Ennui. Ennui mortel. Une nouvelle fois, sa mère avait quitté la pouponnière, le laissant aux pattes des autres reines. Il ne les portait pas dans son cœur ; elles passaient leur temps à le chouchouter, le trifouiller, lui faire sa toilette de la tête aux pattes, et lorsqu’il réussissait à échapper à leur étreinte, elles se regroupaient pour échanger des messes basses sur lui et sa mère. Ah ça non, il ne les aimait pas. Surtout quand elles critiquaient Cœur Givré. Parfois, il voulait se retourner contre toutes ces commères, leur crier que c’était une bien meilleure maman qu’elles toutes réunies, qu’elles ne valaient pas le quart de sa mère à lui. Mais il ne le faisait jamais. Il se taisait et se contentait de s’allonger un peu plus loin, ses pattes antérieures plaquées contre ses oreilles et quand par malheur elles revenaient vers lui, il supportait leurs cajoleries sans mot dire. Voilà à quoi se résumaient la plupart de ses journées.
Sa mère à lui, elle était différente de toutes les autres : elle était belle, elle était forte, elle lui forgeait le caractère. Sa mère à lui, elle était plus brillante que les étoiles, plus ardente que le soleil et elle portait la couleur de la lune. Les autres, elles étaient toutes jalouses. C’est ça, jalouse de l’idéal que représentait Cœur Givré. C’était sans doute pour ça qu’elles la critiquaient tant. Il avait compris.
Avachi à l’entrée de la pouponnière, le corps à l’intérieur et la tête au dehors, créant des sillons dans le sol à l’aide de ses griffes, il décida que l’ennui avait suffisamment duré. Il brisa sa routine en s’extirpant de la nurserie, profitant du moment de répit que lui laissaient les jeunes mamans. Ainsi à découvert, il s’immobilisa un instant, oreilles en arrières. Il analysa la situation en balayant le camp du regard : pas de danger visible, il pouvait s’en aller à la recherche d’une distraction.
Il traversa le camp en trottinant, ne semblant pas vraiment remarquer les chuchotements et les regards tournés vers lui, sur son passage. L’habitude, sans doute, ou l’indifférence. Quoiqu’il en soit, ce matin là, il n’en était guère perturbé. Le chaton zona un moment, tournant en rond, revenant sur ses pas, cherchant un membre de sa famille pour traîner dans ses pattes. Cri des Albatros ou Nuage d’Alcidés de préférence, mais d’après ses recherches intensives, il en déduit qu’ils étaient partis dans la lande, ou occupés ailleurs. Il s’assit donc sur place, déçu, se torturant les méninges pour trouver une solution de repli. En temps normal, il serait allé quémander des histoires à Coeur Vaillant, mais depuis que celle ci était passée cheffe du vent, elle n’avait sûrement plus de temps à lui accorder. Tristesse et déception.
Mais si Étoile Vaillante était si douée pour conter les histoires, c’était qu’elle le tenait de quelqu’un d’autre, non ? L’idée se révéla à lui comme une évidence ! Bien sûr ! Il tenait sa couleur blanche de sa mère, alors la cheffe du Vent devait savoir raconter les histoires comme le faisait sa génitrice ! La chaton se leva brusquement pour trottiner avec excitation vers la tanière des anciens. Il se freina en arrivant aux portes de cette dernière, et entra à l’intérieur sans prendre la peine de s’annoncer. Il rampa entre les anciens, endormis pour la plupart, pour se frayer un chemin jusqu’à la vieille Plume Colorée. Ce n’est qu’une fois à ses pattes qu’il se roula sur le dos, dévoilant son ventre en signe de soumission. La tête à l’envers, il lui demanda, la suppliant presque :
« Mémé, tu m’racontes une histoire ? »
Sur un malentendu, ça pouvait passer.
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Sujet: Re: La maman de ma mamie, c'est ma mémé. - abandon 22.07.17 17:17
Plume Colorée était ennuyée. Depuis quelques jours, elle restait prostrée dans la tanière des anciens - pour le plus grand malheur de ses compagnons de tanière. Presque immobile, elle ne prononçait pas une seule parole - pour le plus grand bonheur de ses compagnons de tanière.
En effet, sa fille était brutalement passée de Cœur Vaillant, l'éternelle guerrière, bloquée au rang de vétérante, sans aucun espoir de montée en grade, à Étoile Vaillante, cheffe du Clan du Vent. La joie de l'ancienne avait été sincère à cette annonce, bien qu'elle ne fit que noyer la rouquine sous les recommandations et les mises en garde, toutes plus sévères les unes que les autres.
Mais, visiblement, Étoile Vaillante n'en avait cure. Elle dirigeait le Clan, sans avoir l'air de réellement se préoccuper de ce que la vieille lui disait. La calico était devenue invisible aux yeux de son enfant, et ce constat la blessait bien plus qu'elle ne voulait bien l'admettre. Cependant, certains n'avaient pas encore effacé son existence, comme la petite silhouette qui s'était glissée dans la tanière, jusqu'à arriver devant elle.
« Mémé, tu m’racontes une histoire ? »
Plume Colorée souffla d'un air exaspéré, remarquant seulement la boule de poils, toute plongée dans ses pensées qu'elle était. C'était le rejeton de Cœur Givré, la plus mal foutue des deux filles de la nouvelle cheffe. Malgré tout, l'unique gamin qu'elle avait sorti ne semblait ni trop cassé, ni complètement barré comme sa mère.
« Ben alors, tu dors pas, toi ? »
Elle lui chatouilla le ventre avec ses moustaches, son vieux visage fripé prenant des traits moins sévères, moins inquiets, pour prendre un air plus accueillant et maternel. Elle avait beau dire tout ce qu'elle voulait (« Des morveux, on en a déjà trop ! »), elle se sentait honorée et un sourire éclairait son visage dès que des enfants lui témoignaient une attention sincère.
« Bon … Juste une, hein, tu sais bien, Mémé c'est une vieille chatte fatiguée … Tu veux quoi ? Des histoires de guerre ? D'amour ? De combats contre des bêtes sauvages ? J'ai tout en stock ! »
La calico s'assit, le dos arqué, grimaçant un peu sous l'effort. Elle souffla puissamment, puis baissa les yeux vers Petit Silence, lui lançant un regard qui demandait : donc ?
Il se recroquevilla lorsque Plume Colorée montra toute son exaspération d’un grand soupir. Raté. Sa demande allait attirer son courroux, de la même manière qu’il irritait sa mère par ses faits et gestes. Le seul moyen de calmer la situation, il le savait d’expérience, c’était de se faire tout petit et de ne rien dire, jusqu’à ce que l’orage passe. Ses oreilles se plaquèrent contre son crâne, et alors qu’il allait bredouiller des excuses dans l’espoir d’éteindre l’incendie naissant, la scène changea totalement.
« Ben alors, tu dors pas, toi ? » Lui demanda la vieille.
L’ancienne plongea vers son ventre à découvert. Il se raidit, s’attendant à recevoir son châtiment. Mais au lieu de ça, Plume Colorée se mit à lui chatouiller l’abdomen de ses moustaches. C’était à n’y plus rien comprendre… était-ce une méthode de torture quelconque ou un revirement de situation inédit ? Quoiqu’il en soit, son arrière grand-mère ne semblait pas (ou plus ?) fâchée. Elle abhorrait une mine bien moins tendue que précédemment et elle enchaîna même :
« Bon … Juste une, hein, tu sais bien, Mémé c'est une vieille chatte fatiguée… »
Elle se redressa péniblement pour se placer en position assise. Silence hésita un instant avant de faire de même : le ventre à l’air, il l’observa sans comprendre, la queue plaquée entre les cuisses.
« Tu veux quoi ? Des histoires de guerre ? D'amour ? De combats contre des bêtes sauvages ? J'ai tout en stock ! »
Finalement, alors qu’elle attendait sa réponse, insistant lourdement du regard, il finit par se redresser timidement, roulant d’abord sur le ventre, puis après avoir de nouveau analysé l’humeur de l’ancienne, il s’assit à son tour. Pataud, il se balança d’une patte sur l’autre, réfléchissant à sa réponse. Il ne voulait clairement pas ennuyer sa mémé, alors, il choisit la facilité pour ne pas la froisser :
« … t-tu peux peut-être me raconter ta préférée ? » Proposa-t-il en un murmure timide.
Ne jamais prendre de risque. Jamais.
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Sujet: Re: La maman de ma mamie, c'est ma mémé. - abandon 23.08.17 13:32
« … t-tu peux peut-être me raconter ta préférée ? »
Mais quel trouillard ce môme, pensa l'ancienne. Il hésitait même à demander quelque chose à sa propre arrière-grand-mère ! Allons bon … Il n'avait pas la mère la plus facile à vivre du Clan, c'était sans conteste.
« Bien sûr que j'peux, je viens de te dire que j'allais te raconter une histoire ! Un gaillard comme toi, au fond, ça veut sans doute des histoires de bagarres, non ? On va partir sur ça, alors. »
Elle se creusait la tête, plissant les moustaches sous l'effort, sa vieille gueule prenant des allures un peu plus vivantes qu'elle n'avait habituellement. Qu'est-ce qu'elle allait bien pouvoir lui raconter ? Son histoire préférée, voyons … Elle n'en avait pas vraiment, elle était fière de tous ses faits d'arme. Cependant, elle choisit un des plus glorieux, histoire de se flatter un peu l'ego.
« Je vais te raconter comment une fois, ton arrière-grand-père et moi, on a botté les fesses d'une patrouille de l'Ombre. On allait renouveler le marquage, juste tous les deux, quand on a senti l'odeur moisie de l'Ombre. On a aussitôt remonté la piste, et on est arrivés près de trois de ces charognards, qui dégustaient tranquillement un lapin sur nos terres. On n'a pas réfléchi, même si on était deux contre trois, on s'est lancés sur eux ! »
Les prunelles de la vieille s'animaient de la colère qui l'avaient envahie à l'époque.
« Ah, ils sont doués pour les attaques en groupe, y'a pas à dire ! Au début, on s'en prend plein la trogne, ton pépé et moi. Puis, on comprend qu'on les aura pas en s'attaquant à deux différents à la fois. On s'assure les arrières l'un de l'autre, tout en attaquant ensemble un félin à la fois. Boum, un coup de dents dans l'oreille, et on recule pour se protéger de leurs attaques ! Boum, un coup de griffes dans le poitrail qui leur laissera un petit souvenir de nous ! »
Elle se levait, grondante comme un orage, illustrant chaque coup qu'elle énonçait avec de grands gestes théâtraux, histoire que le petit puisse bien s'imaginer la scène.
« Ils arrivent pas à nous avoir, ils commencent à avoir peur de nous, ils reculent – je pense que c'était pas des biens vieux guerriers, alors que nous on était déjà des vétérans. On a le sang en feu, et ils s'acharnent encore un peu, mais nous, on continue, on les malmène, on les rue de de coups de griffes, de crocs, on est à peine plus amochés qu'au début, alors qu'eux sont partis pour un long séjour chez leur guérisseur ! On se bat encore un peu, puis il détaillent en miaulant comme des chatons après leur maman, ces sales petits voleurs ! »
Elle était essoufflée, et s'assit fièrement.
« Des questions ? »
HRP :
Désolée, je m'étais pas rendu compte que ça faisait si longtemps que t'attendais ma réponse ! :(
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Sujet: Re: La maman de ma mamie, c'est ma mémé. - abandon 03.09.17 14:49
« Bien sûr que j'peux, je viens de te dire que j'allais te raconter une histoire ! Un gaillard comme toi, au fond, ça veut sans doute des histoires de bagarres, non ? On va partir sur ça, alors. »
Ga-yar ? Bagarre ? Est-ce qu’elle parlait bien de lui ? Le petiot la regarda sans comprendre, une moue d’incompréhension sur le visage. Mais il ne protesterait pas : elle était plus âgée, son expérience la plaçait comme une sage aux yeux du chaton. Elle connaissait mieux la vie que lui, même pas encore sortie de la pouponnière, baignant encore dans des odeurs de lait et de mousse. Par conséquent, si elle le définissait comme un « ga-yar » qui aimait la bagarre, alors elle devait avoir raison… de toute façon, il n’était même pas sûr de la véritable définition du mot, alors il n’avait pas vraiment d’autre choix que de lui faire confiance. Il se tut donc, mettant ses doutes de côté pour écouter la suite.
« Je vais te raconter comment une fois, ton arrière-grand-père et moi, on a botté les fesses d'une patrouille de l'Ombre. » Repris la vieille sans se soucier de son avis. Et ça commençait mal pour le chaton, qui écarquilla les yeux de surprise et de terreur. Hein ? Non, il n’était pas sûr de vouloir entendre ça finalement ! Trop tard : « On allait renouveler le marquage, juste tous les deux, quand on a senti l'odeur moisie de l'Ombre. On a aussitôt remonté la piste, et on est arrivés près de trois de ces charognards, qui dégustaient tranquillement un lapin sur nos terres. On n'a pas réfléchi, même si on était deux contre trois, on s'est lancés sur eux ! Ah, ils sont doués pour les attaques en groupe, y'a pas à dire ! Au début, on s'en prend plein la trogne, ton pépé et moi. Puis, on comprend qu'on les aura pas en s'attaquant à deux différents à la fois. On s'assure les arrières l'un de l'autre, tout en attaquant ensemble un félin à la fois. Boum, un coup de dents dans l'oreille, et on recule pour se protéger de leurs attaques ! Boum, un coup de griffes dans le poitrail qui leur laissera un petit souvenir de nous ! »
Il se plaqua au sol alors que sa mère-grand rejouait l’attaque avec frénésie. Tremblant de tous ses membres, il s’attendait à tout moment à recevoir un coup de patte mal placé, qui l’enverrait valser à l’autre bout du territoire du clan du vent. Vu comme c’était parti, il n’aurait guère été étonné de voir les événements tourner au vinaigre. Mais en plus d’avoir peur pour sa propre sécurité, il doutait au sujet de la santé de l’ancienne. Un jour, Nuage d’Alcidés lui avait expliqué que les chats plus âgés voyaient leurs os se fragiliser et c’était pour cela qu’ils se devaient de rejoindre la tanière des anciens : un combat pourrait alors être fatal pour eux, la moindre chute pouvant engendrer cassures et fractures.
« Ils arrivent pas à nous avoir, ils commencent à avoir peur de nous, ils reculent – je pense que c'était pas des biens vieux guerriers, alors que nous on était déjà des vétérans. On a le sang en feu, et ils s'acharnent encore un peu, mais nous, on continue, on les malmène, on les rue de de coups de griffes, de crocs, on est à peine plus amochés qu'au début, alors qu'eux sont partis pour un long séjour chez leur guérisseur ! On se bat encore un peu, puis il détaillent en miaulant comme des chatons après leur maman, ces sales petits voleurs ! »
Vétéran, ça veut dire vieux, non ? En tout cas les deux mots se ressemblaient drôlement. Alors sa mémé avait déjà des problème d’arthrose lorsqu’elle avait chassé les deux chats du clan de l’Ombre ? C’était à n’y plus rien comprendre. En tout cas, la seule chose qu’il ressentait présentement, c’était un peu de peine pour ces deux ombreux, sûrement affamés, qui n’avaient récoltés que des blessures de la part de la féroce Plume Colorée. Sans même les laisser finir leur repas, elle leur avait arraché poils et chair. Il frissonna en imaginant la scène. Devrait-il faire de même en passant apprenti ? Faire souffrir les chats des autres clans ?
« Des questions ? »
Son aîné posa son postérieur au sol devant un Petit Silence déboussolé par l’irrationalité de l’histoire. Tout lui paraissait étrange dans son récit et tant de questions d’éthique se bousculaient dans son crâne. L’interrogation de l’ancienne tombait donc à point nommé, mais il ne se risquerait pas sur cette pente glissante, de peur d’avoir à écouter les discours assommants concernant le code du guerrier. C’est alors innocemment qu’il demanda :
« Mémé, ça s’est passé avant ou après que tes os soient aussi fragiles que des branches ? »
Il se redressa pour prendre une position assise, sa tête tombant sur le côté pour révéler la sincérité et l’innocence de la question. Si sa grand-mère avait chassé les ombreux en ayant un squelette émoussé, elle avait pris d’énormes risques. C’était une sacré courageuse !
HRP:
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