boys don't cry // naange - end

Aurore.
Je m’étire. Devant mon antre, Lenlen sautillante, une souris encore chaude dans la gueule. Je la remercie d’une caresse et m’en retourne dans l’obscurité odorante de ma tanière. Tanière partagée avec Nuage Ensoleillé, depuis deux lunes. Un apprenti. Un putain d’apprenti. Enfin ? Je l’aurais attendu celui là, avec ses grands yeux brillants et son pelage tigré si doux – no homo hein, mais on dort ensemble t’sais, ambiance à la grecque un peu. Il est bien ce gamin. Croyant, illuminé irais-je jusqu’à dire, serviable, souriant – ouais, ouais, on est antinomiques, ouais – plutôt dégourdi et bien positif. Mérite son nom le gosse.

─ Naange.

Son surnom. Je l’appelle principalement comme ça, et ça ne le dérange pas. Tu me diras, y a pas grand-chose qui semble le déranger. Bon gamin, un peu bizarre. Ouais, je l’aime beaucoup mon apprenti.

Bref.
Naange.
Il y a 8 lunes de ça, j’ai fait un rêve. Une vision. Un enfant mangeait le soleil, intégralement, et rayonnait ; il devenait le soleil. On me réveilla en catastrophe ce jour là. Une mise à bas. Des jambes écartées de la mère, je vis une petite tête passer, toute visqueuse de placenta et de sang. Une tête à manger un soleil. Je le savais, qu’il deviendrait guérisseur. Il ne pourrait bien goûter que le soleil comme plaisir charnel, sa caresse chaude sur le corps, la douce torpeur qu’il procure. Mange. Ne goûte pas. Mange. Ne pêche pas.
Naange.

─ Naange, lève toi. Aujourd’hui je t’apprends à extraire de la bile de souris.

+:

Les océans s'ouvraient sur l'antre.
Nuage Ensoleillé était apprenti-guérisseur depuis déjà 2 lunes, et c'était sans vraiment de concession non aucune jamais du tout jamais qu'il appréciait son rôle. Il aimait bien son maître mentor adoré, Esprit Soucieux, mais il le trouvait félin et il avait peur au fond de ce qui était félin. Il avait peur d'avoir mal, par principe. De base, il avait peur, peur que la douleur le rende vilain ou qu'il ne soit plus gentil plus trop GENTIL pour les autres. C'était avec des centrales sur les épaules qu'il se levait, tandis que ses pattes d'araignées foulaient le sol, persuadé de leur pureté. Nuage Ensoleillé ne s'estimait pas félin, même pas chat, il s'estimait soleil, et son nom lui allait bien à son pur et propre avis.

Soucieux l'Esprit le savait. Il avait fait un drôle de rêve et depuis bah il s'appelait Naange. Mais il aimait bien. Quand quelqu'un l'appelait NAANGE il avait l'impression que miam on allait l'adorer, et c'était avec une prédisposition à l'érotisme pas du tout dissimulé (non non) qu'il voulait être le NAANGE de la TERRE ENTIERE.

D'ailleurs, son mentor arrivait et l'appela NAANGE. Le gamin tourna la tête et souriait comme un insecte. Il allait pouvoir commencer l'entraînement, peut – être oui peut – être non pas grave mais il aimerait bien le continuer. Il savait déjà utiliser des toiles d'araignées mais était triste pour elles. Apparemment, il les délogeait et il n'aimait pas créer des insectes sans domicile fixe. Il espérait qu'elles auraient de la gentillesse, et qu'on allait leur offrir un gîte au pire du mieux peut – être.
Mais aujourd'hui, on apprenait la bile de souris. L'idée lui paraissait un peu très bizarre, mais tant pis. Il savait que les guérisseurs l'utilisaient, mais l'idée de le faire lui même l'effrayait.
Est – ce.
Par hasard, hein, imagine rien, toi.
Y allait avoir du sang ???

« Elle saigne, la souris, Soucieux ? »

Il braqua ses deux billes bleues sur son mentor qu'il aimait bien bien bien. Il savait qu'il savait qu'il savait certainement qu'il avait une peur bleue comme ses yeux du sang. La marque sur sa patte lui faisait un mal de chien et il aimerait fort que la douleur ne le transforme pas en chien. Cette dernière, encore fraîche, le démangeait encore, et il voyait sa patte comme un volcan. Des fois, il voyait même de la fumée en sortir, en bon chaton qu'il était. Papa et maman disaient que c'était pour de faux et que c'était des BETISES mais Naange le croyait pas. Non non. Papa et maman avaient faux et Naange c'était un volcan, une étoile et un soleil. Un gros soleil.

« Parce que ça serait dommage que, bah, les souris, elles aient mal. Mais je te fais confiance je sais que t'es une petite étoile gentille et que les souris elles sont contentes et qu'elles ont le cœur tout joyeux quand on les utilise pour rendre les gens plus mieux. »

Boum boum. Diapositive suivante.

« Sinon ça va, hein ? » son regard se fit inquiet, et il devient bateau sur une plage déserte, en espérant que le tsunami Soucieux vienne le déloger.

Spoiler:

─ Elle saigne, la souris, Soucieux ? Parce que ça serait dommage que, bah, les souris, elles aient mal. Mais je te fais confiance je sais que t'es une petite étoile gentille et que les souris elles sont contentes et qu'elles ont le cœur tout joyeux quand on les utilise pour rendre les gens plus mieux.
― Quand t'es mort t'as plus mal gamin, mais quand t'es mort t'es une Étoile - donc je le suis pas encore hein, mais j'apprécie l'intention.
─ Sinon ça va, hein ?

Je le détaillais du regard. Grands yeux bleus ouverts sur une autre réalité, petit cerveau pas encore bien en place, cœur de chaton et corps bientôt adulte. Un bon apprenti.
Mais putain.
Cette peur du sang.
Ça la fout mal pour un guérisseur.

Je prends le petit corps inerte de la souris dans ma gueule, et la dépose devant lui. Elle est tiédie, mais pas encore rigide. je pointe l'abdomen de la griffe.

― Bon, c'est parti kiddo. Va falloir ouvrir là. Oui, ça va saigner, mais non, elle n'a plus mal. On mangera après.

Au cas où il vomisse. J'suis trop un type attentionné.

+:

Naange était pas très très trop content à l'idée de prendre des choses à l'intérieur de la souris mais tant pis puisque c'est Esprit Soucieux qui le demandait et si c'était lui qui le demandait eh bah c'était forcément la bonne chose. Il eut des abeilles dans le crâne le temps que son mentor lui explique les intérêts de l'industrie. C'était gênant, car il avait l'impression que ça piquait de partout dans son crâne, et que de fortes tempêtes détruisaient sa boîte crânienne.
Être tranquille.

« Mais si elle saigne c'est qu'elle a mal la souris. J'ai eu mal quand on m'a fait mal à la patte quand je suis devenu un grand j'ai pas envie de laisser une marque à la souris ... »

La vision du sang se matérialisait comme une déchirure au niveau de sa patte. A chaque entaille, il se rouvrait une partie de lui même. Il tremblait des dynamites et laissa tomber un bout d'attentat au bout de sa patte, tandis qu'il ouvrait la lumière à l'intérieur de la souris. Il paraissait que pour laisser entrer la lumière, se faire des petits trous dans le corps et sur la peau, c'était utile. Naange fermait ses océans, arrêtant les tsunamis qui s'apprêtaient à descendre le long de ses joues. Il refusait de se transformer en cascade. Dans les cascades, y avait du beau et du mortel.

« Je suis vraiment obligé ? Et maintenant je fais quoi ? J'ai peur qu'elle hurle très fort et j'aime pas quand ça hurle très fort, je suis sûr que les mantes religieuses ça hurle très fort aussi et j'aime pas trop ça ... »

D'un air paniqué, il attendait les ordres de son mentor, tandis que ses griffes respiraient la peur et le rouge divin. Qui sait, la souris était peut – être une étoile, elle aussi ? Papa et maman disaient que les gentils allaient devenir des étoiles, et Naange espérait un jour mourir et devenir une étoile pour une cause juste. Il tarda ses deux billes sur son mentor. Lui et Esprit Lent étaient de véritables esprits, et Naange ne savait pas trop trop pourquoi. Croisant ses pattes d'araignées, il espérait qu'un jour lui aussi il allait devenir un esprit. Il allait pouvoir se croiser avec eux, tournoyer dans les cieux et former une jolie étoile dans le ciel. Ils seraient l'étoile la plus belle du ciel.

Naange voulait devenir une étoile que tous les astronautes allait chérir, que tous les montagnards allait suivre, et que chaque chat allait aduler.

