La Première Initiation [Petit Rossignol / Coup de Foudre / Coeur de Puma] - end

Ce matin, Cœur de Puma s'est levé trop tôt. Vous me direz, un guerrier ne se lève jamais trop tôt, pas vrai ?! Un père en revanche se lève trop tôt lorsqu'il quitte le Camp avant même que ses petits monstres n'émergent. Il s'est joint à la patrouille frontalière de l'aube, et s'est laissé guider par un guerrier moins expérimenté, pour une fois. Parfois, il a encore du mal à tenir les rennes, particulièrement lorsqu'il ne voit pas ses deux chatons.

Heureusement pour lui, en rentrant au Camp il constate rapidement que les reines sont de sortie; donc les Petits aussi. Un sourire lui fend la gueule, alors que le massif mâle s'avance en trottinant vers un attroupement de reines. Elles le connaissent toutes, il passe tous les jours pour saluer Petit Rossignol et Petit Lézard; et quand il a le temps, il joue aussi avec eux et leur raconte ses plus belles histoires. Comme son père le faisait pour lui autrefois. Rapidement, l'une des femelles lui désigne Petit Rossignol du regard. Alors, il trouve le duvet déjà marbré de sa fille unique, qu'il couve d'un doux regard. Mais lorsque la fourrure sombre du lieutenant apparaît à ses yeux, il presse le pas pour rejoindre le duo.

Coup de Foudre, avec Petit Rossignol ? L'idée ne lui plaît guère. Il suffit de regarder Bec Croisé et sa liste de conquêtes à rallonge pour comprendre que le lieutenant est meilleur pour faire les petits que pour les éduquer correctement. Lorsqu'il arrive à hauteur des deux félins, il entend l'autre adulte :

« ...nade Vive serait fière de te voir garder la tête haute, mais les jeunes pousses ont besoin de la pluie, pour grandir. » Le lieutenant de glisser sa queue sous le menton de la chatonne. « Ne sèche pas tes pleurs si tu en as besoin, mm ? Le soulagement qui les succède vaut à tout observateur une -heh, clarté d'esprit non-négligeable. Qui sait ce qu'un peu de recul te permettra de découvrir ? »

Coup de Foudre lui dit au revoir de sa queue, sur le pas de départ mais le père les atteint à temps. Encadrant sa fille de ses larges pattes, il se place au dessus d'elle dans un geste plus protecteur qu'il ne l'aurait voulu.

« Coup de Foudre. » le salue-t-il, poli mais froid. Papa protège sa fille. « Je pensais que tu avais suffisamment de petits pour ne plus t’inquiéter de ceux des autres. »

C'est son lieutenant, mais il le toise durement. Coup de Foudre a sans doute d'autres qualités. Mais être père ? Plutôt géniteur, dans son cas. Les petits rejetons qu'il a fait à feue Secret du Firmament ne brillent pas vraiment pas leur conduite exemplaire. Et l'idée que ce rigolo parle au nom de sa défunte compagne... le dégoûte.

Petit Rossignol écouta attentivement les paroles du lieutenant, un peu choquée par fois de la vulgarité de ses propos (il disait des mots que les chatons n’étaient pas censés entendre, encore moins prononcer, et jamais il ne lui serait venu à l’idée qu’un lieutenant devant faire preuve de sagesse et de respect viendrait briser cette image de perfection qu’elle avait toujours attribuée à ses supérieurs). Sans être suspendue à ses lèvres, elle ne savait que trop penser de ce qu’il était en train de lui dire. Un coup, elle était d’accord avec lui -puis il ajoutait un petit détail qui la chiffonnait sans qu’elle puisse expliquer pourquoi. Par exemple, elle avait exactement le même point du vue que lui sur l’importance des pensées bonnes comme mauvaises -elle avait juste voulu faire bonne impression en faisant ressortir le positif comme le lui disaient régulièrement les reines, mais de voir que Coup de Foudre partageait ses impressions à ce sujet avait quelque chose de réconfortant, comme si cela l’aidait à se sentir moins seule.
Le compliment de Coup de Foudre la ravit cependant. C’était une toute autre chose que quand ça venait de Petit Lézard ou des reines, avec qui elle était plus proche. Ce compliment, qui venait de quelqu’un qu’elle ne connaissait pas vraiment, avait presque un peu plus de poids, de valeur.
Elle attendit que le marbré eut fini de parler -d’étranges dernières paroles, qu’elle ne sut interpréter tout de suite mais qu’elle prendrait le temps de ruminer car elle était certaine qu’il voulait lui faire passer un message ; la façon dont il le faisait étant cependant légèrement compliquée, surtout pour un chat en si bas âge. Puis répondit du tac-au-tac :

“Je fais toujours très attention à ce que je fais et à ce qu’on me dit, Coup de Foudre. Je promets de ne continuer dans cette direction… Et ne pas faire de faux pas.” Enfin non, quelle idée Petit Rossignol ! On ne promet pas de telles choses ! “Je veux dire, de tout faire pour éviter les écarts” cette dernière phrase servant à lui assurer ses arrières si jamais, Ô grand malheur, elle venait à commettre une bêtise. “J’ai hâte de venir apprentie pour découvrir toutes ces choses dont tu me… parles…”

Elle sentit une présence non loin d’eux -elle la sentit, car elle avait subitement eu l’impression d’être le sujet d’une attention tout particulière. Celle de son père ! Cœur de Puma était rentré de sa patrouille, dont le reste du groupe s’éparpillait déjà dans le camp pour vaquer à ses occupations avant leur prochaine mission. L’excitation de retrouver son père -son papa chéri et adoré, même s’il était parfois compliqué à aborder- fit se dresser les poils de son échine. Plus encore lorsqu’elle comprit, en jugeant le regard des deux matous, qu’elle était dans une situation quelque peu inconfortable. Ce qui se passait entre eux relevait de tout sauf la sympathie.

“Coup de Foudre. Je pensais que tu avais suffisamment de petits pour ne plus t’inquiéter de ceux des autres.” Quelle phrase… pleine de sous-entendus ?? Que veut-il dire par-là ?

Elle se concentra de toutes ses forces pour calmer l’anxiété qui avait surgit en elle comme une vague d’océan. “Cœur du Puma ! Tu es de retour ! Est-ce que tout s’est bien passé ? Je suis sortie avec Ourse Polaire écouter les histoires des anciens. Et là je discute avec Coup de Foudre ! Il a dit que j’étais observatrice” déclara-t-elle en bombant légèrement le torse. Sûrement que son père serait fier de voir que sa fille était sortie, et qu’elle s’intégrait aussi bien au clan ?
Est-ce que je suis en train de faire ça pour essayer de détendre l’atmosphère ? J’ai l’impression que… quelque chose ne va pas.

Bien sûr, parler au nom d'une chatte dont il n'avait aucun souvenir était risqué. Qui sait si Tornade Vive n'était pas du genre éternelle insatisfaite, si elle n'était pas du genre mauvaise mère, revêche, qui ne valorisait jamais ses enfants? Il tiqua de son oreille guérie pour chasser le souvenir d'Étoile de Suie - il avait utilisé ce nom pour apaiser Rossignol, et il obtint la réaction escomptée: un soulagement. Un sourire. Un rapprochement, qui lui fit davantage délier sa langue:

— Je fais toujours très attention à ce que je fais et à ce qu’on me dit, Coup de Foudre. Je promets de ne continuer dans cette direction… Et ne pas faire de faux pas.
— Ha ha hah! Assure-toi de ne pas garder les yeux sur tes pattes, mm?
— Je veux dire, de tout faire pour éviter les écarts.

Il haussa les épaules. Elle s'adressait à Coup de Foudre. "Coup de Foudre" Coup de Foudre, ce Coup de Foudre-là que beaucoup de guerriers du Clan du Tonnerre ne savaient plus comment considérer. Ce qu'elle voyait comme des "écarts" catastrophiques étaient probablement peu de chose, aux yeux du Bengal et de toutes les rumeurs qui lui collaient dessus comme marbrures au pelage.

— J’ai hâte de venir apprentie pour découvrir toutes ces choses dont tu me… Quelqu'un s'était détaché d'une patrouille, et le bengal n'y fit attention que lorsqu'il se trouva devant lui. Parles, acheva d'une petite voix Rossignol, et elle leva le nez car au-dessus d'elle un robuste guerrier la couvait sous son ombre.

La petite dressa ses poils, sa queue à peine développée se mit à vibrer, et le bengal monta ses yeux dans ceux du guerrier pour le jauger d'un regard et vite comprendre qu'il s'agissait de l'un de ceux qui réprouvaient leur lieutenant controversé.

— « Coup de Foudre. »

Car il était sur le pas de partir, Coup de Foudre avisa le guerrier d'un signe de la tête, sans plus. Il avait ce joli poil tiqueté des abyssins - le dos plus sombre et le ventre plus clair, et il dut se retenir d'admirer le reproche qu'il lisait dans ses yeux. Il avait un faible pour ceux qui l'antagonisaient, car ils lui ouvraient toujours l'opportunité de leur prouver le contraire.

— « Je pensais que tu avais suffisamment de petits pour ne plus t’inquiéter de ceux des autres. »
Hm.

Un sourire lui échappa, et, sans répondre, le bengal se tourna à demi et baissa les yeux sur le chaton qui se fit médiatrice entre les deux: « Cœur du Puma ! Ah, forcément. Tu es de retour ! Est-ce que tout s’est bien passé ? Je suis sortie avec Ourse Polaire écouter les histoires des anciens. Et là je discute avec Coup de Foudre ! Il a dit que j’étais observatrice.

Le regard du bengal se radoucit, montant ses yeux sur le guerrier en penchant sa tête presqu'imperceptiblement d'un côté:

— Eh bien, Coeur de Puma? Tu ne vas pas me faire croire que tu penses le contraire? »

Petit Rossignol est entre ses grosses pattes de vétéran, à l'abri.
Elle a beaucoup de sa mère, plus qu'il ne le sait lui-même, mais Petit Rossignol est une enfant. Elle ne sait pas encore reconnaître le danger lorsqu'il se présente à elle, et encore moins lorsqu'il se cache dans les mots doux de Coup de Foudre. Là, elle s'écrie :

« Cœur du Puma ! » Papa. Appelle-moi, Papa. « Tu es de retour ! » Ses yeux quittent la fourrure sombre du lieutenant et plongent vers la chatonne enthousiaste. « Est-ce que tout s’est bien passé ? Je suis sortie avec Ourse Polaire écouter les histoires des anciens. Et là je discute avec Coup de Foudre ! Il a dit que j’étais observatrice. »

Elle lui vole un sourire. Elle peut tous les avoir.
Il lui ronronne tendrement, s'apprêtant à répondre avec douceur lorsque l'autre lui fait :

« Eh bien, Cœur de Puma ? Tu ne vas pas me faire croire que tu penses le contraire ? »

Adieu la douceur. Quel rabat-joie.

« Elle doit tenir ça de son père. » Tu crois que j't'ai pas vu lui tourner autour ? « Mais elle devrait profiter de voir le monde avec ses yeux de chaton. Après... » Il délaisse à nouveau le lieutenant pour couver sa fille d'un regard doux. « après c'est plus compliqué. »

Sur ces paroles, il s'assoit. En quelques secondes, ses muscles se relâchent et alors il vient chercher la petite marbrée d'un geste de la queue, la rapprochant de sa cuisse; une étreinte à laquelle elle peut échapper si elle le souhaite.

« Alors, Vue de Rossignol... » Petit clin d’œil. « Quelle histoire farfelue Ourse Polaire t'a-t-elle contée aujourd'hui ? Ne me dis pas que c'est encore une affaire de guerre ! »

Il n'y a pas que la guerre, dans la vie. Surtout pas dans celle de sa fille. Bref regard au lieutenant qui -il le sait- ne pourrait acquiescer plus.

Et même dans cette situation de sauvetage, il ne peut retenir ses pensées pour Tornade Vive. Que leur aurait-elle conté, elle ? Quelle histoire aurait-elle choisi pour leurs chatons ? Son cœur se serre dans sa poitrine... Mais la fatigue du guerrier en patrouille peut encore cacher sa peine, n'est-ce pas ?

Oh la la… Et me voilà dans une situation très peu commode ! tous ces sous-entendus anxiogènes n’étaient pas prête de s’arrêter. Compliqué ? Qu’est-ce qui est vraiment compliqué ? Petit Rossignol leva vers son père un regard confus qui exigeait clairement explications. Ce qui est compliqué, c’est vous, les adultes ! Il n’y a rien de compliqué à être sympathique, à entretenir de bonnes relations avec ses camarades, c’est toi-même qui m’a inculqué ces valeurs… J’aimerais que tu m’expliques… bien évidemment elle ne dit rien de tout cela, même si ses interrogations étaient légitimes. Trouver sa place entre un père protecteur et un lieutenant controversé qui ne s’appréciaient guère était un exercice compliqué.
Peut-être était-ce la peur de l’inconnu, ou encore le confort de ce qu’elle connaissait ; quoi qu’il en soit, la chatonne se laissa ramener entre les pattes de Cœur de Puma sans rechigner. Au moins était elle familière avec la chaleur du ventre de son père dans son dos, comme s’il la couvait de son pelage. Petit Rossignol, à la recherche de réconfort, se laissa rassurer par cette douce et agréable sensation de chaleur qui envahit son dos, ses pattes, son corps tout entier. Qu’elle était bien, entre les pattes de papa ! Malgré tout… Une étincelle de doute titillait encore son esprit. Coup de Foudre avait indéniablement attisé sa curiosité et maintenant que c’était fait, il lui serait difficile d’oublier la lueur qu’elle avait aperçue au fond des yeux jaunes du lieutenant.

“Alors, Vue de Rossignol… Quelle histoire farfelue Ourse Polaire t'a-t-elle contée aujourd'hui ? Ne me dis pas que c'est encore une affaire de guerre !”

“Oh non !” s’exclama-t-elle en trépignant des pattes avant. “Comme je m’apprêtais à l’expliquer à Coup de Foudre, les anciens m'ont raconté l’histoire de Court-La-Lune, la grande divinatrice qui a rendu visite au Clan du Léopard et…”

Petit Rossignol se stoppa un instant. Oui, il valait peut-être mieux qu’elle arrête de parler du lieutenant à son père. Mentionner Coup de Foudre n’était pas une bonne idée. Partagée entre son envie de faire bonne impression au lieutenant et ne pas décevoir son père, le dilemme était immense et intense. Elle finit par se tourner vers son père -la tête levée vers le ciel :

“Eh enfin, voilà, j’aurai la suite de l’histoire demain.”

Elle afficha une moue toute heureuse et se frotta au ventre de son père. Mais d’un œil scrutateur, elle dirigea son regard vers le lieutenant qui le lui rendit. Cette prise de contact avec lui… Non, elle ne voulait pas tout annuler d’un coup. Il s’était passé quelque chose et elle voulait être sûre que Coup de Foudre s’en souviendrait.

À l'insu du chaton se passa une discussion qu'avec les yeux. Des siens, Coup de Foudre provoqua Coeur de Puma, tandis que ce-dernier se retenait de riposter. Il n'allait quand même pas l'attaquer sous les yeux de sa fille? Son propre lieutenant?

— Elle doit tenir ça de son père, il répondit, donc, laconique. Quel modèle de sang froid, Coup de Foudre ne put s'empêcher de rembellir son sourire. Mais elle devrait profiter de voir le monde avec ses yeux de chaton. Il hocha la tête, acquiesçant. Après... « Après? » après c'est plus compliqué. »

Et comment.

Coeur de Puma s'assied - un regard sur sa fille lui permit de se relâcher et de mettre de côté toutes ces postures. Il devait beaucoup aimer ses enfants. Il en connaissait quelques uns, comme ça - quelques unes, à vrai dire, il était rare de voir des pères aussi dévoués (qui n'étaient ni Poil de Bouc, ni Poil de Carotte), au Clan du Tonnerre. Un autre nom lui vint à l'esprit qu'il se hâta d'oublier, pivotant une oreille vers l'arrière.

— « Alors, Vue de Rossignol... Quelle histoire farfelue Ourse Polaire t'a-t-elle contée aujourd'hui ? Ne me dis pas que c'est encore une affaire de guerre !

