Nouveau départ - Brasier Glacial -abandon

Etoile de Pierre est mort. Douce Orchidée entendait encore la stupeur dans la voix des membres du clan. Elle sentait leur tristesse après l'annonce de la nouvelle meneuse. Et de toute façon, qui n'était pas triste d'apprendre la mort d'Etoile de Pierre ? Maintenant il avait rejoint le clan des Etoiles, ainsi que sa compagne Aigue Marine et sa fille, Petite Améthyste. Finalement, ce n'était pas plus mal. Le clan allait repartir de plus belle avec une nouvelle meneuse à sa tête, Écaille d'Or ainsi qu'une lieutenante qui avait de l'expérience derrière elle, Museau Bleu. Douce Orchidée était ravie pour ces deux amies, mais elle avait du mal à le montrer. Elle venait de perdre son chef pour qui elle s'était battue pendant ces 12 dernières lunes, et également elle venait bel et bien de perdre son rang devant le clan. Même si c'était elle qui était allée parler à son chef pour lui annoncer sa démission, même si elle sentait le coup venir, même si elle savait que la prochaine meneuse allait annoncer devant le clan entier la démission de l'ancienne lieutenante, Douce Orchidée se sentait affreusement triste. Non pas d'avoir perdu son rang, cela lui importait peu sinon elle n'aurait pas démissionné, mais c'était le fait qu'elle n'avait pas su rendre fier son chef, et elle n'avait pas su être une bonne lieutenante, tout simplement. Ces 12 dernières lunes avaient été une perte de temps, pour elle comme pour son chef ainsi que son clan. Elle était tellement triste d'avoir déçu tous le temps. Et maintenant, certains la regardaient avec pitié, comme si elle avait besoin de ça. Papillon Blanc était la seule pour l'instant à être venue la voir, la remerciant après lui avoir dit qu'elle avait été une bonne lieutenante. Mais c'était la seule. C'était la preuve qu'elle n'avait pas fait du bon travail, et qu'elle allait finir par être tout bonnement oublié. Maintenant, elle n'avait que ses yeux pour pleurer. Elle ne savait faire que ça.

Un bien triste jour pour le Clan, Étoile de Pierre était mort. Tout le monde venait de l'apprendre, et il ne fallut pas plus de quelques secondes pour que l'atmosphère du camp s'alourdisse. Sa mort ne m'étonnait pas tant que ça, cela faisait de nombreuses lunes que le meneur n'était plus tout à fait celui qui l'était, mais... Une mort, même attendue, ça choque toujours les esprits. Je l'ai appris il n'y a que quelques instants, en même temps du fait qu’Écaille d'Or serait la nouvelle meneuse.

La veille, Douce Orchidée avait choisi de lâcher son poste de lieutenant. Je n'étais pas déçu d'elle ; honnêtement, qui pouvait lui en vouloir ? Choisie au dernier moment pour assumer cette responsabilité quand personne d'autre n'y était prêt, elle n'avait rien fait d'exceptionnel, c'est vrai - mais au moins avait-elle tenu le coup durant ces lunes difficiles d'assauts répétés par les Lunar Pod. Peut-être serait-elle critiquée par certains, mais personnellement je préfère quelqu'un qui reconnaît sa faiblesse, aussi temporaire soit-elle, à quelqu'un qui s'acharne à prendre toutes sortes de responsabilités sans pouvoir les assumer.

La démission avait dû lui demander beaucoup - je connaissais ses propres doutes sur son aptitude à être lieutenant depuis déjà plusieurs lunes - et maintenant, celui qu'elle avait longtemps vu comme son modèle venait de rendre l'âme. Je n'avais pas besoin de beaucoup plus d'indices pour savoir qu'elle aurait besoin du même soutien que je lui avais déjà apporté auparavant. Peut-être ne voudrait-elle pas me parler ; alors je ne parlerais pas. Mais qu'elle le veuille ou non, je serais là. Je l'approchai doucement, m'asseyant à côté d'elle dans le camp.

"... Tu tiens le coup ?" lui dis-je gentiment, attendant sa réaction sans la précipiter pour autant. La voir triste sans pouvoir faire quoi que ce soit, c'est bien la dernière situation dans laquelle je voulais me trouver.

Douce Orchidée allait devoir garder la tête haute, mais pour l'instant elle ne pouvait pas y arriver. C'était bien trop difficile, tout ce qui venaient de se passer n'allait pas être effacé en claquant des doigts. Les prochains jours allaient être compliqués pour la guerrière, et n'allaient pas être de tout repos. Rien que de devoir faire face à la dure réalité, elle avait besoin de temps. C'était un tout. Elle n'allait pas faire comme si rien de tout cela ne s'était passé, comme si elle n'avait pas essayé de donner son maximum. En redressant ses yeux pleins de larmes, elle reconnut Brasier Glacial qui s'avançait vers elle. Et encore une fois, il allait la voir pleurer. Ce n'était pas une première, mais elle aurait voulu éviter ça, malheureusement cette fois les larmes ne s'arrêtaient plus de couler. Elle essayait de renifler calmement et surtout de la façon la moins bruyante possible, elle serrait les crocs au maximum. Il s'assit près d'elle, cette dernière sentait son regard vert sur elle, tandis qu'elle fixait ses pattes qui retournaient la terre. Jusqu'à ce qu'enfin, la question fatidique arriva. 

« ... Tu tiens le coup ? »

Non, la réponse était évidente, pourtant elle devait tenir le coup. Elle n'était pas la seule à pleurer la mort de l'ancien chef, il y avait ses enfants, Nuage d'Emeraude, Nuage de Jaspe, Nuage d'Opale et Nuage de Quartz. Et Douce Orchidée savait qu'Ecaille d'Or tenait beaucoup à Etoile de Pierre. Mais eux n'avaient pas démissionné de leurs rangs parce qu'ils n'en avaient pas les capacités. C'était ce qui différenciait Douce Orchidée des autres. Eux ne se sentaient pas minables. Ils étaient simplement tristes pour la mort du défunt.

« .. Je ne vais pas avoir le choix.. » dit-elle après avoir cessé de pleurer un instant. « Game over pour moi, je suis trop bête.. » Elle avait presque envie de se frapper pour avoir eu le culot d'accepter le rang de lieutenante. Qu'est ce qu'elle s'imaginait ? Devenir comme Aigue-Marine un jour ? Finalement, Ecaille d'Or avait eu raison de nommer Museau Bleu, Etoile de Pierre aurait dû faire pareil. « Il est parti.. » Pause, les mots commençaient à lui manquer. « Et moi je vais pouvoir reprendre le rang qui me revient de droit.. » celui de guerrière. Finalement, ça lui convenait mieux, et là au moins elle allait pouvoir se faire toute petite, elle n'allait pas gêner. C'était mieux pour elle, mais pourtant elle se remit à verser quelques larmes. Elle était trop nulle.

Douce Orchidée n'avait pas su contenir ses larmes ; à mes yeux ce n'était pas une honte, mais je savais bien qu'elle se souciait de ce que les autres penseraient d'elle, elle la lieutenante qui abandonne son poste, l'incapable. C'est sans doute ce qu'elle devait se dire en ce moment si difficile. Je voudrais bien lui dire que tout allait bien, la rassurer d'une manière ou d'une autre, mais c'était toujours aussi difficile : j'avais l'impression que Douce Orchidée cherchait à assumer une place importante pour le Clan, ou plutôt qu'elle y cherchait sa vraie place, et que pour le faire elle prenait une trop grande part de responsabilité dans les évènements qui avaient eu lieu ces dernières lunes. Je voudrais lui dire qu'elle n'avait rien à se reprocher, que ce qui est fait est fait, mais comment le faire sans les mots pour ?

"Je ne vais pas avoir le choix..." me dit-elle au milieu des pleurs. Elle continua de s'exprimer morceau par morceau : "Game over pour moi, je suis trop bête...

Il est parti...

...Et moi je vais pouvoir reprendre le rang qui me revient de droit..."

C'était normal d'être attristé par la mort d'un membre du Clan, et le chef était une grande perte. Mais Douce Orchidée n'était pas seulement triste : elle se sentait misérable, et ça, je ne pouvais pas le laisser passer. Sur mon visage si souvent impassible, elle saurait sûrement lire toute l'empathie que j'avais pour elle lorsque je commençai à lui parler, d'un ton calme, pour que le reste du Clan ne m'entende pas :

"Je suis pas là pour te faire la morale, je te connais et je sais bien que c'est pas en te disant d'arrêter de te torturer toute seule que tu vas le faire... Mais c'est pas pour ça que je vais arrêter de te le dire : tu n'as rien à te reprocher. Si tu n'étais pas capable d'être lieutenant, il ne t'aurait jamais choisie. Étoile de Pierre a beaucoup subi, mais il n'était pas fou."

Je m'approchai un peu plus jusqu'à ce que nous soyons presque en contact l'un contre l'autre ; la proximité ne ferait pas de mal, ou du moins je l'espérais.

"... Enfin, je vais pas t'embêter avec ça. Je suis là si tu en as besoin, c'est tout."

Connaissant son caractère je m'attendais à deux choses : plus de larmes, ou alors la colère de Douce Orchidée. Comment soutenir quelqu'un qui refuse d'admettre qu'il en a besoin ?

Douce Orchidée se demandait bien qu'elle avis son ami avait d'elle à la suite de sa décision. Celle qu'elle avait eu le plus de mal à prendre depuis le début, même si elle savait qu'elle n'aurait jamais pu tenir le rôle de meneuse, voir les autres et parfois des plus jeunes qu'elle réussit, lui crevait le cœur. Elle était persuadée que si un sondage pouvait être mis en place, les ¾ du clan devaient penser qu'elle était une bonne à rien. Au moins, Museau Bleu allait pouvoir remonter le niveau. C'était certain, durant ces 12 lunes la femelle avait été de très bons conseils avec Douce Orchidée. Mais elle, elle n'allait rien lui apprendre, puisqu'elle n'avait aucune connaissance en la matière finalement.

« Je suis pas là pour te faire la morale, je te connais et je sais bien que c'est pas en te disant d'arrêter de te torturer toute seule que tu vas le faire... Mais c'est pas pour ça que je vais arrêter de te le dire : tu n'as rien à te reprocher. Si tu n'étais pas capable d'être lieutenant, il ne t'aurait jamais choisie. Étoile de Pierre a beaucoup subi, mais il n'était pas fou. »

Mais Etoile de Pierre aurait pu très bien se tromper. D'ailleurs, elle en avait la preuve, puisqu'il avait dit à Ecaille d'Or de devenir la meneuse. Même si Douce Orchidée avait annoncé sa démission, l'ancien chef avait déjà décidé de sa future meneuse à l'avance. Elle en était persuadée. Elle était entêtée sur ce point. Ecaille d'Or l'avait aidé mieux que personne dans ses dernières heures, tandis que Douce Orchidée observait son chef mourir à petit feu. Et maintenant elle ne pouvait plus rien pour lui. Finalement Brasier Glacial se rapprocha un peu plus de l'ancienne lieutenante qui avait de nouveau cessé de pleurer, mais pour combien de temps ?

« .. Enfin, je vais pas t'embêter avec ça. Je suis là si tu en as besoin, c'est tout. »

Elle sourit au guerrier comme elle put. Elle ne se forçait pas puisqu'elle avait envie de le remercier, mais ce n'était pas aussi évident que ça. Mais elle devait cesser de pleurer, rien que par respect pour les personnes qui étaient encore plus proches de l'ancien chef, comme ses enfants, mais qui retenaient leurs larmes tant bien que mal. Une page s'était tournée et maintenant il fallait écrire la suivante. C'était comme si elle repartait de zéro. Et les pleurs ne servaient à rien. A part la faire passer encore plus pour une fragile, ce qu'elle avait déjà un peu fait en démissionnant de son poste.

« Je m'entête à croire le contraire. » dit-elle en réponse à ses premières paroles. Brasier Glacial n'allait surement pas être la dernière personne à lui dire ce genres de choses. « Tu ne m'embêtes pas. Et je suis bien contente que tu sois la première personne à venir me voir.. Toi au moins tu m'as déjà vu pleurer. » Elle voyait au loin Museau Bleu en train de la chercher, elle ne voulait pas que son amie la voit pleurer. Elle n'avait pleuré avec personnes sauf avec le guerrier roux. Ce qui était déjà bien assez.  « Maintenant il ne reste qu'à aller de l'avant. » De toute façon, maintenant elle ne pouvait plus reculer. Elle avait tout pour recommencer quelque chose de mieux.

Elle essaya de me sourire, interrompant ses pleurs comme elle le pouvait. C'était déjà un pas, même si elle le faisait sans doute par honte devant le Clan. Rien que d'annoncer sa démission avait pris un bon bout de son estime d'elle-même, apparemment. Je ne pouvais pas prétendre savoir ce qu'elle ressentait, mais je pense que je comprends maintenant.

"Je m'entête à croire le contraire." me répondit-elle. Je soupirai doucement. Ce n'était pas grave, mais j'étais déçu de ne pas pouvoir la convaincre, même si je savais que quelques mots ne suffiraient jamais. Des mots ne suffisaient pas pour son caractère, et je crois que c'est pour la même raison qu'elle était si déçue d'elle-même : elle avait l'impression de n'avoir rien fait pour le clan pendant qu'elle était lieutenant.

"Tu ne m'embêtes pas. Et je suis bien contente que tu sois la première personne à venir me voir.. Toi au moins tu m'as déjà vu pleurer." C'était bien peu de chose, mais j'étais heureux de l'entendre me dire ça... Au moins j'étais sûr de pouvoir rester à son côté sans l'embêter. Je me trompais peut-être, mais j'espérais que ma présence l'aiderait d'une matière ou d'une autre, puisque mes paroles, elles, ne feraient rien.

Douce Orchidée jeta un coup d'oeil à travers le camp. En faisant de même je vis Museau Bleu de l'autre côté, et pour une raison ou pour une autre Douce Orchidée la fixa quelques instants ; j'ignorais s'il y avait un réel lien entre elles deux. Je reconcentrai mon attention sur la femelle au poil blanc qui se tenait juste à côté de moi. "Maintenant il ne reste qu'à aller de l'avant." me dit-elle d'un ton conclusif. Je détournai le regard quelques instants, réfléchissant à ce que pourrais faire à présent.

"C'est sans doute la meilleure chose à faire..." Je la regardai à nouveau, essayant d'établir le contact visuel. Je lui souris doucement. "Étoile de Pierre n'est plus là... Mais nous, oui. Alors continuons de vivre. Finalement, la honte importe peu tant qu'on a des alliés, des amis."

Aller de l'avant, elle possédait maintenant tous les éléments pour pouvoir y arriver. Elle avait repris son ancien rang, celui qu'elle n'aurait jamais du quitté. Elle avait des amis, peu mais elle en avait, et elle savait pertinemment qu'elle pouvait compter sur eux. Elle voulait que les membres du clan soient vraiment fières d'elle cette fois-ci. Elle avait plein de projets en tête, vouloir tout recommencer lui redonnait le sourire, et la confiance allait revenir petit à petit. Elle avait laissé passer son rang avant elle, avant les personnes qui lui étaient chers à son cœur, même avant sa famille qui devait la regarder monter les échelons de loin avant qu'elle se casse la figure. Douce orchidée devait penser un peu plus à elle, maintenant.

« C'est sans doute la meilleure chose à faire.. »

Elle acquiesça de la tête, ravie d'apprendre que Brasier Glacial partageait son avis. De toute façon, il n'y avait rien d'autre à faire à part laisser faire les choses. Le temps allait effacer petit à petit ces derniers évènements, jusqu'à ce que le clan entier soit de nouveau sur pattes.

« Étoile de Pierre n'est plus là... Mais nous, oui. Alors continuons de vivre. Finalement, la honte importe peu tant qu'on a des alliés, des amis. »

Certes, Douce Orchidée ne s'était jamais arrêtée sur la place que prenaient ses amis dans sa misérable vie. Pourtant, c'était bien eux qui prenaient la plus grande. La famille lui importait peu maintenant, mais ses amis avaient toujours été là en cas de besoin. Sans eux, elle n'aurait jamais pu avancer aussi loin, et aurait abandonné depuis longtemps. Même si aujourd'hui, elle venait de perdre beaucoup, jamais elle ne voudrait perdre ses amis, jamais elle ne voudrait perdre Brasier Glacial ou Museau Bleu. Pour rien au monde elle ne les échangerait. Sans eux elle serait actuellement au fond du gouffre, coincée et sans tenter la moindre chose pour remonter.

« Tu as raison. » d'ailleurs tu as bien plus raison que moi, souvent. Se dit-elle. « Sans toi ou les autres je ne sais pas où je serais à l'heure actuelle. » Surement encore en train de pleurer, toute seule quelque part. Ou dans une merde pas possible, éventuellement. «  Alors rien que pour vous remercier, je vais tout faire pour qu'enfin les autres soient vraiment fier de moi. Je ne dois plus me laisser aller de la sorte. Je sais que j'ai des alliés formidables. » Elle ronronna avant de sourire à son ami. Elle avait beaucoup de chance de les avoir.

Douce Orchidée m'apparut pensive pendant quelques instants. Je respectai son temps de réflexion, gardant le silence et un regard qui se voulait sympathique, ou empathique. Dans une période si troublée, toute sorte de pensée pouvaient se bousculer dans sa tête. Je n'enviais pas sa place, mais si je pouvais y faire quelque chose, alors ce serait déjà une petite réussite pour moi.

"Tu as raison." dit-elle finalement, redressant un peu la tête. J'en profitai pour établir le contact visuel à nouveau. "Sans toi ou les autres je ne sais pas où je serais à l'heure actuelle." Tu serais au même endroit qu'aujourd'hui. J'avais vraiment l'impression qu'elle ne se rendait pas compte de ses qualités, de ses forces. Douce Orchidée manquait vraiment de confiance en elle après tout ce qui s'était passé, mais à mes yeux il était clair qu'elle était bien plus forte qu'elle ne le croyait.

"Alors rien que pour vous remercier, je vais tout faire pour qu'enfin les autres soient vraiment fier de moi. Je ne dois plus me laisser aller de la sorte. Je sais que j'ai des alliés formidables."

Voilà l'état d'esprit de la Douce Orchidée que je connaissais, que j'appréciais tant. J'eus la chance de la voir sourire pour la première fois depuis quelque temps. Plus que ça, je l'entendis ronronner. Instinctivement, je fis de même, heureux de la voir se reprendre malgré tous les malheurs récents.

"Content de te l'entendre dire... Et le sourire, ça te va mieux."

Plus le temps passait, plus je me rendais compte de l'attachement que j'avais maintenant à l'ancienne lieutenante. Nous avions commencé comme simple duo de chasseurs, guerrier et lieutenant, deux chats bien différents mais performants ensemble. Mais à force d'essayer, Douce Orchidée avait su passer outre mes barrières. Et même si j'en étais étonné, je ne le regrettais en rien. Je l'avais accepté, je l'avais laissée faire. Maintenant, elle était devenue tout aussi importante à mes yeux, en tant que félin du Clan le plus proche de moi, émotionnellement parlant. Et peut-être en tant qu'un peu plus que ça... Quoi qu'il en soit, son bonheur, son bien-être, étaient une de mes priorités maintenant. Quand elle n'allait pas bien, ça m'affectait aussi, même si personne ne le voyait. Alors la voir sourire, ronronner malgré tout ce qui se passe dans le Clan, la mort du chef, sa démission et bien plus, c'était inestimable.

La guerrière ne cessait de passer en revue le camp du regard, les uns et les autres faisaient des allers-retours pour aller dire au revoir à leur ancien chef une dernière fois. Les prochains jours allaient être riches en rebondissant, Ecaille d'Or allait rapidement recevoir ses neuf vies, une femelle allait devenir meneuse pour le plus grand bonheur de Douce Orchidée. Au fur et à mesure que les minutes passaient, les regrets et mauvaises pensées de l'ancienne lieutenante s'estompaient peu à peu. Elle aurait peut-être dû aller féliciter la rouquine, finalement. Au lieu d'aller pleurer dans son coin. C'est promis, elle irait la voir dès que possible. Le ronronnement de son ami la sortit de ses pensées. Elle ferait mieux de penser à l'instant présent plutôt que de penser à demain.

« Content de te l'entendre dire... Et le sourire, ça te va mieux. »

Surprise et un peu gênée par les paroles du rouquin, Douce Orchidée sourit de nouveau avant de rougir légèrement. C'était la première fois qu'on lui disait ce genre de choses. Elle le savait bien, elle n'était pas la plus souriante du clan, ou la plus gentille avec ceux qu'elle connaissait peu. Mais pourtant elle réalisait à quel point elle était différente avec les personnes qu'elle aimait vraiment. Il fallait qu'elle change, pour les autres et pour Brasier Glacial qui était maintenant toujours à ses côtés dans les bons comme les pires moments. C'était sans doute ce qui la motivait le plus.

« Alors je ferais en sorte de sourire plus souvent, maintenant. » s'exclama-t-elle en ronronnant. « C'est un peu comme un nouveau départ. » Et ça l'était.

Douce Orchidée eut subitement l'air un peu gênée. En tant que lieutenant, et même sans ce rôle, elle n'avait pas dû entendre ce genre de compliment bien souvent. Pour être honnête, je ne disais pas de telles choses bien souvent non plus, et moi-même je rougissais un peu sous mon pelage - d'où l'avantage d'être un rouquin. Douce Orchidée compte pour moi. Est-ce vraiment si difficile à admettre ? Elle finit par me répondre, ronronnant de plus belle :

"Alors je ferais en sorte de sourire plus souvent, maintenant. C'est un peu comme un nouveau départ."

Je ronronnai légèrement, souriant. Un nouveau départ, pourquoi pas, et cette fois-ci je serai là pendant toute l'histoire. Ça me rendait déjà très heureux de l'avoir aidée à se reprendre en quelques minutes à peine. Son bien-être faisait le mien, au moins en partie. L'humeur était maintenant bien meilleure, et selon moi bien plus adaptée à la situation. La mort du chef ou de n'importe quel membre du Clan, oui c'était un évènement triste, mais je trouvais qu'on honorait bien plus leur mémoire en continuant à vivre, à se remémorer des souvenirs avec eux plutôt qu'en se lamentant sur leur disparition. Je ne dis pas que la mort est quelque chose de joyeux en soi, simplement qu'il n'appartient qu'à nous de la rendre triste ou douce. Là, dans l'instant, je comptais bien profiter de la hausse d'humeur de Douce Orchidée.

"Un nouveau départ, tu dis ? Alors pourquoi pas tout reprendre depuis le début ?" Je lui souris gentiment, avec une expression plus prononcée qu'à mon habitude. Je la connaissais bien maintenant, bien plus qu'à notre première vraie rencontre. Mais pourquoi pas rejouer la scène ? En la regardant de face, bien dans les yeux - les miens peut-être légèrement brillants -, je lui demandai :

"Me ferais-tu l'honneur de venir chasser avec moi aujourd'hui ?"