et de la colère qui l'avait envahie quelques secondes plus tôt. De tout le cinéma qu'il avait fait. Il venait de passer pour un gamin pourri gâté, qui avait attendu, attendu encore et encore pour espérer obtenir ce qu'il souhaitait, et c'est quand il comprit qu'il n'allait jamais pouvoir l'avoir, décida de crier trop fort et trop tard.

« Si tu as besoin de pleurer, ne te retiens pas. Ne t'en fais pas, je vais attendre... »

Nuage Roux resta muet un instant, les yeux rivés sur l'écorce qui s'était faite déchiquetée par ses griffes. Il n'aurait jamais pensé avoir eu besoin de pleurer un jour, et pourtant. Maintenant il se sentait honteux. Alors après plusieurs lourdes secondes à supporter pour le rouquin. Il décolla son visage et resta les yeux rivés vers le sol avant de reculer, sans regarder le bengal toutefois, surement de peur de croiser son regard pour continuer à être déçu. Il devait passer outre, c'était mieux pour lui, et certainement pour Coup de Foudre qui n'avait jamais rien demandé. Il se rassit plus loin, et se mit à lécher ses pattes, sa queue, comme si de rien n'était. Comme pour dire « Tu n'as rien vu, il ne s'est rien passé, ce n'était pas moi. » Mais c'était bel et bien lui qui avait crié et pleuré comme ça.

« J--jje vais bien. » dit-il doucement tout en se léchant, les muscles encore contractés. « Je n'ai pas besoin de pleurer, c'était idiot, j'ai déraillé. Je n'ai pas à te faire subir tout ça et à te faire perdre ton temps. Je m'en excuse. Je suis un peu égoïste visiblement. » Maintenant il allait devoir faire avec. Il voulu sourire, mais son visage resta figé.

Même lorsque Roux se distança du tronc voisin la queue de Coup de Foudre suivit le bout de la sienne, allant même jusqu'à se reculer d'un pas pour ne rien perdre de son contact, s'asseyant sagement ensuite.

Il entendit ses sanglots, il l'entendit les ravaler, il entendit, dans la voix de Nuage Roux, tout les efforts de ce-dernier pour tenter d'articuler au travers d'une bouche pâteuse d'amylase:

— « J--jje vais bien.

Dans un voeu de contrôle, Roux se pencha pour se donner un coup de langue, réapplatissant son poil qui s'était hérrissé, hirsute, sur sa figure respectable de non plus un chaton, mais de chat.

— « Je n'ai pas besoin de pleurer, c'était idiot, j'ai déraillé. Je n'ai pas à te faire subir tout ça et à te faire perdre ton temps. Je m'en excuse. Je suis un peu égoïste visiblement.

— « C'est faux, Roux. Pleurer est primordial à une bonne santé psychologique. C'est le méchanisme qui permet de se soulager après avoir subi une grande souffrance - physique ou non.

Il n'y a pas de honte à pleurer. La vraie honte vient de ceux qui intériorisent leur peine et la laissent germer jusqu'à ce qu'ils en perdent le contrôle. Cette souffrance-là est responsable de disputes, au début, puis croît jusqu'à causer des batailles et éventuellement des guerres.

Si Roux n'eut pas de sourire, lui en eut un, recourbant doucement sa queue contre la sienne, le dos toujours tourné en lui montrant l'arrière des arabesques de ses marbrures, ainsi que toutes les cicatrices qui marquaient son corps.

— Tu as vu?
Il tourna sa tête pour le regarder de biais, lui faisant voir l'ombre de sa bienveillance qui planait à ses babines.

Tu as révisé ta réaction.

Roux s'était rendu compte de son explosion, éprouvait de la honte d'être allé si loin, mais il avait retenu à ses griffes un coup fatal au visage de son père. Puis il s'était permis de reprendre son calme - il aurait pu partir, il aurait pu l'insulter, mais il était resté sur la même branche, près du bengal, comme si subconsciemment, il savait que le calme après la tempête leur permettrait peut-être de mieux se comprendre.