C'est une Faveur [Feat. Coeur de Puma] - end

— Tu as fini, grand chef ? Je peux nourrir le Clan, maintenant ?
— Bien sûr, fidèle et loyal vassal.

Quelle surprise de constater que Coeur de Puma ne l'écoutait même pas.

Ou bien tu vas me demander d'aller lécher le cul malade des Rivièreux pour le bien de notre alliance, d'abandonner ma mission pour trouver l'intrus que tu es incapable de pister depuis des lunes… oh non, je sais. Tu veux que je trouve une bonne cachette pour y dissimuler ton derrière tremblant du Clan des Étoiles ?!
— En voilà, des idées. »

Étoile de Suie se serait jetée sur lui. Elle l'aurait fait tomber d'un seul coup de patte (elle en avait la force), elle lui aurait tenu le museau entre les crocs, et, tout en reserrant (un frisson lui prit jusqu'au bout de la queue) elle aurait grondé que ce genre de comportement se sanctionn[ait], avorton. Étoile du Vautour aurait fait quelque chose dans le même genre. Loin de reculer devant un adversaire, il aurait bondi toutes griffes dehors pour faire ravaler son insolence au vétéran. Étoile de Cendre n'aurait même pas pris la peine de répondre - sans doute aurait-il envoyé un Chanteur répondre à sa place.

Masquée,...

Immobile sur le haut du rocher, il regarda Puma partir, sans la violence du réflexe qui voulait le faire fondre dans son dos. Sans celui de se hérrisser à ses insultes (il faut dire qu'il était satisfait d'être insulté, car il avait l'habitude de l'être), et sans celui de se cacher derrière quelqu'un d'autre. C'était quand même risible: se préocupper pour la première fois du Clan et de leur sécurité lui valait les reproches d'avoir peur et de ne pas en faire assez.

Au moins il était fixé: Coeur de Puma lui reprochait d'être cordial et s'en faisait tellement pour ses enfants qu'il était prêt à surchasser la forêt. Qu'il ne se soucie pas de l'étranger était pour le moins curieux, mais qu'il se fiche que Coup de Foudre s'en soucie était de la folie. Mais soit! Lui donner le temps de l'invectiver tout en lui permettant de s'en aller était fait, ça lui faisait une faveur de moins.

La prochaine, et Coup de Foudre leva les yeux au ciel, observant les nuages qui s'y ammoncellaient, se ferait en épargnant au Clan du Tonnerre de se souiller les pattes lorsqu'il leur prouverait (ou non) la Bénédiction des Étoiles. C'était un soulagement de constater que mis à part ses enfants, à qui il ferait une faveur, advenant l'option "ou non", personne ne le pleurait, et il ne manquerait à personne; Justice serait rendue dans le Clan, ils auraient tôt fait de choisir un nouveau chef, ce chef un nouveau lieutenant, et de recommencer à lécher leurs pattes aux traditions. Le chef est mort longue vie au chef, retour au statut-quo.

Ses yeux s'étaient fermés - il ne s'en rendit compte qu'en les rouvrant, sentant ses pupilles se dilater quant à l'autre issue possible, ce futur incertain qui frétillait comme une proie, et tout son corps qui lui criait de le pourchasser. Ce futur incertain et absurde où les Étoiles le bénirait, où il aurait les vies, où il prouverait au Clan sa bonne foi (combien d'autre fois devrait-il se prouver?) et aurait tout les moyens pour les protéger et les écouter et s'adapter à eux et exploiter leur potentiel et construire une cohésion quitte à toujours être leur ennemi, quitte à toujours être haï - Il n'était ni Masqué ni Cendré ni Vautour ni Étoile de Suie, et on venait de lui montrer qu'on ne l'écouterait enfin que lorsqu'il aurait suffisament d'autorité au sein du Clan.

Ce qui viendra - ou non.

— --Ah.

Bizarre.

C'était mouillé sur sa patte.

Pourtant elle avait du sécher, entre l'aube et maintenant?

Comme prévu ou plutôt comme intimement espéré, Coup de Foudre ne se perd plus dans de longs discours. Il répond du vide; sans doute pour continuer d'occuper un peu d'espace. Le bengal reste simplement droit, il attend.

Et Cœur de Puma se tourne pour ce qu'il croit être la dernière fois.

Il fait un premier pas assuré.
Au fond, il est encore déçu. Il aurait aimé que le mâle sombre lui cloue le bec, qu'il lui démontre ses erreurs de réflexion, qu'il lui explique, qu'il lui parle et lui dise sa pensée. Mais outre les discours irraisonnés voire irraisonnables, son chef-mais-pas-vraiment ne lui répond rien. Encore une fois, le matou aux yeux jaunes lui montre l'étendue de sa bêtise et de son incompétence.

Quand il finit sa deuxième enjambée, Cœur de Puma se sent vide.
Il se sent oublié de ses ancêtres. Les étoiles ne lui laissent rien qu'un poltron plein d'artifices comme meneur; les mêmes qui lui ont pris sa compagne ne sont pas fichues de le débarrasser de cet incapable… Pourquoi ? Pourquoi le monde s'acharne-t-il à laisser Coup de Foudre à cette place qu'il occupe avec du mal quand il vole à Tornade Vive la chance de voir grandir ses petits ?

Son coussinet droit touche le sol froid une seconde fois.
Et il suffirait à Coup de Foudre qu'il se rende à la Pierre de Lune; la voix sacrée des Étoiles. Et puis quoi ? S'il est renié de leurs ancêtres, il n'aura qu'à revenir et dire au Clan qu'il ne peut pas être leur meneur. Et s'il a si peur qu'on l'exécute violemment, il suffirait qu'il fuit. Qu'il revienne prévenir ses petits qu'il est en vie mais qu'il ne peut rentrer sans crainte. Et si les Étoiles l'acceptent, il pourrait nommer un second; qui oserait dans le Clan remettre en question la décision sacrée de leurs ancêtres ?

Mais sans bénédiction des Étoiles, sans le nom, sans les vies et même sans la foi ! Qu'est Coup de Foudre si ce n'est un rigolo qu'on a nommé lieutenant comme par accident. Si Étoile Masquée avait un peu d'humour, pour sûr, on aurait pris la nomination du bengal pour une mauvaise blague et rien de plus.

Qu'est-ce qu'Étoile Masquée a vu en Coup de Foudre ? Cœur de Puma a cherché pendant des lunes. S'il était plus ambitieux, il aurait pensé que le marbré avait usé du chantage mais…

« --Ah. »

L'imposant guerrier roux se retourne, une grimace agacée à la gueule. Ce va-et-vient l'irrite à présent; la conversation est terminée, n-- ?

« Attends. »

Il fait demi-tour, sourcils froncés et tête baissée comme un chasseur à l'affût. Il s'approche de quelques pas, comme pour s'assurer que ses yeux ne le trompent pas. De retour en bas du monticules rocheux, il lance :

« Tu pleures ? »

— « Tu pleures ?

— --Ntk. Tic de la langue. Ses oreilles s'aplatirent dans leur cran et il secoua vite-fait sa patte et la moiteur dessus. Ça, ou il s'est mit à pleuvoir.

L'irritation fut physique - ses babines se distordèrent en grimace, faute du picotement qui lui prit dans ses yeux, et c'est sans grâce aucune qu'il se mit à battre des cils, en décalé, pour tenter de chasser la poussière qui y était indéniablement entrée. Saloperie de poussière-- Voulait pas sortir--

— Qu'est-ce que peut te faire-   laconique, brusque, même, comme le fut le réflexe de lever une patte pour se couvrir l'oeil (se raviser), optant pour tourner la tête et cacher à un guerrier de son clan la laideur germant dessous sa paupière. Une distraction - il balaya tout un arc de cercle avec la queue: Va chasser. »

Va-t-en!

Hoquet des épaules - pas un rire, pire, et il serra les dents en étranglant le reste d'un sanglot dans sa gorge, déglutissant bruyamment. Ce n'était pas lui - ça ne lui appartenait pas - quelle perte de temps! - bordel, qui dit oeil enflé, dit patrouille gâchée--

Le marbré claque sa langue dans un geste incontrôlé puis comme pour se débarrasser d'un liquide poisseux, il se met à agiter sa patte avec une expression de dégoût non dissimulée. Du dégoût sans doute mais surtout de la surprise sur tout son corps !

Cœur de Puma commence à grimper : cette fois, il veut comprendre. Coup de Foudre peut bien avoir sa part de mystère -certains diraient que toute sa personnalité est basé sur ça et le sexe- mais tout de même ! Pleurer après cette discussion, ça mérite des explications.

Alors que l'ahuri battant des cils mène un combat féroce contre la seconde larme qui lui échappe, le voilà qui doit à nouveau faire front à Puma qu'il tente de repousser d'un « Qu'est-ce que peut te faire- » quand le vétéran le rejoint au sommet des Rochers aux Serpents.

C'est la première fois qu'ils sont si proches depuis leur arrivée sur les lieux et le rouquin prend malgré lui un malin plaisir à envahir l'espace de son chef-mais-pas-vraiment, lequel lui tenait tête quelques secondes auparavant. Soudain épris d'une pudeur qu'on ne lui aurait jamais accordé à en croire les rumeurs du Clan, Coup de Foudre tente de cacher son profil larmoyant en détournant la tête.

« Va chasser. » ordonne fébrilement le meneur, battant sa dernière carte pour renvoyer le guerrier curieux.

Mais Cœur de Puma ne cède pas. Enfin, rien que quelques centimètres supplémentaires entre leurs corps pour accorder un peu répit au bengal qui de toute évidence commence à lui faire de la peine.
Incompréhensible.

Tout allait bien puisque tout allait mal entre eux comme d'habitude; lui qui répand son honnêteté et l'autre qui lui rétorque des stupidités et joue sa meilleure pièce quand soudain tout est étrange. Coup de Foudre pleure; et il a l'air au moins aussi surpris que Cœur de Puma de ça !

« Je- » Silence. Il ne sait pas quoi dire. « Pourquoi ? »

Est-il allé trop fort ? Était-ce bien juste d'accabler Coup de Foudre de la sorte, de lui manquer d'autant de considération ? Le marbré a-t-il enfin un éclair de lucidité ?

Cœur de Puma n'en sait rien. Et cette fois, il est bien décidé à comprendre.
La pile de gibiers attendra car aujourd'hui, Coup de Foudre lui offre enfin une ouverture intime.

Et Puma s'en alla chasser et RIEN D'AUTRE--

Hah!

Bien sûr que non.

Bien sûr que ce n'aurait pas pu être aussi facile, bien sûr que Puma dut monter le rocher, et s'approcher, et tenter de le contourner et étirer le cou et ouvrir d'yeux belliqueux face à l'étrangeté d'assister à l'objet de sa haine succomber (souffrir?) d'un trop-plein manifesté par un dérèglement physiologique.

Mes Reines et Matous, il s'entendait en écho entre les oreilles, venez! Approchez - admirez l'incongruité de [leur] Fou du Clan révéler la déformité de son reflet si minutieusement fabriqué! Les facettes d'un miroir qui se casse! Venez le voir trembler debout sur une plaque de glace qui se fend d'éclairs - une plaque, qu'il a probablement cassée lui-même, n'est-ce pas? En sautant dessus, pour tester la résistance, provoquer les flots en dessous, goûter au vertige de tomber--

-- tombe une larme, une deuxième, ça fait trois il ne les compte plus elles lui piquent les yeux, ^plic   _ploquant à ses pattes et faites qu'il ait vraiment des pouvoirs sur la météo, faites qu'il s'agisse d'une averse de pluie qu'il ait lui-même provoqué--

— « Je-

Mais ce serait trop facile!

— « Pourquoi ?

— « --PhourqOUAH!

C'est encore pire quand le sanglot se tord dans un rire, et le rire assène à son ventre de violents soubresauts - HA_-HA-HA_-HA-HAH ! - Frappé de perplexité et de chagrin et de colère et d'hystérie il n'est plus réduit qu'à assister à sa propre explosion avec la même fascination qu'il se permet de le faire d'autrui. Pourquoi, lui demande Coeur de Puma, et Coup de Foudre le dévisage tout en dérision et en reproche, simultanément en rires et en pleurs:

Tu m'enlèves les mots de la bou_-HOU-HOU-che! »

Il a une pensée pour Fifi qui avait mal quand elle pleurait, qu'elle avait besoin de temps pour se reprendre, mais qu'au moins, à la fin, elle était vidée. Lui l'était déjà - vide. Toutes ces larmes et toute cette colère et tout ces tremblements ne soulageaient rien, pire, ils s'empiraient.

Il en était à barrir en se rappelant ce jour où Nuage de Cerf avait du le gifler pour le réinitialiser complètement après un fou-rire qui ne s'arrêtait plus - qu'est-ce qu'il aurait donné, à l'instant, pour avoir Danse du Cerf lui en coller une--

— PourquohA^-HA-HA t'es encore    là !?

Coup de Foudre ne tarde pas. Et aussi vite qu'il est passé du mépris aux larmes, le bengal passe des larmes aux rires. En tentant de répéter la question de son camarade, le marbré dégringole en éclats de rires sans que Cœur de Puma ne puisse rien comprendre.

Mouvement de recul, yeux plissés, queue qui s'agite avec irritation; tout son corps trahit le Il se fout de ma gueule là ? qu'il se garde en pensée.

Pourtant, Coup de Foudre fait peine à voir. Pris d'une grosse quinte de rigolade, son corps se soulève et tousse des rires; tendant ses muscles sans lui permettre le moindre répit. Le malheureux s'essouffle, bientôt il s'étouffera dans sa crise. Cœur de Puma ne sait plus dire si les larmes qui échappent encore à son lieutenant sont le fruit d'un chagrin ou d'une douleur abdominale.

Le malheureux éclate littéralement en rires; très vite, ce sont des esclaffements qu'il vomit dans un gigotement incontrôlé et même s'il parvient à articuler, ce ne sont que des sons qui sortent, rien d'autres que des syllabes parfois mal-audibles.

Cœur de Puma ne bouge plus. Ses yeux noisettes, presqu'à l'image de leur lieutenant, s'affolent. Ils cherchent avec un certain désespoir à lire le corps convulsionné du marbré; à trouver un semblant de réponse, au moins un indice pour comprendre la situation.
Et il n'est pas fasciné comme un chaton face aux rebonds d'une balle de mousse mais pétrifié comme un jeune guerrier face aux horreurs d'un champ-de-bataille.

Quand enfin Coup de Foudre parvient à se faire comprendre, c'est pour demander -presque accusateur- au vétéran ce qu'il fait encore là.

Ah oui, il est là.

« Oh, parce qu'avec le boucan que tu fais, j'avais une chance d'attraper quoi que ce soit ? » sur la défensive, enrobée de taquinerie.

Comme soudain conscient que son regard pèse sans doute sur le dos courbé de son camarade, Cœur de Puma l'en libère et fouille l'orée des bois du coin de l'œil.

« Je ne vais pas te laisser seul en pleine crise de fou rire avec un intrus pisseur dans les parages. » Il se relève, s'écarte un peu. « Sans tes neufs vies. »

"Crise de fou rire"
Ah ça, pour avoir l'air fou, le futur meneur n'a rien raté.

Et même si le vétéran au museau marqué n'en dit rien, il n'en pense pas moins.

Mais bien sûr parce-que c'aurait été trop beau et trop facile c'était PUMA qu'il avait dans les pattes, pas Cerf! Et Puma ne le connaissait pas, Puma ne connaissait rien, Puma restait planté là comme un con à avoir peur car surprise!


Surprise!


SURPRISE!!


Il se trouve qu'il y a des limites, à ce qu'une tête (même cassée!) peut supporter!

— « Oh, parce qu'avec le boucan que tu fais, j'avais une chance d'attraper quoi que ce soit ?

« --QUE  JE  FAIS!!!

HA HA HA HA !!!

Bien sûr, bien sûr - comment oublier! C'était bien sûr lui, toujours lui, toujours compter sur le Tonnerre pour tout lui rabattre sur son dos à lui - vu les griffures s'y torsadant, c'était bien la preuve qu'il était capable d'en prendre, non!?

Les larmes redoublèrent, donc les rires aussi - bien qu'il pleurait de rire, riait aux larmes, aucune trace de joie ne transparaissait, juste de la détresse.

— Je ne vais pas te laisser seul en pleine crise de fou rire avec un intrus pisseur dans les parages. Première décence de Puma aujourd'hui: s'éloigner, ce qui permit au Bengal de détourner complètement la tête et de se garder quelque pudeur à la salive qui lui échappait de la langue, à chaque à-coup de rire. Avec les pleurs et la salive, l'humidité sous ses pattes, en tout franchise, l'écoeurait.

— Sans tes neufs vies.
— « "Pourquoi", y m'demande --

Ses mots remontèrent avec la bile - un haut-le-coeur lui prit au dos et il secoua sa tête, tout en la dodelinant, tentant de retenir tout, tout, tout à l'intérieur, en serrant les dents en se coupant le souffle et en forçant son corps immobile mais tout ce qu'il réussit à provoquer fut une toux, où s'échappaient des ricanements aux inflexions trop aigues, trop graves, sans plus aucune mélodie sans plus aucun contrôle sans plus de queue ni tête, cassée ou non.

L'accusation et la dérision déformaient son faciès. Décidément son corps n'en avait pas assez de pleurer et rire en même temps, car à Coeur de Puma il lui feula:

— Ça t'en bou-_hou-houche un coin, hein, de savoir que ce connard de Coup de Foudre a, SURPRISE! Du ressenti!

HA HA HA HAH - Des émotions!  Oh! Oh, et tellement de PEINE, aussi, mais qu'est-ce que c'est plus facile de s'en FOUTRE !

HA  HA  HA  HA  HAH !

Complètement absurde - risible, même! Et pathétique - surtout, surtout, surtout pathétique mais inutile de s'en faire, pas de panique! D'entre les deux? Le premier à vouloir que tout cela ne cesse était Coup de Foudre.

Coup de Foudre marmonne dans sa bave, prostré vers le sol. Son corps le fait taire, le noie d'une éructation répugnante qui appelle Cœur de Puma à se retourner. Sous ses yeux, voilà son lieutenant contracté de tous ses muscles. Et sans qu'il ne puisse voir la tête, il devine une grimace de dégoût.

Le bengal figé se met à trembler. Le vétéran ouvre la gueule, la referme. L'ouvre à nouveau :

« … Coup de Foudre ? »

Il ne fait qu'un pas vers la face de son lieutenant avant qu'une crise de toux ne lui réponde. Et très vite, éclatent de nouveaux rires incontrôlés qui ne se ressemblent même plus. En dépit de l'air qui vient à manquer et de son agonie, Coup de Foudre parvient à feuler :

« Ça t'en bou-_hou-houche un coin, hein, de savoir que ce connard de Coup de Foudre a, SURPRISE! Du ressenti!

HA HA HA HAH - Des émotions!  Oh! Oh, et tellement de PEINE, aussi, mais qu'est-ce que c'est plus facile de s'en FOUTRE ! »

Cacophonie de rires étouffés par de grandes goulées d'air prises in extremis. Bientôt ce sont haut-le-cœurs et toux qui s'ajoutent à la liste de bruits. Les larmes reviennent, fendent les joues du malheureux en deux et s'y glissent à présent sans peine tant la voie est ouverte. Les yeux écarquillés, les canines immaculées et la langue s'affolant de Coup de Foudre illustrent le chef d'œuvre musical avec la même grâce que les résidus mouillés de bave qui dégoulinent de son menton.

Cœur de Puma se tait, figé un instant comme son lieutenant auparavant -l'asphyxie et les tremblements en moins. Depuis quand avait-il pris la manie de parler autant ?

Son cœur ralentit, sa gorge appelle à l'air et quand s'engouffre enfin le froid gazeux dans sa trachée, il se détourne ultimement de son supérieur.

Pour l'instant, il ne peut pas penser.

Au lieu d'entendre une riposte ou un grondement ou une excuse ou même une plainte, Coup de Foudre entendit le bruyant écho d'un sanglot, son sanglot, révulsant ses paupières sur d'yeux cafardeux en les pivotant vers le guerrier car les entendait-il aussi? Les entendait-il aussi? Sans doute tout le Clan le devait car ses pleurs l'assourdissait.

Peut-être qu'il s'était trompé - peut-être que son pouvoir n'était pas sur la météo, tout compte fait, peut-être qu'il avait le pouvoir d'arrêter le temps, car Coeur de Puma était parfaitement immobile, parfaitement estomaqué et saisi d'effroi face au bengal et toutes les apparences qu'il se donnait se disputant le même corps avec violence.

Au lieu d'entendre quoi que ce soit il s'entendit avoir raison, et le son lui glaça le sang - Coeur de Puma était vraisemblablement bouché.

Là où plus tôt il avait voulu ses yeux sur lui, avait voulu le provoquer, avait voulu se battre (fervemment, dans un combat d'idées!) toute son attention à l'instant le rendait malade.

Coup de Foudre ne riait plus - la confusion s'était envenimée:

— « ARRÊTE DE ME REGARDER COMME ÇA!

Un postillon de salive lui échappa, l'émail de ses canines reluisant à l'air libre.

— POURQUOI TU ME REGARDES!

Sa queue claqua la surface du Rocher qui cliqueta pour chacune de ses griffes. Le ciel s'assombrissait - ou bien c'est qu'à la berlue dans les yeux et la paupière nictitante sortie, merci l'oeil enflé, la lumière se filtrait mal. Un observateur qui ne voyait plus! Il aurait du rire- c'était la réponse appropriée -- Un observateur aveugle -- quelle blague!   EUX l'auraient ri, ils auraient--

— Pourquoi t'es  resté!?

Pourquoi il le regardait!?

(Il n'y avait rien à voir.)

Pourquoi il était resté!?

(Pourquoi c'était LUI et pas Fifi, et pas Waffle, et pas Mumuse, Cerf,  Raton-Laveur, Vipè_re--   _{é t o i l e   de   s u i e--})

--Pourquoi il était   LÀ!?

Et pas à sa place, la place de Lieutenant, la place de Chef - ça coulait de source bordel, la place revenait aux chats qui représentaient le mieux le Clan, et pas à un "marginal" "fou" "pendu par la patte" risquant la dépression nerveuse après qu'une goutte de trop n'ait--

Les idées se bousculent dans sa tête. C'est fou; il a la sensation de tout comprendre d'un coup mais toutes ses idées sont emmêlées les unes aux autres, groupées en fouillis tel que certaines en cachent d'autres. Il aimerait se concentrer, pouvoir réorganiser ses pensées, reprendre le contrôle de la situation mais le cri féroce de Coup de Foudre brise le silence, l'arrache à ses réflexions :

« ARRÊTE DE ME REGARDER COMME ÇA! »

Sa voix résonne dans la forêt comme celle d'un sanglier qu'on égorge.
Le balafré se tend, ses babines sursautent sur ses canines un instant et son corps sort ses griffes dans un geste réflexe qui ne lui appartient pas.

Coup de Foudre, prostré dans une position défensive lui fait à présent face à crocs découverts.

« POURQUOI TU ME REGARDES! »

Claquement furieux de queue, crissements des griffes sur le rocher. Tout interdit au vétéran de rentrer les siennes et de détourner les yeux, à présent.

« Pourquoi t'es  resté!? »

Étrangement, c'est à ces mots que le rouquin reprend un peu de contenance. Il piétine, se replace, se tient bien droit. Il ne cède rien à Coup de Foudre.

Et cette fois, il s'interdit volontairement de se répandre en des mots maladroits.

Cœur de Puma n'a jamais été un grand orateur, même en parlant avec franchise et honnêteté. Il a toujours laissé les mots à feue Tornade Vive. De nature discret, il s'est fait violence à chaque fois qu'il est allé confronter Foudre, à chaque fois qu'il a parlé en public pour défendre ses idées (et ses petits). Aujourd'hui, c'est trop de violence pour lui.

Muré dans le silence, le matou roux traduit néanmoins l'intensité du moment par ses sourcils froncés, ses oreilles rabattues vers l'arrière de son crâne et sa queue arquée -convexe au sol- tenue en hauteur.