Effluves de minuit (Sid - Elise)

Elle me sort un peu de ma torpeur en me racontant des histoires.

"Tu vas faire quoi maintenant que t'es plus au lycée, perso j'irais p't'être demander un poste chez le fleuriste. Tu sais celui du centre ville qui fait un peux vieillot avec ses meubles en bois sur lequel la peinture s'émaille. La dame qui le tien est très gentille... Elle me rappelle ma mère."

Mais moi j'suis pas trop du genre à entrer souvent chez les fleuristes. J'me souviens pas d'avoir jamais assisté à un mariage. En même temps, pas de famille paternelle, une tante qui fait la tronche, une maman pas mariée, un frère qui a mon âge... Est-ce que la prochaine fois que j'irai chez un fleuriste, ce sera pour l'enterrement de mon papy ? Ou bien pour un mariage d'Éthan ? J'ai du mal à concevoir qu'un jour, ce serait peut-être à moi d'offrir des fleurs à une femme. Y'a là-dedans tout un tas d'images qui me font sourire comme une triste bête. J'me sens presque jaloux de ces gens qui ont vraiment une vie.

"Elle était très gentille tu sais. Toujours la pour me dorloter et jouer avec moi et mes frères. Mais la vie n'est pas juste pour tous, elle morte quand j'avais 11 ans. Et à cause de sa mon père est devenu violent et rentrait pas souvent, et quand il passait le pas de la porte il était presque tout le temps ivrogne et s'énervait quand ils nous voyaient moi et mes frères. Ca fait un moment qu'il n'ai pas revenu à la maison, j'me demande si il est parti lui aussi. J'me sens comme un boulet pour mes frères, j'peux pas les aider côté argent et loyer et je sais pas bien me défendre. Jm'e sens si nul !"

Je comprends pas vraiment tout, m'voyez ? J'suis pas certain que ma mémoire retiendra grand-chose. En tout cas, je sens bien un pleur étouffé. Quelque chose comme un cri de détresse ou d'indignation. Pas facile la vie, hein ? Ça fait déjà quelques mois que j'me suis barré du lycée et que j'balance des CV à tout hasard. J'me disais que si j'bossais, ptêt que j'allais finir par être bon à quelque chose, avec le temps. Mais les gens sont pas fous. Ils vont pas me prendre juste pour me rendre service, forcément. C'est à moi d'être utile, là, maintenant.

Comment voulez-vous répondre aux gens quand vous êtes pas foutus de vous répondre à vous-mêmes ? Est-ce que c'est mon égoïsme répugnant qui me rend si nul ?

" Dur, hein ? " que je lui fais. J'pense aux copains qui répondraient : "comme ma..." et j'me mord la lèvre. J'hésite à mettre des petites tapes dans le dos mais j'me retiens. J'ai l'impression que ce serait bizarre.

" 'fin visiblement tu sais bien t'occuper des autres. "

Un compliment pas tellement sincère, je trouve au contraire qu'elle avait l'air assez paumée quand elle voulait s'occuper de moi et de ma moto. Mais un compliment qui la rassurera peut-être un peu. C'est l'important.

'pis y'a pas photo, au moins, elle, elle essaye. Rien que pour cette raison, c'est pas du haut d'une simple marche qu'elle me domine, mais du haut d'un immeuble de 50 étages.

" Dur, hein ? "

Elle regardait ces pieds, le mascara commençait à sécher et ses joues étaient maintenant magnifiques ! des traits noirs parcouraient ses dernières, elle pourrait presque faire la concurrence à un code barre. L'ado se sentait mal, trop mal.

" 'fin visiblement tu sais bien t'occuper des autres. "

Pourquoi ? Pourquoi était-il si gentil avec elle ? A quoi ça lui servait de la consoler, de la complimenter. Ca l'embrouillait, la paumait, la perdait. Elle ne savait pas quoi lui répondre, il était trop gentil avec elle à son goût, il ne se connaissait qu'à peine. Ses joues changeait de teinte, prenant de jolies couleurs rosée ce qui ne plaisait pas à la demoiselle, trouvant ça honteux. Alors, sur le coup elle fit quelques choses de débiles, elle lui fit un câlin. Elle venait de bousiller le haut de Sid -à cause du mascara pas totalement sec- mais lui tapant l'affiche devant les autres -ce qui, heureusement passa surement à peut près inaperçu-. Pire idées du siècle, en tout cas elle restait fermement accroché a lui, la tête bien contre ses côtes.

A cette heure-là quand j'ai un peu bu, c'est assez normal que ma tête me lâche. Mais je dois bien avouer que je me souviens pas d'avoir jamais senti une fille se blottir comme ça contre moi, comme si j'étais un type intéressant. Je suis pas sûr non plus que je m'en souviendrais demain. C'est sans doute le plus pervers des effets pervers de l'alcool. Un autre, c'est que j'ai très chaud. Et pourtant il fait nuit noire, je vois pas grand-chose. Mais je sais pas si c'est l'ivresse ou si c'est qu'on est serrés.

Vaguement content d'être là, j'me dis que sans mon manteau j'aurais moins chaud, ce serait mieux. D'ailleurs je ne me souviens plus pourquoi je l'ai mis, exactement. Mais j'ose pas tellement interrompre Élise, après tout, une telle faveur, c'est pas dit qu'on me l'accorde une seconde fois. Au final j'me dis que c'est tant pis et je la repousse à peu près doucement, parce que je transpire et je déteste ça.

Je me lève, je pose le manteau sur le banc. Un machin noir, synthétique et épais que j'ai trouvé dans le fond du placard. C'est pas vraiment une belle veste, mais c'est pas ça que je met, d'habitude. Comme je suis debout je remarque qu'y'a des gens de l'autre côté du mur du bahut. Je plisse les yeux parce qu'une silhouette me dit quelque chose. Je crois.

J'dois avoir l'air sacrément idiot, comme ça, les sourcils froncés, à essayer de reconnaître quelqu'un qui n'est pas si loin de moi que ça. Quand je m'en rend compte je ris, comme je sais rire quand je suis saoul, puis je me rassois à côté d'Élise.

" Pfffffffffffffffffouh j'ai envie de rien faire mais ça va mieux. T'assures ! ", que je fais avec un soupir tranquille. Mes pensées deviennent amusantes.
" J'suis sûr quand j'vais être rentré ma mère elle va me dire " Tu traînes encore avec des vauriens, ça finira mal " ! " que je rigole, en imitant grossièrement la voix caricaturale d'une petite dame ronchonne. Rien que d'en imaginant la scène, je trouve la drôle, et j'ai même d'autres idées qui apparaissent. Je reprends, en peinant un peu à parler à cause de mon hilarité croissante :
" Ça te dit de rentrer en scooter ? J'vais passer devant chez moi et j'lui ferai COUCOU par la fenêtre !"

J'fais un coucou devant moi, avec un graaaand geste, pour illustrer mon propos. Y'a encore cette silhouette, devant moi. Cette fois, elle s'approche. Depuis combien de temps me crie-t-elle des choses ?

J'avale ma salive en reconnaissant ma mère.

Spoiler:

Annie attendait son fils à la sortie de l’établissement. Elle savait qu’il boirait et qu’il ne fleurterait pas avec Modération. Elle le savait, elle avait été pareil à son âge. Et encore plus puisqu’elle n’avait jamais passé son permis, et donc qu’elle avait toujours été portée sur la picolo quand elle était jeune, elle savait s’amuser après tout. Et c’est sa sœur qui la ramenait bien souvent. Donc, mieux vaut prévenir que guérir. Et Annie était très prévoyante, surtout en ce qui concernait ses deux fils. Comme beaucoup de jeunes de leurs âges, ils faisaient souvent n’importe quoi pour se faire intéressants ou autre. Ah la jeunesse ! Donc elle attendait et elle le vit passer avec une jeune blonde, jusqu’à un banc. Et la mère les suivi. Jusqu’à ce qu’elle entende son fils l’imiter grossièrement. Elle haussa les sourcils et croisa les bras, rejoignant les jeunes gens près de leur banc.

" Ça te dit de rentrer en scooter ? J'vais passer devant chez moi et j'lui ferai COUCOU par la fenêtre !"
- Tu feras coucou à qui, Simon Lubberly ? Pas à moi, j’espère… Hors de question que tu conduises dans ton état, tu empeste l’alcool.

Elle salua la demoiselle avant de s’approcher de son fils et de fouiller ses poches, à la recherches de ses clés. Une fois qu’elles furent trouvés, la femme les prit avant de donner une claque sur la joue de son fils, lui apprenant qu’elle n’avait pas réellement apprécié la moquerie à son égard. Attrapant son fils par le bras, elle le leva de son banc, prenant le manteau au passage et regarda la jeune demoiselle.

- Vous voulez qu’on vous raccompagne ? Il doit y avoir assez de places pour trois sur son engin.

Sans un mot de plus, la jeune femme alla jusqu’au scooter de son fils, accompagnée au moins par ce dernier, le disputant allègrement parce qu’il n’avait pas fait attention à sa consommation alors qu’il conduisait par la suite.

- Tu feras coucou à qui, Simon Lubberly ? Pas à moi, j'espère... Hors de question que tu conduises dans ton état, tu empeste l'alcool.

Pendant que la dame, qui devait surement être la mère de Sid fouillait dans ses poches la blondinette ce décala du jeune homme, un peu gêné et perdu elle attendait. Ne bougeant plus jusqu'à ce que sa mère est récupérée quelque chose de métallique, les clés de moto de Simon.

- Vous voulez qu'on vous raccompagne ? Il doit y avoir assez de places pour trois sur son engin.

Toujours aussi perdu et hébété elle les regardait partir, sid ne pouvant que suivre sa mère qui, la disputait. Elle ne bougeait pas, assise sur le banc maintenant vide. Attendant quelque chose enfin on pourrait croire.

HRP : out pour moi ?

" Tu feras coucou à qui, Simon Lubberly ? Pas à moi, j’espère… Hors de question que tu conduises dans ton état, tu empeste l’alcool. " me fait maman.

J'en reviens pas qu'elle me reconnaisse alors que j'ai mis mes mains devant ma tête en la voyant. Même si ma tête est embrouillée comme pas permis, je comprends plus ou moins qu'elle n'est pas très contente et qu'elle va me faire regretter cette soirée. Je me lève, ça prend un moment, et elle m'entraîne avec une drôle d'énergie, loin du banc.

J'ose pas tellement me défendre. En fait j'ai davantage honte que je ne suis en colère, je sais pas pourquoi.

C'est elle qui me remmène sur la moto, je me rend compte que j'ai mon manteau sur le dos. Comment ça se fait ? Je ne l'avais pas enlevé lorsque... Mince. Ça doit vouloir dire que je ne me souviens de rien, j'ai sûrement inventé un rapprochement aussi fantaisiste qu'inespéré. C'est sans doute plutôt fréquent, lorsqu'on boit. Par contre, maman est vraiment tendue, je le sens. Je m'en veux. J'ai l'impression de me rendre compte pour la première fois de ma vie que je ne suis qu'un abruti, alors que c'est le constat que je fais à chaque minute, à peu près.

" J'suis désolé, maman ", que je hoquette. Il y a comme un goût acide qui me brûle, derrière la gorge, mais je ne vomis pas. Pourtant, elle conduit, la moto bouge. Je ne fais pas le fier, en tout cas.

Je crois bien que je me répète. Désolé, désolé, désolé, désolé. Est-ce que c'est une chanson insupportable qui me tourne dans la tête ou est-ce que je parle vraiment ? Comme une bûche, je m'effondre sur mon lit. Je sens que j'ai transpiré et que je pue, et que c'est dégoûtant, mais ça m'indiffère. Je crois bien que je m'endort sans même penser à mettre un pyjama.

Spoiler: