Un mal qui fait pâlir les lèvres sous des poisons plus purs que l'ambroisie - end

"Ahhhhhhhhhh!"
Fleur Noire se réveilla, la douleur était terrible, elle pleurait. Déjà elle s'était couchée en pleine nuit, ce qu'elle ne faisait jamais. Incapable d'aller chasser, elle avait mal partout et s'était réfugiée dans l'antre du chef. Cela ne l'avait pas étonnée, son combat récent lui avait causé de nombreuses blessures. Elle était dans un état d'après bataille tout naturel. Oui parfaitement naturel, mais elle sentait bien que quelque-chose n'allait pas. Son ventre, son dos et ses reins étaient durs et raides, comme inflammés. Elle eut une inspiration brève, le diagnostic semblait être évident. La septicémie. Une fois l'infection établie, on pouvait mourir en une nuit. Fleur Noire pensait depuis quelques temps qu'elle se moquait éperdument de mourir, mais son instinct prenait le dessus, la poussant à agir.

La guerrière crème descendit du pin abritant l'antre d'Etoile du Serpentaire au ralenti puis, totalement en souffrance, se rendit jusqu'à l'antre d'Esprit Soucieux.
"Esprit Soucieux" articula-t-elle, les mâchoires serrées. "Je.. je ne voulais pas te déranger en pleine nuit, j'ai vraiment mal, je crois que j'ai une infection du sang." De la fièvre, l'impression que son corps allait s'écrouler sur lui même, elle avait rarement ressenti cela et regrettait ces dernières lunes, où elle ne pensait plus rien ressentir du tout.

Pleine nuit, ciel d'encre, à l'heure où les monstres oniriques font chialer les miroirs. Je rêve des glycines pendues à leurs blanches ficelles, et remue dans mon sommeil. Je le sens. Je sens le sang, son odeur métallique, son goût âcre va bientôt emplir ma bouche, là, oui, là, je vais me réveiller et cette senteur le prend à la gorge et je vais me réveiller et et et et et —

— Esprit Soucieux. Je.. je ne voulais pas te déranger en pleine nuit, j'ai vraiment mal, je crois que j'ai une infection du sang.

Je me lève à la hâte, trébuche, me redresse, coup d’œil à Naange, non, pas la peine, il va gêner plus qu'autre chose, j'accours vers Fleur Noire, passe ma tête sous son épaule et l’accompagne jusqu'à une couche libre, puis l'a fait s'allonger. Je colle ma truffe à son ventre, puis plus bas, cherchant à identifier la cause du saignement. Je m'arrête. Je lève les yeux au ciel. Putaaaaaaain putain putain putain. Je soupire, cligne des yeux, une, deux, trois, expire, quatre, fin du tremblement de pattes.

— Fleur Noire, tu es en train d'accoucher.

— Fleur Noire, tu es en train d'accoucher.
Serre de Grive est là, Esprit Soucieux lui dit qu'elle est entrain d'accoucher, leurs petits sont sur le point de naître. Ils savaient déjà comment ils allaient s'appeller. Petit Lion ou Petit Zenith si ce sont des mâles, Petite Ambroisie ou Petite Panthère si ce sont des femelles. Ces prénoms sont sublimes et les petits seront magnifiques car ils ressembleront à leur père. Les yeux de Serre de Grive brillent de leur bleu sybillin, celui auquel elle n'a jamais résisté de sa vie.
La douleur était atroce, elle la fit revenir à elle. Esprit Soucieux est là, il lui dit qu'elle est entrain d'accoucher et Serre de Grive n'est plus là. La guerrière allait avoir de nouveaux petits, sans l'amour de son amant, c'était impossible à imaginer. Elle émit un son aigu alors que son ventre s'ouvrait sous l'effort, un petit était né. Elle l'avait senti sortir de sa chair, Fleur Noire se mit à pleurer.

Finalement les convulsions repartirent de plus belle, la féline crème se sentait tremblante, comme si tous ses muscles étaient glacés par la fièvre, sa peau gelée hérissait sa fourrure, tout son corps était agité de frissons. Un ultime effort, un second chaton tomba. La respiration sifflante, la reine regarda rapidement ses chatons, l'un était d'un noir profond et l'autre parfaitement blanc. Blanc comme Serre de Grive, mais certainement blanc pour finir par se teinter de crème et de brun comme elle lorsqu'il grandirait. Un superbe blanc couvert de sang, elle convulsa encore, mais elle sentait au fond d'elle que c'était fini : deux enfants.
Epuisée, elle se pencha en avant pour couper le cordon du petit noir, mais la sensation de froid explosa le long de son échine, des paillettes blanches passèrent dans son champ de vision, tout devint blanc, elle se senti tomber en avant. Puis, ce fut le noir.

Travail en cours, je me prends une bonne grosse tape de la réalité qui finit de me réveiller. Les convulsions se passent bien, un premier petit sort, noir comme le péché et le stupre qui l'ont engendré. La reine a du mal, elle tremble, la peau couverte d'une sueur froide, glacée. Elle frisonne, penses son doute à son ancien amant, elle morfle, crache, tressaute, mais finit par délivrer un deuxième gamin, blanc comme neige, blanc coco et sucre candi.

— C'est bien Fleur Noire, c'est bien. Respire profondément.

Je coupe les cordons ombilicaux, et la nouvelle mère s'évanouit - séquelles de son récent affrontement, et surcharge de douleur. Je lèche les petits. Ils sont vraiment chétifs, ils ont du se manger des coups, et leur mère n'a sans doute pas assez manger durant la grossesse - mange-t-elle assez tout court ?

J'installe les gamins sur une petite paillasse, et les couvre avec des feuilles, pour les tenir au chaud, puis me tourne vers la mère, qui gémit et tremble.

+:

hrp:

La truffe dans la fourrure de Fleur Noire, je respire son odeur, cherchant les miasmes d'une maladie quelconque, d'une trace de malédiction, la fragrance de la mort et de la putréfaction à venir du stupre de la fin du Clan de la fin des temps —

Craaaaaac—
Douce Ancolie, elle, elle —
Sa mâchoire —
Sur le coup du vermisseau —
Elle s'est refermée, elle, pourquoi, elle elle pourquoi pourquoi fuck fuck fuck non pas ça pas ça non, non, le Clan des Etoiles non, fuck fuck non il est mort mort mort son corps pend de sa gueule elle le crache il tombe dans un bruit mou et mat —
Elle se tourne vers le deuxième —
Il ne bouge pas —
Il ne sait pas —
Il n'a même pas conscience de lui, il miaule —
Elle rouvre sa gueule infanticide —
Je me retourne, vite, trop lentement, elle s'approche de lui, il piaille, elle le fixe, elle le fixe, elle s'arrête, elle gémit, elle se courbe et le lèche. Le poids du monde pèse sur mes épaules. Je la regarde et m'approche doucement, le souffle court, les yeux qui sautent.

— Douce Ancolie, repose ce chaton s'il te plaît Je ne dirai rien pour l'autre, il est mort-né, mais laisse celui là en vie. Pense au Clan, aux Etoiles. A Serpentaire. A ton rôle de mère. Pense à nous. Laisse le.

hrp:

─ Mort-né, oui. Mort d'être né. Il ne méritait pas de naître. Il n'était rien. Lui est merveilleux. Il lui ressemble tant. Si magnifique. Si puissant. Je le protège. Il est à moi. Rien qu'à moi !

Et là, là, elle se casse. Comme elle est venue, comme une bourrasque dans la nuit, comme une sauvage, une impie. Et elle me laisse, moi, dans ce bordel sans nom. Devant moi, l'entrée de mon antre, l'odeur de Douce Ancolie encore accrochée aux branchages. A ma gauche, Fleur Noire, évanouie, inconsciente d'avoir portée deux enfants, inconsciente d'en n'avoir plus qu'un - et encore. A ma droite, un petit cadavre, sans nom. Dans le fond, Naange dort encore. Je récupère le petit corps, et le sort devant ma tanière, puis rentre à l'intérieur pour réveiller mon apprenti.

─ Naange. Debout. Je dois sortir un instant, et Fleur Noire vient d'accoucher. Elle est tâchée de sang, mais c'est normal, c'est comme ça que naissent les chatons, elle n'a pas mal, tu m'entends Naange, elle n'a pas mal ! Alors tu vas rester éveillée, et si elle sort de son sommeil, tu lui donnes une graine de pavot. Tu sais à quoi ressemble le pavot, hein ?
Oui, tu es un bon apprenti...

Je lui jette un dernier coup d’œil et retourne dans la nuit, choppe le petit corps sans vie au passage et sors du Camp. Je vais l'enterrer loin, bien loin, pour que personne ne le trouve jamais.

+:

Ambroisie

La nuit était particulièrement silencieuse. Étoile du Serpentaire s’était endormi, dormait profondément, ce qui était assez rare. Le meneur n’avait pas pour habitude de dormir beaucoup, et ses sens étaient toujours en éveil lorsqu’il somnolait. Mais cette nuit, la fatigue l’avait rattrapé, et il s’était endormi. Le vent soufflait, les marais refroidissaient l’air ambiant et sans la présence de Douce Ancolie près de lui, l’empereur avait froid. La femelle calicot était la seule à avoir le droit de dormir contre lui, et même si le creux de l’arbre qui abritait l’antre du Serpentaire gardait la chaleur des corps, Toile d’Araignée, Chant d’Alouette et Fleur Noire n’en produisait pas assez pour réchauffer le corps de leur chef.
Dans un étirement non contrôlé, le chef bailla à s’en décrocher la mâchoire. Dans son sommeil, il n’était pas le gracieux félin qu’il était en étant éveillé. Il inspira une profonde goulée d’air, et soupira. Une odeur salée lui chatouilla alors le nez, une odeur qu’il n’avait pas senti depuis longtemps, puis que cela ne lui était jamais arrivé. L’odeur des larmes. Quelqu’un pleurait dans la tanière, et un petit cri s’éleva. Encore totalement embuer par le sommeil, l’empereur ne percuta pas tout de suite, et laissa la femelle dont le cœur et l’esprit saignaient, sortir de la tanière.


Le sommeil d’Étoile du Serpentaire s’agita un peu plus. Il avait l’habitude des nuits sans rêve, mais celle-ci fut particulièrement éprouvante. Est-ce que lorsqu’un chat devenait chef, tous les rêves qu’il faisait venaient du Clan des Étoiles ? Ce qui expliquerait pourquoi le charchoal ne rêvait jamais. Ou n’en avait même pas conscience. C’était assez désagréable. Mais c’était certainement le prix à payé pour être devenu un monstre. Pour être le fils maudit d’Œil du Loup. Ses pensées vagabondèrent vers le pelage crème de son frère. Parfois, Pic du Gerfaut lui manquait terriblement. Mais ça, il ne l’avouerait jamais. Pas même à Douce Ancolie. Éclat d’Obsidienne serait bien trop heureuse de le savoir. Il regrettait sa vie d’apprenti, où son frère, sa sœur et lui faisait les quatre-cents coups, où les guerriers de l’Ombre s’exclamaient, leur prévoyant un futur heureux, triomphant. C’était certainement la destinée que le Clan des Étoiles avait tracée pour eux. Et Œil du Loup avait tout balayé, d’un coup de croc bien placé. Un coup de croc qui démangeait encore la jugulaire du Serpentaire, comme si c’était lui qui avait reçu le coup destiné à tuer Pic du Gerfaut.
Les yeux du souverain papillonnèrent un instant, et s’ouvrirent. La lune était encore présente, seule source de lumière dans l’obscurité de la forêt. Il se retourna et leva la tête, couché sur le côté, il observa un instant les ventres de ses concubines se soulever au rythme de leur respiration. L’absence de Fleur Noire ne le dérangea pas tout de suite. La guerrière crème et brune avait pour habitude de partir chasser lorsqu’il faisait nuit. Lorsque tout le monde dormait, et qu’elle ne pouvait être dérangée que par le chant des chouettes et des hiboux. Mais une légère effluve flottait dans l’antre, une odeur que le Serpentaire était certain de pouvoir suivre à la trace. Le souvenir de l’odeur des larmes lui revint, qui lui prouva que ce n’était pas un songe mais bel et bien une réalité. Il se leva, et sortit de son antre d’un pas rapide.


Ce qu’il craignait été arrivé. Il avait vu Douce Ancolie s’engouffrer dans la pouponnière, il avait entendu ce cri aigu et pourtant si faible. Personne n’avait remarqué que Fleur Noire entendait des chatons, pas même le Serpentaire, pas même elle. Il y a quelques jours, elle s’était même battu en protégeant la frontière d’une intrusion d’un chat du Tonnerre. Et voilà qu’elle venait d’accoucher, et que Douce Ancolie venait venger l’injustice qu’il lui avait été fait. L’empereur se rapprocha, et resta en retrait, sur le pas de la porte. Il entendit sa belle gémir, le guérisseur s’exclamer. La reine calicot portait désormais très bien son nom. L’ancolie. La fleur de la folie amoureuse. Son amour lui fera perdre la tête. Voilà ce qu’avait dit Reine des Prés un jour, alors que le Serpentaire n’était qu’un Nuage à l’oreille trop curieuse.


« Je le protège. Il est à moi. Rien qu’à moi ! »


Et la belle sortie de la tanière, bête agile, elle s’enfuit du campement, le chaton entre les crocs, sans même voir son compagnon. L’empereur, qui s’était assit, se leva, se préparant à la suivre, pour récupérer le petit. Fleur Noire avait besoin de lui. Il était sa dernière bouée de sauvetage, avant de s’engouffrer totalement dans les ténèbres. Ce chaton serait son seul rempart contre la vie. Une bouée dans l’océan qu’était le Serpentaire. Il serait son seul moyen de faire de la femelle crème une fidèle guerrière, répondant à chacun de ses ordres et envies. La barrière de lierre qui masquait l’entrée de la tanière du guérisseur frémit, et Esprit Soucieux en sortit. Avec un petit entre les crocs. Qui pendait mollement. Sa tête prenait un angle étrange à chaque pas du guérisseur. C’était ça le petit cri. Douce Ancolie avait tué un chaton. Il ressemblait bien trop à Serre de Grive. Dans un élan de jalousie, elle avait rendu service au Serpentaire. Tuant le dernier souvenir du défunt compagnon de la nouvelle mère. L’ombre de la nuit masqua son sourire naissant, lorsqu’il observa Esprit Soucieux prendre la direction du charnier. Pour que personne ne sache ce qui s’était passé cette nuit. Et le Serpentaire, en spectateur, agita la queue au passage du gris couturé de cicatrice. Il était bien trop fidèle pour dire quoi que ce soit au Clan.

GALLINEA

HRP: