I Can't Bear It Anymore - end

Elle part pour le dernier grand voyage. Je serre les babines, essaye de ne pas lâcher un pleur, pas tout de suite, pas devant elle. Qu'elle parte un peu plus tranquille. Je remâche mes "tu vas me manquer", et attends, patiemment, nerveusement, que la digitale fasse effet.

Elle chute, brou mat et mou sur mon sol de pierre. Je regarde son corps, qui commence déjà à refroidir. Je m'accroupis côté, enfui mon museau dans sa fourrure aux teintes pastels, et enfin, laisse cours à mes larmes. Des sanglots de fillettes mouillent son pelage, et je tremble dans cette dernière étreinte.

Elle va vraiment me manquer.

Je me redresse, adresse une prière à nos Ancêtres, pour qu'ils l'accueillent, essuie mes larmes sur mon torse décharnée, lui jette un dernier regard; Je récupère la tige de digitale évidée, avec précaution, et vais pour l'enterre un peu plus loin, puis me rince soigneusement les pattes. Je ne peux pas mourir, je ne veux pas mourir, j'ai Esprit Lent et j'ai le Clan et tous les bébés qui piaillent et miaulent et qui ont besoin d'un guérisseur, et Naange n'est pas du tout prêt et je dois travailler encore et encore et cela m'empêche de penser à tout ça, et rester avec mes idées noires, les mêmes qui ont fleuri dans un coin du crâne de Douce Ancolie, allant jusqu'à l'étouffer, germant dans ses poumon set asphyxiant son cœur au bord de l’implosion.

Il va falloir que j'annonce la funeste nouvelle.

LACHEZ LES GRANDES EAUX
(gamins, amis, famille, souc est dispo pour consoler)

Depuis que j’ai monté en grade, je ne suis pas resté une seconde inactif. Je chassais, défendais mon clan, les miens, ma dernière famille. Chaque membre compte. Du plus jeune des chatons, au plus vieil ancien. Je me privais de nourriture si personne n’était nourrit, et je protégeais les miens du mieux que je pouvais. Mais ça n’a pas suffit. Le cœur à ses raisons que la raison ne connait pas.

Je rentrais de chasse, avec un petit butin pour une fois. J’étais de retour au camp plutôt, je me suis blessé à la patte. Oh rien de grave, mais ça devait être soigné ou du moins vérifier pour éviter une quelconque complication. J’ai laissé mon groupe continuer la chasse et j’avais eu l’initiative de récupérer les proies qu’on à chassés ensembles. Longtemps je me suis caché derrière le souvenir de mes parents, je les ai gardés, tous les jours avec moi, les empêchant de partir, voulant pleurer encore, et encore leur disparition. Je me considérais, et je le suis toujours, comme la mémoire de ma famille du sang. Je suis Cœur Maudit pour eux.

Je vais donc poser mon butin sur le tas de proie, et je me dirige doucement vers l’antre d’Esprit Soucieux, boitillant légèrement, une souris, bien grasse pour la saison, dans la gueule, histoire qu’il mange correctement.

Je passe ma tête dans la tanière, m’annonce et entre. L’atmosphère était lourde. Il se passe quelque chose. Et rien de bon. Je ne panique pas, mais je m’inquiète beaucoup. J’avance avec des pas très lent, n’osant pas entrer dans cette scène que je sentais funèbre. Je n’osais plus respirer. Mes yeux essayaient de s’habituer à l’obscurité. Il faisait sombre, et je tentais d’apercevoir quelque chose. J’étais très inquiet. D’un miaulement sourd j’appel le guérisseur. Et je continue à avancer. Brusquement je m’arrête. Devant moi, je vois une masse qui semble être calicot. Un malade ? Je tourne la tête, à droite, à gauche, dans l’espoir d’apercevoir Esprit Soucieux. Je m’approche alors doucement de la forme inerte. Je respire son odeur. C’était la belle Douce Ancolie. Mais elle ne bouge plus. Pas même une respiration. Son ventre ne se soulève pas. La vie avait comme quitté ce corps. Le laissant froid, et vide. Elle est… ? J’avais bien compris ce qu’il se passait, mais ne voulant pas y croire vraiment, je l’appel d’une voix douce :

« Douce Ancolie ? Lève-toi… Ou du moins, montre-moi que tu es encore là. »

Je n’étais pas proche d’elle, je ne la connaissais pas personnellement, mais elle fait partie de ma tribu, des miens. Comme réponse, j’avais le silence pesant de la mort. L’affreux et douloureux silence funeste. Ma tête tombe et je ferme les yeux pour une prière silencieuse. Elle devait être accueillie auprès des ancêtres comme il se doit. Mais je devais prendre mes responsabilités en main et lui préparer un hommage. Annoncer sa disparition au camp.

Je sentais Esprit Soucieux pas loin. Ma patte va attendre. Le clan avant moi. Le guérisseur semblait lui aussi triste, mélancolique… Je m’approche de lui, le regard compatissant. Je sentais sa douleur plus lourde, il la connaissait probablement mieux que moi. Je lui demande ce qu’il s’est passé. Il me raconte que c’est tout simplement une crise cardiaque. Il y a probablement une raison plus sombre, mais je préfère croire la voix des étoiles. Il sait les choses mieux que moi.

« Je vais l’emporter au centre du camp et l’annoncer tous. Tu as fais de ton mieux Esprit Soucieux. Console-toi. Lève les yeux, et tu la verras voler dans les cieux. La belle s’endort pour un sommeil éternel. »

Je prends congé du guérisseur, et avec un respect infini, j’oublie ma douleur à la patte, et je porte délicatement la princesse endormie. Je l’amène au centre du camp et la pose en douceur. Je pousse alors un miaulement cérémonial, lourd de sens. Il n’était pas agressif, juste doux et respectueux. L’appel qui suit la faulx de la Mort. J’attends en silence, assis à côté de la reine. Mon regard était funèbre. Triste de ne pas avoir pu protéger un membre de mon clan. Même si je ne pouvais rien faire face à quelque chose d’aussi fulgurant qu’un arrêt du cœur, tout comme notre guérisseur, qui a du se retrouver impuissant.

Une fois le clan réuni, je lève les yeux, et m’adresse aux étoiles. Il est temps qu’elle parte auprès des ancêtres pour une existence plus douce.

« Clan des étoiles, je m’adresse à vous aujourd’hui pour que votre esprit accompagne celui de Douce Ancolie vers une vie éternelle à vos côtés. Elle était une honorable guerrière, mais aussi une mère présente pour ses enfants. Soyez doux avec elle, autant qu’elle l’était avec son clan. Honorez-la »

Et je fais le silence. Je reste près de la reine. Elle était de mon clan, ma famille de mon cœur. Et je laisse les miens se recueillir. Tous nos esprits aident Douce Ancolie dans son chemin vers les étoiles. J’ai lancé un appel à ces derniers pour qu’ils la respectent, et prennent soin d’elle. C’était une brave guerrière, et reine. Elle était trop jeune pour partir. Mais c’était la volonté des étoiles. Soyez bon. Au revoir Douce Ancolie. Tout était trop surréaliste.

Spoiler:

Le camp avait cessé ses occupations. Un groupe se formait déjà au centre de la clairière. Le lieutenant avait appelé le clan à se rassembler. Le jeune novice sortait de son antre pour rejoindre cette soudaine agitation. Ne comprenant pas la raison de cet attroupement, Nuage de Scorpion resta en retrait, de toute manière, une sorte de mur de corps se dressait entre lui et le centre d'attention. Puis la voix de Coeur Maudit s'élève, faisant taire les murmures qui parcouraient les rangs de félins. Il s'adresse au ciel, aux étoiles... aux morts. Puis il prononce le nom de l'âme qui s'envole rejoindre la nuit. Douce Ancolie. Elle est partie. Disparut. Pour toujours. Il n'écoute plus. Son esprit répète en boucle cette information funeste.

Douce Ancolie est morte... Maman est morte. Il se lance entre les chats de l'Ombre, se frayant un passage de force pour se retrouver au centre du camp à son tour. Il se laisse tomber près du corps sans vie de celle qui l'a un jour fait naître. Il enfonce sa truffe dans le poil gris de la défunte chatte. Elle ne peut pas être partie. Pourquoi ? Pourquoi est-ce qu'il n'avait pas vue qu'elle souffrait ? Pourquoi Etoile du Serpentaire n'avait rien fait ? Pourquoi est-ce que Nuage du Fauve n'avait rien fait ? Pourquoi Esprit Soucieux ne l'avait pas sauvée ? C'était de leur faute, à tous. Mais à lui également. Et aux étoiles aussi. Pourquoi le clan des étoiles ne l'avait pas laissée vivre encore. Les premières larmes coulèrent le long de ses joues.

Donnait-il une image pathétique de lui ? Sûrement, et il en avait rien à faire. Nuage du Fauve le regardait-il pleurer leur mère ? Resterait-il dans l'ombre ? A l'ignorer comme il le faisait depuis quelques temps ? Etoile du Serpentaire sortirait-il seulement de sa tanière ? Sûrement pas. Il ne l'avait sûrement jamais aimée. Alors il resterait seul. Ne l'avait il pas toujours été de toute manière ? Lui contre sa fratrie pour pouvoir obtenir le trône. Lui, seul, sans amis car il ne savait qu'ordonner et prendre. Lui, seul à pleurer la reine.

Il avait suivi l'attroupement dans un silence qui ne lui convenait pas d'ordinaire. Le regard vif, les oreilles largement dressées sur son crâne, Nuage du Fauve jouait de ses épaules pour se glisser dans la foule de matous. Son pelage sombre frôlant celui de ses camarades, le tout jeune novice sentit son ventre se nouer à mesure qu'il progressait, comme si les tracas de ses congénères -qui augmentaient à mesure qu'il avançait- le contaminait à son tour. La voix masculine de Cœur Maudit s'éleva alors que le mâle au regard doré était toujours en plein trajet.

« Clan des Étoiles, je m’adresse à vous aujourd’hui pour que votre esprit accompagne celui de Douce Ancolie vers une vie éternelle à vos côtés. Elle était une honorable guerrière, mais aussi une mère présente pour ses enfants. Soyez doux avec elle, autant qu’elle l’était avec son clan. Honorez-la. »

Ses griffes s'enfoncèrent dans le sol meuble, l'animal au corps musculeux s'élança sans gêne sur ses compagnons de Clan, les bousculant sans remord afin d'arriver au premier rang. Là, il aperçut le corps inerte de sa mère. Ses yeux s'écarquillèrent devant la funeste image de la guerrière tricolore, ainsi posée à même le sol, comme une vulgaire dépouille... puisqu'elle n'était à présent qu'une vulgaire dépouille pour eux. Nuage du Fauve se paralysa littéralement. Il vit un éclair de fourrure brun-roux se jeter sur sa mère, il perçut les hoquets libérateurs des pleurs de son frère, il entendit les murmures des autres matous, il remarqua la passivité d'Étoile du Serpentaire, il nota l'impuissance d'Esprit Soucieux puis il comprit qu'il n'était plus rien. Il eut envie de tomber à son tour, de se rabaisser à un chagrin enfantin, à de longs cris d'agonie et de détresse. Il voulut, un instant, se blottir contre le poil bicolore de Nuage de Scorpion, sentir son odeur familière, plonger l'or de ses yeux dans l'océan du matou au nom d'arachnide, le même qu'il s'était efforcé de détester et d'aimer à la fois durant toutes ces lunes de rivalité. Il faillit réagir par la douleur, tenter de combler le trou qui venait de se creuser en lui par un hurlement transperçant. Seulement c'est une colère noire qui s'éprit du vide, et au lieu de déverser des litres de larmes, ses yeux s'embrasèrent soudain d'une lumière mauvaise, colérique, bouillonnante. Il réagissait à une agression, une attaque, une tentative de le blesser et de l'abattre par la douleur. Ses poils, d'un noir de jais, s'hérissèrent, et d'un geste de la queue, le novice sombre fouetta l'air de la queue. Son regard poignarda le guérisseur gris, foudroya le lieutenant tigré, et finit par déchiqueter la pelisse tricolore de sa défunte mère.

Petite Griffe était morte, ils l'avaient pleuré. Douce Ancolie avait consolé les deux frères pendant plusieurs nuits, se consolant surement aussi grâce à ses deux petits vivants. Et même s'ils avaient tous les deux prétendu que la disparition de leur sœur n'était qu'un détail de leur enfance, la reine pouvait comprendre la douleur qu'ils vivaient, Petit Fauve l'avait ressenti. A travers ses mots, ses gestes, sa douce voix, ses sourires de maman, toute sa tendresse et son amour indestructible, comme si soudée à ses chatons, elle aurait pu abattre un ours, ou deux. Elle avait fait figure de combattante et était même devenue un modèle pour le novice à la noire fourrure. Elle avait longtemps été la Princesse, la Reine et de son vivant, elle venait choyer le chaton tigré lors de ses longues nuits, à travers des rêves plus doux encore que la mousse fraîche et les plumes de corbeau qu'elle glissait avec attention dans sa litière.

Elle tombait aujourd'hui, et elle emportait cette image avec elle. Douce Ancolie pouvait mourir. Elle pouvait le priver de cet amour maternel, inconditionnel, immuable. Elle pouvait le laisser seul; sans pilier, sans appui, sans repère, si ce n'est l'ombre d'un géniteur -qui ne la pleurait même pas. Elle avait ravagé la guerrière, devenant simple mortelle, jouet du Roi parmi tant d'autres. Un simple sujet de la cour. Et lui, et Nuage de Scorpion n'étaient alors que des bâtards. Douce Ancolie n'était pas morte. Elle était partie. Et puissent les autres dire qu'elle rejoint sa fille disparue, elle abandonne ses fils perdus.

Nuage du Fauve retint durement ses larmes, mordant presque sa propre langue afin de faire taire ses hoquets de chagrin. Il dissimula sa moue triste derrière un visage courroucé. Il fixa un instant son frère, qui libérait son mal-être. Puis Nuage du Fauve se détourna de la scène, fit volte-face si brutalement qu'il fouetta un guerrier de sa queue, et se libéra de la foule à grands coups d'épaules rageurs. Il ne pouvait pas pleurer une traîtresse, une faiblarde qui avait brisé une promesse tacite : celle de le protéger. Le félin au pelage sombre et tigré s'enfonça dans la barrière de ronces et disparut dans les marécages du Clan de l'Ombre sans demander son reste. Ses griffes, toujours de sortie, se destinaient à un ravage systématique de tout ce qui passerait près du matou. Vivant ou non.

HRP: