THE PROPHETIES BEGIN
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Thème X - Terres Inondées
 
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 [RP Solo] Fade to grey - end

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AuteurMessage
Nuage Gris
Invité
Anonymous

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MessageSujet: [RP Solo] Fade to grey - end   [RP Solo] Fade to grey - end Empty28.05.19 23:04

Il y a des choses, paraît-il, qui ne se découvrent qu'au bout de la vie. J'ignore en ce qui me concerne si c'est très courant, de changer lorsqu'on a toujours tenu un cap en se basant sur des repères apparemment de plus en plus solides, mais il me semble que la mort soumit au regard encore jeune de Nuage Gris plusieurs surprises, insignifiantes pour la plupart, mais qui lui auraient paru, à lui, absolument fantaisistes à n'importe quel autre moment de son passage sur le monde. Et cette fois-là, mystérieusement, il adhéra. Tout naturellement.

Quel drôle de miracle.

Son mal de ventre s'était installé sans prévenir au beau milieu de la nuit. Il s'était levé plusieurs fois dans l'espoir d'éjecter la misérable portion de chair écailleuse qu'il avait ingurgitée, très tard, car il avait pris l'habitude de manger après les autres, pour que ceux-ci n'aient pas l'indélicatesse de le prendre pour un chaton comédien. Nuage Gris n'avait jamais été très vigoureux. Né chétif, il se satisfaisait de peu et n'avait pas développé l'appétit vorace de ceux que la vie destinait à devenir grands. Chacune de ses agitations nocturnes avait perturbé le sommeil des autres apprentis, et par dessus tout, pour rien. Il ne parvenait pas plus à vomir qu'à accélérer sa digestion, et la douleur insupportable n'avait fait que croître.

Impossible de s'allonger, impossible de s'assoir. Pour ne pas souffrir trop, il fallait qu'il marche, sans s'arrêter. Le petit tourna donc autour du camp, fatigué, agacé. Il attendait que la douleur passe. Et il attendit ainsi jusqu'à l'aube. Plusieurs fois il avait essayé de boire, comme si l'eau fraîche de la nuit pouvait éteindre ce feu qui semblait lui dévorer les entrailles, mais aucun répit ne se fit sentir. L'apprenti ne doutait pas que la douleur passerait, ce n'était après tout pas la première fois qu'il avait mal au ventre, mais au fur et à mesure que la nuit avançait, il appréhendait l'aube. Une insomnie aussi longue promettait une journée des plus désagréables, et ce serait pire encore si son ventre continuait de le torturer de la sorte.

Cette attente en solitaire, au cœur de la nuit, fut pour lui l'occasion de maudire toutes sortes de choses. Car en son for intérieur, Nuage Gris abritait une haine et une colère véritables, dont il était d'ailleurs la première cible. Il se détestait, lui qui ne semblait pas pouvoir, comme les autres, profiter pleinement de ces heures tranquilles pour se reposer. Tout réconfort semblait lui être interdit, et rien ne devrait l'habiter durablement, sinon un grand vide obscur et terrifiant. En surface, il jouait, il prenait des rôles qu'il essayait de s'approprier, de respecter fidèlement, mais en profondeur, il n'existait aucun masque dont il ait réellement épousé la forme. Chaque fois, ses jeux étaient courts, commençaient à un instant précis et se terminaient peu de temps après d'une façon nette. S'ils se succédaient les uns aux autres, ils étaient toujours entrecoupés par quelques instants de vide, de noir, de solitude. Ces instants pendant lesquels il ne disparaissait pas réellement même s'il n'était plus rien.

En quelque sorte, Nuage Gris était un véritable impatient. Quelqu'un qui ne supportait pas d'être dans l'attente, dans ces moments de transition vides de contenu où l'on se retrouvait confronté à soi-même. Et là, c'était la fin de cette attente qu'il attendait, même s'il ne se doutait pas que cette fin correspondrait à sa fin à lui.

Au moment où le premier oiseau, au loin, se mit à chanter, il marchait encore autour du camp, et sa marche se ralentit brusquement. Le jour arrivait, et cela avait eu pour effet étrange d'assommer ses pattes brusquement. Tout son corps, d'ailleurs, lui rappelait combien il était fatigué et il avait besoin de dormir pour retrouver ses forces. Mais lorsqu'il s'arrêta, son ventre le brûla de nouveau, et il grimaça. Il ne pouvait pas s'allonger, ça lui ferait trop mal. Impossible de dormir, il fallait attendre, attendre encore.

Le Clan de la Rivière se réveilla. Comme il marchait un peu à l'écart, il réalisa que son frère réalisait sans doute qu'il n'avait pas dormi. S'inquiétait-il ? Nuage Gris hésitait à retourner voir les membres du Clan. On verrait immédiatement qu'il était malade. On craindrait qu'il en contamine d'autres par sa seule présence. On se souviendrait qu'il n'avait jusqu'à présent jamais été bien utile à qui que ce soit. Nuage Gris devait guérir par lui-même, et au plus vite, car fatigué comme il l'était, il ne se sentait pas capable de rester malade très longtemps.

Il enjambait une racine, en poursuivant sa marche, d'un pas toujours plus lent, au moment où un soupir proche lui glaça le sang et l'arrêta net.
" Qu'est-ce que tu fais ici ? " jappa-t-il, agressif. Il voulait cacher l'effroi qui l'avait saisi lorsqu'il avait reconnu sa mère.
" Ça fait un certain temps, déjà, que je fait la ronde de l'aube. " répondit dédaigneusement Perche Farouche, qui n'avait sans doute jamais vu Nuage Gris debout à une heure pareille. D'ordinaire, en effet, il prenait bien son temps pour se lever, depuis qu'il était apprenti. Sous ses pattes était maintenu un poisson frétillant, sans doute la première proie qui serait déposée sur le tas de gibier ce jour-là.

En fait, l'ancienne reine avait pris cette habitude en reprenant ses fonctions de guerrière. La fin de la nuit était le moment le plus tranquille de la journée, et elle aimait écouter la nature endormie qui se réveillait brusquement. Il s'agissait en quelque sorte des moments de quiétude qu'elle se réservait secrètement, hérités de celui qu'elle avait brisé autrefois et qu'elle n'avait jamais pu pleurer ensuite. Inutile de préciser que Nuage Gris intervenait dans cette paix comme une boule de poils dans la gorge d'un dormeur. La surprise était d'autant plus désagréable qu'il était manifestement dans un triste état.

" Mais pour se lever tôt, il faut se coucher tôt, tu sais. reprit-elle, avec l'expression faciale impitoyable qui lui avait valu son nom.
- Pffff. "

C'était son tour à lui de soupirer. Et dans son soupir, il y avait autant de mépris que dans celui de sa mère, mais il y avait également une rancune extrême ainsi que de la fatigue. Toute cette éloquence avait cependant un prix lourd : il s'était arrêté. Et son ventre n'avait pas apprécié qu'il s'arrête. La douleur qu'il avait contenue en marchant revint, plus vive et plus aigüe encore qu'auparavant. Pour la première fois, elle l'inquiéta vraiment. Que tout ceci ait duré si longtemps et fasse si mal, ça lui semblait anormal. Jusqu'à présent, ses maux de ventre n'avaient jamais été aussi pénibles.

La douleur et la crainte démolirent les airs arrogants qu'il avait essayé de se donner. Désormais, il était une petite chose fragile dévorée par la peur, la tristesse et la maladie. Cette vision n'était pas de celles que l'on pouvait ignorer facilement. Et Perche Farouche avait beau avoir ce nom, elle n'était pas aveugle. Brusquement elle réalisa pleinement à quel point elle était impuissante, face à la souffrance énorme de son fils. Et son regard, qui s'était durci lorsqu'il avait senti la haine du petit, se radoucit légèrement, même s'il demeurait d'un sérieux qui eût écœuré Néron.

Nuage Gris n'était pas Néron. Il perçut le changement comme il avait toujours perçu les plus imperceptibles des délicatesses.
" Je crois que c'est la dernière fois que je te vois. " commenta-t-il en étouffant la tristesse bizarre qui l'assaillait sans qu'il comprenne réellement sa source.
Sa mère resta silencieuse, immobile, à le regarder. Elle n'eut aucune réaction. Si Nuage Gris se comportait de cette façon, pour elle, cela signifiait qu'il ne servait plus à rien d'espérer ou de s'inquiéter. Il était effectivement dans une impasse, tout comme son père l'avait été, quelques lunes auparavant. Sans doute essayait-elle en vain de se projeter dans l'avenir, d'imaginer ce que la disparition de son fils mal-aimé provoquerait.
" C'est un peu dommage. poursuivit-il. Il essayait d'être calme, mais tout un flot d'émotions contradictoires tourbillonnait en lui. C'était bien difficile d'être calme à un moment pareil, alors qu'il ne s'était jamais senti aussi vivant.
- Un peu. Elle était complètement désorientée, mais savait bien mieux que lui conserver son sang-froid. Tes frères seront très tristes. Ta sœur aussi.
- Tu pourras leur dire que ce sont des idiots.
- Je leur dirai que tu ne veux pas qu'ils soient tristes. "
rétorqua-t-elle. Elle commençait à retrouver des repères, à comprendre quel chemin elle devrait suivre pour guider ses petits correctement.

Des larmes grises se mirent à couler, sans raison véritable. Et après un reniflement qui manqua de le faire gémir de douleur, il eut une question :
" Tu leur diras que tu es triste ?
- Ils le croiront sûrement, eux. "

En tout cas, pour Nuage de Goujon et pour Aube Orangée, elle en était à peu près sûre. Quant à Nuage du Renard, bizarrement, elle avait peur. Accepterait-il d'être d'accord avec sa sœur, pour une fois ? Cette souffrance-là serait-elle bénéfique ou, au contraire, perpétuerait-elle la malédiction de leur famille ?
" Pas moi.
- Pas toi.
concéda la mère avec l'ombre d'un sourire. T'es vraiment qu'un foutu imbécile. Mais t'es pas le premier, si ça peut te consoler.
- Fais pas semblant ! "


Il avait hurlé, fiévreux, furieux. La rage prenait le dessus sur la douleur du ventre, reléguée tout à coup à un second plan qui la rendait presque supportable. Mais cela n'effaça pas le sourire ironique de Perche Farouche. Comme Mat, il ne la croyait jamais, et ne la croirait jamais. Il préfèrerait toujours voir en elle une hypocrite, alors qu'elle leur avait dévoilé, à eux seuls, ce qu'elle avait de plus miséricordieux. Le monde est d'une ingratitude inconcevable.

C'était à ce moment précis que la clairvoyance des mourants devait entrer en jeu, et apporter à ce tableau tempétueux une note douce. Car Perche Farouche, face à la folie naissante de son fils, sentit à son tour monter en elle la rage, le désespoir, le dégoût. Elle en voulait au monde entier de l'avoir créée si influençable à l'heure où le jeune Nuage Embrasé, intact et débordant d'espoir, avait eu besoin d'elle. " Tu peux en vouloir à notre saloperie de Clan, à mes traîtres de parents, aux putains d'Étoiles qui décident de tout, qu'on dit, mais je peux te jurer, petit couillon, que j'ai jamais choisi grand-chose, et que c'est sûrement pas ma faute à moi si vous préférez tous me détester. "

Les pupilles du fils, de surprise, se dilatèrent entièrement. Et il regarda sa mère à nouveau, en silence. Je jurerais que si vous aviez été présents à cette seconde, vous auriez remarqué que le ciel de ce matin-là était étonnamment rouge. Vous auriez peut-être même songé que ce rouge-là était celui de la braise incandescente.

Inexplicablement, la fureur du gamin retomba. Et aussitôt, très logiquement, la douleur revint. Elle n'en était que plus mordante. Dépité, amer, estomaqué par ses maux de ventre, il baissa la tête.

" Si tu m'aimes un peu, il y a quelque chose que je voudrais te dire. "

La guerrière, troublée parce qu'elle avait eu l'impression de sentir un courant d'air tiède, approcha avec toute la dignité qu'elle pouvait rassembler son oreille du museau de son fils.

" Je t'écoute.
- Je suis sûr que... ça fait au moins cent lunes qu'on m'a jamais fait un bisou. "


Ces mots la pétrifièrent un très court instant.

Mat.

Elle léchouilla doucement, plus tendre qu'elle ne l'avait jamais été auparavant, le museau de son fils, sans craindre de tomber malade, sans même réaliser combien ce geste stupéfiait Nuage Gris, qui avait toujours cru connaître sa mère mieux que personne. Tout cela en fait lui paraissait très naturel, tout à fait normal. Puis elle recula un peu, mettant fin à ce contact sans brutalité.

" T'es qu'un escroc. Je me souviens bien de ta tête, le jour où tu es devenu apprenti. " fit-elle mine de lui reprocher, mais d'une voix formidablement affectueuse.

Le gamin retrouva vite ses esprits. " Merci... maman. Combien de fois l'avait-il appelée "maman" dans sa vie ? C'est... beaucoup mieux comme ça. "

Il hésita à se blottir contre elle une dernière fois, mais le soleil se levait, et le poisson qu'avait pêché sa mère était parvenu à bondir sournoisement jusqu'à une flaque d'eau, en rassemblant ses dernières forces.

" Tant qu'à faire, je préfère autant qu'ils ne voient pas ça. Dis-leur rien. "

Et gravement, avec un courage qu'il n'avait jamais su trouver auparavant, Nuage Gris disparut de l'horizon. Son avancée lente fut douloureusement suivie des yeux par sa Farouche mère, qui attendit patiemment que le poisson, à ses pattes, cesse tout à fait de bouger dans sa flaque d'eau avant de rentrer au camp comme si de rien n'était. Nuage Gris, pour sa part, marcha vers l'Est aussi longtemps qu'il le put. Le soleil levant de ce jour-là fut une vision enchanteresse, qui combla enfin le vide qui, jusque là, l'avait habité.

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