Muddy boys ft. Petit Canin - Abandon

A cause de la pluie de la veille, le sol du Camp du Clan de l'Ombre est un peu boueux ce matin. Les nombreuses aiguilles des pins environnants amoindrissent les dégâts par endroit, mais il y a tout de même quelques belles flaques ça et là que Petit Croc a repéré un peu plus tôt.

En parlant de Petit Croc, pour l'instant il s'amuse avec une simple boule de mousse. S'aplatissant comme le ferait un chasseur face à sa proie, le chaton au duvet hirsute bondit sur le ballon de fortune et l'envoie bien haut d'un violent coup d'patte. Puis -et alors qu'elle est encore dans les airs- il bondit maladroitement sur la boule végétale et tente de l'attraper en vol. Il s'essaie une, deux puis trois fois sans succès; à la place, il retombe une fois sur le flanc, une fois sur les pattes et la dernière fois en un roulé-boulé non-maîtrisé qui finit au seuil de la pouponnière.

Le chaton se redresse, aussi vif qu'un asticot sous coc' et jette un coup d'œil à l'intérieur de l'antre. Alors, il y distingue du mouvement. Enfin! se dit-il ils s'réveillent! Gagné. C'est le duvet bicolore de Petit Canin qui gigote. Petit Croc ne lui laisse aucune chance de se rendormir et braille :

« P'tit Canin ! » réveillant les autres occupant de la pouponnière. « Allez, debout ! Y a d'la gadoue partout ! »

Sans gêne, il traverse la tanière, son poil couvert de boue pour donner d'agaçants coups de pattes dans l'épaule du malheureux qui lui sert de frère. Puis, alors qu'il se fait fusiller du regard par une reine, il s'éclipse, hurlant une dernière fois : « Si tu viens pas, et ben t'es un gros caca qui pue des fesses P'tit Canin ! Ha-ha! »

Petit Croc n'est pas le frère le plus attentif ou empathique et il est déjà parti quand Petit Canin se met à piailler qu'il est tout sale par sa faute - ce n'est pas si il s'en serait voulu de toute façon. Tout ce qu'il entend avant de franchir la sortie de la pouponnière, c'est un « Attend moi! » qui lui arrache un plus grand sourire encore. Yes, ça marche ! Ah, qu'est-ce qu'on ne ferait pas à 3 lunes pour ne pas être un "gros caca qui pue des fesses", n'est-ce pas ?

Petit Croc déboule sur la Place Aiguille -le centre du Camp- et décide de marquer son arrêt en driftant sur la boue. Tout en libérant un rire enthousiaste, le chaton au poil couvert de boue plante ses griffes antérieures dans le sol et balance son arrière-train pour le faire partir jusqu'à faire demi-tour. Encore un peu maladroit, le malheureux se retrouve bien vite les fesses au sol, valdinguant dans une grosse flaque bien sale de boue.

Mais il en faut plus à Petit Croc pour chouiner par si belle journée de gadoue ! Et il n'a pas le temps de se relever que déjà son frère -qui est lui aussi partiellement couvert de terre trempée- s'ébroue et l'éclabousse par la même occasion. « Oué! » piaille-t-il, ravi. « A moi! »

Prenant le pauvre Petit Canin par surprise pendant qu'il est aveuglé par son propre poil, son frère lui bondit dessus ! Sans pitié, le mâle noir aplatit le bicolore dans la boue et roule avec lui jusqu'à la terrible flaque de gadoue. Là, Petit Croc lui crie, tout excité : « Ha-ha c'est la bagarre !! » bondissant joyeusement, il éclabousse un peu plus le mâle aux yeux bleus qui bataille courageusement contre la brute qui lui sert de frère.

Bientôt, les deux petits sont entièrement englués d'un mélange de terre, d'eau, d'aiguilles de pin et de morceaux de mousse. Le plus sot n'en démord pas et la situation l'amuse tellement qu'il ingère un peu du mélange dans ses éclats de rire. Pris dans le jeu, on ne l'entend même pas se plaindre du goût affreux qui s'empare de sa gueule.

La bataille fait rage dans l'arène glissante que représente la grosse flaque boueuse. Et Petit Croc s'en tire plutôt bien -c'est que Petit Canin est plus maladroit encore- et les deux mâles sont vites méconnaissables. D'ailleurs, une guerrière qui passe par là ne peut retenir une inspiration surprise face à l'odieux spectacle. Une pensée émue pour la mère de ces deux petits montres.

Mais le pire est à venir ! Tentant de bousculer son frère, Petit Canin se retrouve à passer par-dessus bord et s'écrase alors en un beau plat-dos dans la mixture molle. Le SPLASH! qui s'ensuit finit de repeindre les deux matous, désormais trempés jusqu'aux os.

« Waaaaah-ha-ha! » s'esclaffe Petit Croc, visiblement impressionné par le plongeon non-désiré de son frère. « Là t'as gagné P'tit Canin! » Nouveau rire. « T'as fait comme ça : SPLASH! » Le petit aux canines visibles se met à se jeter dans la gadoue. « Splash splash splash! Ha-ha! »

S'enduisant joyeusement de boue, le fils de Crocs de Ronce et Dents de Sabre n'est pas prêt à se faire toiletter !
Mais soudain, il pose ses yeux sur son frère et--

« P'tit Canin ! » piaille-t-il. « T'es comme moi ! », ravi. « Toi aussi t'es P'tit Croc maintenant ! »

En effet, puisque le beau poil fluffy et bicolore de l'intéressé donne une toute autre image une fois trempé et mêlé à la boue. A présent collé par un enduit poisseux contre son corps et la partie blanche toute brune noirâtre de terre, Petit Canin n'a plus la même allure. Et les deux frères à côté l'un de l'autre se ressemblent bien plus que d'ordinaire !
Leurs petits corps sont en fait de constitution très proche et ce sont leurs poils qui les rendent si distincts une fois lavés. L'un étant plus raide, mal entretenus et hirsute tandis que l'autre semble léger, fluffy et démêlé. A présent, seule la couleur de leurs yeux permet facilement de les reconnaître ! Et ça a le don de bien amuser Petit Croc.

Tout aussi ravi que Petit Croc, Petit Croc n°2 se met à sauter de jouer en répétant qu'il est lui aussi Petit Croc ! Il n'y a bien qu'eux qui sont ravis de la nouvelle : imaginer un deuxième Petit Croc dans le Camp, une véritable malédiction pour les adultes du Clan de l'Ombre !

« GGRRR! » rugit alors l'usurpateur en dévoilant ses crocs blancs. Raté ! pense alors le premier du nom en retirant la couche de boue de ses canines d'un coup de langue. Ses crocs à lui sont bien visibles et plus longs !

Mais l'autre ne lui laisse pas plus de répit et lui bondit dessus, le plaquant à même le sol. « Ah nan! » couine le mâle noir en gigotant comme un ver pris dans une pomme. Hors-de-question de perdre à la bagarre contre un faux lui ! Habilement, Petit Croc éclabousse son frère sur la gueule pour lui faire mordre la poussière bouffer la gadoue. « Ha-ha ! »

« C'est moi l'vrai Croc ! » couine-t-il joyeusement en repoussant l'assaillant.

Un petit flottement silencieux brise le brouhaha des deux dernières minutes quand Petit Croc croit avoir une idée de génie.

« Et si qu'on allait surprendre un grand avec notre super-mega technique secrète de débou-- de déb- BREF de dédoubage !?? » Grand sourire carnassier. « Y verra rien v'nir ! » rajoute-t-il, persuadé.

Maintenant qu'ils ont bien fait la bagarre dans la boue, les deux P'tits Crocs veulent s'essayer à un tout autre art : celui du camouflage, de la surprise, de l'amusement suprême… bref, de la farce !

Et si le premier du nom semble bien content de son idée, son frère a l'air encore plus enthousiaste et frétille sur place comme un maquereau hors de son eau. Il piaille : « On va faire peur à papa ! » avant de répéter « Il verra rien venir ! »

Mais il ne s'arrête pas là ! Petit Croc n°2 s'aplatit dans la gadoue, se fondant à la perfection dans la mélasse tiède. Enfin, la perfection soustraite à ses fesses trop hautes et sa queue dressée comme un serpent au dessus de sa tête…

« On va s'approcher de lui tout doucement et PAF! » joignant le geste aux mots, il bondit en éclaboussant son frère au passage, lequel a au moins le réflexe de fermer les yeux. « TADAM! MAINTENANT ON EST DEUX PETIT CROCS »

Et alors que le vrai Petit Croc piétine sur place d'excitation, le second chaton s'assied dans la gadoue bien fier de sa démonstration. Et l'autre de répondre bien vite : « Ouais mais ding-ding-ding PROBLÈME P'tit Croc n°2! » Le chaton couvert de boue pointe la sortie du Camp avec un désespoir non dissimulé. « Papa il est parti c'matin en trou-trouille front-à-l'air* ! J'l'ai vu pendant qu'tu dormais comme un gros bébé ! »

Petite mine abattue. Est-ce que le plan tombe à l'eau, alors ?
Ah nan ! Faudrait pas que leur super-pouvoir de dédoubage reste dans l'ombre. Maman serait sans doute super fière de voir à quel point ses fils sont super-mega forts, non ? Le chaton aux pinceaux se ressaisit.

« Pas grave ! » lance-t-il à son double. « On va trouver Maman alors ! Bah même qu'elle sera super-trop contente parce que ch'uis son préf' ch'uis sûr ! »

Sans demander l'avis de son frère, Petit Croc premier du nom part en galopant direction la pouponnière où il a vu sa mère pour la dernière fois. Très vite, il repère Crocs de Ronce qui se trouve à présent sur le seuil de l'antre. Le meneur de l'opération se retourne sur son frère anciennement bicolore et lui souffle : « Viens P'tit Moi, on contourne la pouponnière et on la surprend par derrière ha-ha ! »

S'aplatissant, l'éclair de gadoue disparaît derrière les pins qui longent le Camp pour rester invisible aux yeux affutés de la guerrière.