Docteur bobo !

Les délicieuses strangulations du soleil sur la clairière devenaient pesantes, alourdissant l'atmosphère. La chaleur planait depuis quelques lunes déjà et le ciel s'était définitivement paru d'un bleu azuré. Les nuages cotonneux ondulaient au rythme de la brise légère telle les vagues se noyant dans l'infinité céruléenne de l'océan. Le piaillement incessant des oiseaux faisait inéluctablement penser au gazouillis des mouettes, le mal de crâne en plus. Le vieux matou se berçait au rythme de la mer, érigeant le portrait de cet horizon lointain devant lui. Il entendait encore la voix criarde de la chatte faisant office de soigneuse lui hurler d'arrêter de courir partout. Noyée par le fracassement des tranches d'eau sur les rochers, il prenait un malin plaisir à l'ignorer et à jouer à l'innocent. Cette chatte écaille-de-tortue l'horripilait et si on lui avait dit, à cette époque, qu'ils auraient leur destinée de commune, il se serait directement jeté du haut des falaises.

Se sentant tomber, Vague des Océans sursauta. Depuis quelques temps, il passait très peu de temps à dormir. Dès que le sommeil l'enveloppait, d'âcres cauchemars s'y glissaient, lui ressassant sans arrêt ces chats errants l'encerclant, vicieux, le faisait tomber dans la boue et se jetant sur lui. Les jours de chance, il reprenait conscience et se réveillait à ces moments-là. Les jours malchanceux, il revivait le reste...
Alors fatalement, la journée, il peinait à rester éveiller, d'autant plus dans cette ambiance nocturne de sa tanière. Elle embaumait le parfum exquis de ses plantes et une température idéale régnait. Frais en été, chaud en hiver. Cela devait être un avantage à ne pas dormir serré contre pleins d'autres boules de poils sur une litière humide. Quoi que, les embruns humidifiant sa litière le rafraîchissaient bien plus souvent qu'ils ne l'obstruaient.

L'ancêtre fut bien vite sorti de ses divaguant souvenirs, une petite âme avait osé le pas et s'en était retiré de ses jeux afin de venir lui rendre visite. Il ne se retourna pas immédiatement, ne sentant pas le chaton très angoissé. Était-il peut-être venu seulement écouter ses contes d'antan ? Oh oui, il avait tellement à raconter, décrire chacun des êtres vivants sur ces terres presque imaginaires bien que tellement fabuleuses. Après tout, il était un ancien bien tassé dans sa vieillesse et on les écoutait raconter des histoires, non ? La sagesse appartient à qui sait écouter, disait-on. Hélas, outre le fait qu'il semblait bien souvent fou, son statut de guérisseur le rétrogradait, de telle manière que, on ne l'écoutait que pour les remèdes et les prédictions. Néanmoins, il ne s'en offusquait pas. Les félins défilant près de lui écoutaient par politesse ses fourberies et sachant soigner tout en parlant, il ne se privait pas de raconter sa vie. Même si parfois, son seul interlocuteur n'était autre que lui-même. Au moins, il ne saurait le contredire.

« - Dis Vague des Océans ! J'ai un bobo sur ma patte arrière... »

Il s'approcha de la petite boule de poils et alla jeter un oeil à sa patte folle. À priori, rien de bien méchant. Un petit nettoyage pour être sûr que ça guérisse dans les règles de l'art et que ça ne s'infecte pas et un cicatrisant et hop ! Le tour est joué, envolé la blessure. Il aimait son rôle plus que tout au monde, et comprenait désormais le choix de cette chatte ingrate. Guérisseur ce n'est pas juste soigner les autres, c'est faire le bien autour de soi, s'assurer que tout aille bien, qu'il n'y ai pas de morts et que les éventuels condamnés, s'en aillent en paix. Un messager des guerriers ancestraux, un ange du paradis. Oui, un guérisseur, c'était bien plus qu'un soigneur.

« Oh rien de bien méchant mon petit. Et comparé à ce dont j'ai enduré là-haut, c'est bien plus que futile. À ton âge, moi... Ah non, quoi que, c'était peut-être un peu plus tard. Oui, c'est ça. Quand j'étais un rien plus âgé que toi et crois-moi, ça remonte à fort longtemps. Ta maman n'était pas encore née et ta grand-mère devait venir d'entrer dans ce monde à l'instant. Quoi que.. Peut-être n'était même pas encore là... Enfin soit. Je disais quoi encore ? Sapristi ! La mémoire me fait défaut, à court comme à long terme. Bien que mes souvenirs les plus vifs sont les plus anciens. T'y crois ça, toi ? Je dois être tombé sur terre en même temps que les quatre chênes et je n'arrive qu'à me souvenir de la période la plus lointaaaaaine de ma vie. Si c'est pas fantastique ?! Je suis tout éberlué par cette découverte, ça relève de la science ça mon enfant, de la science ! »

Le guérisseur était perdu dans ses dires et ne remarquait point qu'il n'avançait guère dans son travail. Ce n'était pas tout, mais il devait refaire de ses réserves après le long et vigoureux hiver qui venait d'avoir lieu. Surtout si des guerres se profilent à l'horizon. Il devait être au taquet, près à n'importe quelle situation extrême. Et ce n'est sûrement pas en discutaillant qu'il allait faire augmenter son stock. Allez, seules les choses importantes aujourd'hui, soigner le môme, trier ses réserves et les remplir. Soigner le môme, trier ses réserves et les remplir. Hop hop hop, et que ça saute !

« Ce n'est pas tout, mais cette plaie ne va pas guérir toute seule, nettoie-moi ça petit padawan. Il est toujours temps de s'instruire et même le plus valeureux des guerriers ne peut refuser la connaissance médicinale. C'est toujours utile, sais-tu. Comme écouter les anciens. La connaissance s'acquiert par l'écoute, tout comme la sagesse. Ne crois pas que tes ennemis vont révéler la maille défectueuse dans les filets de leur clan, mais si tu tends l'oreille aux assemblées, tu peux chopper quelques informations croustillantes. Enfin, faut-il déjà que tu n'en divulgues pas. L'âne paraît intelligent dans son silence, comme on dit. Ah non.. Ca, ça doit venir de ma mémoire, pas d'un dicton connu. Mais soit, il est toujours temps d'apprendre. »

Sur ces bonnes paroles, Vague des Océans alla chercher du mille-feuille afin de créer une pommade cicatrisante. Prenant une feuille entière, il repartit vers Petit Ombre et s'assit face à lui, se mettant silencieusement au travail de mâchouillage.