— Oh non ! s'exclama Vue de Rossignol, et devant cette scène banale, ménagère, domestique, le bengal se sentit vieillir de cinquante lunes en plus, sentant à nouveau son appui sur la réalité lui glisser sous les pattes. Il les écoutait d'apparence, mais leurs voix se distançaient. Comme je m’apprêtais à l’expliquer à Coup de Foudre, les anciens m'ont raconté l’histoire de Court-La-Lune, la grande divinatrice qui a rendu visite au Clan du Léopard et…

Coup de Foudre dressa ses deux oreilles - malgré la dissociation il était encore présent.
— Eh enfin, voilà, j’aurai la suite de l’histoire demain. »

Le chaton lui tourna le dos pour se frotter à son père, et Coup de Foudre engagea sa sortie en roulant d'une épaule, mais juste avant de partir, lui comme elle jetèrent un regard au-dessus pour soutenir celui de l'autre une seconde. Une seconde, immortalisant leur échange certes un peu compliqué pour Rossignol, mais qu'elle finirait peut-être par comprendre avec le temps et l'expérience. "Le temps et l'expérience", mais où s'en allait sa jeunesse? Il salua le vétéran d'un mouvement de la queue, laissa père et fille à leurs histoires, et se traîna les pieds direction la pile de proies où les reines qui l'observaient depuis un moment vinrent lui demander "pourquoi il ne viendrait pas manger avec elles".

Il refusa poliment - Ourse Polaire en profita pour se rapprocher et lui dire qu'elle était désolée. Qu'elle l'avait vu étreindre le chaton, qu'elle savait pourquoi il l'avait fait, qu'à elle aussi, malgré tout ce qui s'était passé, malgré son avis sur la question, Secret du Firmament lui manquait. Le bengal détourna les yeux et la tête, repoussant la reine qui avait élevé ses deux portées d'une patte molle et faible, et elle consentit à lui laisser son espace. Elle était triste quand elle le vit violemment écarter la dépouille d'une corneille sous son nez, défrichant une proie en dessous au-dessus de laquelle il se pencha, plongea le museau et planta les dents dans la chair, l'y extirpant en faisant s'effondrer le haut de la pile. Tout ça pour un écureuil! Se plaignirent quelques guerriers, et le lieutenant tenta de plaisanter que peut-être deux piles seraient mieux qu'une mais le coeur n'y était pas.

Il aurait pu arracher un morceau plutôt que d'amener toute la proie, seulement il s'était dit que ce ne serait pas assez. La Rivière coulait aujourd'hui, il la longea tout en traînant sa proie avec lui. Il la longea pour regarder son double trottiner la berge à l'envers, son autre-lui d'ailleurs d'un monde-miroir déformé. Il s'observa une seconde - ses moustaches étaient lisses, son poil était rond, sa queue, bombée au bout, et les épines à rebrousse-poil de son poitrail lui donnaient fière allure. Si seulement un coup de langue avait pu se charger de ses yeux, et du vide dedans, de cette appréhension qui les rendait fades. Les rochers du soleil étincellaient sous les rayons, il s'en détourna, jetant un regard au noisettier qui se trouvait tout près, puis il s'éloigna du dégagé pour écarter d'une patte les lierres couvrant l'entrée de sa Renardière.

Dernier effort - ronflement du nez, coup de tête, et il traîna l'écureuil avec lui pour faire face à son nid douillet et duveteux de plumes et de fleurs endémiques aux autres clans où étaient emmitoufflés Étoile Masquée ainsi que sa compagne du Clan ennemi.

— « ...Alors Jolie Abeille, tu as déjà mangé de l'écureuil? ~

Pas de réponse.

Il lâcha la proie, elle s'affaissa sans le son, et il laissa ses yeux suivre les anneaux de la queue de son ancien ami, remontant sa ligne dorsale, détaillant son masque en face, scindé d'une cicatrice qui séparait ses deux visages. Il avait l'air apaisé. Ils avaient l'air apaisés, tous les deux.

Et il s'assied.

Il était trop tôt pour en parler au Clan.

Trop tôt pour leur dire qu'il redoutait d'aller chercher ses vies, car il se doutait qu'on ne lui en donnerait pas, car ni les Étoiles, ni le Tonnerre, ne soutenaient vraiment leur Lieutenant. Et pendant une seconde? Il se sentit jaloux. Jaloux qu'Étoile Masquée eut le privilège de mourir avec son aimée, lui, alors que son corps à lui fonctionnait encore malgré tout ce qui lui manquait. Alors il faisait comme si. Après avoir pris une bouchée dans l'écureuil, son sourire se jaunit en demandant à Masquée s'il en voulait une aussi.

— Non?     Tant pis. »

HRP: