Mère et Fils -abandon

Un peu moins d'une lune que je suis Apprenti-Guérisseur. Depuis ce jour, je vais, une à deux fois tous les sept jours au Camp de l'Ombre. Un Guerrier m'emmène jusqu'à la frontière, puis je rejoins le Camp d'Esprit Soucieux, pour faire ma formation de Guérisseur. Ayant appris la grossesse de notre nouvelle Lieutenante, j'ai demandé à commencer le plus rapidement à apprendre les herbes nécessaires et utiles, les gestes à connaître, etc. J'ai l'impression que ma tête est remplie d'informations et en si grande quantité, que ça me fail mal. Mais je ne peux pas arrêter, je dois apprendre, le plus vite possible, pour être le plus utile. J'ai déjà eu un cours sur les herbes pour apprendre leurs vertus et comment et quand les cueillir. Ça s'embrouille toujours, mais ça va, j'ai une bonne mémoire. Ça aide. Pendant ce temps, ma soeur suit son apprentissage de Guerrière. Elle vient de temps en temps m'en parler, mais j'ai l'impression que nous sommes moins proches. Peut-être à cause de la voie que j'ai choisi, sans en parler à mes proches. Les mots de celui qui a été mon père résonne encore dans ma tête. Je ne suis qu'un gâchis à ses yeux... Mais je sais que c'est la voie que je devais emprunter pour être bon dedans. Je soupire un peu et me remet à la tâche. J'ai sorti les herbes qu'il restait dans l'Antre du Guérisseur, mon Antre. Puis j'ai trié les feuilles à jeter, à garder. À mon grand soulagement, il n'y avait que peu de perte. Je range et je mémorise. Celle-là pour les maux de ventre, celle-ci pour les rhumes. Je m'occupe l'esprit. Mais de ce que je vois, il va me falloir partir en cueillette, trop peu de réserve avec la mauvaise saison qui arrive. Une voix me fait sursauter. Mon nom est prononcé. Un ton doux que je reconnaîtrais entre mille. Maman. J'émets un rapide ronronnement avant de m'inquiéter. A-t-elle un problème? Je sors de l'Antre, retrouvant la lumière du soleil et m'assieds non loin.

"Bonjour Eau Turquoise. As-tu un soucis? Es-tu malade?"

Je l'aime beaucoup Maman. Elle porte toujours cette odeur lactée que me réconforte. Je sais au moins que si Père n'est pas heureux de mon choix et de mon destin, Maman m'aime toujours autant. J'observe un instant son pelage gris, plus clair que le mien et pourtant. Bien plus qu'à Etoile du Corbeau, je ressemble à ma mère, autant dans sa silhouette que ses couleurs. On ne peut nier que je suis de sa chair et de son sang.

La douce Reine eut un sourire sincère qui me rassura. Si elle pouvait encore sourire, alors c'est que ça allait ou que ce n'était pas si grave. Elle posa son museau contre mon épaule et je fermai les yeux un instant, me laissant retourner à l'époque où tout n'était qu'innocence et jeux. Elle me rassure de vive voix sur son état et sur celui de sa grossesse. Parce que oui, Maman est enceinte, de nouveau. Dernier cadeau de Père avant de mourir. À peine nous étions devenus Apprentis, ma soeur et moi, que Eau Turquoise retournait à la Pouponnière. Mais la grossesse se passe bien, ça devrait aller. Une moyenne portée d'après les analyses que je peux faire. Mais je peux me tromper. Je n'ai pas encore l'expérience d'un Guérisseur. Mais je dirais qu'il n'y a pas plus de trois ou quatre chatons. Elle est bientôt à terme je pense. Ma première expérience de mise bas... Ça m'angoisse un peu, j'ai peur de mal faire mon travail, de faire quelque chose de mal. Mais je garde mes angoisses pour moi. Ça ne sert à rien que je panique, au contraire...

« Je venais voir si tout allait bien pour toi. As-tu besoin d’aide ? Mes membres vont finir par s’engourdir, seule dans la pouponnière ! »

Je sursaute. Je m'étais perdu dans mes pensées. Je souris un peu, amusé. Il est vrai qu'enchainer deux portées à la suite ne devait pas être des plus amusants. D'un autre côté, je l'enviais un peu, elle qui pouvait avoir des enfants. Je ne connaîtrais jamais cela. Et pourtant je n'arrive pas à le regretter.

« Peut-être que je pourrais t’accompagner chercher des remèdes ? Tu me ferais découvrir ton univers, comme ça… ! »

J'acquieçai. Je venais juste de me dire que les réserves en remèdes de mon Antre étaient vraiment faibles. Et qu'il fallait remédier à cela. Je jetai un coup d'oeil à mes remèdes, faisant mentalement un effectif de ce que j'avais, de ce qu'il me manquait et de ce qui était urgent. Un peu de bourrache ne serait pas du luxe, avec la future portée de la Reine, mais il fallait se rendre sur les Terres du Tonnerre. Et si j'avais raison et que la future mère n'avait d'une portée moyenne, ce ne serait pas forcément nécessaire. Par contre, il me manquait fatalement des herbes de soin, contre les infections. Les herbes basiques, de tous les jours. Des herbes que l'on ne trouvait pas sur les terres riveuses.

"Est-ce que ça ira si nous allons jusqu'en terres neutres? Là-bas il y a des herbes dont j'ai besoin. Mais si tu ne peux pas, nous resterons en terres riveuses, j'irai plus tard là-bas."

C'était rare que Maman me propose cela et un instant avec elle me faisait bien envie. Qu'elle veuille découvrir mon univers me faisait très plaisir et lui montrer serait vraiment chouette. Je ne savais pas encore grand chose, je ne faisais que débuter dans ce domaine, mais ce n'était pas une raison. J'attendais sa réponse.

HRP:

« Avec plaisir. Cela fait bien longtemps que je n’ai pas posé une patte en dehors du territoire ! »

Je ronronnai de plaisir face à la joie de Maman. J'aimais la voir ainsi, si vivante, si joyeuse, si douce. Elle était comme une lumière dans le Clan. Je suivais donc les pas de la femelle tandis qu'elle se dirigeait vers la sortie du Camp. J'en profitai pour l'observer un peu. Bien mince, peut-être un peu trop à mes yeux, malgré sa portée, elle semblait bien plus vivante que lorsque Père était en vie. Il faut dire qu'être son épouse n'avait pas dû être des plus faciles. En me rappelant du matou noir, son image revint devant mes yeux ainsi que les mots cruels qu'il avait prononcé, rompant nos liens familiaux. Bien sûr, je le nommai toujours Père lorsque je pensais à lui, mais il avait bien signifié qu'il ne me considérait plus comme son fils.

« Où veux-tu te rendre ? »

La douce voix de ma mère me sortit de mes songes malheureux. Où aller? Pourquoi pas au plus près. Je n'avais pas vraiment envie d'obliger Eau Turquoise à aller aux confins des terres libres, surtout dans son état.

"Nous allons aller près d'ici, pas loin des quatre chênes."

Et en prononçant ses paroles, je dirigeai mes pattes vers ce lieu. C'est en silence que je traversai les terres riveuses jusqu'au pont de bois qui enjambait la rivière. Je n'aimai toujours pas traverser l'eau, ça me rappelait trop ce jour sur les Rochers du Soleil. Nous étions enfin arrivés sur le lieu de cueillette du jour. Tout en commençant à chercher, je demandai.

"Comment se passe la vie pour toi? Tu n'as pas mal j'espère?"

Je regardai à travers les buissons pour voir un petit plant d'herbe que je reconnaissais en écarquillant les yeux. De l'herbe à chat! Je n'en avais jamais vu, mais l'odeur était caractéristique! Cette plante était un miracle pour la future Saison des Neiges à venir. je m'empressai de la cueillir, faisant attention à récupérer la racine. J'essayerai de la replanter au camp, pour qu'elle soit la plus fraîche possible au moment où il y aurait besoin. Une fois fait, je me tournai vers Maman.

"Regarde Maman, c'est de l'herbe à chat! C'est pour lutter contre le mal blanc ou vert, c'est incroyable d'en trouver si loin des bipèdes!"

Je la posai soigneusement à mes côtés.