Depuis que l'on avait dû se réfugier si loin de nos terres, je me sens déprimé. Non, plutôt depuis que l'on est si proche de ces maudits venteux. Bien sûr, les circonstances sont terribles et n'aident pas à positiver. Une cheffe absente, notre camp sous l'eau, notre Guérisseur disparu (heureusement que Poulpe est revenu)... Et ce n'est que la surface des choses. Ça pourrait être pire bien sûr, on a un camp temporaire, on arrive à survivre. Et puis la Tribu est une agréable voisine. Bien meilleur qu'eux... Ces maudits coureurs de lapins. Chaque fois que je m'éloigne un peu, en essayant de me rendre utile, je sens venir jusqu'à moi leur odeur. Avant, l'eau vive nous séparait de loin, avant nous étions protégés par la rivière. Mais ça c'était avant. Maintenant, ils sont là, si proches que je sursaute au moindre bruit, craignant qu'un de leur membre ne vienne encore tuer quelqu'un. Je me souviens encore de ce matin, où après avoir rêvé de cris et de grondement je me suis réveillé contre mon frère. Sans Maman. Et après l'avoir attendu, on nous a annoncé que désormais Mamartre s'occuperait de nous car Mamopale avait rejoint nos ancêtres. Tout ça à cause du Vent. Elle avait été tuée en traître. Cette bande de lâche!! Je les hais, je les hais, je les HAIS!! Et chaque jour je dois supporter qu'à chaque coup de vent, l'odeur de ces chacals s'approche de nous. Et si Crabe était leur prochaine victime, ou Océan... Non, mes frères sont forts et capables de se défendre. Mais il y en a des plus vulnérables au Camp. J'ai du mal à fermer l'oeil, tant j'angoisse qu'un de ces coeurs de rat s'infiltre.

Et encore une nuit où je n'ai quasiment pas fermé l'oeil. L'inondation semble se résorber, doucement, mais j'espère sûrement, à moins que ce ne soit mon imagination. Peut-être ne serais-je en paix que lorsque l'on sera de nouveau à notre camp. Notre vrai camp. Peut-être. J'ouvre un oeil, encore. Le soleil s'est bien levé. Il n'est pas encore midi, mais l'aube est encore loin. Il est grand temps que je me bouge. Qu'est-ce que je ne donnerais pas pour plonger et pêcher, chose impossible par ici. L'eau me manque, j'ai comme l'impression d'avoir laissé une partie de moi derrière et aussi le lien que j'ai avec Mamopale. Je traverse ce qui nous sert de camp, essayant de ne pas m'aplatir sous le regard noir de Mamartre. Elle ne nous as jamais aimé. Pourquoi nous étions vivants et pas eux? Voilà ce qu'elle n'a cessé de nous marmonner à l'oreille toute notre enfance. Et même maintenant, je perçois encore son hostilité. Par réflexe, j'ai failli chercher mon mentor. Ça fait pourtant des saisons que je ne suis plus Apprenti, et pourtant je n'y crois pas. Je me demande parfois si ce n'est pas parce que Crabe méritait de devenir Guerrier et qu'il me voulait à ses côtés que je suis devenu également Guerrier. Bon un guerrier de second ordre, celui qui restera au camp à protéger les Anciens et les Reines, qui ne se battra qu'en dernier recours, mais un Guerrier tout de même.

Je cherche Chardon des yeux, mais ne le trouve pas. Il est peut-être occupé ou en train de se reposer, alors je n'insiste pas. À la place je vais trouver un vétéran pour le prévenir que je pars chasser. C'est la seule chose utile que je peux tenter pour le Clan, alors j'y passe le maximum de temps. C'est difficile dans cet environnement inconnu, mais c'est toujours mieux qu'à notre arrivé. Alors me voilà parti, je sors du camp, direction le Verger. Souvent, il y a des rongeurs qui s'y trouvent. Je secoue mon long poil, j'ai chaud. Je donnerai tout pour une rivière, maintenant, tout de suite. Mais non, je dois faire avec cette chaleur insupportable. J'avance pas à pas, je suis quasiment arrivé au Verger quand une odeur me chatouille les narines. Je me fige. Pas un de mes camarades pour sûr! Pas un membre de la Tribu, à force de les cotoyer, même de loin, je peux dire que ce n'est pas eux. C'est un venteux!! Mon poil se hérisse et je sors les griffes en grondant.

Finalement apparaît devant moi une femelle au pelage clair, tigré, tacheté, un mélange d'un peu tout quoi. Mais surtout elle porte sur elle cette atroce odeur du Vent. Elle ne fait pas que le porter, elle est incrustée sur elle. C'est une enfant du Vent et je ne peux empêcher mon poil de se hérisser encore plus. Elle s'approche et je suis le moindre de ses mouvements. Je ne suis peut-être pas un vrai Guerrier, mais s'il faut se battre contre cette Venteuse, je donnerai tout ce que j'ai, j'y mettrais toute ma haine. Elle me salue mais je n'y vois qu'une provocation supplémentaire. Elle se croît forte, n'a pas peur. Elle pense que je ne peux rien lui faire, j'en suis sûr, on verra bien. Je sais que je ne devrais pas être si agressif, sur des terres qui ne sont pas à nous, mais je n'arrive pas à m'arrêter. Et puis la voilà qui parle, qui se présente, comme si de rien n'était. Comme si les siens n'étaient pas des meurtries sans âme.

Oui je la tutoie. D'un parce que je ne vouvoie les autres que rarement, de deux parce que c'est une marque de respect et je n'en ai aucun pour ces chacals du Vent. Ils sont venus comme des fourbes, attaquer un Clan, tuer des innocents, dont Maman, dont Grande sœur. J'avais à peine une lune quand j'ai perdu la moitié de ma famille, à cause d'eux.