Le droit chemin [PV Lynx] - abandon

Sa sœur lui avait offert de nouveaux neveux. Une chose incroyable pour Etoile du Corbeau. Plus sa famille serait nombreuse, plus son pouvoir serait grand. Surtout s'il s'agissait de jeunes mâles, source de puissance du Clan. Cependant, Plume de Mésange s'était résignée à se toruver un mari... Et sa propre compagne, Eau Turquoise, ne semblait pas en forme ces derniers temps. certes, il avait ses propres enfants, mais une fille et un mâle plutôt... Enfin, pas à la hauteur de ses espérances. Il espérait prolonger d'avantage sa lignée une fois que ses petits deviendraient apprentis.
Cependant, le meneur était soucieux de l'un de ses neveux. Petit Lynx. Sociable, agréable, il n'entendait que des compliments à son propos. Pourtant, il s'inquiétait de le voir aussi simplet. A côté, Petit Merle ferait un guerrier impliqué et féroce envers ses ennemis, bien que son ambition soit à calmer un peu.

Il décida tôt ce matin de rendre visite à Rivière d'Azur, qu'il trouva comme à son habitude à la pouponnière. Le noiraud la salua d'un mouvement de tête et lui murmura quelques paroles, suffisamment bas pour que personne ne puisse l'entendre. Puis sa sœur acquiesça et s'écarta de l'entrée pour le laisser passer.

« Petit Lynx. » l'appela-t-il. « C'est ton oncle. Viens avec moi, nous sortons »

petit merle se releva à côté, les oreilles bien droites.

« Moi aussi tonton ? » lança-t-il avec espoir.

Mais le noiraud secoua la tête.

« Non, juste ton frère et moi. »

Petit Merle prit une mine contrariée, mais ne répondit pas. Il se contenta d'enfouir sa tête dans la mousse pour bouder. Etoile du Corbeau attendit que son jeune neveu doré émerge pour sortir. Il le conduisit vers la sortie, normalement interdite d'accès aux chatons. En voyant son chef, la sentinelle devant l'entrée s'inclina sans poser de question en voyant le chaton le suivre.
Le mâle avançait lentement pour permettre au chaton de le suivre dehors. Il irait dans la prairie, loin des Bipèdes et des chiens, pour ne pas le mettre en danger. Il devait lui parler, seul à seul, sans que son frère n'intervienne dans ses discussions. Il attendit de ne plus avoir le camp en vue et se pencha vers son neveu.

« Étais-tu déjà sorti par le passé ? Avais-tu déjà vu... l'immensité de cet endroit ? »

Nous étions en train de jouer à nous battre avec Merle. Notre mère, Rivière d'Azur, nous surveillait et calmait notre ardeur car il était encore assez tôt. Elle ne souhaitait pas que nous réveillâmes tout le camp par nos jeux de chatons déchaînés. Merle était face à moi, en position basse, prêt à m'attaquer. Je me tiens prêt, évitant de justesse son coup de patte avant de sauter sur lui pour le mettre au sol. Si je n'étais pas le chat le plus adroit du monde, j'étais quand même un peu costaud. Et je dois bien avouer que la tête de Merle en dessous de moi à cet instant, est une chose mémorable. Cela me faisait plaisir de lui montrer qu'il n'avait pas toujours le dessus sur son frère. Mais une odeur que je reconnais vite me fait me retirer de mon frère rapidement. Lui aussi a senti l'odeur de notre chef : Etoile du Corbeau. Il s'entretient avec maman et j'échange un regard inquiet avec Merle. Est-ce que malgré la vigilance de maman nous avons fait trop de bruit et réveillé les guerriers ?

Maman s'écarte et la voix de mon chef me serre le coeur dans ma poitrine, coeur qui se met à battre plus rapidement et plus fort ensuite. Il voulait me voir moi ? Sans Merle en plus ? Pourquoi ? Je me demandais bien ce que j'avais pu faire de mal. Je m'ébroue brièvement et me hâte de rejoindre mon oncle.

"Oui, Etoile du Corbeau, je viens."

Un coup d'oeil à ma mère pour tenter de deviner ce qu'il se passe ne m'aide guère, mais je ne veux surtout pas faire attendre mon chef et sors rapidement de la tanière. Je le suis alors, trottinant doucement derrière le grand matou noir qui me mène ni plus ni moins que vers la sortie du camp. Je ralentis l'espace d'un instant, sachant bien que les chatons n'ont pas le droit de sortir. Mais je suis avec mon chef, alors c'est différent n'est-ce pas ? C'est lui qui souhaite que nous sortions après tout, et personne n'irait contredire le chef. D'ailleurs, si le chat qui garde le camp me regarde avec étonnement, il salue Etoile du Corbeau et n'ajoute rien. Je suis donc mon oncle, à présent excité de découvrir le monde extérieur.
Comment est-ce la dehors ? Mille fois j'ai tenté d'imaginer les lieux.
Cent fois, j'ai grimpé sur la plus haute pierre et me suis tendu au maximum pour essayer de voir l'horizon. Mais les joncs qui bordent notre camp ont toujours été impénétrables. Aujourd'hui, pour la première et du haut de mes trois lunes seulement, je peux enfin découvrir le monde extérieur.

Mes yeux ne savent plus où se poser. Un arbre à gauche, des buissons à droite, les rochers du soleil pour lesquels nous nous battons si souvent contre le clan du Tonnerre au loin. A cette pensée, mon coeur se gonfle d'orgueil. Ces pattes de renard ne méritent pas ces rochers. Depuis l'origine de notre clan, ils font parti de notre territoire. Un ancien m'a expliqué qu'il y a fort longtemps, avant même sa naissance à lui et à ses parents, les rochers du soleil formaient en fait une île. Du coup, seuls les chats de la rivière pouvaient s'y rendre, ce qui en faisait naturellement un morceau de territoire du clan de la rivière. Les yeux fixés sur les rochers, la voix de mon oncle me ramène sur terre. Je le regarde alors et me rend compte que nous ne voyons plus le camp à présent. Nous nous trouvons dans une prairie et je sens la douce brise du vent venir jouer dans mon poil.

« Étais-tu déjà sorti par le passé ? Avais-tu déjà vu... l'immensité de cet endroit ? »
"Non Etoile du Corbeau. C'est la première fois que je sors, les chatons n'ont pas le droit d'aller hors du camp.
Je me demandais... est-ce que ce sont bien les rochers du soleil qu'on voit là-bas ?"

Maman nous enseignait déjà le code du guerrier, et ne pas sortir du camp en tant que chaton était l'un des fondamentaux. Le camp nous protégeait, nous, petites boules de poils vulnérables. Il était important que l'on y reste jusqu'à ce que nous soyons en âge de devenir apprentis. Jamais je n'aurais imaginé pouvoir en sortir aussi tôt dans ma vie de chat, accompagné par notre respectable chef en plus ! J'étais honoré de cela, mais en même temps, inquiet.
N'y tenant plus, je me décide à interroger le matou noir. Il est connu que je suis un chaton curieux et franc. J'aime savoir ce qui se passe autour de moi.

"Tonton ? Est-ce que j'ai fait quelque chose de mal ?"

Petit Lynx ne semblait pas rassuré à l'idée d'accompagner son oncle. Était-ce de la gêne ? De la peur ? Étoile du Corbeau l'espérait, après tout, il devait inspirer une forme d'autorité supérieure.
Le chaton essayait de jouer sur son savoir. Il parla des Rochers du Soleil et le chef hocha simplement la tête.
La suite des paroles du petit firent tiquer le meneur. Il tourna la tête vers Petit Lynx et le jaugea du regard. Devait-il parler franchement au chaton ou lui laisser le temps de prouver sa loyauté au fil de son futur apprentissage ? Peut-être que sa jeunesse et son inexpérience ne lui permettait pas de comprendre la politique complexe du Clan.

« Non, Petit Lynx. Tu n'as rien fait de mal. Cependant, je te sens... Moins affirmé que ton frère. Plus discret. J'aimerais discuter avec toi, loin des autres, pour que tu te sentes moins observé. »

Petit Merle avait d'avantage de discussion. En fait, il était compliqué de le faire taire. Il était ambitieux, violent et très peu tolérant. Le parfait futur roquet prêt à défendre son chef. Petit Lynx... Était peut-être voué à devenir aussi loyal et dévoué qu'Ombre du Hibou ? Ou vindicatif et opposé que Plume de Mésange ?

« As-tu réfléchi à ton avenir ? Petit Merle a déjà décidé qu'il serait chef... Et toi ? Tu sais que tant que tu me seras dévoué, tu pourras tout obtenir. »

Etoile du Corbeau ne répond pas à ma question concernant les rochers du soleil. Enfin, plus précisément, il se contente d'y répondre par un bref hochement de tête. Je reste donc silencieux suite à cela et continue de suivre le matou noir qui s'est arrêté à présent. Intrigué et inquiet, je sens un lourd poids être ôté de ma poitrine lorsque mon chef m'affirme que je n'ai rien fait de mal. Ma curiosité reprend presque instantanément le dessus alors, mais je me tais, car Etoile du Corbeau reprend la parole, m'expliquant les raisons de notre présence. Je m'assois doucement, ma queue venant enrouler mes pattes. En entendant les premières paroles de mon chef, je baisse la tête et regarde un instant mes pattes. Comme je me le doutais, notre chef nous compare déjà, Merle et moi, et sans doute les autres chatons aussi. Si je ne dis rien sur l'instant, je dois avouer que cela m'agace. Merle est Merle. Moi, je suis moi. Je suis sûr de valoir cent fois Merle en tant que futur guerrier et peut-être... QUOI !?

« As-tu réfléchi à ton avenir ? Petit Merle a déjà décidé qu'il serait chef... Et toi ? Tu sais que tant que tu me seras dévoué, tu pourras tout obtenir. »

Je relève brutalement les yeux sur Etoile du Corbeau, le dardant de mon regard bleu pénétrant. Merle lui a déjà dit qu'il serait chef ?
Mais quel genre de chef pourrait-il être ? Violent, il ne respecte personne, pas même ses aînés. Un chef tel que lui ne pourrait que affaiblir le clan de la rivière et lui faire perdre de sa superbe. Je saute sur mes pattes, regardant mon chef d'un air franc et soudainement farouche.

"Je respecte mes camarades et mon chef plus que tout. Je fais tout pour connaître le mieux possible le code du guerrier et je veux devenir le meilleur. Le futur chef, ce sera moi !"

Mes griffes sont enfoncées dans la terre du sol. Avais-je été trop loin ? Je n'en savais rien. Mais je savais d'ores et déjà que je ne pourrais pas supporter un chef tel que Merle à la tête du clan. Il y ferait plus de mal que de bien et je n'avais pas envie de devenir un espèce de clan de l'ombre. Malheureusement, si Etoile du Corbeau préférait Merle, il ferait tout pour le favoriser lui plutôt que moi.
En y réfléchissant bien, c'était la première fois que j'exprimais mon vœu secret de vive voix. Et bien sûr, pour bien me mettre dans la misère, je l'avais exprimé à mon chef. J'aurais pu le dire à Rui ou à Ombre du Hibou, mais non. Savoir que Merle avait déjà fait le vœu de devenir chef auprès d'Etoile du Corbeau avait agi sur moi comme un électrochoc. C'était décidé, je deviendrais le plus grand et sage des guerriers, le plus dévoué des lieutenants et le plus respecté de tous les chefs... ou en tout cas j'essaierais. Et pour cela, il allait falloir que j'apprenne à parler aux femelles. J'y arriverais. Je m’entraînerais tous les jours, dès aujourd'hui. Peut-être Rui ou Hibou pourraient-ils m'aider ?
Enfin pour l'heure, je continue d'observer mon chef, espérant qu'il ne prendrait pas mal ma réaction. Mais je voulais lui montrer que moi aussi je savais être déterminé.

Etoile du Corbeau ne put s'empêcher de sourire. Petit Lynx était bien du même moule que Petit Merle, sans mauvais jeu de mot. Heureusement que la compétition les motivait, sinon ce seraient deux paresseux. Il se souvenait de lui-même, enfant se comparant à une sœur qui avait simplement envie d'être mère et une autre qui voulait être la meilleure. Mais lui n'avait pas besoin d'être le meilleur, ou papa, le Clan se souviendrait de lui comme un chef et cette pensée lui suffisait.

En tout cas, les deux chatons étaient trop jeunes pour lui faire de l'ombre. Lapis Lazuli serait le prochain chef, et seul le Clan des Etoiles savait pour combien de lunes. Pour Etoile du Corbeau, ces deux jeunes étaient une chance inespérée : des membres de sa famille, des mâles, capables de reprendre le flambeau. Bien sûr, le noiraud aurait préféré que ses propres enfants le fassent, mais avec une demi-portion en guise de fils et une fille -jamais une femelle ne sera cheffe sous son commandement.

« C'est bien, tu as de l'ambition, il en faut dans ce Clan. »

Pourtant, pourquoi est-ce qu'Etoile du Corbeau avait cette amère sensation que son neveu n'était pas comme les autres ? Pourquoi ressentait-il de la crainte vis-à-vis du chaton ?

« Néanmoins... » poursuivit le meneur. « Si Petit Merle devient chef avant toi... Lui seras-tu fidèle quand bien même tu convoitais sa place ? Serais-tu capable de le trahir pour devenir chef ? »