Tremblant à en faire grincer des parquets, l'apprenti guérisseur préférait se plonger dans ses pensées d'étoiles et de soleil pour éviter de croiser le regard inerte de la souris. Qui sait, elle pouvait peut – être lui lancer une sale malédiction, avec sa gueule de cafard et son air à faire pâlir les fantômes.

Nuage Ensoleillé n'avait clairement, clairement pas l'air serein. Il tremblait comme une jeune tige dans le vent, agité par un vent à déloger les astres. Je sais ce qu'il pense ; ce n'est pas d'une difficulté à faire frémir les sages en même temps : il voit la Marque, sur son coussinet comme sur celui des autres de son âge. Il voit le sang qui coule, la cicatrisation lente et difficile, les élancements, gonflements, le pus qui sort. Je le vois à travers ses yeux, et par les miens. C'est devenu l'une de mes tâches, de marquer les gosses, puis de les soigner. Les chatons sont pour moi des êtres doux-amers, encore intacts. Je me place sur son côté gauche, et lui lèche l'oreille, suivant ses courbes et détours dessinés, pour l'encourager.

― Je suis vraiment obligé ? Et maintenant je fais quoi ? J'ai peur qu'elle hurle très fort et j'aime pas quand ça hurle très fort, je suis sûr que les mantes religieuses ça hurle très fort aussi et j'aime pas trop ça ...
― Oui Naange, il le faut. Mais ne t'inquiètes pas kiddo, tout va bien se passer. Je suis là. Tout va bien. Entaille son ventre ici.

+:

Il le fallait, et c'était Esprit Soucieux qui l'avait dit. Si même les esprits les plus inquiets ne se dérangeaient pas de croquer à coup de fusibles dans les souris, Naange n'avait plus de sang à rompre tout ça à se faire. Il tremblait, et il s'étonnait que ses poils restaient accrochés sur son corps. Il tremblait tant qu'à leur place, il se serait décroché, agacé d'être constamment en mouvement, en mouvement forcé. Il prit une grande inspiration, tandis qu'il sentait le contact de la langue de son mentor sur son oreille. Il aimait bien, la chaleur des gens. Quand Esprit Soucieux le touchait, c'était comme un éclat de soleil qui venait dans son cœur. Il avait l'intense conviction que c'était gentil, mais aussi la peur que c'était mal. Ils étaient deux « mals », donc les deux « mals » ça se faisait pas des bisous sur les oreilles.
Pas grave, il aimait ça. Il adorait les contacts sympathiques, plutôt qu'ouvrir et démolir le ventre d'une souris. Il tremblait comme une mante religieuse, et ses pattes se transformèrent en faux. Il se sentait mante religieuse, et sa condition de soleil lui manquait. Nuage Ensoleillé eut rapidement la conviction qu'il fallait en finir, et vite. Cette histoire de torture d'être vivant l'avait trop longtemps tourmenté. C'était à croire que c'était lui, le torturé, maintenant. Ses yeux kaléidoscopes se fermèrent, car les mantes religieuses fermaient sûrement les yeux quand elles mangeaient l'amour au sens propre du terme. Son corps devint centrale nucléaire, aspirant l'air environnant et le polluant avec des volutes de peur.
Et toujours ce tremblement, à se demander comment faisait – il pour avoir un pelage si duveteux.

Un liquide chaud et métallique vint colorer ses chaussettes blanches. Il se sentait vierge effarouchée, et souhaitait retrouver des chaussettes blanches pures. Il n'aimait pas ça, le sang. Il aimait bien, ses chaussettes blanches. Il les aimait vraiment mieux. Mais Esprit Soucieux avait dit que ça allait bien se passer, donc autant le croire parce qu'Esprit Soucieux disait bel et bien la vérité. La nausée lui montait sur le bord des lèvres, et Naange crut les voir s'enfler si fort qu'elles allaient exploser. Son cœur lui montait à la gorge, aussi, et il sentit que tous ses organes voulaient retrouver leur liberté. Il ne se serait pas étonné de sentir ses poumons, alors lourds, transpercer sa cage thoracique pour tomber au sol. L'idée lui déplut. Il ne voulait pas les traîner toute sa vie. Un poumon, ça semblait lourd.
Il refusait d'ouvrir ses océans sur le malheur. Les tsunamis font toujours mal aux habitants. Vu les flots sanguins qui sentait sur sa patte, il refusait de déclencher des ouragans sur son visage.

« Ma patte elle veut pas y aller. Elle sait pas c'est quoi, et mes yeux ils veulent pas, je suis pas une mante religieuse. Guide ma patte, elle est trop rebelle pour moi. » fit – il avec une voix plaintive.

Il tremble, encore, toujours, à la folie, toujours aussi peu serein, l'air inquiet, vraiment pas à l'aise d'être là, ici, dans cette antre, devant ce petit corps bientôt froid de souris et putain, faut qu'il y aille, c'est une autre affaire quand la rigidité vient s'emparer du cadavre, eh puis merde, on a pas encore mangé et j'a la dalle, mais si il avale un truc avant de continuer il va vomir le petiot, vomir sa peur du sang et de la douleur, vomir ses travers de grand chaton, vomir ses difficultés à être guérisseur, lui qui est si tourmenté par un simple putain de petit corps mort de souris.

Et c'est moi qu'on appelle Esprit Soucieux, laissez moi rire de mon vieux rire fin-de-siècle, celui qui sert au Chat Noir, celui qui n'est pas drôle mais rit quand même.

Enfin, il porte sa patte sur le ventre blanc de la proie et commence à l'inciser, la coupure est malhabile. Il s'en fout partout. Je le vois tourner un peu de l’œil devant le sang qui tâche ses chaussettes, comme s'il avait vu l'enfer et ses sept démons. Beaucoup trop sensible comme kiddo. Il se concentre pour ne pas pleurer, pour rester focalisé sur sa tâche, mais c'est dur pur lui. Je sais, ça a été dur pour moi - au début. Mais en une lune je m'y étais fait. Naange entre dans sa neuvième. Il est temps d'affronter ses peurs, de les confronter avec le courage d'un Saint Michel.

─ Ma patte elle veut pas y aller. Elle sait pas c'est quoi, et mes yeux ils veulent pas, je suis pas une mante religieuse. Guide ma patte, elle est trop rebelle pour moi.

Je me place tout près de lui, ma fourrure rapiécée touchant la sienne qui tressaute, et saisis sa patte de la mienne, et la lui enfouis dans les entrailles de la bête.

─ Ok Naange, c'est assez simple. Tu vois, la bile est sécrétée par le foie, c'est cet organe là, plutôt marron. Parfois, il peut être recouvert par l'estomac, là, cette poche, tu dois alors l'écarter comme çaaa, et ensuite tu extrais le foie du ventre de la souris. Attention, j'enlève ma patte, je te laisse le faire tout seul.

Il regardait ça parce qu'il aimait pas ça le sang le foie et tout ce que disait Soucieux non il aimait pas ça et lui aussi il commençait à être soucieux. Il préférait la foi au foie et c'était pour cette foi qu'il avait décidé d'être guérisseur pas pour tuer des foies puis on en avait besoin et la SOURIS ELLE DISAIT QUOI ELLE ? Pas du bon en tout cas, il avait peur que ses os se referment sur sa patte, et Nuage Ensoleillé bah il savait que si des os ça rentrait dans ses petits coussinets tout doux ils allaient avoir mal mais Nuage Ensoleillé il voulait pas avoir mal et …

« Je peux pa-je-je-JE PEUX PAS ! »

Il était désormais persuadé qu'il ferait un piètre guérisseur. C'était dur d'être guérisseur quand on avait peur du sang. C'était dur de vivre quand on avait peur du sang, dans une forêt dangereuse comme celle de Cerfblanc. Il n'avait aucune envie de ne pas vivre là, c'était sa maison, après tout. Que dirait son père … ? Que dirait sa mère … ? Nuage Ensoleillé se persuadait qu'il avait le soleil comme père car il se devait être un soleil, mais au fond, il savait pertinemment que ses parents allaient être tristes s'il ne devenait pas guérisseur. Il vivait pour rendre fiers ses parents. Le soucis, c'est que soit ils étaient fiers et contents, soit ils étaient TRISTES. C'était pas possible.

Il était là, avec sa patte dans une souris qui puait mais pas trop quand même, sans pouvoir bouger. La galère. Il avait envie de pleurer de l'acide et de se transformer en mandragore, mais impossible. Il ne voulait pas bouger. Il ne voulait jamais bouger. Il allait rester ici toute sa vie. Il ne pouvait pas le faire tout seul. Sauf si ses parents étaient fiers de lui. Et Esprit Soucieux, est – ce que lui il serait alors très fier de lui si il le faisait ?
Certainement.
Naange prit une grande inspiration et entrouvrit les yeux. La vision du cadavre de souris le saisit tant qu'il voulut retirer sa patte. Dommage, elle était bien dans son corps, et la retirer d'un geste sec ne ferait que la faire voler en l'air.
Aller sous l'estomac.
Retirer le foie. L'extraire délicatement. Il ne fallait pas que la souris hurle. Il fallait que le monde soit heureux grâce à elle. Elle allait être utile après la mort. Cette vision lui offrit un sourire aux lèvres tandis qu'il tranchait le petit nerf qui retenait le foie attaché au reste. Ses yeux devenaient deux fentes et il réussit à extraire doucement le petit organe, les yeux tremblants et mouillés.

« J'espère que j'ai pas mal fais ... » fit – il avec une moue penaude. « Et j'espère que t'es fier de moi, Esprit Soucieux … Je sais bien que Naange a très peur du sang et que j... Il … Je … Je suis pas le meilleur des apprentis et j'ai peur … J'ai envie vraiment de rendre le monde meilleur parce qu'il le mérite, et que toi et Esprit Lent vous le méritez parce que je vous aime beaucoup et ... »

Il prit une grande inspiration et un sourire satisfait se peint sur son visage. Il rendrait le monde meilleur. Peu importe s'il devait avoir peur. Peu importe ce qu'il devait dépenser.

« Mais si le monde est pas encore content, c'est qu'il y a un malheur qui absorbe le bonheur des autres. Le malheur des uns fait le bonheur des autres, et faut que je trouve les autres. Tu as des idées ? »

Enfin, pris entre stupeur et tremblements, il parvient à détacher ce putain de foie et le pose sur une pierre pour la suite des opérations. Il se retourne vers moi, des pleurs dans la voix et des perles au bout des yeux dans les bars de nuit. Il a peur. Je le rassure, avec des ronronnements et de douces paroles.

Je suis fier de toi Naange, tu as réussi. Apprendre le métier de guérisseur est un travail de longue haleine, et il faudra que tu surmontes ta peur, mais tu as fait un premier grand pas. Bravo.

Changement d'ambiance, et le tigré me baragouine un truc que je comprends pas. Sourcils en l'air, je le regarde babiller, et pousse le corps éventrée de la souris sur le côté. On la mangera plus tard. Pas de perte.

Je suis pas sûr de voir de quoi tu parles kiddo, mais sache que dans tous les cas les Étoiles veillent sur nous.

C'est peut-être pas la réponse qu'il attendait, mais tant pis. Des fois il est beaucoup trop nébuleux pour moi.

« les Étoiles veillent sur nous. »

Sourire de crocodile, l'apprenti guérisseur entend les bénédictions à ses oreilles. Si les Etoiles veillaient sur eux, ils étaient les enfants divins du paradis. Si les Etoiles veillaient sur eux, ils étaient approuvés par leurs ancêtres. Dans tous les cas, c'est ainsi qu'ils seront d'accord avec ses faits et gestes. Le visage de l'araignée tigrée s'étirait en un sourire satisfait. Il avait entendu ce qu'il voulait. Désormais, plus rien de mal ne pourrait arriver dans ce monde. Les Etoiles veillaient sur eux, réellement, elles les surveillaient. Content de son big brother des temps félins, il leva ses yeux au ciel, comme pour s'assurer qu'elles étaient bien là.

« C'est pas grave, Esprit Soucieux. »

L'enfant se remplissait d'une étrange détermination. Impossible de déterminer si c'était une bonne chose ou non, ses yeux brillaient d'un éclat feu de forêt et ses dents devenaient troncs plein de vie. Esprit Soucieux avait ouvert une brèche, Naange s'engouffrait dedans.

« C'est tout ce que je voulais entendre. Les Etoiles nous approuvent. Elles cherchent le Mal aussi. »

Prophète autoproclamé, il allait ratisser la forêt pour le trouver, ce Mal. Le guérisseur lui avait confirmé que ses ancêtres étaient des êtres bons, impossible qu'ils approuvent ce qui se passait en ce moment dans la forêt. Cerfblanc pleurait des fleuves tandis que le bonheur devenait individuel et non collectif. Un bonheur individuel devait le sacrifice d'autres, et cette idée torturait le petit mâle. L'équation était moins intéressante comme ça. Il fallait qu'un souffre pour l'humanité entière, ainsi, le monde serait heureux.

Changement de ton, l'enfant devenait une bête chercheuse.

« Et pour ça, Nuage Ensoleillé deviendra un grand guérisseur, et tu seras fier de moi, Esprit Soucieux. Toi, Esprit Lent, et tous les esprits, et toutes les étoiles. »