Le sang nous lie, après tout. |LP| - end

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Matin Embrasé rit de mon échec, mais ça ne me fit ni chaud ni froid. On ne pouvait pas gagner à tous les coups ! Je sais que je suis parmi les meilleurs chasseurs du Clan, mais personne n'est infaillible : ça m'arrivait de rentrer au camp sans rien. L'autre rouquin décida de tenter sa chance à la pêche. En effet, plus près des chutes, le courant se faisait plus fort, et l'eau semblait y avoir plus de mal à geler que sur le reste de la rivière. Je le regardai faire alors qu'il s'approcha lentement du bord de l'eau, les yeux fixés sur un petit éclair argenté qui luttait contre le courant. Une fois assez près, il plongea la patte dans l'eau d'un geste vif, et sortit la truite du cours d'eau. Une réussite, donc ! J'attendis patiemment qu'il se vante ou fasse une remarque sur sa prise. Inutile de dire que je n'eus pas à attendre très longtemps.

"Pfiooouh ! Ça ferait un beau cadeau pour une dame, ça ! 'fin j'espère qu'il lui restera assez de dents pour y mordre..." Et voilà. De toute façon, avec mon oncle, ces remarques étaient plus fréquentes que les moments de silence ! Enfin, ce n'était pas non plus une mauvaise chose pour l'ambiance du camp, surtout en ces temps. "C'est que si je fais un cadeau comme ça à une mamie, elles vont toutes me courir après, tu comprends le problème ? Trouvons-leur vite un goujon. Malade, de préférence ! Facile à mâcher... "

Bien sûr qu'elles vont toutes te courir après, tellement charmeur ! Bref, c'était une bonne prise, voilà tout. Je le laissais à sa pêche quelque temps et m'éloignai à la recherche de gibier non aquatique. Il y avait non loin un autre oiseau ! Je savais que c'étaient souvent des prises difficiles - j'avais déjà échoué sur la première grive peu de temps auparavant - mais je devais essayer. Je m'approchai peu à peu, le corps presque plaqué au sol, le plus discrètement possible. Le moindre bruit ou mouvement brusque le ferait fuir, je le savais : mais la discrétion, c'était ma spécialité en chasse. Je parvins à nouveau à m'approcher assez pour que ma proie soit à ma portée. Mais lorsque je m'élançai, la grive réagit à nouveau très rapidement, et m'échappa une fois de plus. Tant pis, j'aurai peut-être plus de chance sur d'autres proies... Je revins près de la rivière pour voir où en était Matin Embrasé. Peut-être avait-il été plus chanceux ?

Pas de chance en ce début de soirée. Malgré mes capacités, mes tentatives de chasse s'étaient soldées par deux échecs. Mais peu importe, j'aimais passer du temps à la chasse. Dans le silence, être attentif, avoir l'esprit calme, clair, ordonné. Ça faisait du bien quand tout le reste était si troublé : l'attaque sur le camp, les enlèvements... et les morts, y compris dans ma famille. Tout ceci était bien lourd à supporter. Passer du temps à faire autre chose, à travailler pour le Clan, ça m'aidait à gérer tout ça, à m'en détacher un peu. Et à finir par l'accepter, avant de passer à autre chose. La question qui restait en suspens, pour moi, c'était comment prendre notre revanche sur le Clan du Tonnerre et récupérer nos petits le plus vite possible. Le reste, c'était le passé : on ne peut plus rien changer, alors autant l'accepter - sans l'oublier, évidemment.

Je m'en allai retrouver Matin Embrasé, un peu plus loin le long de la rivière. Mon oncle... je n'avais clairement pas la meilleure des relations avec lui. La plupart du temps, je le trouvais assez insupportable en fait : seul mon caractère me permettait de ne pas m'énerver face à lui et son manque de sérieux en toutes circonstances. Mais après la mort de Belle Carpe, je comprenais que nous étions liés quoi qu'il arrive. Je ressentais plus clairement le lien familial qui nous unissait - même si je n'en disais rien comme toujours -, alors qu'en temps normal je l'ignorais complètement. Si je devais retenir une leçon de tout cela, c'est que la famille était plus importante qu'elle ne le semble dans la vie de Clan. Je retrouvai Matin Embrasé perché sur un rocher au milieu de la rivière. C'était assez dangereux de mon point de vue, mais pour mon oncle ça ne semblait pas être un problème. Il y était assis, calme comme je l'avais rarement vu. Il se rendit compte que j'étais de retour et se retourna vers moi.

"On n'a pas envie de tomber d'ici !"

En effet c'est le moins qu'on puisse dire ! Je le regardai revenir vers la berge, en observant bien ses mouvements. Il sauta de roche en roche, et je vis ses pattes légèrement glisser. Je me préparai à agir et sentis mes muscles se mettre en action, mais il se rattrapa à temps, et encore heureux ! Je n'aurais pas aimé faire le deuil d'un deuxième membre de ma famille si rapidement après le premier... Et ça aurait été une mort bien bête, digne de celle de mon grand-père.

"Pas une tanche à l'horizon !"

"D'accord... dommage. Il commence à se faire tard, mais j'aimerais bien tenter ma chance une dernière fois avant de rentrer !" lui répondis-je avec un léger sourire. Quelque chose me disait qu'il n'était pas monté sur ce rocher pour pêcher... Mais bon, je n'étais pas là pour l'interroger sur tout ce qu'il faisait. Pour une fois qu'on passait du temps ensemble !

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J'étais bien décidé à tenter ma chance une dernière fois. Ce n'était déjà pas mon jour : d'habitude, j'avais un taux de réussite bien plus élevé que ça ! Mais bon, c'est comme ça, parfois la proie se montre plus rapide que nous. C'était définitivement le cas aujourd'hui. Je n'étais tombé que sur des grives aujourd'hui. Pour ma défense, les oiseaux en général étaient difficiles à atteindre ; ils réagissaient vite, et s'échappaient par les airs, donc aucune chance de les rattraper en courant !

"Eh bien si j'm'étais attendu à sortir ce soir, haha ! On aurait dû inviter du beau monde !"

Je savais qu'il plaisantait - comme bien souvent - mais je ne pus m'empêcher de soupirer intérieurement (oui, c'est possible !). Je m'éloignai un peu à nouveau, essayant de trouver une dernière proie pour un dernier succès. Mon regard fut attiré par un léger mouvement près d'un arbre. Je tournai la tête et aperçus une troisième grive sur une des branches les plus basses. J'aurais juré que c'était la même que la première que j'avais essayé d'attraper ! Je m'en approchai lentement, le corps abaissé, presque plaqué au sol, mais cette fois-ci je n'eus même pas droit à un essai. Le volatile tourna sa tête dans ma direction et prit la fuite instantanément. Calmement, je détendis mes muscles et me redressai. Ce n'était pas une bonne session... mais pas la peine de s'énerver. Je fis donc marche arrière pour retrouver Matin Embrasé, qui n'avait pas fait d'effort supplémentaire pour chasser. Je ne pouvais pas le critiquer : il se faisait tard, et cette idée d'aller chasser était tout à fait inattendue. Et puis, il avait attrapé quelque chose, lui ! Je n'avais pas eu cette chance.

Lorsque je rejoins mon oncle, il était arrêté près d'un arbre. Silencieux. Je commençais à me dire qu'il était plus que ce qu'il montrait au Clan. Il n'était pas toujours aussi léger qu'il ne le semblait. Cela faisait déjà deux fois en une soirée que je le surprenais silencieux, plus calme que jamais. Je m'assis à côté de lui doucement, ne souhaitant pas briser le silence, et me mis à regarder le ciel et les étoiles qui apparaissaient peu à peu, à son côté. C'est sans doute à ce moment que je me sentis le plus proche de lui de toute ma vie. Ce n'était pas difficile puisque nous n'avions jamais été proches, mais quand même, j'en étais presque heureux. Heureux de me dire que peu importe nos caractères, nous étions quand même de la même famille. À plusieurs, nous saurions gérer ces temps difficiles et la mort de Belle Carpe. Après quelque temps, je me décidai enfin à parler, calmement pour ne pas gêner le moment :

"On devrait sans doute rentrer, non ? Histoire d'être d'attaque pour demain."