[CANICULE] What was Not [feat. Oeil Vert] -end

« Vous avez dit... Étoile Maudite? Vous voulez dire que vous êtes L'Étoile du Maudit? »

Je venais juste de percuter sur sa réponse avant ma question. Il me connaissait ? Etoile… du Maudit ? Qui pouvait m’appeler de cette manière ? Sous ce nom je semblais si… maudit justement. Ma queue tressautait légèrement sur le sol. J’avais du mal à garder ma surprise pour moi. J’attendais cependant qu’il m’explique ce qu’il faisait avec ses plantes.

« Oh - ce sont des baies que je viens de trouver.

C’est bien ce que j’avais vu. Je n’aimais pas particulièrement qu’il prenne les baies de mon territoire. Surtout si elles avaient de bonne vertus et permettait de guérir mes camarades souffrant.

« Beaucoup de mes amis sont des Vétos des Chats - vos guérisseurs - ou des Apprentis-vétos-des-chats. Comme je les ais souvent vus faire, j'ai un peu pris l'habitude, ahah...! Beaucoup de remèdes sont dangereux vous savez, surtout au bourbier.»

Ses appellations étaient étranges. ‘’Vétos des chats’’. Jamais de toute ma vie j’avais entendu ces mots. Les solitaires étaient étranges. Les domestiques aussi d’ailleurs. Mais ce matou voleur au vocabulaire original m’intriguait énormément. Il connaissait le fonctionnement des clans, bon pas dans les détails, certes, il connaissait aussi… Esprit Soucieux ? Si ses amis sont des félins de clans et guérisseur. Lui avait-il appris à se soigner ? A trouver des remèdes pour les blessures ? L’avait-il soigné ? La dernière option ne me semblait guère surprenante, un guérisseur doit soigner tout chat en détresse peu importe son origine, il me semblait. Rusty continua :

« Dire que je voulais y vivre, autrefois... »

Une de mes oreilles tressaillie. Il voulait rejoindre le clan autrefois ? Il avait définitivement pénétré sur mon territoire plus d’une fois. Mon instinct de guerrier se réveillait doucement. Je devais le chasser d’ici. Il le fallait, mais… C’était un si curieux félin ! Rare j’en avais rencontré des comme lui. Ceux que j’avais eu l’occasion de voir n’était que des voleurs sans foi ni loi, bagarreur et effrontés. Lui était un petit voleur mais… Différent des autres. Sa possible connaissance sur les remèdes m’intriguait beaucoup. Je penchais la tête légèrement sur le côté, les oreilles droites et un grand œil ouvert pour montrer ma curiosité.

« Tu es un bien curieux solitaire, cher Rusty. Surtout lorsque tu dis avoir voulu nous rejoindre par le passé, et aussi parce que tu sembles connaitre des guérisseurs. »

J’essayais de détailler au mieux le matou. Il semble avoir vécu, il aurait peut-être pu être l’un des nôtres, seulement, c’était un solitaire. J’avais déjà donné avec un de ce genre dans le clan.

« Si curieux que j’ai quelques questions à te poser ! »

Je riais doucement, essayant de me détendre aussi, pour ne pas montrer ma nérvosité.

« Tu sembles me connaitre ? Pourtant, je n’ai pas le moindre souvenir de toi. Ni même qu’on m’ait parlé d’un solitaire tel que toi. Après, ma mémoire n’est pas des plus efficaces ces derniers temps. »

Je marquais une pause, m’égarant un instant dans mes pensées. Qu’est-ce que j’ai oublié ? Quelle partie de ma vie est partie en fumée ? Un Papillon grondant et malade. Un souvenir bien étrange. Qu’est-ce que c’était ? Pour reprendre mes esprits, je secouais un peu ma tête, redonnant de l’attention au matou.

« Et pourquoi voulais-tu rejoindre mon clan ? Est-ce toujours le cas ? Est-ce parce que tu connais certains de mes chasseurs ? »

‘’Mes’’, une vieille habitude.

— « Tu es un bien curieux solitaire, cher Rusty, lui dit Monsieur Oeil Vert, et Rusty leva très hautes ses larges oreilles, les yeux ronds, avant de vite se détourner.

Il ne voulait pas risquer de provoquer le clanique en soutenant trop longtemps son regard du sien. Monsieur Oeil Vert se faisait cordial, mais le nombre de blessures qu'il avait sur lui l'avertissait qu'il ne pouvait pas se permettre de (trop) baisser sa garde. Rusty était candide, pas naïf:

— Ah, bah oui, je, c'est à dire que- ...

Était-ce un compliment, être "curieux"? Il espérait vraiment ne pas indisposer ce pauvre guerrier - surtout si ce-dernier se définissait comme "inutile" à son Clan. ... Mais il l'avait aussi désigné de "Cher Rusty".

"Cher"...

— Surtout lorsque tu dis avoir voulu nous rejoindre par le passé, et aussi parce que tu sembles connaitre des guérisseurs.

Si curieux que j’ai quelques questions à te poser ! »

Malgré le rire de Monsieur Oeil Vert la langue de Rusty s'était aussitôt nouée après le ... vraiment, il ne pouvait pas se l'enlever de la tête. C'était un compliment. Il se risqua un petit regard vers le vétéran, opinant timidement du chef pour qu'il puisse le relancer:

— « Tu sembles me connaitre ? Pourtant, je n’ai pas le moindre souvenir de toi. « Ah-- » Ni même qu’on m’ait parlé d’un solitaire tel que toi. Après, ma mémoire n’est pas des plus efficaces ces derniers temps.

— Ne, ne vous méprenez pas, Monsieur Oeil Vert, tous les claniques ont un peu l'habitude de lâcher les noms de leurs, euh "supérieurs"? Ahhaha...!
— Et pourquoi voulais-tu rejoindre mon clan ? Est-ce toujours le cas ? Est-ce parce que tu connais certains de mes chasseurs ?

La voix du solitaire mourrut dans sa bouche. On put entendre le moment exact où un couincement se coinça à la fin de son souffle et ses larges oreilles triangulaires, découpant sa silhouette dans la noirceur de la nuit, éclairés par les Étoiles diffuses qui brillaient comme jamais dans le plafond du ciel au-dessus, se ramollirent de chaque côté de sa tête en le faisant légèrement flancher sur le côté. Rusty baissa les yeux, risqua un sourire (il tenait toujours son sac en feuilles en gueule) et sa voix se cassa:

— ... Connaissais.

Ses yeux reluirent de larmes et il ferma les paupières en les sentant le piquer de douleur. Il grimaça - la douleur était familière, et il inspira lentement tout en sentant se gonfler cet ulcère de peine en la reconnaissant comme la sienne. Il expira son air. Il vivait avec elle, marchant à ses côtés sans tenter de la griffer, de l'ignorer ou de la fuir. Tout ce temps qu'il ne pourrait jamais passer avec tout ces chats partis...

La plupart de ceux que j'ai connus sont aux soins de la Fée des Étoiles, maintenant...

En rouvrant les yeux, Rusty les monta vers le ciel, ses pupilles réfletant le firmament dedans tandis que ses commissures se relevaient d'un sourire meurtri par les dernières années, douce amertume d'avoir l'impression de n'être que de passage dans la vie d'autrui - ou que les autres n'étaient que de passage dans la sienne, comme une voiture sur la route. Elle passait en un coup de vent, mais cette voiture, même si elle disparaissait, se rendait toujours quelque part. Il y avait un quelque part au bout de la route, la croyance des Claniques voulant qu'ils se rejoindraient tous à la Toison Argentée auprès des autres Étoiles. Rusty s'assied en rassemblant ses pattes contre lui.

Car lui, qu'est-ce qui se trouverait, au bout de la sienne?

— C'était il y a longtemps, Monsieur Oeil Vert. Quand j'ai perdu ma famille, j'ai tout de suite voulu faire partie d'une autre. J'entendais parler des Clans comme d'un endroit merveilleux où tous les chats se soutenaient!

Mais... Et ses sourcils blancs se froncèrent, il mit la patte sur les cicatrices à son poitrail.

... Mais vous ne m'auriez jamais accepté, et je crois que c'est pour ça que vous n'avez jamais entendu parler de moi. »

Car est-il vraiment si "cher" un individu dont on a honte de connaître?

Rusty n'était pas sot, et n'aurait jamais pu rejoindre un Clan qui aurait tenté de lui faire ressentir de la honte d'être ami avec Trash. Ou Madame Fée (qui avait été "sortie" du Clan de l'Ombre). On ne pouvait pas vivre en se cachant tout le temps, et on ne pouvait pas vivre la vie des autres - peut-être qu'à une époque, tout aurait été différent, et cette balade sous les Étoiles se serait faite côte à côte, comme des pairs, et peut-être qu'il aurait porté un autre nom, peut-être que les oreilles de ses pensées auraient entendues un autre discours que celui d'à l'instant mais cet autre Rusty n'était pas, et ne serait jamais.

Le matou solitaire m’explique que nombreux guerriers pouvaient donner le nom de leur chef. Possible. A l’époque je le faisais seulement lorsque je les amenais à mon chef. Et à ma dernière question, il sembla plus abattu que jamais. J’attendais alors, le regardant curieusement l’animal. Pourquoi était-il si attristé ? Je rêvais ou c’était vrai ?

« … Connaissais. »

Il pleurait. Il connaissait alors des membres de ma tribu ? Les morts étaient toujours là. Ils n’étaient plus présent physiquement avec nous, ils sont perdu dans tout de beau monde céleste où la faim et la soif n’existent pas, où la souffrance, la douleur n’est qu’un lointain souvenir de vie. Je pleure encore la perte de certains de mes camarades, tombés au combat ou… Simplement par ma faute. Je me souvenais de cette petite lumière qui avait le droit d’apprendre comme les autres, qui n’a fait que s’éteindre à cause de mon étreinte. Une feuille empoisonnée disparue sous mes mots. D’autres qui cherchaient ailleurs. Ce petit papillon bicolore qui a chuté dans l’eau. La disparition des miens m’avait marqué, je n’avais plus été le même à cause des prédictions. J’ai été faible. Je respirais un grand coup à ces souvenirs. Il était trop tard pour vouloir réagir de toute manière, alors autant l’accepter.

« La plupart de ceux que j’ai connus sont aux soins de la Fée des Etoiles, maintenant… »

Rusty leva les yeux au ciel nocturne. Etait-il croyant ? Ils parlaient des étoiles, les évoquaient comme s’ils les connaissaient. Et la Fée des Etoiles… Parlait-il de l’ancienne guérisseuse ? Je considérais autrement le matou. Il m’intriguait de plus en plus. Il avait du recevoir une éducation religieuse de la part d’un membre du clan. Mais, comment pouvait-il simplement partager notre religion, sans respecter nos coutumes ? Le clan des Etoile accepterait-il seulement ce félin parmi eux sous prétexte qu’il croyait en eux ?

« C’était il y a longtemps, Monsieur Œil Vert. Quand j’ai perdu ma famille, j’ai tout de suite voulu faire parti d’une autre. J’entendais parler des Clans comme d’un endroit merveilleux où tous les chats se soutenaient! Mais… »

Le matou mis sa patte sur son poitrail blanc.

« Mais vous ne m’auriez jamais accepté, et je crois que c’est pour ça que vous n’avez jamais entendu parler de moi. »

Sage pensée. A l’époque je n’aurais jamais accepté un solitaire. Ne respectant pas nos lois, nos coutumes, notre mode de vie, comment c’était seulement possible qu’ils puissent s’adapter ? Et surtout ne pas profiter de notre système. Il avait raison. Il n’aurait jamais pu s’adapter.

« C’est vrai. Je ne t’aurais jamais accepté, vu l’état d’esprit dans lequel j’étais. Maintenant… Je me mets loin des rivalités des miens, je ne fais de croire et prier pour eux. »

J’étais devenu pieux. C’était étrange de devenir presque comme un guérisseur sans son savoir. Evidement, je ne serais jamais comme Esprit Soucieux, je n’ai pas son savoir, mon destin n’était pas de soigner les membres de mon clan. Mais maintenant, je ne fais que prier pour le salut de tous.

« Mais tu parles des étoiles comme si tu y croyais… J’imagine qu’un félin clanique t’a appris ces choses là ? »

Je dirigeais à mon tour mon regard vers le ciel noir et brillant de lumière. Je m’en voulais toujours de cette guerre que j’ai avancée contre eux. Evidement que je croyais en eux. Je ne voulais plus perdre leur lumière.

« Tu dois être le solitaire le plus sage que j’ai croisé. Rare sont ceux qui pensent comme nous. Du moins, qui partage cette même croyance pour les étoiles. Probablement plus sage que moi. »

— « C’est vrai.

Le coup fit mal, quand même, mais pas comme des griffes dans la peau, comme une toute petite piqûre de rien du tout qui provoqua un sursaut dans les épaules de l'abyssin. "Vous ne m'auriez jamais accepté" "- C'est vrai". Il aurait pu s'en tenir là mais Oeil Vert le répéta, reprovoquant le sentiment d'être piqué:

— Je ne t’aurais jamais accepté, vu l’état d’esprit dans lequel j’étais. Maintenant…
— Maintenant...?
— Je me mets loin des rivalités des miens, je ne fais que croire et prier pour eux. »

Ce fut à Oeil Vert de lever le nez pour regarder les Étoiles, mais cette fois-ci Rusty ne l'imita pas. L'ombre d'un sourire trouva ses babines et il haussa les épaules.

— « Mais tu parles des étoiles comme si tu y croyais… J’imagine qu’un félin clanique t’a appris ces choses là ?

Rusty releva un peu les yeux pour lui tendre ce sourire, qui s'affaissa un peu car Oeil Vert ne le regardait pas. Il zieuta vite sur le côté puis les baissa à ses pattes, agitant sa queue pour vite la recourber contre lui, malaisé.

— « Tu dois être le solitaire le plus sage que j’ai croisé. (Le malaise s'atténua...) Rares sont ceux qui pensent comme nous. (...mais il revint.) Du moins, qui partagent cette même croyance pour les étoiles. Probablement plus sage que moi.

À cet instant, Rusty voulut lui parler de la Fée des Étoiles, de Feu Madame Fée, sa vieille amie, qui lui avait donné un ou deux tuyaux sur les plantes, qui lui avait appris à les baluchonner "juste au cas" afin d'éviter leurs dangers. Mais son oreille tiqua - et vu la taille de ses oreilles le mouvement ne fut pas discret, et fit s'abaisser les deux pour changer la forme de son profil en l'assombrissant d'un soupçon de reproche:

— Sauf votre respect, Monsieur Oeil Vert, partager les mêmes croyances que vous n'est pas une marque de... sagesse.

Je suis solitaire maintenant, mais je vivais dans une maison avant, et il y a beaucoup de lois de vos Clans que je n'accepte pas, car je vous en vois toujours malheureux...

Monsieur Houx et Mimosa forcés de cacher leur amitié avec lui (et d'autres chats d'autres Clans pour la seconde) par exemple, mais plus important:

— Pourquoi vous vous interdisez de manger des croquettes quand on vous en offre?

Et ses sourcils blancs s'étaient froncés, et il ne cillait pas, les oreilles à plat, fixant d'yeux brillants au travers de sa fièvre pour agripper l'ancien chef d'un regard qui demandait... non... qui exigeait des réponses à sa question. Sa question toute simple qui, comme un sac de croquettes, avait un fond beaucoup plus creux après les dix premiers bols. La véritable question de Rusty, avec son contexte, ressemblait plutôt à "qu'est-ce qui fait que les Clans rejettent la générosité d'autrui au point de s'en effaroucher et de sortir les griffes?" et, peut-être plus directement, "à quoi vous sert cet honneur lorsqu'il vous apauvrit de la sorte"?

HRP:

Même si le solitaire avait semblé plus à l’aise au début de mes propos, mes dernières paroles avaient fait disparaitre se sentiment. Du moins c’était l’impression qu’il me donna lorsque mon regard revient sur lui. Il avait esquissé un faible mouvement de ses oreilles, et son regard ne me disait rien qui vaille. Avais-je dis quelque chose de mal ? J’essayais de me remémorer mes paroles exactes, mais rien ne me semblait désobligeant. Je pouvais presque lire le reproche sur lui.

« Sauf votre respect, Monsieur Oeil Vert, partager les mêmes croyances que vous n'est pas une marque de... sagesse. »

L’étonnement s’afficha dans mon regard. Les clans ont toujours étés plus nobles que les autres par rapport à leur loi érigée par les étoiles. Ils avaient une valeur supplémentaire que ceux qui ne vivait pas sous leur joug. Cependant, je réfléchissais. Les solitaires que j’avais rencontré voulaient tous nous combattre, ce Rusty était le seul ‘’pacifique’’. Après, est-ce que j’avais réellement essayé de discuter avec eux ? Le code du guerrier me dictait de chasser les intrus sans discuter. Je suivais ce code qui était la toute puissance incarnée, plus que le Serpent qui s’était assis sur son trône sombre, plus que n’importe quel meneur que j’ai connu. J’avais construit ma vie entière sur le code du guerrier et le clan des étoiles, chaque félins sage devaient s’incliner face à ces fondements. Mais ce solitaire remettait mes plus profondes convictions en doute.

« Je suis solitaire maintenant, mais je vivais dans une maison avant, et il y a beaucoup de lois de vos Clans que je n'accepte pas, car je vous en vois toujours malheureux... »

Plus de surprise encore, c’était un ancien chat domestique. Il avait plus de savoir que le plus basique de mes guerriers. Pourtant je n’éprouvais aucun dégout de m’adresser à lui, sa présence ne me répugnait pas, alors que la vie d’un félin vivant sous la coupe des bipèdes me donnait presque envie de vomir normalement. Cependant une question beaucoup plus importante me venait. Il s’agissait plus d’un problème en réalité. Ma petite Violette, n’était pas heureuse ? Pouvait-elle seulement être heureuse alors que le code du guerrier lui interdisait d’aimer ? Et si en réalité elle n’avait pas été manipulée mais… Et si elle cherchait juste le bonheur ? Je lui aurais coupé l’herbe sous le pied, je lui aurais… Je l’aurais rendue malheureuse ? Ma douce enfant… Qu’ai-je fais ? J’étais totalement ébranlé. Je me fichais à présent que le matou voit mes faiblesses, ses paroles m’avaient touchés en plein cœur. J’étais la cause du malheur de mon enfant. J’en tremblais presque. Je ne pensais pas que d’autres pouvaient être malheureux à cause du code du guerrier, je m’en suis toujours satisfait, j’ai toujours été l’enfant de ce code, le respectant à la lettre, comme s’il était un commandement suprême. Mais ce dernier détruisait ma fille. Alors qu’est-ce qui avait plus d’importance maintenant, ma fille ou ce code ? Ma famille ou mon clan ? Je finis par trembler réellement. Les choses auraient-elles été différentes si je n’avais pas organisé cette bataille ? Il ne s’agissait que de représailles… Est-ce que mon esprit serait resté sain si j’avais accepté de seulement punir ma fille au lieu de détruire son amour ? J’avais détruit son cœur, son amour, parce que j’en ai trop donné au clan. J’ai vu la mort des miens, parce que j’allais la causer. Ce matou n’était finalement pas seulement sage parce qu’il croyait aux étoiles, il était empli de sagesse parce qu’il avait réussi à me faire me remettre en question. C’était comme si une vérité absolue venait à mes yeux. Les solitaires n’étaient-ils pas seulement plus lucide et plus sage que nous, les claniques, qui nous sentions supérieurs ? Ils faisaient leur choix de croire ou non, d’obéir à des règles, alors que nous, nous étions simplement conditionnés pour y croire et obéir. Je ne remettais pas en cause mon éducation, j’ai aimé vivre comme un guerrier du clan, prêt à sacrifier sa vie pour la survie des autres. Mais j’avais seulement oublié de laisser les miens être heureux. Le bonheur ne devait-il pas être le but ultime de notre vie ? Je levais de nouveau la tête vers les étoiles. Ces milliers d’étoiles qu’était nos ancêtres. Je les chérissais, parce qu’ils étaient toujours là pour le clan. Pardon pour mes pensées, sûrement impure, mais le code du guerrier à empêché ma fille d’être heureuse. Elle aurait dû aimer un membre de son clan, mais est-ce qu’elle avait réellement le choix ? L’amour ne se contrôle pas… Pardonnez-la pour son péché, elle n’a fait qu’aimer. Moi je lui pardonne. Il était bien sûr trop tard pour cela,, mais mieux valait trop tard que jamais. Je posais de nouveau mon regard sur Rusty, qui me posa une dernière question.

« Pourquoi vous vous interdisez de manger des croquettes quand on vous en offre? »

Il semblait attendre réellement une réponse. Son regard était sérieux en tout cas. Je regardais le matou avec un léger sourire sincère. Face à mes pensées précédentes, cette question me semblait bien simple. La réponse l’était en tout cas.

« La réponse est que nous sommes fiers. Je viens de comprendre en effet tes paroles précédentes. Mais nous sommes juste trop fiers d’accepter de la nourriture facile. Nous préférons chasser, de cette manière, nous avons l’impression de mériter cette nourriture. »

Un souvenir me venait comme un flash dans ma tête. J’étais avec mon père, lorsque je commençais à pouvoir vadrouiller dans le camp, lorsque je n’étais qu’un tout petit chaton. Je chérissais chaque image de mes parents dont je pouvais me souvenir. J’avais moi aussi posé cette question à Sombre Crépuscule, mon père, et je donnais cette même explication à Rusty.

« Lorsque j’étais un petit chaton, sortant tout juste de la pouponnière j’avais moi aussi demandé cela à mon père. »

Je marquais une pause, ronronnant à l’image que j’avais de lui.

« ‘’Il ne faut pas accepter la nourriture des bipèdes, même s’ils nous l’agitent sous le nez !’’ disait-il, ‘’Le clan des étoiles nous a donné un territoire de chasse qui doit subvenir à nos besoins, et ceux même en hiver. Il faut laisser la terre et la nature se régénérer en hiver, pour que dans les belles saisons elle regorge de proie. Accepter la nourriture qu’on te donne n’est pas digne parce que tu n’as rien fait pour la mériter’’. Il me disait cela à quelques mots près. Il faut dire que l’odeur n’est pas très engageante lorsque dès notre naissance, on a l’habitude de manger du gibier. Le code du guerrier l’interdit également. »

Je faisais une autre pause. Une longue pause. Je réfléchissais aux mêmes propos, à mes actes, au bonheur de mes enfants. Au bout d’un moment, je reprenais la parole, sans le moindre sourire, avec seulement une pointe de tristesse dans le regard. Je n’étais pas sage, ou du moins pas plus qu’un autre. La gorge sèche par la chaleur, je toussais avant de reprendre parole. Je n’étais plus tout jeune également, et cette canicule pesait lourdement sur ma santé. Si j’y survivais ce serait un miracle. J’étais un vieux chat sensible aux fortes chaleurs.

« Tu sais Rusty… Tes paroles m’ont marqués. Je comprends ce que tu veux dire. Tu es en réalité plus sage que nous tous. Ce code du guerrier, ces croyances… J’ai toujours vécu avec, de ma naissance on m’explique comment vivre avec elle, et je m’y suis toujours satisfait sans les remettre une seule fois en question. »

Mes tremblements avaient cessé. Je regardais alors loin devant moi, sous la faible lumière des étoiles. Il n’y avait aucun nuage, il n’y avait rien qui pouvait cacher aux ancêtres ma peine, et cette conversation. Il y avait au loin les Hautes-Pierres, plongée sous la lumière divine céleste et lunaire. Le vent chaud brisait le calme des Hauts-Plateaux, les feuilles encore perchés sur les arbres bruissaient dans la forêt, le faible bruissement de l’eau glissait sur les cailloux, et enfin, la poussière balayait mes terres sèches. Je soupirais en baissant la tête.

« Je me rends compte qu’en réalité, ce code à détruit tout ce qui pouvait compter pour moi. Le bonheur de mes enfants. Le bonheur de ma petite Violette. J’ai fais des choses dont je ne suis pas fier, j’en ai honte même, mais le mal est fait après tout… Pas vrai ? Mais je crois que ce qui finalement me fait le plus de peine, c’est que ma toute petite Fleur soit malheureuse par ma faute. »

Je tournai la tête vers le félin à mes côtés, le regard le plus sincère possible. J’avais l’œil brillant de larmes qui refusaient de s’échapper

« Merci Rusty. Merci, parce que grâce à toi j’ai des réponses que je cherchais désespérément. »

Cette rencontre était bien celle qui me marquait le plus de toute ma vie. Ce curieux solitaire aux bonnes réponses.

Peut-être car il faisait trop sombre, peut-être car la fièvre lui privait toute la capacité de ses yeux, mais Rusty ne vit pas (autant le voir que le vivre) ce qui se passa dans la chimie de l'oeil de Monsieur Oeil Vert durant leur échange. Il vit son air sérieux, et un air sérieux comme le sien lui fit présager que peut-être leur petit tête-à-tête pacifiste allait prendre fin, mais Oeil Vert le daigna d'une réponse:

— « [...] nous sommes fiers. Je viens de comprendre en effet tes paroles précédentes. Mais nous sommes juste trop fiers d’accepter de la nourriture facile. Nous préférons chasser, de cette manière, nous avons l’impression de mériter cette nourriture.
— C'est stupide, dit Rusty.

Et Monsieur Oeil Vert sourit.

— « Lorsque j’étais un petit chaton, sortant tout juste de la pouponnière j’avais moi aussi demandé cela à mon père.

Toujours assit, Rusty redressa ses oreilles, piqué de curiosité, consentant à baisser légèrement sa garde et le reproche dans ses yeux. Monsieur Oeil Vert avait un vécu que lui n'avait pas et qui méritait d'être écouté - savoir qu'un chat de Clan avait posé la même question que lui lui fit chaud au coeur, d'une manière.

« ‘’Il ne faut pas accepter la nourriture des bipèdes, même s’ils nous l’agitent sous le nez !’’ disait-il, ‘’Le clan des étoiles nous a donné un territoire de chasse qui doit subvenir à nos besoins, et ce même en hiver. Il faut laisser la terre et la nature se régénérer en hiver, pour que dans les belles saisons elle regorge de proies.

Accepter la nourriture qu’on te donne n’est pas digne parce que tu n’as rien fait pour la mériter’’.

Il me disait cela à quelques mots près. Il faut dire que l’odeur n’est pas très engageante lorsque dès notre naissance, on a l’habitude de manger du gibier. Le code du guerrier l’interdit également. »

À cette dernière mention Rusty se sentit piqué à nouveau, et il tira ses muqueuses vers l'arrière en grimace, montant inconsciemment sa patte à son poitrail à la jonction de son épaule où, sur sa peau, se trouvaient les cicatrices que lui avaient laissées (feue) Tache d'If Lieutenante du Clan du Vent. Le code du guerrier l'interdissait mais il n'y avait aucune raison pourquoi - accepter un cadeau ne les empêchait pas de retourner chasser ensuite. Monsieur Oeil Vert ne souriait plus et tout deux furent comme pesés de tristesse, et de fatigue, ramenés à leur âge vieillissant (surtout pour des chats sauvages).

— « Tu sais Rusty… Celui-ci redressa la tête. Tes paroles m’ont marquées. Je comprends ce que tu veux dire. Tu es en réalité plus sage que nous tous. Ce code du guerrier, ces croyances… J’ai toujours vécu avec, de ma naissance on m’explique comment vivre avec elle, et je m’y suis toujours satisfait sans les remettre une seule fois en question.

Si Monsieur Oeil vert avait la tête tournée vers les Hautes-Pierres et la route qui menaient aux Falaises, Rusty avait la sienne direction les Fausses-Étoiles de la ville, ses infrastructures sans arbres et sans branches, sa pollution lumineuse et son ambiance vrombrissante comme un ronron omniprésent.

— « Je me rends compte qu’en réalité, ce code a détruit tout ce qui pouvait compter pour moi. Le bonheur de mes enfants. Le bonheur de ma petite Violette. J’ai fais des choses dont je ne suis pas fier, j’en ai honte même, mais le mal est fait après tout… Pas vrai ? Mais je crois que ce qui finalement me fait le plus de peine, c’est que ma toute petite Fleur soit malheureuse par ma faute.
— Monsieur Oeil Vert, répondit tout bas l'abyssin, qui s'étrangla dans sa voix car à la simple vue des larmes qui perlaient au coin de son oeil elles se mirent à perler au coin des siens.

— Merci Rusty. Merci, parce que grâce à toi j’ai des réponses que je cherchais désespérément.
— Non, c'est -...

Une voiture les illumina, mais elle continua son chemin sans tourner sur le leur. Rusty la suivit à peine d'un pivot de l'oreille. Il pencha sa tête sur le côté, et fit se bercer son baluchon de feuilles, et les baies roulèrent dedans. Il ne savait pas comment dire ce qu'il voulait, il écarta sa queue de son corps, se mit à l'agiter, un peu contrarié, avant de pousser un soupir.

— « Moi aussi j'ai vécu avec un Code toute ma vie, vous savez? Une routine qu'on ma enseigné quand j'étais chaton. Un Code, c'est pas mal - je devais rentrer avant que le soleil ne se couche, parce-qu'il y a beaucoup de dangers dehors qu'il est difficile d'anticiper une fois la nuit tombée. Et quand je rentrais, j'allais ronronner sur mon humain, et je l'aidais à s'endormir, et venu le matin il remplissait ma gamelle, je mangeais, et je sortais dehors pour me promener.

Rusty eut un petit rire.

Toujours le même chemin ou presque! D'abord on passait devant chez Mademoiselle Shampooing, ensuite on regardait des deux côtés de la rue avant de traverser, boulevard, parc, skatepark, marché, c'était toujours pareil, Monsieur Oeil Vert. J'aimais ça, j'aimais ce code. Mais une fois, je me suis perdu, parce-que je suis rentré dans un "Monstre" et il m'a amené ici, près de la Lande, et j'ai demandé de l'aide à une chatte pour rentrer, mais elle s'est trompée de chemin, et j'avais soif, et ce soir-là j'ai rencontré Madame Fée.

Si, c'était difficile de l'avouer mais, comme Oeil Vert avait été sincère avec lui... Si j'étais simplement rentré je n'aurais jamais rencontré Madame Fée. Je ne l'aurais jamais aidée, elle ne m'aurait jamais faite une place dans son arbre creux, et... Sa queue se mit à s'agiter plus vite car peut-être que ce n'était pas comparable? Enfin on parlait quand même des "pauvre problèmes d'un petit chat domestique que la vie avait gâté" versus celle d'un "guerrier que la vie sauvage avait sans doute endurci davantage" qu'un "petit abyssin qui faisait du skateboard" mais,--

— « Je- j'vous connais pas hein, voilà qu'il perdait ses politesses. Je connais pas votre histoire ou c'que vous avez fait mais vous, vous vous connaissez, et c'est ça qui est important, parce-qu'en vous connaissant vous apprenez ce que vous pouvez faire et c'que vous pouvez pas faire pour, vous, euh..

Repentir.

Il s'était noué sur lui-même, un peu malaisé, et il secoua sa tête histoire de se resaisir.

— Et la rédemption, c'est pas... Même si vous - là, tenez, même si vous traînez deux fois un sac de croquettes à bout de dents et à la force de vos pattes, c'est pas promis que la chatte tricolore à qui vous voulez l'offrir, pour lui remercier de vous avoir aidé, même si elle s'est trompée de chemin, veuille l'accepter, vous comprenez?

La nervosité lui serrait le coeur et il grinça les dents ensemble:

« J-j-j'vous jure j'avais un point??? »

Le solitaire ne semblait pourtant pas satisfait de ma réponse, mais je croyais voir où était le problème. C’était refuser un cadeau. Je pensais que, si j’offrais une proie à un chat domestique affamé et que ce dernier refusait mon offre, je serais vexé et je ne comprendrais pas.

« Moi aussi j'ai vécu avec un Code toute ma vie, vous savez? Une routine qu'on ma enseigné quand j'étais chaton. Un Code, c'est pas mal - je devais rentrer avant que le soleil ne se couche, parce-qu'il y a beaucoup de dangers dehors qu'il est difficile d'anticiper une fois la nuit tombée. Et quand je rentrais, j'allais ronronner sur mon humain, et je l'aidais à s'endormir, et venu le matin il remplissait ma gamelle, je mangeais, et je sortais dehors pour me promener. »

C’était alors un ancien chat domestique ! Et pourtant, il semblait bien se débrouiller en tant que solitaire. Eux aussi, ils avaient un code de conduite ? Le code des domestiques ? Cela me semblait absurde et pourtant… C’était le genre de vie qu’ils menaient après tout. Je n’avais plus à les juger, mais essayer de les comprendre.

« Toujours le même chemin ou presque! D'abord on passait devant chez Mademoiselle Shampooing, ensuite on regardait des deux côtés de la rue avant de traverser, boulevard, parc, skatepark, marché, c'était toujours pareil, Monsieur Oeil Vert. J'aimais ça, j'aimais ce code. Mais une fois, je me suis perdu, parce-que je suis rentré dans un "Monstre" et il m'a amené ici, près de la Lande, et j'ai demandé de l'aide à une chatte pour rentrer, mais elle s'est trompée de chemin, et j'avais soif, et ce soir-là j'ai rencontré Madame Fée. Si j'étais simplement rentré je n'aurais jamais rencontré Madame Fée. Je ne l'aurais jamais aidée, elle ne m'aurait jamais faite une place dans son arbre creux, et...»

Pouvais-je l’aider à rentrer chez lui, s’il le souhaitait bien sûr ? Il devait alors connaitre Envol des Fées, l’ancienne guérisseuse du clan de l’ombre que j’avais recueillis. Elle pouvait sembler plutôt excentrique, mais c’était cruel de la laisser sans le soutien du clan alors qu’elle avait servi ce dernier. La mort de la vieille chatte était triste pour de nombreux félins. Même si je n’étais pas proche d’elle, elle était là lorsque je suis né, comme pour de nombreux félins du clan. Au final, domestique ou sauvage, on connaissait tous les mêmes peines, les mêmes joies, les mêmes tristesses. Le style de vie était bien sûre différent, mais pourtant, on était sûr, un jour, de passer par les mêmes émotions ou sentiments. Nous n’étions pas si différents que cela. Nos codes et nous lois nous forment.

« Je- j'vous connais pas hein. Je connais pas votre histoire ou c'que vous avez fait mais vous, vous vous connaissez, et c'est ça qui est important, parce-qu'en vous connaissant vous apprenez ce que vous pouvez faire et c'que vous pouvez pas faire pour, vous, euh.. Repentir. »

Le solitaire semblait nerveux. Je comprenais pourquoi, mes propos l’avaient sûrement blessé. Une pointe de regret commençait à se rependre sur mon cœur. Je voulais me montrer ouvert.

« Et la rédemption, c'est pas... Même si vous - là, tenez, même si vous traînez deux fois un sac de croquettes à bout de dents et à la force de vos pattes, c'est pas promis que la chatte tricolore à qui vous voulez l'offrir, pour lui remercier de vous avoir aidé, même si elle s'est trompée de chemin, veuille l'accepter, vous comprenez? »

Je hochais la tête.

« Je comprend oui. Je suis désolé de t’avoir vexé. Effectivement, refuser un cadeau n’est pas correct. J’ai essayé de me mettre à ta place et je serais effectivement déçu qu’un matou à qui j’offre une proie la refuse. Les chats de clans n’ont pas le droit d’en manger parce que le code le dit, et nous pouvons être sanctionnés pour cela. C’est peut-être une loi illogique, parce qu’un félin qui meurt de faim devrait pouvoir se servir pour récupérer des forces, mais c’est comme cela. »

Finalement je me levais et regardais le ciel. Il commençait à s’éclaircir doucement. Le soleil allait pointer son museau et si je me trouvais hors du camp avec la chaleur qui arrive je risquerais bien de finir aussi sec que l’herbe. Je saluais le félin d’un signe de la tête.

« Merci de cette conversation. En ces temps terribles cherche un endroit frais et abrite toi. Au plaisir de te recroiser Rusty. Je dois m’en aller à présent. »

J’inclinais la tête en signe de respect et je m’éloignais de lui en trottinant pour essayer de me mettre dans ma tanière pour dormir. La nuit se terminait et la chaleur épuisante de la journée allait arriver, je devais m’endormir avant.

HRP: