Qu'est-ce que je fais donc ici? Les Hautes Pierres n'est pourtant pas un lieu où l'on se retrouve sans y penser et pourtant c'est là que je me trouve. Quelle était donc ma motivation pour venir ici, traverser les terres de la rivière, passer par les quatre Chênes et enfin traverser ce fichu chemin du Tonnerre, duquel j'ai échappé à la mort d'un poil de souris. Je ne sais pas, je n'arrive pas à formuler une justification suffisante. Je n'ai pas eu l'autorisation de venir là, ce n'est certainement pas une requête des hautes instances du Clan, encore moins la volonté précise des Etoiles, bien que je crois que chacun de nos actes est guidé par la voix de nos ancêtres.

Je m'avance dans ce paysage si différent de ma terre. Pas de cours d'eau, de clapotis ou d'odeur de poisson alléchante, non, juste des rochers encore et encore à perte de vue. Je devrais faire demi tour, rentrer à la maison, avant que l'on ne remarque ma disparition, accepter la lourde punition qui ne manquera pas de tomber, mais un petit rien m'empêche de tourner les pattes. Et si... Et si je me frayais un passage vers la Pierre de Lune... Et si... Même si je ne suis ni Guérisseur, ni Chef, peut-être que je pourrais entendre la voix de Maman. Enfin. N'est-ce pas pour cette raison que je suis réellement là? Même si je ne veux pas me l'avouer? Parce que le son de sa voix ne semble qu'un lointain souvenir, que je me demande parfois si ce n'est pas juste une simple invention de ma part, pour me dire que je n'ai pas oublier la voix si chère à mon coeur? Je sais que ce lieu est sacré, que je ne devrais pas oser y pénétrer avec des motifs si impurs. Mais je ne peux m'empêcher de le vouloir plus que tout au monde. Je fais un pas hésitant, puis un autre. Je recule, j'avance, je ne sais pas.

Bon. Préparons la super aventure où le héros a besoin d'aide et que son camarade doit se faufiler jusqu'à lui! Première étape, sortir de la pouponnière. C'est facile, après tout j'ai le droit de sortir dans le camp. Je trottine dans le camp, mine de rien, tentant de masquer mon angoisse naissante, jusqu'à ce que mes yeux se posent sur le pelage de mon frère. Je soupire de soulagement, mais effectue un rapide check-up. Il bouge normalement, n'a pas l'air de souffrir, n'est ni mouillé ni agonisant au sol, ne boite pas, a la tête haute et les yeux brillants. Ouf. Bon il a quand même l'air bien occupé et je n'ai pas envie de le déranger. Alors que vais-je bien pouvoir faire? Et pourquoi pas aller quand même à la rivière? Oui, mais c'est tellement dangereux là-bas et puis tout seul c'est moins amusant et plus risqué... Non en plus à côté de l'eau, il pourrait y avoir de la boue et j'ai pas envie de prendre le risque de me salir. Mais en même temps je n'y suis jamais allé et j'ai entendu dire que c'était l'endroit préféré de Maman, je suis fortement tenté de découvrir ce lieu.

Et puis vient un son. Une voix. Proche. Enfin je crois. Je cherche à droite et à gauche, me demandant si c'est un tour des Etoiles. Je ne vois rien pourtant. Un arbre, un caillou, un peu de mousse, un caillou, un chat accroché à la paroi, un caillou, un... Quoi? Un chat? Je braque de nouveau mon regard dans la direction où j'ai vu un matou, sûrement une illusion de mon esprit. Et pourtant... Une petite féline au pelage sombre est bel et bien accrochée au dessus du vide, prête à tomber dans le vide d'un instant à l'autre. Mes yeux s'écarquillent en même temps que ma bouche s'ouvre en grand. Un instant passe avant que je ne me précipite vers elle.

Ni une ni deux je m'approche de la féline, manquant de glisser sur les pierres luisantes. Je ralentis, il ne sert à rien que je tombe aussi. Certes j'échapperai à la punition à mon retour au Clan, certes je débarrasserai la Rivière du boulet que je suis, mais elle, elle ne mérite pas de tomber par ma faute et mon incompétence. Je m'avance alors prudemment du bord et me penche, manquant encore une fois de plonger la tête la première dans la crevasse. Après plusieurs essais infructueux et plus dangereux les uns que les autres, j'arrive à être assez proche pour planter mes crocs dans son cou. Et là je tire. Je bénis de nouveau la masse héritée de Maman, même si rien n'est joué. Je tire, glisse un peu, tire de nouveau, une glissade... Et après ce qui semble avoir duré une éternité, je suis parvenu à la hisser en sécurité et je reprends difficilement ma respiration aux côté de la chatte de l'Ombre.