Je voudrais déjà être reine ! || ft maman Crépu - abandon

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Je voudrais déjà être reine ! || ft maman Crépu

Malgré l'éclaircie qui pointe dans le ciel, les reines le prédisent : la pouponnière ne restera pas calme longtemps. Car depuis l'arrivée de Petit Chardon, le calme est devenu une notion relative : elle a réussi à se faire une réputation de petite peste, et chaque jour signifie une nouvelle occasion pour la petite capricieuse de pouvoir se faire remarquer.

Pour le moment, captivée par la scène qui se joue devant elle, Petit Chardon est étonnamment calme. Tordant son cou du mieux qu'elle le peut, elle aperçoit Étoile de Cobra donner des ordres à ses guerriers, perché sur la grande pierre moussue que les grands appellent ''Promontoire''.

Petit Chardon n'y connaît pas encore grand chose de la vie du Clan. Mais si elle sait bien une chose, c'est que le chef, il est très important. Parce que déjà, il peut donner des ordres à tout le monde. Et parce que ensuite, quand il parle, on lui dit de se taire, parce que tout le monde doit se rassembler et l'écouter.

Même son nom, Étoile, est spécial. Les anciens lui ont raconté que seul le chef avait l'honneur de le porter, parce qu'il a été élu par les étoiles en personne. Et Petit Chardon aussi veut être spéciale, elle aussi. Non pas qu'elle ne soit pas déjà spéciale.

D'abord, parce que le papa de son papa est le chef. Mais en plus de ça, elle est encore plus spéciale, parce que la maman de son papa l'est aussi ! Ou alors c'est l'inverse ?... peu importe ! Elle est spéciale, un point c'est tout !

Alors que les guerriers se dispersent, elle retourne dans la pouponnière, bien décidée à faire entendre sa loi. Non sans difficulté, elle parvient à se hisser sur l'un des nids en mousse. Et en gonflant le poitrail, tentant d'imiter la prestance de son grand-père, elle proclame de sa voix aiguë à l'assemblée de boules de poils :

- Désormais, je suis Étoile de Chardon, et c'est moi la chef de la pouponnière ! Et vous devrez faire tout ce que je vous dis !

Silence incrédule parmi les chatons, seulement brisé par un petit miaulement railleur :

- Et pourquoi ça devrait être toi la chef, déjà ?

Voyant son autorité bafouée, Peti- Étoile de Chardon se redresse de tout son haut, avant de feuler au museau de l'impudent chaton :

- Parce que mon papi à moi, il est chef ! Et ça, ça veut dire que je suis plus spéciale que toi, voilà !

Les nuages avaient laissé place à un rayon de soleil. Eclat de Crépuscule en profita aussitôt pour pointer le bout de son museau dehors, et aller respirer l'air frais et revigorant des plaines alentour. D'ici, on pouvait percevoir les effluves des proies, des autres guerriers et de la liberté. Elle se sentait à l'étroit dans cette pouponnière dans lequel les cris et les pleurs cohabitaient avec les murmures attendris ou parfois énervés des mères.
Elle fit quelques pas dehors et alla faire sa toilette tranquillement, surveillant l'entrée de sa maison précaire en craignant de voir surgir la frimousse de Petit Koudou, et surtout celle de Petit Chardon. Autant son fils n'était pas désagréable au quotidien, presque trop discret, sa fille avait le don de la faire sortir de ses gonds par sa vantardise et sa grande gueule qui ne promettait que des problèmes par la suite. La petite n'avait pas froid aux yeux et elle ne reculait devant aucune occasion pour montrer qu'elle était supérieure aux autres.

La petite féline avait bien du mal à rester calme devant elle, déjà que sa patience avait des limites. Elle attendait, il fallait le dire, que le jour de leur baptême se passe et qu'elle puisse retourner dans sa tanière. Peut-être qu'avec un peu de distance, elle préfèrerait passer du temps avec Petit Chardon.
Et d'ailleurs sa petite voix aigüe résonna dans toute la pouponnière :
"Désormais, je suis Étoile de Chardon, et c'est moi la chef de la pouponnière ! Et vous devrez faire tout ce que je vous dis !"

Incrédule, la reine se rapprocha et aperçut sa fille dressée sur de la mousse, la rendant plus haute que les autres. Celle-ci cracha à la face d'un chaton qui lui avait fait remarquer qu'elle n'avait aucun droit pour être la cheffe :
"Parce que mon papi à moi, il est chef ! Et ça, ça veut dire que je suis plus spéciale que toi, voilà !"

Eclat de Crépuscule resta un instant sonnée devant la répartie de Chardon. Petit Chardon. Elle la savait prétentieuse, mais voilà qu'elle se prenait à changer le Code du Guerrier, en insinuant que la méritocratie pour accéder au nom d'Etoile allait être bafouée pour devenir une histoire de famille. Un sourire flotta sur son visage quand elle se surprit à penser qu'il vaudrait mieux pour le Vent que Koudou devienne le futur meneur. Puis elle se ressaisit, et d'un battement de cil prit une mine sévère, pour avancer vers sa fille.

Elle sauta elle aussi sur le nid de mousse, et du regard balaya l'assemblée de chatons à ses pattes :
"Excusez-moi, il faut que je vous emprunte votre cheffe quelques minutes. Voyez-vous, Etoile de Chardon n'est toujours pas apte à faire sa toilette seule. Elle a besoin de sa mère encore un peu. Une cheffe très spéciale, n'est-ce pas ?"

Elle attrapa sa fille par le cou, et s'éloigna, après un regard complice avec une autre reine. Elle se posta à l'entrée de la pouponnière, et la lâcha sans grande douleur sur le sol. L'oeil sévère, elle s'assit, et enroula sa queue autour de son corps :
"Pour qui tu te prends, Chardon ? Tu n'as pas à ordonner aux autres de faire tout ce que tu leur demandes, sous prétexte que ton grand-père est le chef, et que son prédécesseur faisait partie de ta famille aussi !"

Alors qu’elle lève sa petite patte, s’apprêtant à corriger son impudent sujet d’un coup de griffe bien placé sur le museau, Étoile de Chardon ressent soudain une présence derrière son dos. Horreur ! Quelqu'un vient de grimper sur le Promontoire !

Mais... seul le chef a le droit d'y monter ! Qui cela peut-il bien être ?! Est-ce une trahison, une révolution ? Un coup d’État ?! Non, c'est...

- Excusez-moi, il faut que je vous emprunte votre cheffe quelques minutes.

… Éclat de Crépuscule ?!

C'est la pire des options ! Petit Chardon pourrait reconnaître cette voix entre celles de milles reines. Elle fait aussitôt volte face, se retrouvant truffe à truffe avec sa mère, qui miaule à l'assemblée de chatons d'un ton rieur :

- Voyez-vous, Etoile de Chardon n'est toujours pas apte à faire sa toilette seule.

À ces mots, des rires éclatent parmi les chatons, et Petit Chardon sent la chaleur lui monter aux oreilles. Et pour ajouter à son humiliation publique, comme si cela n'en suffisait pas assez, sa mère ajoute aussitôt :

- Elle a besoin de sa mère encore un peu. Une cheffe très spéciale, n'est-ce pas ?

Petit Chardon n’a pas le temps de protester, qu’elle est soudain soulevée dans les airs et sortie de la pouponnière. Elle gigote vainement, tentant de se dégager, mais sa mère ne semble pas se soucier de ses protestations, ne desserrant pas la mâchoire d’un poil.

La honte ! Elle est une chef ! Et les chefs ne se font plus faire la toilette par leur maman !

Derrière son dos, elle peut entendre les ricanements moqueurs de ses camarades de pouponnière.

Nianiania, riez ! Attendez que je revienne, je vais vous faire avaler vos moustaches ! Vous verrez qui c'est la chef !

À peine ses pattes retrouvent elles le sol qu'elle tente de s’enfuir, mais aussitôt sa mère la retient en l'entourant de sa longue queue rousse. Ça y est, Petit Chardon sait ce que ça signifie. Il faut que toujours que ça tombe sur elle ! Ce qu'elle aimerait pouvoir se boucher les oreilles, pour ne pas avoir à écouter le sermon de sa mère ! Même la toilette aurait été une meilleure option...

- Pour qui tu te prends, Chardon ?

Pour la chef, nah !

- Tu n'as pas à ordonner aux autres de faire tout ce que tu leur demandes…

Si !

- ... sous prétexte que ton grand-père est le chef…

Bah justement !

- … et que son prédécesseur faisait partie de ta famille aussi !

À ces mots, Petit Chardon cesse de se débattre. Elle lève la tête vers sa mère, les yeux pétillant de curiosité : c'est la première fois qu'elle entend sa mère l'évoquer. Si les anciens lui ont souvent parlé d’Étoile de Cobra, ils ne lui ont que très peu parlé de son autre prédéceur... précesseur… son autre papi. La seule chose qu'elle sait de lui, c'est qu'il a rejoint les étoiles, avant même sa naissance.

Mais en croisant le regard sévère de sa mère, elle ne peut s’empêcher de piailler, la mine renfrognée et le ton boudeur :

- Mais tout le monde doit obéir aux ordres du chef ! Même les guerriers ! Et moi, comme le chef c'est mon papi, ça veut dire que tout le monde doit m'obéir aussi, parce que je serais grande, le chef ce sera MOI !

Une idée germe soudain dans l'esprit de la petite. C'est à la fois la curiosité, et peut-être un moyen de détourner l'attention de sa mère de son sermon, qui la pousse à lui demander :

- Je suis sûre que toi, quand t'étais petite, ton papa te laissait faire tout ce que tu voulais, pas vrai ? Ça doit être tellement bien, d'avoir un papa chef !

Sa fille se débattait. Ses petites pattes battaient l'air inutilement tandis qu'elle essayait de lui échapper vainement. Eclat de Crépuscule avait pris le coup de patte, et la collait assez pour pouvoir la retenir. Les crises de Petit Chardon étaient fréquentes, et malgré toute la bonne volonté et l'humour qu'elle y mettait, elle commençait à en avoir marre. Malgré leurs tentatives communes avec Serres d'Epervier pour calmer ses ardeurs et sa vantardise, elle résistait d'une puissance incroyable pour une chatonne se confrontant à ses parents.
La rouquine espérait que sa progéniture, incluant Petit Koudou, aurait des mentors adaptés à leurs caractères communs. Il serait très intéressant que son fils ait quelqu'un d'attentionné avec lui, pour lui apprendre avec autant de douceur qu'il était capable d'en donner et sans méchanceté. A l'inverse, elle espérait que le mentor de Chardon soit dur et autoritaire, pour contrer ses probables grogneries et tentatives d'échappatoire aux tâches des apprentis.

Sa fille, ayant abandonné toute tentative de fuite, babilla avec colère, criant presque :
"Mais tout le monde doit obéir aux ordres du chef ! Même les guerriers ! Et moi, comme le chef c'est mon papi, ça veut dire que tout le monde doit m'obéir aussi, parce que je serais grande, le chef ce sera MOI !"

Bon.
Inspire, expire.
La reine rousse retint cette envie qui germait doucement dans son esprit, cette envie de la remettre dans la pouponnière et de l'empêcher de parler jusqu'au lendemain. Sa patience avait de sacrées limites. Cette petite ne comprenait rien du tout ! Elle venait de lui dire, à l'instant même, qu'elle n'avait pas à se croire tout permis parce que son grand-père était chef. Et vu le caractère grincheux qu'elle avait, elle ne risquait pas de se voir recevoir les éloges des Etoiles dans peu de temps. Seulement, la rouquine était incapable de savoir comment l'expliquer avec tact et douceur.

Et comme par magie, la chatonne cessa de piailler, et la regarda, ses grands yeux verts écarquillés, un peu brillants. Malgré toute son caractère, elle resta une très belle petite féline, il fallait se le dire.
- Je suis sûre que toi, quand t'étais petite, ton papa te laissait faire tout ce que tu voulais, pas vrai ? Ça doit être tellement bien, d'avoir un papa chef !

Aïe. Inconsciemment, elle mettait la griffe là où ça faisait mal. Ce que Chardon ne savait pas, c'était bien qu'elle n'avait connu son père qu'adulte, alors qu'il l'avait sauvagement griffée quand elle s'était liée de sympathie avec un jeune chat de la Rivière. Elle n'avait jamais songé une seule seconde que le chef du Clan aurait pu être son géniteur, sa mère ayant tellement bien tenu le secret. Enfin, ils avaient su apprendre à se connaître avant sa mort, et c'était bien le plus important. D'une voix froide et sérieuse, elle se permit une dernière mise au point - à moins que Chardon ne réplique de nouveau (il était dur d'avoir le dernier mot avec elle) :
Ce n'est pas avec un caractère pareil que tu vas devenir cheffe. La seule chance pour y arriver, c'est de travailler très dur avec beaucoup de rigueur. Que je ne te reprenne plus à avoir cette autorité avec tes camarades, c'est compris ? Ni même à me répondre comme ça. Je pense que tu connais bien moins que moi le code du Guerrier, hum ?"

Elle prit ensuite le temps de réfléchir à sa question, et, après un cours instant, se décida à expliquer à sa fille le début de son histoire à elle, ses yeux ambrés dans les siens :
"Chardon, tu dois savoir que je n'ai appris l'identité de mon père que lorsque j'étais déjà guerrière. Ma maman n'a pas voulu me le dire. Mais j'avoue qu'Etoile Tropicale, de son nom, était un peu gaga. Il n'était pas trop impartial, mais ce n'est pas pour cette raison que je la coulais douce !"

Elle eut un petit rire, et donna un coup de langue affectueux entre les deux oreilles de sa fille. Parler de son père avait, malgré le pincement au cœur, toujours su la rendre de bonne humeur.