Vivre et laisser mourir - end

Rusty se gonfle. Physiquement je veux dire, il a l'air plus plein, de volonté et d'air et de déterminassion.
Il plaque le rat au sol pour l'empêcher de s'enfuir ( au cas où il serait pas déjà assez mort ), les crocs plongent dans la chair comme un poisson dans une rivière, et Rusty tire des filaments d'une viande dure qui veut pas quitter la carcasse du rat et puis clac, le lien rompt et Rusty avale tout dans un dans un grand bruit de glotte.

Il mâche même pas. C'est pas plus mal. Ca évite que le goût de dépérissassion se répand partout dans votre gueule. J'ouvre un oeil à cause qu'il faut faire gaffe quand même, à pas s'étouffer en mâchant pas. Un truc que je connais bien si vous voulez savoir.

Il recule, il laisse échapper un cri de dégoût et une toux-rire qui me rassure un peu.

— Tu l'as fait !!! je crie, beaucoup trop impressionné en bondissant sur mes pattes comme un gosse. ( ouaille)
— ^*tousse* C'est _*tousse*-- haha hahabsolument ^*toussse* dé-hé-gou-houhou _*tousse* tan-han-haaaant! ^*tousse*
— Mais t'as réussi ! je renchéris toujours scotché.

Sur ce, le rat part valdinguer dans les airs pour s'écraser à quelques centimètres de nous.

— On mange plus jamais de rat, t'as compris?!
— J'crois tu m'as passé l'envie ha ha ha harf—

Je ris aussi avant d'être coupé par deux pattes sur ma cage thoracique et le choc du sol.

— J'arrive pas à croire que tu m'as convainc de faire ça!
— Moi non plus. je dis. Mais c'était fun, hein ?

Et d'un coup le monde c'est juste ça : le soleil chaud d'une fin de journée, le rire d'un ami et des promesses pour demain.

Rusty recule. Je me lève te me secoue :

Tu les as méritées. Un pas vers lui. Mais est-ce que d'une certaine façon, ça a pas le même goût qu'un rat séché ?

Je plisse le nez en me rappelant l'odeur piquante des énormes croquettes pour chien, et vraiment croyez-moi, c'est des animaux morts que vous mettez tous ensemble, et bien secs.
Je me dirige vers la cabane et je continue :

La pâté ! Ca c'est bon. Et aussi les viandes des humains qui croustillent, et aussi quand leur poisson en boite dans son eau jaune, ça c'est un truc qu'il faut que tu goûtes...

Ils tombèrent contre le plancher de lattes de la cabane et Rusty sentit son dos se tendre comme une corde derrière lui en secouant la tête.

— Mais c'était fun, hein ?
— NON ! répondit Rusty dans un rire. Et il se recula, ouvrant l'espace au gros chat noir se se relever.

— Tu les as méritées.
— Un peu mon n'veu que j'les ais méritées!!

Trash s'approcha de lui, et Rusty se hissa aussitôt sur ses pattes comme si une nouvelle attaque (de jeu) s'ensuirait:

— Mais est-ce que d'une certaine façon, ça a pas le même goût qu'un rat séché ?
— Ça n'a pas le même goût qu'un rat séché et tu le sais!

Comme Trash était à portée de patte il lui envoya la sienne à nouveau, avant de s'accroupir le menton dans le cou et se retenir de tout régurgiter. Mieux valait changer les idées de sa bouche, sa tête se tourna vers la gamelle, qu'il rejoint d'un trot furtif, choppant des dents et d'un tir-de-tête la grive qui trônait au-dessus pour la jeter au sol et la tenir entre ses pattes.

— « La pâté ! Ca c'est bon. Et aussi les viandes des humains qui croustillent, et aussi quand leur poisson en boite dans son eau jaune, ça c'est un truc qu'il faut que tu goûtes...
— Non non et non! Y'a du poisson ici j'te rappelle, je l'ai pêché moi-même!

Tu m'as promis un sac de croquettes de toutes les couleurs, pas un poisson-d'eau-jaune! Et puis un sac, ça dure plus longtemps, comme ça si on manque un jour de chasse on peut se reposer un peu sur quelques croquettes tant qu'on ne l'engloutit pas d'un sheul coup....

La vie était... différente, dans la cabane à outils, auprès de Trash, son meilleur ami, mais Rusty ne l'aurait changée pour rien au monde. Certes tout ce qui lui venait de son foyer lui manquait - l'arbre de jeu où faire ses griffes, les armoires, le comptoir, la table où s'assoyait son humain les matins, les journées d'intempéries où il se couchait sur le dossier du canapé pour regarder le voisinage par la fenêtre, la toilette, le skatepark...

Mais ici il avait le loisir de pouvoir dormir tout contre quelqu'un lorsqu'il avait froid, la nuit, et Trash et lui s'entraidaient à la chasse, et même si Trash n'était pas très doué (comme son nom l'indiquait, il préférait plonger dans la poubelle des humains) sa contribution était toujours appréciée. Parfois - et il le disait à Trash - il aurait aimé présenter Ollie à Monsieur Toucan, ou alors il aurait aimé le guérir avec ses nouvelles découvertes plant.. plantasques (?), ou il aurait aimé offrir un coin de leur cabane à Monsieur Sugaar, et Trash lui disait que les fantômes n'avaient pas besoin de maison, et parraissait ensuite très triste, à la mention de ces "fantômes".

Après avoir tiré sur l'aile de l'oiseau et cherché la viande dessous, Rusty sortait de la cabane à son tour, secoué d'un très fort ronron en se frottant à son ami avant de s'arrêter sur la face avant des rondins, se ramasser sur lui-même, et bondir sur le nez d'Ollie, qui s'équilibrait sur deux roues, et le faire retomber sur ses quatre, le tirant des dents, de la tête, du dos et des pattes sur l'herbe et le terrain accidenté du verger jusqu'à ce qu'il puisse le rouler sur l'asphalte, monter dessus et le pousser du pied direction les falaises, pour son rendez-vous en soirée. Il avait hâte de tout raconter à Monsieur Houx, et, inversement, il avait déjà hâte de rentrer, la gueule remplies de proies nouvelles pour tout raconter sa nuit à Trash. Mais le soleil ne fut pas le seul à mourir ce soir-là et Rusty n'avait aucune idée qu'il s'engageait possiblement vers la nuit la plus longue de sa vie.

HRP: