Bring Me Solace - end

Bring Me Solace

PV PETIT SILENCE

Les lunes avaient filés, beaucoup trop rapidement à son goût. Cela faisait combien de temps qu'il n'avait pas posé les pattes ici? Depuis l'incident avec le blaireau et l'étranger, Trash, au tout début du printemps, alors que les fleurs commençaient à peine à revêtir leurs plus belles couleurs. Et maintenant? Maintenant, l'été tirait à sa fin. La chaleur se faisait un peu moins accablante, changement qui lui donnait un bon répit vu son pelage moutonneux. Mais avec le soleil qui rétrécissait sa course dans le ciel de jour en jour, on lui avait dit que les fleurs allaient bientôt s'endormir. Que toute la nature allait changer, que tout deviendrait orangé, avant d'être complètement nu. L'idée lui attristait déjà le moral.

Mais, pour être franc, ce n'était pas que l’affadissement prochain des fleurs qui le taraudait. Le changement de lunes, cela signifiait aussi qu'il atteindrait bientôt son sixième mois. Qu'il porterait le nom de Nuage. Qu'il serait confié à un mentor, à un guerrier redoutable. Qu'il serait exilé de la pouponnière. Que même, peut-être, sa mère redeviendrait pleine. Il en avait entendu parlé, des Reines qui enfilaient rapidement les portées. L'idée d'être remplacé si vite lui nouait les entrailles. ... L'idée d'être remplacé, point. Il ne voulait pas de petits frères ou soeurs. Il ne voulait pas quitter le nid familial, se joindre à la tanière bruyante des apprentis, devoir obéir à un guerrier qu'il ne connaissait pas et qui ne respecterait nullement sa douce nature. Colombe Blanche, son mentor, Étoile Vaillante, tout le monde, voudraient faire un combattant de lui. Et un à un, il allait les décevoir. Parce qu'il ne pouvait pas. Il n'avait pas cette force, ce courage, cette ruse. Cette méchanceté. Il ne voulait rien savoir de la voie martiale. Mais elle lui été imposée. Et l'idée le clouait sur place de frayeur.

Alors, il restait perché sur la plus petite des Pierres Sentinelles, la tête calée entre les épaules tandis que le soleil se couchait à l'horizon. Il devrait bientôt rentrer, il ne devrait même pas vraiment être ici, mais plutôt que de profiter des dernières nuits dans la pouponnière, il appréhendait le moment où il en serait rejeté.

Le soleil allait bientôt se coucher, mais Silence profitait des dernières lueurs du jour, occupé à entortiller un brin d’herbe autour d’une de ses griffes. Le jeu était tellement ludique qu’il faillit s’endormir, mais la vision de sa truffe s’écrasant contre le sol dur l’en dissuada.
Il balaya le camp d’un regard flegmatique, à la recherche d’une activité pour tromper son ennui. Dans sa distraction, il arracha le bout d’herbe qu’il regarda pendouiller au bout de sa griffe, les yeux remplis d’effroi. Son regard balaya de nouveau les alentours, comme pour vérifier que personne ne l’avait vu, persuadé d’avoir fait une bêtise. Il creusa rapidement un petit trou pour y replanter le minable végétal - qui bien entendu, ne risquait pas de repousser – puis lécha le sol pour l’arroser. Le geste lui arracha une grimace de dégoût, si bien qu’il se frotta la langue de la patte pour retirer les débris de terre qui s’étaient agglutinés dans sa bouche. Ni vu ni connu, il se déplaça de quelques mètres pour qu’on ne le soupçonne pas, si jamais quelqu’un découvrait la supercherie.
Ouf, il était sauvé.

Il sifflota, en promenant son regard de façon très (pas du tout) discrète. Petite Mousse, qui passait non loin, attira son attention. Il le suivit du regard s’assurant que le chaton n’avait pas découvert sa bêtise. Non, ça n’avait pas l’air, son comparse de pouponnière continua son chemin sans le voir et se dirigea vers les… aubépines ??! Petit Silence retint un cri d’horreur quand il vit son ami traverser le buisson, quittant la protection du camp pour se jeter au dehors, dans la gueule du loup.
Le chaton chercha de l’aide du regard, mais personne ne semblait avoir remarqué la disparition de Petite Mousse. Les histoires des anciens et de Cœur Vaillant lui revinrent en mémoire ; il écarquilla les yeux de terreur, son ami courait un grave danger, il devait lui venir en aide !

Le chaton se précipita sur les traces de Petite Mousse. Arrivé au buisson d’aubépine, il hésita un instant, puis finit par passer sa tête au travers, s’assurant qu’aucun danger ne l’attendait derrière. Il scruta longuement les environs puis, patte après l’autre, il s’extirpa à l’extérieur, son corps tiraillé entre la curiosité et la peur.
Il se lança finalement à la suite du fugitif, préférant ne pas trop réfléchir à ce qu’il faisait, sous peine de faire demi tour. De toute façon c’était trop tard.

Ses pas le menèrent jusqu’aux Pierres Sentinelles, sur l’une desquels il ne tarda pas à apercevoir la silhouette de son ami se découpant sur le ciel orangé. Il lui tournait le dos, Silence lui hurla donc :

« PETITE MOUUUUUSSE - - ousse ousse ousse »

L’écho le fit sursauter. Il se plaqua au sol, terrifié, et réduisit la distance entre l’interpellé et lui. À deux, ils seraient plus fort pour affronter le danger.

Il n’était plus qu’à quelques mètres de la pierre, son compère pourrait l’entendre sans soucis. Il plaça ses pattes autour de ses babines, pour amplifier sa voix.

« Faut rentrer, on a pas le droit d’être là ! » S’égosilla-t-il en chuchotant, l’effort lui arrachant une quinte de toux.

Bring Me Solace

PV PETIT SILENCE

Une voix taillada le silence du crépuscule. Son émetteur portait bien mal son nom, à le voir s'égosiller ainsi. Mais le chaton n'avait aucune irritation à ce que ses rêveries soient brisées par sa voix. Enfin. Il sursauta bien violemment, quand même, trop perdu dans ses pensées pour se rendre compte qu'on l'avait poursuivit. Mais dès qu'il eut reconnu les sons, et dès qu'il se fusse retourné pour voir la silhouette de son ami se détacher des landes, il fut rassuré. Aussitôt, une petite vague de chaleur traversa son coeur fragile. De tous ceux qui avaient pu se lancer à sa suite ─ blaireau y compris ─, c'était Petit Silence qui avait bravé l'interdiction de quitter le camp. Pour s'assurer que son copain allait bien. Ou le rappeler à l'ordre. Mais dans tous les cas, il s'en était fait pour lui. C'était un petit baume sur son âme en cette soirée où le futur semblait l'écraser.

─ Faut rentrer, on a pas le droit d’être là !

L'averti le chaton blanc, croyant peut-être que Petite Mousse ignorait qu'il ne devait sortir du campement, et surtout pas à la tombée de la nuit. Le rouquin tira un sourire, un peu tristounet. Bientôt, ils auraient le droit de le faire, tous les deux. Mais ce n'était pas réellement une bonne nouvelle. Ils auraient également beaucoup de tâches à effectuer, toutes plus difficiles les unes que les autres, occupant leurs journées jusqu'à ce qu'ils s'écroulent de fatigue. Mais, ce n'était pas le plus difficile. Parce que aller rapporter de la mousse imbibée aux anciens, ou nettoyer la pouponnière, il pourrait gérer. Peut-être. Mais le pire, ce serait d'apprendre les techniques de chasse. De combat. De devoir faire autre chose avec son corps que gambader follement et donner des câlins à tout ce qui bouge. Apprendre à se battre. À souffrir, et faire souffrir. À tuer. Il n'en serait jamais capable. Et le poids de cet échec future l'écrasait déjà.

─ T'en fais pas, je resterai pas longtemps, juste profiter un peu du soleil avant qu'il s'endorme.
Il lança, la voix tremblant quand même un peu de son courage d'avoir braver les interdits. Mais ensuite, ce fut la tristesse qui harpa son coeur, le forçant à baisser la tête.
─ Et de mes derniers jours de liberté aussi...

Sa ruse marcha puisque, sursautant, le rouquin baissa les yeux vers lui. Bien, ils allaient maintenant pouvoir rentrer tous les deux, se mettre à l’abri des prédateurs pour lesquels ils étaient une proie facile.
Pourtant, son ami ne sembla pas du même avis : sous le regard dépité de Petit Silence, ce dernier lui annonça :

« T'en fais pas, je resterai pas longtemps, juste profiter un peu du soleil avant qu'il s'endorme. » Sa voix se brisa et ses yeux fuirent, alors qu’il terminait sa phrase en murmurant : « Et de mes derniers jours de liberté aussi… »

En voyant son ami ainsi, tous les sentiments du chaton blanc s’envolèrent : terminé la peur, l’anxiété et la déception de ne pas pouvoir rentrer avec son compagnon de pouponnière. À présent, c’était la tristesse qui l’envahissait ; la tristesse de se sentir impuissant face à la détresse d’un ami.

Ses oreilles s’affaissèrent alors qu’il restait là un instant, penaud, ne sachant trop comment réagir. Lui non plus ne voulait pas devenir apprenti guerrier, mais jusqu’à ce jour, il avait adopté la politique de l’autruche : ne pas y penser lui était apparu comme la meilleure solution, pourtant, aujourd’hui, il était face à la réalité.
Il finit cependant par se redresser, sortant de sa torpeur pour venir gauchement escalader le promontoire de Petite Mousse et s’installer à ses côtés.

« Je… au moins tu pourras regarder le soleil se coucher autant que tu veux… ? » Bredouilla-t-il, à la recherche d’un moyen pour consoler son ami.

Un bien piètre réconfort, il le savait, si bien qu’il regretta presque d’avoir parlé. Il se tortilla un instant, gêné d’avoir sorti son ânerie, puis finalement, pris d’un élan de compassion pour son comparse, il vint plonger son visage dans son encolure duveteuse. Faute de ne savoir quoi lui dire, il pouvait au moins lui offrir un peu de sa chaleur en guise de réconfort, un peu comme une maman.

Bring Me Solace

PV PETIT SILENCE

Lorsqu'il avait lâché les mots, tout le corps de son ami s'était affadit de tristesse. Il s'en voulait. Il ne voulait pas partager sa lourdeur avec son seul réel complice, son double, son âme soeur. Il aurait voulu être débordant d'énergie, rayonnant dans la fin de journée, enthousiasmé à l'idée de débuter son apprentissage, comme tous les autres chatons du clan. Mais il n'en était pas capable, et voilà que son incompétence venait à peser sur l'esprit de son doux compagnie. Et il s'en voulait. Les oreilles aussi basses que celles du blanchâtre, il n'osait le regarder. Mais Petit Silence ne se laissa pas démonter par le pessimisme pour autant. Prenant son courage à deux pattes, il gravit le rocher où était posé le rouquin, bravant les hauteurs (et les interdits) pour tenir compagnie à son ami. Déjà, le geste fit naître une douce chaleur dans le coeur du petiot. Il se tassa un tout petit peu, faisant place à l'autre à ses côtés. Au moins, ils seraient deux à admirer le coucher du soleil.

─ Je… au moins tu pourras regarder le soleil se coucher autant que tu veux… ?

Petit Silence suivit ses pensées, mais la phrase n'avait rien pour le rassurer. Le soleil se couchait, et continuerait de se coucher, encore et encore, emportant son enfance à chaque révolution. Et bientôt il changerait de nom, puis une autre fois encore, et toute trace d'innocence serait à jamais balayer de lui. Il serait forcer de joindre les rangs des guerriers, de se battre, de défendre le territoire et peut-être même donner sa vie au clan. Il l'aimait, il adorait ceux y vivant, il souhaitait les couvrir de bisous et bonheur, mais de là à perdre la vie dans des guerres de territoire qu'il ne comprendrait jamais? L'avenir lui pesait. Si seulement il pouvait faire comme Nuage d'Alcidés et suivre Coeur Fleuri dans ses tâches, jouer avec les pâquerettes, peut-être même parcourir le monde à la recherche d'un remède miracle. Un gros soupir lui emplit le corps.

Et, comme en réponse à son désespoir, Petit Silence franchit la distance les séparant. Il logea sa tête dans le poitrail crème, prenant le chaton par surprise. Dès larmes lui montèrent aussitôt aux yeux, lui bloquant la gorge. Presque férocement, il baissa la tête pour enserrer celle de Petit Silence, le collant contre lui. Des larmes entachèrent son pelage. Petite Mousse ne comptait plus les fois où cela était arrivé, tant il avait une propension à pleurer pour tout et rien. Mais à chaque fois, Petit Silence avait été là, aussi discret que son nom le laissait présagé, mais attentif aux états d'âme de son ami. Et il l'en remerciait pour ça ─ même si pour l'instant il n'était pas capable de le démontrer autrement qu'en pleurant sur son épaule. Pris de sanglots augmentant en puissance, il se mit à hoqueter:

─ J'ai peur. J'ai peur des combats, et des autres, et des entraînements, et de me faire mal, et des grosses batailles, et des clans, et je vais être le guerrier le plus inutile du monde, et Étoile Vaillante me jettera en dehors du camp et je te verrai plus jamais.

Une délicate pluie vint tâcher son joli poil, les gouttes s’échouant puis glissant en laissant une tâche discrète sur son pelage immaculé. Le ciel était pourtant dégagé : un rapide coup d’œil vers le haut suffit à en assurer Petit Silence. La pluie, elle ne venait pas de là haut, cette fois ci, mais bel et bien des yeux de Petite Mousse, son ami et confident, donc le corps secoué de spasmes, tressautait sous l’effet de la tristesse.

Il se sentait d’un bien piètre réconfort, Petit Silence. Incapable de consoler son ami, il avait même l’impression que le moindre de ses geste empirait sa tristesse. Mais que faire, que lui dire alors qu’il partageait ses doutes et ses peurs ? Il était incapable de se rassurer lui même, préférant se voiler la face que d’affronter ses problèmes. Petite Mousse, lui, avait au moins eu l’audace et le courage d’y penser, quand bien même cela était difficile.

« J'ai peur. J'ai peur des combats, et des autres, et des entraînements, et de me faire mal, et des grosses batailles, et des clans, et je vais être le guerrier le plus inutile du monde, et Étoile Vaillante me jettera en dehors du camp et je te verrai plus jamais. »

Son cœur se brisa à cette idée. Non, était-ce déjà seulement arrivé qu’un chat se fasse exclure d’un clan car il refusait de se battre ? Si Étoile Vaillante, chassait Petite Mousse, alors elle devrait l’exclure lui aussi, son propre neveux, car il ne démontrerait pas plus de débrouillardise que son ami. Lui aussi, il était effrayé.

« Si Étoile Vaillante te chasse ben... » Il chercha ses mots, à la recherche d’une phrase réconfortante pour que Petite Mousse puisse retrouver le sourire. « Ben moi je partirai avec toi, et tu seras jamais tout seul. »

Il se redressa, s’éloigna de son ami pour poser ses pattes sur les épaules de se dernier. Plantant son regard dans les prunelles bleues de son comparses, ses babines s’étirèrent en un regard bienheureux alors que l’idée prenait forme dans sa petite tête :

« Et puis même que tous les deux, on formera un clan. Ce sera le clan des chats qui veulent pas devenir guerrier. » Il hocha la tête, se persuadant que c'était possible. « Et on sera jamais obligés de se battre ! Parce que ce sera interdit de se battre et se faire mal, dans notre clan ! »

En fait, ça n’arriverait jamais, la pression de sa mère, son attachement pour son clan et sa couardise – en plus de son plan chimérique et irréalisable – l’en empêcheraient : il n’aurait jamais le cran et le courage de s’en aller. Mais à ce moment là, il ne s’en rendait pas compte. Il se sentait capable de déplacer des montagnes pour le bonheur de son compagnon, et gonfla même le poitrail, voulant paraître fort et intelligent devant son ami, pour camoufler sa véritable nature, sa médiocrité qui pourrait, si ce dernier s’en rendait compte, l’éloigner de Petite Mousse.

« Il nous faut un nom, tu as une idée ? »

Un nom de clan qui déchirait tout, pour marquer les esprits. Ou alors peut-être quelque chose de plus discret. Ça leur correspondrait mieux, finalement.

Bring Me Solace

PV PETIT SILENCE

Les sanglots secouaient son maigre corps comme mille chevaux cavalant sur la plaine. Les mots sortaient de sa bouche en saccade, dans un vomissement de plainte, pleurs, bave et morve. Impossible de garder sa dignité dans un tel moment. Mais se sentant encore plus horrible, frêle, laid, Petite Mousse ne manquait pas d'augmenter la profondeur de ses pleurnichements, se calant contre l'épaule de Petit Silence comme pour mieux cacher son visage devenu immonde. Terré dans la fourrure blanche de l'autre, on ne pourrait voir l'étendu de son désespoir. Tant pis pour le pelage lustré de Silence, par contre. Mais, bien que entièrement dépassé par ce qui se jouait devant lui, ce dernier ne réussi pas moins à prendre sur lui et tenter de redresser le cap.

─ Si Étoile Vaillante te chasse ben... Ben moi je partirai avec toi, et tu seras jamais tout seul.

La révélation fut une surprise, et il accusa le choc en taisant presque ses pleurs. Presque. Bientôt, il reprit de plus belle, cette fois attendrit jusqu'au plus profond de son être par la solidarité de son compagnon. Tant de compassion, dont il n'était point digne. Alors il pleurait pour le courage de Silence, pour son sacrifice supposé, pour son amitié, pour leur futur épeurant, mais à affronter côte à côte. Et puis il pleura un peu plus, pour la stupidité de pleurer pour ça, pour son coeur beaucoup trop sensible qui n'allait jamais survivre à leur monde. Petit Silence dû finir par trouver son approche pas assez efficace pour tarir les larmes de son ami. Alors, il l'éloigna et se hissa sur ses pattes arrière, de sorte à venir se poser sur les épaules du rouquin. Ce dernier accusa le poids, un peu difficilement, mais se tassant volontiers sous le corps du blanc.

─ Et puis même que tous les deux, on formera un clan. Ce sera le clan des chats qui veulent pas devenir guerrier. Et on sera jamais obligés de se battre ! Parce que ce sera interdit de se battre et se faire mal, dans notre clan ! Il nous faut un nom, tu as une idée ?

Petit Silence lui étala une vision idyllique devant le museau, et Petite Mousse ne voulait rien d'autre que d'y prendre part, que d'amener cette idée à réalisation. Il renifla un peu de la morve qui lui coulait sur le museau, tentant d'aspirer ses larmes par le même fait. De se montrer fort, aussi. Digne de l'amitié que lui offrait son doux compagnon. Si Silence pensait qu'un tel clan était possible, alors soit, ce l'était. Et ils le créeraient. Et ils inviteraient tous les chatons des autres clans à y venir, tout ceux qui comme eux avaient peur des batailles et de la hargne de leurs parents. Et ensembles, ils formeraient le plus beau clan, le plus paisible, où tous les chats seraient toujours heureux et il n'y aurait jamais aucun conflit. Tout irait pour le mieux.

─ Il nous faut un nom, tu as une idée ?
─ ... Le, le Clan du Coeur? Bégaya-t-il, pris au dépourvu. Ç'aurait au moins le mérite d'être clair. Tu penses que ton tonton Alcy et Coeur Fleuri, ils vont vouloir venir avec nous? Comme ça ils pourraient nous guérir et nous rendre heureux avec les fleurs.

Une goutte visqueuse s’échappa de la cavité nasale de Petite Mousse, dégoulinant lentement le long de la surface rugueuse de son nez en laissant une traînée sur son passage. Un reniflement bruyant de son propriétaire suffit cependant à la faire retourner de là où elle venait, dans le trou noir de ses narines.

« ... Le, le Clan du Coeur? » Proposa Mousse, peu assuré.

« Le Clan du Cœur… » Répéta l’autre en acquiesçant, le sourire émerveillé, satisfait du nom.

C’était parfait. Simple, concret, concis et cela résumait bien l’image qu’ils voulaient renvoyer. Ses babines s’étirèrent en un sourire béat, perdu dans son imaginaire et ses pensées idylliques : ils formeraient le meilleur clan jamais formé, basé sur l’amour, la gentillesse et l’amitié.
En réalité, ils ne pourraient pas aller bien loin, peu assurés et responsables qu’ils étaient. Mais les questions de survie ne semblaient pas les inquiéter en cette soirée, seule la pensée de cet idéal semblait apaiser leurs craintes, et c’était le principal.

« Tu penses que ton tonton Alcy et Coeur Fleuri, ils vont vouloir venir avec nous? Comme ça ils pourraient nous guérir et nous rendre heureux avec les fleurs. »

Le chaton blanc hocha la tête, séduit par la proposition. Il appréciait grandement la présence de son oncle, et son état d’esprit correspondait parfaitement à celui exigé pour faire partie du clan du Cœur. Celui de Cœur Fleuri aussi, bien qu’il ne la fréquentait moins. En plus, son nom était assorti à l’intitulé du clan, si ce n’était pas un signe, ça, il se demandait ce que c’était !

« Oh oui alors ! » S’exclama-t-il avec enthousiasme. « C’est une chouette idée. On devrait aller leur demander. »

Ses yeux se baladèrent une dernière fois sur le visage humide de son ami, vision qui lui brisait le coeur. Et dans un nouvel élan d’affection, il fit glisser ses pattes sur le pelage duveteux de son compagnon d’infortunes, les rejoignant derrière sa nuque pour le serrer de nouveau contre lui.
Alors, sa truffe cherchant le creux de ses oreilles rousses, il lui murmura :

« En tant que membre du Clan du Cœur, je te fais le serment de ne jamais te laisser tomber, alors sèche tes larmes. »

Serait-il en mesure de tenir sa promesse, en grandissant, ou n’était-ce que l'innocence du chaton qu'il était qui s'exprimait ?

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PV PETIT SILENCE

─ Le Clan du Cœur…

Le petit blanc répéta le nom, et soudainement Petite Mousse se mit à rougir, conscient du ridicule du nom qu'il venait de proposer. Mais plutôt que de lui rire au nez, de se moquer, mais non, le sourire qui lui fendit les traits n'était que douceur. Le petiot sentit son coeur se serrer, un peu de chaleur lui parcourir l'âme. Nuage Silencieux l'approuvait, et c'était la seule validation dont il avait besoin pour mieux aller. Peut-être que leur clan ne se ferait pas là tout de suite, peut-être qu'ils devraient attendre un peu avant de trouver le courage de le réaliser, mais un jour, ils le feraient. Ils en avaient la possibilité. Et en attendant, eh bien, il pouvait en rêver, l'imaginer, aller dans cet endroit mental où tout était fleuri et magnifique, et où la paix régnait. Ce serait son refuge, lorsque l'entraînement deviendrait trop exigeant. À cette pensée, il sentit un sanglot menacer de l'engloutir à nouveau, mais cette fois, il s'efforça à le rejeter.C'est bon, il avait assez sécrété de pleurs et de morve, temps de se laisser emporter par la vision idyllique de Petit Silence et se changer les idées.

─ Tu penses que ton tonton Alcy et Coeur Fleuri, ils vont vouloir venir avec nous? Comme ça ils pourraient nous guérir et nous rendre heureux avec les fleurs.
─ Oh oui alors ! C’est une chouette idée. On devrait aller leur demander.

À nouveau, le blanchâtre accueilli sa proposition avec une joie sincère, et à nouveau, le bonheur envahi le rouquin. Le lendemain matin, alors, ils iraient leur parler, leur proposer cette offre beaucoup trop bien d'aller former un clan de l'amour et de la paix avec eux. À quatre, ils deviendraient des experts en plantes et en câlins, et on viendrait leur demander conseil au moindre conflit créé par les clans. Bientôt, ils seraient connu comme la brigade de l'amour, et plus aucune guerre n'existerait. Petit Silence dû être pris par la même vision, car il se hissa sur ses pattes arrières et posa celles d'avant sur les épaules du rouquin. Serré contre lui, Petite Mousse enfouit sa tête contre son cou duveteux, inspirant profondément pour être certain de ne rien manquer de l'odeur de son compagnon.

─ En tant que membre du Clan du Cœur, je te fais le serment de ne jamais te laisser tomber, alors sèche tes larmes.

Les paroles le rassurèrent plus que tout, et même s'il échappa quelques nouvelles larmes, c'était cette fois sur le coup de l'émotion. Mais, ne voulant pas que Petit Silence le croit encore triste, il se dépêcha de les sécher et prendre sur lui de se calmer. Une fois cela fait, il se décolla de son ami et lui offrit le sourire le plus sincère qu'il pu. Petit Silence avait été là pour lui lorsque plus rien n'allait, et maintenant, il était de son devoir d'aller mieux et lui prouver que son affection était bien placée. Derrière lui, le soleil ne jetait plus que quelques maigres rayons sur les plaines; il avait pleuré plus longtemps que prévu. Mais maintenant qu'il avait passé au travers de sa tristesse, et qu'il en était sorti rassuré, il se sentait un peu plus d'attaque à retourner au campement. Peut-être pas prêt à être adouber, et encore moins à commencer son entraînement, mais il se sentait presque capable d'affronter ces terribles épreuves.

─ D'accord, je te crois. Et je vais mieux, merci beaucoup beaucoup.
Il lui fit une lèche sur le front, un dernier coup de tête contre son épaule, puis se laissa tomber tant bien que mal en bas des roches. De là, il offrit un sourire à son ami, presque capable de rire de ce qu'il allait dire:
─ Je suis prêt à rentrer au camp! Avant qu'on se fasse coincer!

Le regard embué de Petite Mousse retrouva un peu de son éclat, et sur son visage boursouflé par les larmes, Petit Silence put voir un sourire se dessiner. Sourire contagieux, il fallait dire, puisque le chaton blanc vint lui aussi étirer ses babines pour quitter sa mine soucieuse.

« D'accord, je te crois. Et je vais mieux, merci beaucoup beaucoup. » Lui assura Mousse, plus sûr de lui, ce coup ci.

Pour toute réponse, Petit Silence ronronna gaiement en accueillant les lèches de son ami, sincèrement heureux que ce dernier ait retrouvé du poil de la bête. Heureux d'avoir pu l'aider, d'avoir pu faire quelque chose d'utile, pour une fois.
Et sautant pour retrouver l'herbe sous ses pattes, le rouquin le héla :

« Je suis prêt à rentrer au camp! Avant qu'on se fasse coincer! »

Silence se leva aussi, prêt à rejoindre son ami, mais d'une descente bien moins gracieuse que ce dernier : il se laissa glisser contre la roche, griffes sorties et crissant au contact de la pierre, pour freiner sa chute. Une fois ses fesses par terre, le coccyx douloureux, il se redressa pour se redonner un peu de prestance et en vitesse, il rejoignit son meilleur ami au petit trot.

« Le dernier arrivé est un caca de blaireau ! »

Et il fila à toute vitesse vers le campement. En tant que poule mouillée, il pouvait au moins espérer ne pas finir en excrément de prédateur.

Leur insouciance de chaton ne durerait plus bien longtemps, à présent...