[LP] Impertinents (avec Pie Curieuse et Brasier Glacial) - abandon

Spoiler:

D'ordinaire, on faisait partir les patrouilles à l'aube. Mais cette patrouille était une patrouille supplémentaire : la patrouille de l'aube était déjà même rentrée au camp. C'était Douce Orchidée qui m'avait demandé d'emmener Matin Embrasé - sans doute pour ne pas l'avoir entre ses pattes - et Pie Curieuse. Elle et moi avions été apprentis sur la même période, mais ça ne veut pas dire que nous avions un quelconque lien d'amitié. Je suis sûr qu'elle me méprise, sans doute pour ma personnalité très silencieuse, mais je dois bien dire que je ne l'apprécie pas tellement non plus. Trop d'arrogance, surtout. Heureusement, puisque je ne montrais pas à quel point elle me déplaisait, il ne pouvait pas y avoir de dispute. Puis on était dans le même Clan, donc il vaut mieux éviter de se taper dessus. La neutralité, ça a ses bons côtés, faut pas croire...

Le lieutenante m'avait confié cette patrouille, et je ne sais pas vraiment pourquoi. Je considérais que j'étais plus utile ailleurs qu'en patrouille, mais chacun son tour je suppose. C'est sûr qu'elle ne risquait pas de la confier à Matin Embrasé. Elle le détestait avec une certaine passion, et l'enlèvement de Petit Blaireau n'avait rien arrangé. En plus de tout ça, depuis l'enlèvement mon oncle ne semblait plus tout à fait être lui-même. Bref, au moins ça montrait que Douce Orchidée avait confiance en moi, et j'appréciais cela. Il s'agissait juste de ne pas la décevoir, et pour une simple patrouille ça devrait être assez facile. J'attendais mes deux acolytes au milieu du camp, puis fus rejoins par Pie Curieuse, sans un mot, puis par Matin Embrasé. Pas sans un mot.

"Tiens donc tiens donc ! On dirait que c'est mon cher neveu qui commande ! J'imagine que tu t'en sors mieux que moi avec Douce Orchidée !"

Remarque que j'ignorai complètement, comme d'habitude. Je me contentai de tourner vers lui mon visage sans expression. Comme d'habitude. Évidemment que c'était une plaisanterie, une bonne vieille plaisanterie à la Matin Embrasé. À l'extérieur, je ne montrai ni sourire, ni grimace d'énervement, mais honnêtement, ça faisait du bien de revoir mon oncle de cette humeur. D'ailleurs ça avait changé bien vite. Hier encore, il semblait complètement abattu lorsque j'étais revenu de ma chasse du matin. Je me demandai brièvement ce qui avait pu se passer, mais je n'allais pas lui demander. Mieux valait se réjouir de son retour en forme. Cette fois, s'adressant à Pie Curieuse :

"Dis donc, petite curieuse, j'espère que t'es pas trop déçue par la nouvelle. C'est vrai que les rouquins ont la cote, en ce moment."

Cette dernière phrase semblait sortir de nulle part - mais que voulait-il dire par là ? D'accord, on était deux rouquins dans cette patrouille, mais... Oh. Il parle de lui-même, en fait. Mon esprit commença à explorer les possibilités pour comprendre ce que Matin Embrasé disait avec cette information, jusqu'à ce que... Ça, plus son retour à la bonne humeur ? Il s'est passé quelque chose entre hier midi et ce matin... Je n'allais pas lui demander quoi. De toute façon, si ce n'était pas un secret majeur, ça finirait par se savoir dans tout le Clan. J'abandonnai ma réflexion, et Pie Curieuse lui répondit.

"Je n'en doute absolument pas, mon chat de braise. D'ailleurs, tu n'as pas besoin de te cacher ainsi de Douce Orchidée. Je suis sûre que notre lieutenante sera ravie de te voir d'aussi bonne humeur après avoir égaré un chaton."

Ouch. Ça avait du piquant, comme réponse ! Connaissant Matin Embrasé, il ne s'en offusquerait sans doute pas, mais une chose est sûre, c'est qu'il ne manquerait pas de lui répondre. Je ne pouvais pas le laisser faire ça - il fallait quand même que la patrouille commence. Je comprenais un peu mieux pourquoi Douce Orchidée m'avait nommé à la tête de cette patrouille... Sans moi, elle n'aurait jamais eu lieu ! Je m'en voulais un peu, mais je devais jouer les rabat-joie sur ce coup-là. Je m'adressai à eux, me déplaçant vers la sortie du camp :

"Matin Embrasé, je suis sûr que tu meurs d'envie de lui répondre, mais il va falloir songer à se bouger un peu. Vous vous battrez - avec des mots, j'entends - sur le chemin. Allez, on y va."

Le tout de mon ton neutre habituel. Je ne fis pas l'erreur qu'avait commise Douce Orchidée par contre, et je restai à peu près à leur niveau, menant la marche vers la rivière. Je me préparai à écouter les deux moulins à paroles se jeter pique après pique - et peut-être à en recevoir une ou deux, aussi. C'est ce qui risquait d'arriver, en tout cas. Il fallait bien quelqu'un pour rester sérieux, et je dois bien dire que ce rôle m'allait parfaitement.

Ça m'embêtait un petit peu de les interrompre comme ça, mais si je ne le faisais pas, on serait encore au camp après le coucher du soleil ! Les instructions étaient simples - frontière avec le Tonnerre à surveiller, donc ça se passerait le long de la rivière. Pas besoin de marquage, les patrouilles du matin et soir s'en chargeraient. Juste de la surveillance. Ce n'était sûrement pas passionnant, mais c'était nécessaire. On ne pouvait pas prendre le risque de subir une nouvelle attaque comme la première, surtout pas si peu de temps après la première. Direction rivière, donc. Ce n'était peut-être pas volontaire, mais les paroles suivantes de Matin Embrasé tombèrent à point nommé.

"T'as raison. Le vent d'une ballade fait très bien, sur des braises. Tu nous emmènes où, Brasier ? Pêcher la Pie ?"

Des phrases qui ne faisaient pas beaucoup de sens, j'en avais entendu, mais celle-là était d'un tout autre niveau encore ! Bon... Je ne sais même pas à quoi je m'attendais de sa part. Je savais bien que mon oncle n'allait pas montrer du sérieux pour une simple patrouille. Le point positif dans tout ça, c'est que je n'aurais pas besoin de réagir à son intervention - Pie Curieuse s'en chargerait. C'était à elle qu'il s'adressait vraiment, après tout.

"Cependant, je t'avouerai que pêcher de façon générale me tente plutôt bien, Brasier. On peut trouver beaucoup de poissons dans la rivière, l'air de rien ! Beaucoup de truites, quelques barbeaux et l'une ou l'autre carpe..."

Très constructif, tout ça... me dis-je avec tellement de sarcasme qu'il résonnait même dans mon esprit, sans que j'aie besoin de parler à voix haute. Si c'était pour dire des inepties sur tout le chemin, j'aurais aussi pu aller surveiller la frontière seul. Mais ça ne servait pas à grand chose de lui répondre. Elle aussi faisait mine de s'adresser à moi, mais s'ils me croyaient incapables de comprendre qu'ils parlaient entre eux, alors ils se trompaient.

"Je pense même que l'on pourrait attraper une perche, avec un peu de temps et beaucoup de patience !"

Cette remarque était aussi dirigée vers Matin Embrasé, mais je n'en comprenais pas le sens. Un rapide coup d'oeil à l'expression de mes deux camarades de patrouille me fit penser que c'était une autre boutade. En tout cas, pour moi, c'était du langage codé. Je ne savais pas vraiment quoi dire, et j'aurais préféré ne pas répondre. Ils semblaient attendre une réponse de ma part, malgré tout. J'étais à côté de la plaque, peut-être que ça les ferait rire... Je ne leur donnerai pas ce plaisir volontairement. Autant ne pas parler de pêche. Ou leur faire comprendre que leur petit jeu ne m'échappait pas complètement... Mais sans agressivité, sans sarcasme. Toujours neutre.

"C'est votre jour de chance : on va longer la rivière, surveiller la frontière avec le Clan du Tonnerre. Pas besoin de marquage, les autres patrouilles de la journée s'en chargent, à ce qu'on m'a dit. Pas de pêche pendant la patrouille, mais c'est pas comme si tu pensais vraiment pêcher ce matin, pas vrai ?"

"Oh tu me connais : j'aime bien m'amuser ! me répondit-il aussitôt. Je suspectais vraiment un sens caché à leurs paroles, mais je n'arrivais vraiment pas à trouver d'explication plausible. C'était un peu irritant. Cela dit, chacun à ses secrets : je serais bien mal placé pour reprocher un manque d'expression à l'un ou l'autre de mes camarades de patrouille...

"Tant pis tant pis, l'un n'empêche pas l'autre ! Et puis si je tombe sur un bel oiseau au passage... J'fais pas le difficile. C'est sûrement plus tendre que la peau d'un écureuil. On voudrait presque le réchauffer."

Parler de Pie comme d'un oiseau, ok. Parler des chats du Clan du Tonnerre comme des écureuils, d'accord. Mais le résultat final ne faisait pas beaucoup plus de sens, en tout cas pas pour moi. Pie semblait être du même avis que moi cette fois-ci :

"Mais qu'est-ce que tu es en train de nous raconter, Matin ? On n'aura de toute façon pas l'occasion de chasser de l'écureuil, parce que moi, je refuse de m'approcher de la forêt !"

Ah en fait non, c'était juste le mot écureuil qui la gênait. À son tour de ne pas comprendre les jeux de mots des autres ! J'en étais presque amusé. Le seul qui comprenait tout, c'était Matin Embrasé - enfin j'ose espérer qu'il comprend lui-même ce qu'il dit... Sinon il y a du souci à se faire ! Je me demandai pourquoi Pie voulait autant garder ses distances avec la forêt. De quoi pouvait bien venir une telle aversion ? Elle s'était écartée de nous tout d'un coup, alors qu'elle disait qu'elle refusait de s'en approcher. Je n'allais pas poser la question, mais c'était un peu étrange.

"Mais le reste du plan marche plutôt bien pour moi, Brasier. Je propose qu'on se contente de ça..." dit-elle d'une voix soudainement hésitante. Je compris qu'en tant que chef de patrouille, je n'avais pas son respect. La seule chose que j'avais, c'était qu'elle me craignait, moi et ce que je pourrais dire pendant mon rapport. J'en fus très déçu... Je sais bien qu'elle ne m'apprécie pas, et moi-même je n'aime pas vraiment ses manières ; mais quand même, je ne demandais pas grand chose de sa part : juste le respect que quiconque devrait accorder à n'importe quel autre membre de son Clan. Je baissai le regard vers le sol en bref signe de déception, puis repris ma marche normale. Sans faire allusion au mot "écureuil", je répondis à sa remarque, tranquillement et sans laisser transparaître d'émotion.

"Pas d'inquiétude, Pie. On ne nous demande pas d'aller vers cette partie de la forêt. S'aventurer sur les territoires du Clan du Tonnerre en ce moment, ce serait un signe de folie." Je me tournai vers Matin Embrasé pour lui adresser la parole plus directement.

"Les écureuils, comme tu dis, ce n'est pas aujourd'hui qu'on les affrontera. C'est trop tôt pour le Clan, ils ont certains de nos chatons, et on attaquera sûrement pas à trois."

Le sujet m'intéressait. J'étais assez heureux de voir que je n'étais pas le seul prêt à en découdre avec les Lunar et le Clan du Tonnerre, que tout le monde n'était pas en train de s'apitoyer sur son sort. Je n'en parlais pas souvent au camp, donc connaître l'opinion stratégique des autres était intéressant. Quant à la patrouille, on verrait bientôt la rivière, et donc la frontière avec le Tonnerre. Il était temps de faire réellement attention à ce qui se passait. Histoire de ne pas se faire attaquer et enlever, à tout hasard... Nous pourrions continuer à échanger un peu, mais en tout cas je serai sur mes gardes pendant cette patrouille. Mes acolytes, peut-être pas...