EUROZ DOLLAZ YENIZ // ravin fourbe - end

- Ouais, on va voir, si ça se trouve je tomberai sur une souris avec de l'arthrose...

Ravin Fourbe leva les yeux au ciel. Peut-être qu'au moins il réussirait à l'attraper. Malheureusement il jeta son dévolu sur une grive. Le guerrier blanc n'eut même pas à attendre que la grive s'envole pour être certain qu'il allait la rater, rien que sa position ne pouvait pas lui permettre d'attraper quelque chose. Il contracta légèrement sa mâchoire, une petite grimace se formant sur son visage.

Il avait bien envie de l'aider, lui proposer de chasser en sa compagnie plus souvent afin de lui donner deux trois conseils, notamment celui de rester patient, mais il se doutait que Chant du Merle allait se sentir vexé et il trouvait ça un peu prétentieux de sa part. Il ne pouvait pas se prétendre expert juste parce qu'il avait attrapé un corbeau et que son camarade n'avait pas eut de chance.

- Bon, perdu hein.

Le mâle aux prunelles grises haussa les épaules comme s'il s'en moquait, et c'était le cas. Il y avait suffisamment à rapporter au camp et il n'avait aucune raison d'aller raconter à tous que le mâle nuancé de gris n'avait rien attrapé.

- C'est pas bien grave, tu y arriveras mieux la prochaine fois. Je vais essayer d'attraper un dernier quelque chose avant de rentrer, de toute façon tu pourras dire que la grive était de toi ça t'évitera de rentrer bredouille.

Ravin Fourbe vit la grive que son camarade venait de rater se poser un peu plus loin. C'est pas vrai, elle n'était pas aussi stupide quand même, si ? Il encra ses prunelles sur elle et s'en approcha avec autant d'application que les autres fois. Cependant, la grive était déjà sur le qui vive. Il n'eut pas le temps de bander ses muscles qu'elle s'envola une fois pour toute loin des deux mâles.

Il fronça le museau, sa queue fouettant l'air autour de lui. Il était frustré de terminer sa chasse par une défaite mais préférait relativiser. Après tout ils rentraient avec un corbeau et une grive, le clan serait bien nourrit. Il pivota et s'approcha du guerrier qui était resté en retrait.

- Bon bah il semblerait qu'il soit vraiment l'heure de rentrer. Tu prends la grive du coup ?

Ravin Fourbe lui proposait de prendre sa grive. Chant du Merle lui décocha un regard suspicieux. D'un côté, il avait vraiment fait une mauvaise chasse - bon, d'accord, une chasse catastrophique, même un chaton aurait mieux fait - mais d'un autre côté, il n'avait pas envie qu'on le prenne en pitié. Mais le blanc avait raison, il était temps de rentrer, il ne pouvait plus espérer se refaire. Mais de toute façon, il en avait la flemme. Cette cascade de "mais" ricochait contre les parois de sa petite tête, et se fut finalement Paresse qui l'emporta face à Orgueil dans cette psychomachie improvisée. Ravin Fourbe, pendant sa délibération, avait retenté sa chance avec la grive taquine, sans plus de succès. Quand il revint vers lui, Chant du Merle lui renvoya un grand sourire plein de dents. Il acceptait la proposition.

Mais c'est que tu es super sympa dis moi mon beau, merci ! L'examen pour passer guerrier a pas dû être trop dur pour toi...

Il ramassa la proie offerte, et amorça les premiers pas du chemin du retour, disposé à discuter - une activité pour laquelle il était bien plus doué.

En voyant Chant du Merle sourire, il comprit aussitôt qu'il acceptait de prendre la grive. Tant mieux, il n'aurait pas besoin de faire deux allers-retour pour pouvoir ramener les prises. Après avoir autant chassé il espérait bien se reposer au moins une petite heure au soleil.

- Mais c'est que tu es super sympa dis moi mon beau, merci ! L'examen pour passer guerrier a pas dû être trop dur pour toi...

Ravin Fourbe haussa les épaules, se plongeant dans les souvenirs de son examen. Effectivement il avait été plutôt bon à la chasse mais c'était surtout en continuant à s'entrainer et en partant chasser tout les jours qu'il avait développé ses techniques. Le mâle blanc suivit son partenaire de chasse dans sa marche pour rentrer au campement. Sa proie le gênait un petit peu pour répondre mais il prit soin de bien articuler ses mots.

- Disons que j'étais dans la moyenne, c'est surtout en sortant beaucoup et en essayant d'attraper un petit peu de tout que je me suis amélioré. Après c'est aussi une question de chance, on ne peut pas savoir quand le vent va tourner.

Il marqua une pause, tournant son regard gris sur le félin à ses côtés.

- Et toi, comment ça c'est passé ton examen ?

Ah ouais, donc Ravin Fourbe c'était carrément le genre de chat que Chant du Merle aimerait être, mais sans s'en donner les moyens : sérieux et appliqué, pas une sorte de paresseux babillard. Il eût une pensée pour son demi-frère, Nuage de Hibou, et accessoirement apprenti : le petit s'en sortirait peut-être mieux sans sans aide, si on pouvait qualifier ainsi les entraînements flegmatiques qu'il lui offrait.

Enfin. Il n'avait pas été un apprenti trop dégueulasse, son mentorat ne devrait pas être trop dur. Il avait des souvenirs mitigé de cette époque de sa vie : il souffrait alors d'un rave manque d'affection paternelle, et s'était retrouvé coincé dans un cercle de haine et de complexe d’infériorité avec sa demie-soeur, Cri de la Bécasse. Les deux Nuages se vouaient alors une compétition rude pour surpasser l'autre, dans le vain espoir enfantin de s'attirer, si ce n'est les bonnes grâces de leur père, tout du moins un regard. Cela expliquait pourquoi il avait miraculeusement obtenu son nom de guerrier à ses douze lunes, comme chaque apprenti méritant. Maintenant, son côté loque pouvait ressortir à outrance, il n'en avait plus grand chose à battre.

Il regarda Ravin Fourbe, son pelage immaculé lui donnait des sales idées de perversion, tentation, de contacts réprouvés par la morale du Clan. Son apprentissage, c'était aussi celui de sa sexualité, différente de la norme imposée par Étoile du Corbeau et comparses. Il caressait de doux rêves d'amour, son cœur volage, mais lui restait bien chaste, abstinent forcé.

Eh bien, au risque de te surprendre, bien écoute. A croire qu'à force de me battre dans l'eau, je me suis rouillé !

Encore quelques pas et ils arriveraient au camp. Adieu alors les moments solitaires où il laissait ses pensées ricocher sur les mâles qui l'entouraient. Ravin Fourbe devait prendre garde, il risquait d'être la nouvelle cible, sans jamais le savoir, du cœur d'artichaut affublé au Merle chantant...

+:

Pendant qu'ils marchaient jusqu'au campement, Ravin Fourbe observait le territoire tout en écoutant son camarade de chasse. L'herbe lui chatouillait les pattes et le vent léger lui caressait les poils. Sa queue touffue ondulait derrière lui quand il marchait, se faisant des fois pousser par le vent vers les côtés.

- Eh bien, au risque de te surprendre, bien écoute. A croire qu'à force de me battre dans l'eau, je me suis rouillé !

Un petit sourire se forma sur le visage du mâle blanc à la remarque de Chant du Merle. Il avait du mal à croire qu'on pouvait rouiller à force de se battre dans l'eau mais il n'allait pas le lui faire remarquer. Il ne savait pas ce que le mâle grisé faisait de ses journées mais il le croisait rarement dans la forêt. Remarque, il croisait rarement quelqu'un. Pourtant il aimait bien s'entrainer avec d'autres guerriers, il irait demander à son ami Empreinte du Renard s'il ne voulait pas l'accompagner un de ces jours.

Ravin Fourbe prit soudain conscience qu'ils étaient déjà presque arrivés au camp. Ils marchèrent encore un petit moment jusqu'à ce que l'on entende les éclats de voix des guerriers du Clan de la Rivière. Il se tourna vers son camarade de chasse et posa la prise qu'il tenait dans la gueule à ses pattes pour prendre la parole sans avoir à faire un effort surhumain pour articuler.

- Bon c'était une bonne chasse en tout cas, il faudra qu'on se refasse ça. Tu auras peut-être plus de chance avec les proies, au pire on en cherchera une malade, se moqua-t-il gentiment.

Il reprit sa proie dans la gueule, s'apprêtant à faire demi-tour sauf si Chant du Merle avait quelque chose à rajouter ou simplement envie de répondre.

out:

Le petit sourire de Ravin Fourbe en disait long sur ce qu'il pensait, et sans doute sur l'état physique actuel de Chant du Merle : le chat présentait bien, oui, avec son poil soyeux et son sourire charmeur, mais en ce qui concernait les capacités, on été bien loin du guerrier que sa musculature laissait entendre. Oui, le joli cœur d'artichaut était plutôt du genre "sport sans efforts", et cette partie de chasse lui avait beaucoup coûté.

Un petit pas pour le chat, un grand pour l'ellipse, les deux matous se retrouvèrent vite aux portes du Camp, le bruit de leurs compagnons les entourant dans un cocon réconfortant. La chasse avait tué le temps par pendaison. Ravin lui adressa son au revoir, Chant du Merle inclina les oreilles en signe d'acceptation, ajoutant un sobre "Quand tu veux beau gosse" avant de partir vers la pile de gibier.

+: