(Lunar Pod) Réflexion pré-action - end

« C'est bon ! La voix est libre ! » murmura Petite Émeraude en pointant le bout du museau dans la tanière des anciens. Il y avait bien quelques vétérans allongés ci-là, mais tous dormaient en respirant bruyamment : il y avait peu de risque qu'ils entendent quoi que ce soit.

La petite rouquine aux yeux émeraudes s'avança donc prudemment dans la tanière, les sens aux aguets, les yeux scrutant le moindre recoin, puis, se retournant vers l'arrière, elle fit un signe à Petite Opale. La petite au poil clair l'attendait à l'entrée de la tanière avec son air flegmatique de toujours. Petite Émeraude se demandait toujours comment elle avait réussi à la tirer de leur couchette et à l'amener ici, mais elle s'en réjouissait. Il était temps qu'elles se bougent les puces !

« On va pouvoir élaborer notre super-plan pour aller récupérer Quartz et Améthyste sans que personne ne nous entende ! » déclara-t-elle, triomphante, en allant se mettre dans un coin sombre de la tanière.

Un air secret et espiègle s'affichait sur ses babines. Après des jours moroses où les deux petites, avec Petit Jaspe, avaient pleuré leurs frères et sœurs enlevés par les membres du Clan du Tonnerre, elles allaient enfin décider de ce qu'elles pouvaient faire pour aller les sauver.

- C'est bon ! La voie est libre !

Mordue par le froid glacial de l'hiver, Petite Opale s'en alla rejoindre sa soeur clopin-clopant en tremblotant, traversant le camp avec sa démarche singulière. Elle ne comprenait pas pourquoi elle marchait si bizarrement, ni pourquoi l'équilibre paraissait désormais être une notion si simple et naturelle pour ses autres frères et soeurs -ou, du moins, ce qu'il en restait- mais en bon chaton curieux et innocent, cette question était loin d'être parmi ses priorités. L'urgence, pour le moment, était d'aller récupérer Petit Quartz, Petite Améthyste, et s'il restait du temps et de la place, les enfants d'Eau Turquoise sa maman-de-lait. Et bien qu'elle du se retenir de grommeler lorsqu'elle s'extirpa de la pouponnière après le signal lancé par sa soeur, elle se força malgré tout à sortir, même si la fatigue l'appelait déjà. Si l'occasion de sauver sa famille était présente, elle sauterait sur l'occasion.

Bien évidemment, les deux boules de poil étaient loin d'être discrètes. Quand bien même les anciens roupillaient - ou peut être que certains mimaient tout simplement de dormir afin de ne pas être dérangés par cette boule d'énergie agaçante que pouvait être Émeraude - tout le monde avait du les voir traverser le camp pour passer de la pouponnière à la tanière des anciens. Mais les adultes y portaient probablement assez peu d'attention. Que pouvait bien engendrer un si petit chaton, après tout? Peut-être plus qu'ils ne le pensaient. En tout cas, c'est ce dont étaient convaincues les deux soeurs à cet instant même, bercées par leur insouciance et gardant entre leurs pattes la sensation d'être toutes puissantes et invincibles, comme si le moindre problème était soluble par une solution sortie tout droit de leur imagination de chaton.

Aussi maladroite qu'une taupe aveugle et sourde perdue sur un chemin du tonnerre infini, Petite Opale se fraya tant bien que mal un chemin parmi les corps endormis des vieux ronchons. Ils avaient tellement de chance! Ils pouvaient dormir autant qu'ils le voulaient, et on leur disait jamais rien. En plus, ils n'avaient pas à craindre de devoir faire les corvées des apprentis bientôt: on viendrait leur servir sur un plateau tout ce dont ils auraient besoin! J'aimerai bien être un ancien moi aussi, se dit alors le petit caillou sur pattes. Enfin, lorsqu'elle eut rejoint Petite Émeraude dans un petit coin sombre de la tanière, elle s'effondra sur ses fesses, s'affalant en position assise comme si la traversée avait été l'effort le plus pénible de toute sa vie. Mais elle avait froid, et quelques minuscules plaques de glace formées par les petits flocons qui tombaient au dehors fondaient progressivement, humidifiant son pelage. Elle avait beau être une femelle de la Rivière, cette sensation de griffe glacée qui pénétrait dans le poil pour venir gratter la peau était horriblement désagréable. Elle avait si hate de perdre ce maudit duvet pour avoir - elle l'espérait - un long poil chaud comme papa qui la protégerait de l'eau et du froid.

- On va pouvoir élaborer notre super-plan pour aller récupérer Quartz et Améthyste sans que personne ne nous entende !

Petite Émeraude avait l'air sacrément enthousiaste, ce qui réchauffa un peu le coeur de Petite Opale - mais pas son corps, malheureusement. La perspective de pouvoir retrouver ses frères et soeurs lui était précieuse, et depuis leur enlèvement, c'était la seule idée qui lui restait en tête. D'autant plus qu'elle était jeune, et ne les avait pas vus tant de fois que ça. Elle se souvenait de leur visage, de leur nom, de leur odeur, mais avait déjà oublié le son exact de leur voix. L'idée qu'elle les oublie à jamais lui faisait terriblement peur, et parfois, elle pleurait la nuit en demandant aux Étoiles - dont elle ne saisissait pas le concept, mais elle savait qu'ils étaient très très puissants - de lui laisser ces souvenirs dans sa tête. Comment pouvait-elle seulement grandir sans eux, alors qu'ils étaient nés ensemble? Ils avaient une place chère dans son coeur, et elle voulait les revoir, les sentir à nouveau, et pouvoir se nicher entre eux lorsque venait le moment de dormir. Avant leur enlèvement, elle ignorait à quel point elle les aimait, et voulait maintenant les chérir autant qu'elle le pouvait.

- Ouais parce que - même que les Tonnerres et que les Lupapod c'est que des méchants pas beaux qui puent et -

Petite Opale s'arrêta net, entrainée malgré elle dans une réflexion profonde. Il y avait deux méchants, ce qui compliquait énormément les choses! Elle avait entendu les grands en parler, et il y avait les Lupapod et les Tonnerres. Mais chez qui avaient donc bien pu aller leurs frères et soeurs? Il fallait le savoir!

- Mais - mais du coup bah, y'a deux pas beaux méchants? Mais alors ils - ils sont ou Petit Quartz eeeet Petite Améthyste? Parce que - parce que bah faut savoir sinon on saura pas et on pourra pas trouver.

Se dandinant sur elle même - pour réfléchir et lutter contre le froid et la fatigue - le chaton au pelage clair cherchait désespérément une solution. Il y avait trop de problèmes, et quand bien même elle cherchait une solution, elle en trouvait d'autres! La Rivière à traverser, les grands à éviter, et faire en sorte qu'Eau Turquoise ne remarque pas leur présence.

- Comme - tu sais comme on nous appelle les cailloux bah, bah on a qu'à prendre des cailloux et on les met à notre place à nous, comme ça bah maman-de-lait elle verra pas qu'on est partis, et après bah on attend un oiseau et si on lui demande, tu crois que - que il voudra bien nous prendre sur son dos pour qu'on puisse passer la Rivière? Parce que moi je sais pas nager et je veux pas j'ai peur...

C'était la seule idée qui lui était venue en tête, comme un éclair de génie, et soudain, Petite Opale se voyait experte en stratégie, sauveteuse de chatons, et héroïne du Clan de la Rivière, comme Nuage des Ruisseaux, son héros à elle.

Petite Opale traînait de la patte, mais c'était tellement comme d'habitude que Petite Émeraude ne s'efforça même pas de la motiver ou de la sermonner. Elle avait appris que c'était le tempérament de sa petite sœur, tout comme elle-même était hyperactive, et on avait beau la disputer et même la punir, elle n'arrivait pas à changer. Il y avait des choses qui ne se contrôlaient pas, et la flemmardise de Petite Opale étaient de ces choses. N'estt-ce pas là le vrai amour, accepter l'autre tel qu'il est ?
Ouais parce que - même que les Tonnerres et que les Lupapod c'est que des méchants pas beaux qui puent et - Petite Opale s'arrêta en pleine tirade, visiblement déboussolée par quelque chose. Petite Émeraude, elle, l'avait écoutée en ricanant, l'air supérieur.

« C'est pas les Lupapod, c'est les Luuu-nar Pod ! » expliqua-t-elle, le museau levé bien haut, comme le professeur enseigne à ses élèves, persuadé qu'il sait tout mieux que tout le monde.

Mais la rouquine était loin de prendre sa sœur pour une idiote, et d'ailleurs elle venait de pointer de la griffe un élément essentiel de l'affaire, et qu'elles avaient oublié jusque là : il y avait deux méchants ! Deux ravisseurs ! Petite Émeraude prit le temps de réfléchir à la question, mais abandonna rapidement. C'était un problème assez complexe et il était beaucoup plus simple de réfléchir aux questions moins compliquées. Elle haussa donc les épaules et se contenta de dire, comme si c'était évident :

« Ils se sont faits amis pour venir nous attaquer alors ils doivent habiter dans la même tanière de l'amitié tous ensemble et même qu'ils doivent faire la fête, mais nous on va se venger et c'est nous qu'on fera la fête à la fin ! OUAIS ! » s'exclama la chatonne aux yeux émeraudes, mélangée entre son désir de vengeance et l'insouciance caractéristique des petits de son âge.

Revigorée par la pensée festive et par l'idée qu'elles seraient bientôt à nouveau réunies avec Petit Quartz et Petite Améthyste pour faire la fête tous ensemble, Petite Émeraude écouta attentivement les idées de Petite Opale. Et le plus étonnant, c'est qu'elle les trouva brillantes, alors même qu'elles n'étaient pas d'elle ! C'était clair que Petite Opale était de sa famille, c'était pas possible autrement.

« Ah ouais ! Les oiseaux ils doivent connaître toute la forêt, on pourra même leur demander de nous faire voir les Quatre Chênes ! Et on pourra lancer des cailloux sur la tête des chats de Bipèdes ! » Elle s'époumonait et s'extasiait en s'imaginant narguer les chats domestiques depuis son perchoir dans le ciel. Mais il fallait se reconcentrer. « Mais après que les oiseaux nous aient amenées au camp du Tonnerre, il faudra qu'on trouve un autre moyen pour revenir, parce qu'on sera nombreux, on sera toi, moi, et Quartz, et Amé, et Nuit, et Ambroisie, et... » À mesure qu'elle énumérait les noms des chatons enlevés, Petite Émeraude levait ses petites griffes, dans un effort vain pour compter. Mais c'était encore au-delà de ses compétences. « Alors il faudra un animal plus gros pour nous transporter tous les sept-deux-cents qu'on sera ! Genre... un cerf ! Ouais ! » Elle écarquilla les yeux. « Même qu'on pourra grimper sur ses bois et ce sera hyper fun ! »

Les plans des deux petites femelles étaient tellement tirés par les poils qu'ils en devenaient mythiques. Elles étaient tellement plongées dans leur imagination qu'elles ne se rendaient pas compte de tout le raffut qu'elles faisaient. Tout le camp devait être au courant de ce qu'elles manigançaient.

- C'est pas les Lupapod, c'est les Luuu-nar Pod ! rétorqua sa soeur d'un air si supérieur.

Vexée, Petite Opale détourna le regard et baissa les oreilles. Elle avait toujours cru que c'était Lupapod!! Et puis, il fallait bien l'avouer: c'était beaucoup plus facile à prononcer de la façon dont elle le disait. En plus, Lunar Pod, c'était même pas beau comme nom.
- Lunapod, lupaod... pff, même chose..., marmonna Petite Opale.

Mais était venu le temps d'écouter sa soeur, qui se comportait - comme d'habitude, et même si elle n'aimait pas ça, elle l'acceptait malgré tout - en grande savante supérieure à tout son entourage. Sa soeur leva les yeux au ciel, mais se rattrapa bien vite: Petite Émeraude était d'accord avec elle!! Et sa théorie sur les amis n'était pas si mauvaise mais... Les méchants n'avaient pas d'ami, si? Petite Opale avait déjà entendu dans les histoires qui font peur des apprentis la nuit qu'ils avaient un coeur gelé par l'hiver avec des épines dedans, et que du coup, pour une raison qui lui échappait, ils avaient pas d'ami et même pas d'amoureuse. Ils étaient juste tout seuls, et des fois ils faisaient des groupes avec des gens pour être encore plus des méchants et faire du mal parce qu'ils aimaient ça. En tout cas, c'est ce qu'elle avait retenu. Mais si ça se trouve, il y avait effectivement des fêtes de méchants où ils faisaient des trucs de grands méchants. Elle espérait juste que Petit Quartz et Petite Améthyste ne s'y trouvaient pas.

- Alors il faudra un animal plus gros pour nous transporter tous les sept-deux-cents qu'on sera ! Genre... un cerf ! Ouais ! Même qu'on pourra grimper sur ses bois et ce sera hyper fun !

Des étoiles se dessinèrent dans les yeux de Petite Opale. Elle ne savait pas du tout ce qu'était un cerf - elle devait sans doute dormir lorsqu'on avait du raconter une histoire avec un cerf dedans - mais ça avait l'air gé-nial. Et puis c'était grand et avec des bois dedans dans lesquels on pouvait grimper. Elle s'imaginait une créature féline immense avec des arbres sur son dos. Peut-être qu'ils ressemblaient à des rochers et dormait tout le temps, et que les arbres qu'elle voyait parfois dans la prairie était l'un de ces cerfs qui sommeillait? Les arbres venaient de prendre une apparence magique et merveilleuse dans son esprit. Peut-être un peu trop, au point qu'elle serait sans doute déçue le jour où elle verrait un vrai cerf. Mais pour l'instant, sa seule pensée était de se rendre un jour dans la prairie qu'on pouvait voir depuis le camp, et d'aller voir si l'arbre là bas était un cerf. En plus, il parait que maman eh bah elle dort là bas, sous l'arbre dans la terre. Peut-être que le cerf la protège.

- Et, et tu crois qu'on peut demander aux renards de venir à la fête? Parce que bah - les renards il parait que c'est trop dangereux même que papa et maman bah ils en ont tué un et ils l'ont mangé, et que vu qu'on est petites si on est gentilles il voudra peut-être nous aider, et s'il veut nous manger, on lui dit qu'on appelle notre papa, et qu'il va le tuer comme ça bam bam bam! fit-elle en mimant des coups de griffe. Comme ça les méchants ils auront trop peur, et le renard il sera trop content, et nous on récupère Petit Quartz, Petite Améthyste, Petite Ambroisie, Petite Nuit, Pet- et on sera trop des héros!

Elle se voyait déjà, accompagnée par Petite Émeraude et Petit Merle, chevauchant les oiseaux pour traverser la rivière, balançant des cailloux de la taille des montagnes sur les méchants qui disparaissaient dans des nuages de fumée, donnant des ordres à des centaines de renards qui venaient là juste pour sauver leur fratrie, pour enfin les récupérer et rentrer à la maison sur le dos de ces fameux cerfs devant le regard médusé des adultes. Petite Méduse serait trop jalouse, parce que après, ce serait elle qui aurait tout les garçons à ses pieds!

- Si ça se trouve, on sera tellement devenus trop forts avec nos cerfs et nos renards et nos oiseaux et tout bah que papa il te laissera devenir chef et moi je pourrais rester avec les anciens dormir et ils pourront me raconter des histoires trop bien et moi aussi!

Petite Émeraude observa attentivement la réaction de Petite Opale : elle semblait carrément partante pour la suite des opérations. Jusqu'ici, elle semblait oublier sa flemmardise et son manque de courage, et se montrait très ingénieuse et déterminée ! Rien n'aurait pu faire plus plaisir à la rouquine, qui avait tant de fois essayé de la faire se bouger les puces, avant l'attaque : pas moyen de la décider à jouer avec les autres ! Elle était parfois d'un ennui ! Mais cette fois-là, elle se montrait carrément brillante - mais sa grande sœur de quelques minutes se garda bien de le lui dire.
Bon, elle était parfois bizarre, quand même. Elle venait de proposer de demander leur aide aux renards. Alors qu'elle savait très bien qu'un renard avait failli tuer leur père et leur mère au tout début de leur rencontre - Étoile de Pierre le leur avait raconté tant de fois ! Ça semblait être un des plus beaux jours de sa vie, alors qu'il avait quand même sacrément douillé cette fois-là. Petite Émeraude avait pas trop compris, mais elle avait retenu que les renards, c'était pas beau et dangereux, et qu'il valait mieux se cacher comme les souris dans leur trou quand on en voyait un. Alors forcément, l'idée d'aller les chercher soi-même semblait saugrenue... Cela dit, c'était vrai qu'avec ces grands mammifères comme alliés, le Clan du Tonnerre n'en mènerait pas large et rendrait certainement tous les chatons volés... Il fallait parfois savoir prendre des risques... Toujours, d'ailleurs, selon la philosophie de Petite Émeraude. Bon ! C'était d'accord !

De toute façon, Petite Opale s'était déjà déconcentrée et parlait maintenant du traitement qui leur serait réservé une fois qu'elles rentreraient au camp, après avoir sauvé tous les chatons. Un instant, des étoiles brillèrent aussi dans les yeux de Petite Émeraude, qui n'en demandait pas autant : elle, cheffe du Clan ? C'était clair que c'était son destin, mais elle n'avait pas eu l'ambition d'en rêver pour tout de suite. Mais voilà que ça devenait possible ! Petite Opale, elle, avait plutôt l'ambition de dormir toute la journée. Petite Émeraude trouvait ça bizarre, quand il y avait tant à découvrir, tant de bêtises à faire - qui ne seraient plus des bêtises puisqu'elle serait nommée cheffe et qu'elle ferait des bêtises des trucs encouragés ! - mais elle voulait bien la laisser faire pourvu qu'elle l'aidait dans son plan de sauvetage.
Ah, mais au fait ! Le sauvetage !

« Hey ! Faut pas se déconcentrer ! L'effort AVANT le réconfort ! » clama-t-elle solennellement. « Bon, alors, on les trouve où les oiseaux qui vont nous porter jusqu'au camp du Tonnerre ? Hein ? T'en as déjà vu un, toi ? Moi, on m'a parlé d'un grand oiseau gris au loooong cou qui attend près de la rivière pour pêcher. Mais j'en ai jamais vu, c'est Eau Turquoise qui me l'a décrit. J'crois qu'elle a appelé ça un réron. Truc comme ça. »

La tête penchée sur le côté, Petite Émeraude essayait de se souvenir des histoires racontées par leur mère de lait.

La forte voix de Petite Émeraude fit sursauter Petite Opale, le chaton étant tiré de ses rêves et pensées.

- Hey ! Faut pas se déconcentrer ! L'effort AVANT le réconfort ! Bon, alors, on les trouve où les oiseaux qui vont nous porter jusqu'au camp du Tonnerre ? Hein ? T'en as déjà vu un, toi ? Moi, on m'a parlé d'un grand oiseau gris au loooong cou qui attend près de la rivière pour pêcher. Mais j'en ai jamais vu, c'est Eau Turquoise qui me l'a décrit. J'crois qu'elle a appelé ça un réron. Truc comme ça.

Petite Opale pouffa de rire. Pour une fois, c'était elle qui savait, et pas sa soeur! C'était son moment de gloire, et elle n'allait certainement pas laisser passer ça.

- Pff! C'est un HÉ-RON! Et c'est SUPER GRAND et il parait que bah - que des fois ça vole des chatons avec leurs grandes pattes. Mais au moins, on sait qu'ils peuvent porter les chatons!

Le caillou clair avait terriblement hate de savoir ce que c'était de voler. Surplomber tout son territoire, être plus grands que tous, pouvoir voir tout ce qui s'y déroulait et peut être même, s'ils allaient assez haut, visiter le Clan des Étoiles!! Et ils pourraient voir leur maman!

- Il faudra qu'on prenne du poisson parce que - parce que si la route elle est longue, faudra qu'on mange sinon bah on aura faim, et aussi on peut demander aux hérons de voler haut haut haut dans le ciel! Et comme ça on ira dans les Clans des Zétoiles et on pourra voir maman, et comme on sera trop des héros elle sera trop fière de nous, et elle nous fera un câlin!

Elle n'avait jamais vu Aigue-Marine. Son seul lien avec sa mère biologique était les histoires que l'on lui racontait si souvent. Mais... ne la connaissant pas vraiment, Petite Opale ne parvenait pas à se rendre triste de son absence. Et pourtant, apparemment, il fallait l'être! Bien entendu, elle était persuadé qu'Aigue-Marine était une super grande guerrière trop top, même qu'elle était lieutenante! Et que si elle avait été là, elle l'aurait aimée de tout son coeur. Mais elle n'était pas là, et son absence faisait comme un trou dans celui de beaucoup de gens, mais pas le sien. Alors elle s'en voulait, de ne pas être triste. Donc, si elle parvenait à rencontrer maman, peut être qu'elle pourrait enfin être triste et avec le sentiment qu'elle lui manquait! Ça lui semblait être un bon plan.

- Tu crois qu'on pourra demander aux hérons de rester chez nous, dans le Clan? Comme ça bah ça ira super plus vite d'aller aux grands chênes et dans les Clans des autres et tout, et même qu'ils pourront chasser pour nous comme ça on sera trop bien on travaillera plus et on pourra se reposer tout le temps! Et Petit Quartz et Petite Améthyste ils verront ça ils auront des étoiles plein dedans les yeux, et ils pourront se reposer parce que ça doit être fatiguant d'être avec des méchants, puisqu'ils sont méchants.

Petite Émeraude sentit ses oreilles se plaquer contre sa nuque lorsque sa petite sœur la reprit sur le nom du grand oiseau. Si elle ne s'était pas gênée elle-même pour la reprendre sur le nom des Lunar Pod, elle n'appréciait guère qu'on la corrige, elle ; et elle qui était si justicière en temps normal, pour le coup, elle ne voyait aucune injustice à être traitée différemment de la façon dont elle traitait ses proches. Pfeuh ! Elle était Petite Émeraude après tout ! La princesse du Clan de la Rivière ! Elle n'était pas n'importe qui !

« Ben même que c'est ce que j'ai dit ! Un rér... Un HÉ-RON ! » Elle se mordit les lèvres. Elle avait failli refaire la même erreur, quelle crédibilité ! Mais heureusement, elle s'était rattrapée à temps. L'honneur était sauf.

Petite Émeraude écouta finalement Petite Opale parler de la suite du plan, qui concernait davantage des divagations pour la vie de tous les jours que pour leur plan de sauvetage en lui-même ! Et bien qu'elle avait conscience qu'il fallait rester concentrée, la rouquine se prit à rêver avec sa sœur. Monter jusqu'au Clan des Étoiles voir leur maman, Aigue-Marine... OUI ! C'était son plus grand rêve, avec celui de devenir cheffe et puis aussi d'avoir plein d'amis dans tous les Clans. Mais pas celui du Tonnerre parce que le Tonnerre c'était vraiment un Clan de méchants.
Mais Petite Émeraude n'aimait pas parler de sa mère. C'était devenu comme un sujet tabou pour elle. Elle adorait en entendre parler, mais toujours en faisant mine qu'elle n'écoutait pas, et elle refusait d'en parler, que ce soit avec ses frères et sœurs ou des personnes tout à fait étrangères à sa famille. Pas qu'elle se fichait de sa mère, non ; mais elle refusait de se montrer émotive. Elle l'était, indubitablement, elle sentait bien les sensations qui emplissaient son corps quand elle pensait à sa mère ; mais elle ne voulait pas le montrer aux autres parce qu'elle voulait être vue comme une fille forte !
Alors, la meilleure façon de se défendre face aux émotions qui l'accablaient, c'était d'attaquer.

« Pff mais t'es trop bête Petite Opale ! Le Clan des Étoiles il peut pas se voir ! Laisse tomber l'idée ! C'est pas comme ça qu'on va sauver Petit Quartz et Petite Améthyste ! » La mine boudeuse, Petite Émeraude détourna les yeux de sa sœur. Elle s'en était voulue de lui parler comme ça dès que les mots avaient franchi le seuil de ses babines ; mais elle avait bien trop d'orgueil pour lui avouer ce qui se passait à l'intérieur d'elle, alors elle préférait ne pas la regarder, c'était plus simple comme ça. « Et puis d'abord, ça se trouve, le Clan des Étoiles il existe même pas, parce que s'il était tout-puissant eh ben il aurait pas laissé faire ce qu'il s'est passé ! »

Petite Émeraude se détourna un peu plus, sentant à nouveau la rage l'envahir. Elle se sentait tellement coupable et triste que l'attaque ait eu lieu, qu'Étoile de Pierre soit si mal en point, que tant de chatons aient disparu, et qu'elle n'ait rien pu faire ! Elle s'était sentie tellement impuissante ce jour-là... Elle avait hâte de grandir pour s'entraîner et ne plus jamais se retrouver dans une telle situation !

- Et puis d'abord, ça se trouve, le Clan des Étoiles il existe même pas, parce que s'il était tout-puissant eh ben il aurait pas laissé faire ce qu'il s'est passé !

Petite Opale plaqua ses oreilles sur son crane, ses pupilles s'élargissant et ses yeux s'humidifiant de larmes. Elle était perdues entre une multitudes d'émotions bien trop différentes les unes des autres, et venait d'être jetée sans s'y attendre dans un gouffre de confusion. C'était beaucoup trop de choses d'un coup pour un chaton de son âge, et elle ne savait plus comment réagir.
Colère, peur, irritation, tristesse... trop de sentiments négatifs l'envahissaient d'un seul coup.

Après tout, Petite Émeraude avait raison. Le Clan des Étoiles, s'il était si puissant, aurait bien pu faire quelque chose pour leur maman et leur frères et soeurs. Mais... s'il n'existait pas. Où était Aigue-Marine? Et Nuage des Ruisseaux, avec qui communiquait-il? Quel était le but, tout simplement? Est-ce qu'ils existaient, ou non? Nier leur existence, c'était nier tout ce qui avait permis à Petite Opale de tenir jusqu'à aujourd'hui. L'idée que ça maman soit dans un Clan, heureuse quelque part, et que même si elle ne pensait pas à elle, Aigue-Marine, elle, veillait sur eux. Était-elle vraiment bloquée dans la terre sous le Cerf? Mais alors, il fallait la sauver! Ou alors... Petite Opale ne savait plus.

Un peu trop perdue, elle se mit à éclater en sanglot, entrant dans une colère dont les chatons étaient souvent sujets. Sa petite voix calme se transforma en tempête, et elle se mit à hurler si fort que tout les anciens furent probablement réveillés par cette horrible voix stridente.

- Bah toute façon, j'vais l'dire à papa!! T'es trop nulle Petite Émeraude parce que - parce que t'es nulle, voilà! Le Clan des Étoiles il existe pour de vrai, tout le monde le dit, et maman elle nous regarde depuis là-haut et elle nous aime très fort!! Et - et du coup, bah ça veut dire qu'elle regarde aussi Petit Quartz et Petite Améthyste, et même que si tu dis qu'ils existent pas, bah elle pourra pas donc ils seront tout seuls, alors on va les manger!!

Trop triste mais trop fatiguée pour retourner dans la pouponnière, elle s'en alla dans un autre coin de la tanière des anciens, face contre le mur. Elle n'aimait pas s'énerver ou faire du mal au gens, car elle sentait qu'ils étaient blessés, alors elle l'était à son tour. Roulée en boule dans un coin, elle sanglota en imaginant les grands Cerfs pour se changer les idées.
C'est vrai qu'ils avaient l'air bien, ces cerfs. Et puis... les oiseaux pour aller voir Aigue-Marine aussi. C'était décidé, cette fois-ci, elle ne se laisserait pas marcher sur les pattes. Si Petite Émeraude ne voulait pas suivre son plan avec les hérons, alors elle irait seule. Peut-être que Petit Merle l'accompagnerait. Il était bientôt apprenti donc il était trop fort. En plus, Nuage des Ruisseaux avait apparemment des plantes qui rendaient trop fort et chassait la fatigue. C'était définitivement possible.
Elle voulait vraiment rencontrer sa maman, rien qu'une fois, pour chasser cette horrible sensation de culpabilité qui la rongeait chaque fois qu'on lui racontait une histoire sur la vie d'Aigue-Marine.

Petite Émeraude n'écouta qu'à moitié la colère de sa sœur, trop occupée à se demander comment elle allait pouvoir rattraper les paroles qu'elle avait prononcées et qui avaient sûrement dû toucher Petite Opale - et d'ailleurs, elle était en larmes, à présent, et était partie bouder dans son coin. Ce ne fut que lorsque la petite au poil clair eut le dos tourné que la rouquine releva les yeux et osa l'observer, sachant qu'elle ne pouvait être vue. En voyant les soubresauts dus aux larmes secouer le corps de Petite Opale, Petite Émeraude sentit à nouveau la culpabilité lui ronger le cœur, et elle comprit aussi qu'elle n'était pas la seule à être hypersensible et notamment au sujet d'Aigue-Marine. Petite Opale vivait la même chose, ressentait la même chose, et c'était tout aussi dur pour elle de vivre sans leur vraie mère que ça l'était pour Petite Émeraude - et sans doute aussi pour Petit Jaspe, Petite Améthyste et Petit Quartz.
La pensée qu'elle n'était pas seule, même si elle s'imposait cette espèce de tabou au sujet de leur mère, apaisa quelque peu la petite rouquine aux yeux émeraudes, qui soupira un grand coup et, prenant son courage à deux pattes, s'approcha de sa sœur.

« Allez, Opale, personne va manger Quartz et Amé', c'est promis. » Ça n'était pas des excuses mais c'était le plus proche à cela venant de Petite Émeraude. « Et tu sais pourquoi ? Parce qu'on les aura sauvés bien avant ! Et tous les autres aussi ! Eh ouais ! » Elle avait progressivement monté le son en prononçant cette phrase pleine d'espoir et d'entrain, à tel point qu'elle avait fini par la crier. « C'est pour ça qu'on doit pas se disputer tout rouge maintenant, parce que sinon notre plan va se mettre en retard ! »

Ah, les chatons... Passant d'une émotion à l'autre, sautant de la dispute à la réconciliation. La vie facile...

Si la tristesse et le froid ne l'avait pas engourdie, Petite Opale aurait eut un hoquet de surprise. Petite Émeraude venait-elle vraiment de passer autre chose, alors que sa soeur venait de s'énerver et de lui dire qu'elle était nulle, sans même attendre d'excuse ou s'acharner jusqu'à ce que son opposant admette avoir eu tort, et elle raison?
Certes. En attendant, Petite Opale n'allait certainement pas s'en plaindre, ni chercher une raison à cela. Elle en était totalement satisfaite, et le fait de couper court à leur dispute de chaton avait été largement suffisant pour la sortir de ses pensées et chasser toute cette tristesse et ces larmes de ses yeux.

Et puis surtout, il y avait les cerfs! Ces créatures magiques dans sa tête, ces immenses chats qui se faisaient presque lions au dos parsemé d'arbres et de longues tiges de bois. Au dos de pierre et aux lourdes pattes de racines. Elle voulait tellement les voir et grimper sur leurs bois avec Petite Émeraude pour aller les sauver! C'était d'accord, ils faisaient la paix.

- Et les cerfs, on les trouve ou? Tu crois que si on les appelle ils viendront? Peut-être sous un arbre! Ou alors ils sont couchés et donc bah on les voit pas. Ça se réveille comment un cerf, tu sais ça?

Les oiseaux, ils verraient plus tard. D'abord, Petite Opale voulait voir un cerf.