Kyrie Eleison [LP ] - abandon

♪ Per aspera ad inferi - Ghost

Sareth était d'humeur morose.

Peut-être était-ce dû à la température qui se refroidissait, où au fait qu'il en avait littéralement plein les pattes d'arpenter le territoire pour répandre la bonne parole encore et encore.
Il était donc content si il pouvait rester au QG. N'étant pas chargé directement de la protection de Krov, il arrivait à feignanter. Même si les longues siestes au soleil n'étaient plus au goût du jour.

Le grand matou traversait le camp, l'air occupé et le pas pressé - pour trouver un endroit confortable pour faire la sieste - ses pattes marquant la neige.
Il aperçut l'abbesse enfournée de se deux sbires dans sa vision périphérique et juste en face de lui, le petit chaton du camp, une belle souris dans la gueule.
Sareth lui barra le passage et le fixa d'un air mauvais.

En voilà une belle prise.

Voix tranchante, qui n'avait rien d'un compliment. Avait-il chassé lui même cette proie ? Peu improbable, vu la saison et le gabarit du petit. L'avait-il volé ? Sareth se demandait bien à quelle demie-portion.

Déchet était le souffre douleur du Clan, et même si Sareth n'était pas un grand partisan de la violence sur les plus faibles, Krov le regardait.
Et il devait bien avouer que l'idée de manger cette proie à la place du petit lui plaisait.

Sareth ferait fi de ses idéaux pour cette fois, afin de gagner un repas et le respect de Krov

Et j'imagine que c'est toi qui l'a attrapée ?

Spoiler:

Je regardai à droite. A gauche. Devant. Qu'une seule issue : l'arrière. Prudemment, je reculai alors, espérant de toutes mes forces que mes supérieurs de ma génération ne m'aient pas remarqué. Ils étaient partout et s'amusaient à leur jeu favori : cache cache. Jeu où celui qui perd se fait tabasser par tous les autres. Et évidemment, c'était toujours moi qui perdait puisqu'ils partaient en chasse contre moi. Je m'aplatis au sol, effrayé. Ils s'approchaient. Peut-être je ne devrais même pas me cacher. Peut-être devrais-je simplement accepter leurs coups. C'était la sens de la vie après tout. Mais... ça faisait si mal...
Trop tard. L'oeil vif d'un d'eux surprit un de mes mouvements maladroits. Ils fondirent sur moi.


Clopin clopant je tentai tant bien que mal d'aller vers les prises de gibier. Mon ventre criait famine. J'avais repoussé depuis longtemps cet instant. Un instant difficile où je risquai ma peau. En effet, certains prenaient un malin plaisir à défendre les proies attrapées coûte que coûte. Heureusement pour moi, la voie semblait libre. Oubliant mes douleurs, ne régissant qu'à mon instant de survie, je bondis, attrapai le premier rongeur sur la pile, et me repliai. Mal assuré j'essayai de trouver une planque afin de me reposer, reprendre mes forces et enfin manger... Jusqu'à ce que cette voix s'élève :

En voilà une belle prise.

Mon coeur se mit à battre violemment dans ma poitrine. Je me tournai vers lui, l'air fautif et apeuré.

Et j'imagine que c'est toi qui l'a attrapée ?

Je le regardai avec de grands yeux ronds, écarquillés de panique, ne sachant que faire pour éviter la sanction. Mais elle tombera forcément n'est-ce-pas? Ainsi va la vie... alors, je me contentai de baisser la tête, et de balbutier d'une petite voix:

"Je ... heu..."

Le petit bafouilla une réponse. Il n'était pas dupe.
Il savait bien que le compliment de Sareth n'en était pas un et qu'il n'y avait rien de bon à attendre de la meute.

Des coups, des cris, des reproches, voilà tout ce que "la famille" lui apportait.
Mais cela pourrait changer. Si le gosse parvenait à s'endurcir et à gravir les échelons à l'instar de Sareth, il pourrait bénéficier d'une vie meilleure.

Alors Sareth agissait dans son intérêt lorsque d'un coup de patte il envoya valser le rongeur de la gueule du chaton. La proie rebondit dans la neige avant de s'immobiliser totalement.
Cette même patte abattit cette fois sur le haut du crâne du chaton et Sareth lui enfonça la tête dans la poudreuse.

Ce silence est un aveu. tonna le matou. Jeune chat, tu offenses la Lune de ta misérable existence, qui t'empêche de subvenir à tes propres besoins. Tu voles sur la pile réservée à notre abbesse, ô combien plus utile à la Lune que toi.

Sareth ne regardait même plus la petite masse noire sur sa patte et jeta en regard périphérique vers Krov, en espérant que le spectacle lui plaisait.
Il retira finalement sa patte, s'apprêtant à panser les plaies du petit qu'il venait de faire.

Repens-toi. Tu es plus gros et plus résistant que bien des chatons. Tu feras peut-être un membre valeureux un jour si tu te décides enfin de ne plus encaisser les coups, mais de les donner sous ordres de la Lune.

Le matou recouvrit la proie d'une fine couche de neige, pour qu'elle n'attire plus l'attention et pour qu'il fasse son sort à cet objet souillé plus tard.
Il braqua ensuite son regard bleu sur le petit, attendant de voir si il était désolé d'être un tel ver de terre.

Un premier coup envoya valser au loin la proie. Un deuxième coup et ce fit ma propre gueule qui s'enfonça dans le sol. Le froid s'immisça dans la bouche. Le contact de mes crocs dans la poudreuse était hautement désagréable. Je bougeai dans tous les sens pour reprendre mon souffle, mais sa poigne était trop forte. Il parlait, parlait, parlait encore, mais je ne l'écoutai pas. J'avais besoin d'air, de mon air, si précieux.

Enfin. J'inspirai une grande goulée d'air, rassuré.

Repens-toi. Tu es plus gros et plus résistant que bien des chatons. Tu feras peut-être un membre valeureux un jour si tu te décides enfin de ne plus encaisser les coups, mais de les donner sous ordres de la Lune.

On ne m'avait jamais expliqué ce qu'était la Lune, à part notre mère à tous qui nous protégeait. Mécaniquement, je me contentai de m'excuser, et d'annoncer que je ne recommencerai plus, tête basse. Mais je n'étais pas si bon acteur, et la robotisation de mes paroles s'entendait aussi clairement qu'une fausse note dans un magnifique requiem au clair de lune...
Et pour une fois, je pris ensuite la parole:

"La Lune... elle est forte? Comme madame l'abbesse ou heu comme Cyanure qui fait peur?"

C'était un murmure plus qu'un miaulement... Mais ma question était sincère, bien que l'on eu l'impression que c'était un enfant d'une lune qui la posait. J'ignorai si j'avais le droit de parler ainsi à ce chat. Je conservai mon attitude de soumission envers lui, priant pour qu'il ne me gronde pas et ait une véritable réponse à ma question.

Le chaton était toujours prostré au sol. Il avait l'air aussi réactif qu'un ver de terre écrasé, mais à la grande surprise du matou il posa une question.
Non la Lune ne le foudroyait pas sur place comme le ferait Cyanure la brute ou Krov l'alien.
La Lune était force, que parce qu'il y avait des illuminés pour répandre violence et sang pour elle.

C'est le savoir qui fait le pouvoir. La force brute, seule ne te mènera jamais à rien.

Il ne pouvait rien dire de concert à cet enfant. Sareth préférerait qu'il pose ses questions spirituelles à Krov, mais il n'osait pas envoyer le petit l'importuner. Et puis Krov regardait probablement, c'était l'occassion de lui montrer comme il prêchait bien.

Regarde toi. Tu es fort, pourtant tu rampes comme un misérable insecte.

Sareth approcha sa grosse patte du crâne du petit : non pas pour le frapper, mais pour lui tapoter la tête.

C'est bien, continue de t'interroger ta foi. Si tu crois, la Lune t'éclairera de Sa lumière.

C'est le savoir qui fait le pouvoir. La force brute, seule ne te mènera jamais à rien.

Je levai les yeux vers lui comme s'il était le Messie, cet envoyé des divinités pour mon salut. On ne m'avait jamais dis ça. Je croyais que les forts régnaient... Puis, éclair de compréhension. Il parlait de la force physique... Krov était forte pourtant elle n'était pas musclée et ne ressemblait à rien. Les forts gagneront toujours que ce soit par la force brute ou... je ne sais quoi. Je baissai de nouveau les yeux, comme honteux d'avoir posé une telle question. C'est le savoir qui fait le pouvoir...Quel savoir?

Regarde toi. Tu es fort, pourtant tu rampes comme un misérable insecte.

Je suis fort? Moi? Ce chat-là disait de drôles de choses... Il avait sûrement tord... Etait-ce pour ça que Krov nous regardait bizarrement? La gorge nouée, je ne savais que répondre. Le gros matou leva sa patte. Je me recroquevillai sur place, m'attendant à recevoir un coup. Avec sa puissance, ma tête ne resterait pas en place bien longtemps si je n'encaissai pas. C'était l'ordre des choses. Dire des choses gentilles pour après frapper. C'est pour ça que ceux qui disent des choses gentilles sont forcément des fourbes qui vont encore plus de faire du mal.

C'est bien, continue de t'interroger ta foi. Si tu crois, la Lune t'éclairera de Sa lumière.

Hein? Pourquoi ne m'avait-il pas tapé? J'y comprenais plus rien. Je fixai le sol, à la recherche d'inspiration. Rien. Le vide complet. Total. Néant. Pourtant, évidemment que je croyais en la Lune. Mais je n'étais rien pour elle. Je n'avais aucune valeur. On me l'avait dit. Et ce matou blanc était forcément au courant. C'était donc qu'il se jouait de moi. Je me refermai comme une huître. Mon ventre cria famine. Je déglutis.