Need ya | W/ Ôl

Need ya

Ôl soupira. Son torchon blanc dans les mains, il se les essuyait assidument, essayant d’enlever les gouttes de sang qui l’encrassait. C’était dégueulasse, et Ôl détestait la saleté. Il avait encore dû se battre avec un de ces cons de la Fraternité, qui pensait pouvoir venir chez lui, prendre une arme, et se tirer sans payer, sois disant qu’on était tous frères et qu’au sein du groupe, rien n’était payant. Mon cul ouai. Alors Ôl avait d’abord tenté d’expliquer calmement les choses, puis il avait perdu patience, et son couteau s’était retrouvé planté dans la main de ce gros bouffon beaucoup trop joufflu pour être normal. Il s’était vite tiré quand il avait vu qu’on ne pouvait pas déconner avec Ôl. Le trafic d’armes, c’était le business d’Ôl. Les quatre clans de la ville venaient se fournir chez lui, sauf peut-être la bande du Maire. Après tout, c’était un commerce illégal. C’était bien pour ça que le brun cachait tout dans une cave, en dessous de son salon de tatouage.


S’essuyant une dernière fois les mains, il remit en place quelques objets et autres armes que le petit accrochage avait dérangés et éteignit sa cigarette. Il termina d’une traite son verre de whisky, et se dirigea vers les escaliers qui menaient à son deuxième travail, le légal. Son premier client de la journée ne devrait pas tarder à arriver pour discuter du dessin qu’il allait se voir marquer sur la peau. Ôl monta les escaliers au pas de course et lorsqu’il passa la tête au premier étage, la porte s’ouvrit à la volée et claqua bruyamment.


« Ôl ?! Hé mec ! T’es où ? C’est comme ça qu’on accueille ses amis ? ‘fait un froid de canard ici… »


Quelle ne fut pas la surprise du brun lorsqu’il vit Kurt sur son paillasson à l’entrée, dégoulinant d’eau et de boue. Le faisait-il exprès de venir souiller le salon de son « ami » ? Ou bien avait-il un problème, comme le montrait son air essoufflé et légèrement paniqué ? Dans tous les cas il n’avait pas à venir salir le salon d’Ôl. Alors quelque chose s’échappa de la main de ce dernier, machinalement. Le couteau vola à travers la pièce, et se planta derrière Kurt, étant passé tout près de sa joue gauche.


« Sort d’ici Kurt, reviens quand tu seras propre. »


En guise d’avertissement, il lança un autre coteau, qui décrit une trajectoire verticale, pour se retrouver dans la main d’Ôl. Il détourna son regard du brun et passa derrière le comptoir, préparant les dessins qu’il avait faits pour son client.

GALLINEA

Need ya

Il sortit une pochette en carton rigide et étala ses croquis sur le comptoir. Son client lui avait demandé un dragon arrachant la tête d’une princesse. Ôl soupira. Il détestait tatouer ce genre de personne, les gens qui regretteraient leur marque plus tard dans la vie. Un dragon arracheur de tête. Et puis quoi encore. Kurt arracha le couteau du mur et regarda la lame.


« C’est comme ça que t’accueilles ton meilleur ami ? C’est pas très très gentil. Entre nous, entre ton trafic d’armes et mes fringues, qui est le plus sale ? »


Il sourit de toutes ses dents, comme un gamin.


« Ferme ta putain de gueule, Kurt. »


Il ne détacha ses yeux de ses feuilles que pour regarder l’énergumène se coller contre la vitre de la porte d’entrée, essayant probablement d’entendre les bruits extérieurs. Dans quelle merde s’était-il encore foutu ?


« Mes fans me cherchent, c’est compliqué la vie de star. Je reviens sale gosse. »


Ôl leva les yeux au ciel. Il avait encore cherché la merde et il s’était barré comme une tapette. Il regarda le brun se faufiler dehors, regardant de chaque côté à la recherche des bourreaux et secoua ses cheveux trempés. Il eut la décence de rentrer avant d’être encore plus trempé qu’il ne l’était déjà et s’essuya les pieds sur le paillasson.


« Propre comme un sous neuf ! Bon, ok, mes fringues sont… ce qu’elles sont. Mais ça glisse, le skate sous la pluie. Je venais te commander un de tes trucs d’artiste. Je voulais me faire tatouer « GOOD NIGHT » sur les doigts des deux mains. Ouais, je sais, c’est trop court, mais t’as qu’à mettre un petit éclair sur le pouce devant le « GOOD ». Ensuite, je voulais aussi me faire tatouer le bras, mais juste sous l’épaule. Genre, écrire « KURT », tu vois ? Avec un point dans le U. Tu peux me faire ça mon pote ? J’ai de quoi payer, la dernière livraison a été fructueuse ! Jvais bientôt étendre le commerce à ces petites tafioles du Zéphyr. Et puis si la Secte a besoin, j’irais livrer la C chez eux. Ah ouais, il me faudrait aussi un poing américain chef, j’ai perdu le dernier dans la mâchoire d’un type l’autre jour. »


Son crayon parcourait les ailes du dragon, cherchant à les améliorer. Il n’avait pas vraiment écouté la tirade du colosse, beaucoup trop longue pour lui. Il n’avait retenu que l’essentiel. Il voulait deux tatouages moches et une arme. Ôl soupira. Levant les yeux vers Kurt, qui dégoulinait encore sur le paillasson il se retourna, et entra dans la pièce derrière lui. C’était un petit placard, avec un lit, et une étagère remplie de vêtements. Il attrapa un jean et un tee-shirt, vieux souvenir de son oncle, et grogna quand il découvrit que Sum’ avait laissé ses affaires ici, entre autres, sa petite lingerie. Il claqua la porte derrière lui et balança les vêtements sur Kurt.


« J’ai pas le temps pour toi. J’ai un client qui arrive pour son tatoo de merde. Enfile ça, t’es entrain de tout dégueulasser, je supporte pas ça. »


Il montra la porte des toilettes d’un geste lasse et se replongea sur son dessin, s’asseyant sur son tabouret en métal.

GALLINEA

Need ya

« CHEF OUI CHEF »


Kurt se tient droit comme un piquet, la main près de sa tempe dans un salut militaire caricaturé. Il ricane, commence à se diriger vers les toilettes mais s’arrête en cours de route. Il recule, et s’arrête en face du comptoir pour regarder les dessins.


« Waouuuuuuh c’est vraiment absolument merveilleuse fantasquement fabuleusement moche ce truc ! T’acceptes de dessiner ça ? Et t’acceptes pas mon nom ? T’es un sale type. T’es d’ailleurs le type le plus sale que j’ai vu de toute ma vie ! »


Ouais ouais, pas besoin d’en rajouter, Ôl savait qu’il était un sale type. Pas besoin d’en rajouter. Son rêve de devenir un homme meilleur s’éloignait chaque jour un peu plus. Kurt s’éloigna, et s’enferma dans les toilettes en chantant une espèce de chanson au style rock. Bordel qu’est-ce qu’il chantait mal. Ôl grogna et rangea les dessins du dragon. Que son client aille se faire foutre, le tatouage était vraiment trop horrible. Ôl ne se souillerait pas les mains avec ça. Au lieu de ça, il sortit une autre feuille blanche et s’arma de son crayon à papier.


« Mec, c’est pas à toi ces fringues ? Elles sont un peu grandes pour moi, alors pour toi j’imagine pas hein ? Bon, j’dis pas que t’es petit hein. »


Toujours le mot pour plaire ce Kurt. Le brun sombre ne le regarda même pas sortir une nouvelle fois dehors, encore à la recherche des fantômes qui lui courraient après. Il termina son dessin en deux coups de crayon, et tendit la feuille au bras droit de la Fraternité. Il avait fait bien mieux que quelques lettres, un headshot de coyote, entouré d’une branche de ronce et d’une branche de lierre. Un tatouage qui correspondait parfaitement à Kurt.


« Ferme là. »


Il était déjà gentil d’avoir dessiné autre chose, il n’allait pas non plus être agréable.

GALLINEA

Need ya

Il se retourne et s’avance vers le brun d’une démarche nonchalante. Il a toujours sur la face ce petit sourire moqueur qu’Ôl détestait.


« Toujours aimable, Ôl. Y’a des claques qui se perdent, sale gos- »


Il lève enfin les yeux vers Ôl, qui lui tend une feuille sans regard, sortant une tasse d’un autre petit placard. Il y avait plein de placard et tiroir secret chez Ôl. Sûrement à cause de son tempérament beaucoup trop maniaque. Kurt regarde la feuille d’abord d’un air hautain, dans l’idée de sortir une nouvelle réplique cinglante, puis avec plus d’attention. Ses yeux s’ouvrent légèrement plus, visiblement, le coyote lui plaît. Il lève les yeux vers le brun.


« Mec. C’est autre chose que les dragons coupeurs de tête. C’est… vraiment bien. Merci. »


Le compliment n’en fut que plus grand. Kurt n’était pas du genre à s’extasier, et encore moins à remercier. Alors un petit sourire naquit sur les lèvres d’Ôl. C’était ça qu’il aimait dans son métier.


« Tu penses que tu peux me faire ça… Dans le dos ? Je porterai plus de tee-shirt »


Il trouve ça drôle. Ôl soupire. Il hoche la tête, et sort de derrière son comptoir. La table et le siège était déjà prêt, le gros qui lui avait demandé le dragon était censé arriver d’une minute à l’autre. Finalement, il n’aurait pas son tatouage aujourd’hui. D’un signe de tête, il indique à Kurt de se préparer. Les tatouages sur un coup de tête, ça n’avait pas l’air de l’effrayer.

GALLINEA

Need ya

L’autre débile se met à sourire. Genre le sourire de gamin. Qu’est-ce qui lui prend ? C’est de se faire tatouer qui le rend si heureux ? Ou Ôl avait raté un épisode. Ça devient limite bizarre.
Kurt enlève son tee-shirt et se dirige vers le fauteuil. Le tatoueur le laisse faire, s’occupant de préparer la base qui lui servira de modèle.


« Alors, comment ça se passe, t’as des clients ? Au salon comme pour ta cave, j’entends. Tu vends pas à la Mairie ou quoi hein, fais pas cette connerie. Je pourrais le prendre mal. »


Ôl avait le sens du commerce. Mais il ne fallait pas non plus abuser. Les trois clans de la ville détestaient la Mairie, surtout la Fraternité. Alors jamais Ôl n’irait vendre des armes à l’ennemi. D’autant plus que le Maire ne connaissait même pas l’existence de la cave du salon de tatouage. Le brun savait faire dans la finesse quand il s’agissait de ses sales affaires. Terminant le line, il s’assit sur sa chaise à roulette et roula jusqu’à sa table de préparation, attrapant son aérographe. Il fit les derniers réglages, et posa le line bleu sur le dos de Kurt. Il haussa les épaules.


« J’ai planté le dernier client de la cave. Dans la main hein, il est pas mort. C’était un des gosses de la Fraternité, un nouveau. Faudra lui apprendre comment marche le commerce. Et surtout à pas voler. »


Il resserra un peu l’aiguille de l’aero et commença le travail.


« Tu me prends pour qui, Kurt ? Tu penses sérieusement que je vends ne serait-ce qu’un couteau aux enfoirés du Maire ? Ils savent même pas que j’existe. Et j’espère bien que ça va continuer, pour pas que je me retrouve avec la tête en moins, mmh ? »

GALLINEA