[LP] Pfeuh, fait l'émeraude qui boude - end

Les jours passaient et se ressemblaient étrangement, depuis l'enlèvement. La grande gueule du rouquin restait anormalement fermée par la culpabilité, et ses pensées, noires, muettes. Tout sourire en public était déplacé, et Mat demeurait fermement convaincu que personne, dans le Clan de la Rivière, n'avait besoin, ni même envie, de connaître le moindre élément susceptible de décrire ses préoccupations réelles. Les rares membres du Clan à ne pas isoler les niais comme lui n'étaient en fait que ses semblables, qui en avaient tellement lourd sur la conscience qu'ils ne voyaient en lui rien d'autre qu'un abruti dérisoire, un de plus.

Pourquoi les gens ne prennent-ils jamais conscience de rien avant les drames ? Pensait le rouquin, qui se savait n'être qu'un chat comme un autre.

Les autres préféraient se sentir tous propres et tous parfaits. Matin Embrasé espérait vaguement que cela leur donnerait du courage, à eux. A lui, cela n'inspirait que des images bien pessimistes. Si l'on ne s'entre-déchirait pas encore réellement entre guerriers, il avait l'impression qu'à chaque minute qui passait, le cercle de camaraderie se réduisait peu à peu. Il avait peur que les jeunes ne retrouvent de leur ancienne fraternité rien d'autre que des cendres. Lui qui avait très rapidement méprisé la politique absurde du Corbeau, lui qui avait cru, en le voyant remplacé, en un véritable changement, il lui semblait désormais que son Clan, à l'image de sa vie, était à peu près tombé à son point le plus bas, et creusait toujours, comme pour battre les records.

Il rentra de sa patrouille bredouille, après avoir fait fuir un poisson dont la taille respectable aurait été bienvenue. Mat ne comptait plus ses rondes silencieuses. La seule chose qu'il était encore bon à faire, et encore, il chassait bien mal. On lui avait accordé une apprentie à qui transmettre quelque chose, elle était morte. Une sœur aux côtés de qui il avait pu rire, beaucoup, et elle aussi était morte. Deux chatons adorables, le temps d'une promenade, et il n'avait pu en remmener qu'une, non sans l'avoir séparée de son frère adorable.

C'était comme ça. Nonchalant, il voulut jeter un coup d’œil sur le tas de gibier, pour savoir s'il pouvait aller dormir ou s'il fallait plutôt trouver à manger pour ces vieux, ces reines, ces petits qu'il n'avait plus le droit de voir. Il était presque un étranger, chez lui. Quand il rejoignit le camp, une boule de poils orange le héla. Vision qui suscitait un poil de rêverie, chez un mâle comme lui qui n'avait jamais eu ses chatons. Mais en même temps, cette image lui rappelait le jour assez triste où il s'était fait cette réflexion pour la première fois.

« Ah, on t'a toujours pas jeté du haut des falaises, toi ? Y'a vraiment des crimes qui se perdent, ici. »

Il s'arrêta dans sa marche un instant. Oui, c'était bien elle, qui lui parlait comme ça. Il ne sut pas tellement quoi penser, puis supposa que c'était la seule chose qu'une petite comme elle pouvait faire pour tenter de vider sa colère. Il savait que si personne ne l'arrêtait, elle se finirait sûrement par se faire du mal toute seule. Mais il savait encore plus que s'il feignait seulement de regarder l'ombre d'un chaton, ce serait le scandale. En d'autres temps, il se serait arrangé pour faire rebondir tout ça avec des mots. Du vent.

« Fais gaffe, petite. J'suis très méchant, moi. » marmonna-t-il. Sans conviction, sans intensité, sans même un regard. Au mieux, elle croirait qu'il n'était rien d'autre qu'un type inintéressant qui ne méritait pas un coup d’œil. Au pire, elle devinerait son intention. Le cœur serré, il réalisait à quel point il adorait les petits lorsqu'ils faisaient preuve d'une curieuse sagesse, au sein même de leurs conneries. Mais ce serait probablement l'un des aveux les plus scandaleux qu'il pouvait faire, après avoir privé Eau Turquoise de Petit Blaireau.

Poursuivant son chemin, il observa le tas de gibier. Satisfaisant. Il pourrait même s'y servir. Il avait besoin de conserver un peu de forces, s'il voulait un jour retrouver et reprendre le Blaireau. Manger, puis dormir. Rien de plus simple.

Le membre 'Matin Embrasé' a effectué l'action suivante : Don des étoiles

---

'Chasse Rivière' :

« Si c'est tout ce que t'as trouvé à dire pour défendre Petit Blaireau, je ne suis pas étonnée que les Lunar Pod aient osé nous le prendre. » répondit-elle.

La pauvre chérie avait envie qu'on lui réponde, elle avait besoin qu'on la rassure. C'était tellement évident qu'il ne comprenait pas comment c'était possible. Plusieurs jours, et personne ne semblait s'être correctement occupé d'elle. Pour sa part, le rouquin était tout à fait impuissant. Il avait déjà fait une promesse à une mère, une promesse bien lourde qu'il avait bien dû lui faire. De toute évidence, elle n'avait eu aucun effet. Du vent. Eau Turquoise, s'était effondrée sur les derniers chatons qu'il lui restait au lieu de les porter. Il ne pouvait pas la blâmer, c'était bien sa faute.

Mais il ne pouvait pas non plus rassurer la petite. Enfin, matériellement, il était certain d'en être capable, mais au risque de se retrouver à tout jamais hanté par un nouveau regard. Mat se sentait lâche de se taire pour cette raison, mais après tout, s'il devait tout faire pour retrouver Petit Blaireau, ne devait-il pas renoncer à un certain orgueil qui risquerait de lui faire franchir les limites au delà desquelles sa fragilité l'empêcherait de... de simplement agir. Il tenta de ricaner, comme si la petiote venait de dire quelque chose de drôle, et avança, sans la regarder, vers le tas de gibier.

Mais elle s'interposa. Leurs regards se croisèrent. Flûte ! Adorable, désespérée, misérable, malheureuse petite. Trop sentimental, il savait qu'il se souviendrait. C'était presque l'effet que lui avait fait Nuage de Pluie, autrefois. Mais non... non... Personne ne menacerait jamais les beaux yeux verts de cette gamine !

« J'ose espérer que tu ne vas pas MANGER comme si de rien n'était ! Tu devrais être interdit de repos, de nourriture et de compagnie tant que ta bêtise n'aura pas été rattrapée !
- Ta voix me repose, tu sais ? C'est sympa de m'offrir ta compagnie. Je vais même abuser et piquer un morceau de ta truite. » tenta-t-il de la piquer. Son métier de clown refaisait bien pâlement surface. Mais il était perturbé. Il se demandait si ce qu'il faisait aidait vraiment la petite. Il avait peur, parce qu'il était sûr que tout cela se finirait par des pleurs. Et rien ne hantait mieux l'âme de ce rouquin-ci que les pleurs. Il tourna la tête, par réflexe, vers Perche Farouche, qui mangeait, elle aussi. Qui l'ignorait.

Matin Embrasé ferma les yeux, comme souvent quand il se sentait dépassé. Il retrouva à l'odeur la fameuse truite qu'il avait montrée à la petite, et commença à la gratter avec ses crocs, pour l'ouvrir. Il avait l'habitude d'ouvrir les poissons en deux pour les manger de l'intérieur, c'était beaucoup plus rapide que de gratter les écailles, et si l'on devait s'encombrer d’arêtes, au moins ne laissaient-elles pas un sale goût.

« Tu ferais sans doute mieux d'écouter les grands, quand ils te disent de ne pas venir me voir. » lança-t-il entre deux bouchées à la petite qui ne le lâchait pas. « Tu as faim ? Si ça se trouve, je ne vais rien laisser de ta truite... »

Il aurait bien aimé qu'elle lui reproche d'être un voleur, pour changer. Rien ne serait plus simple, alors, que de lui tendre ce qui restait et de la laisser seule manger, exposée à tous les regards. Et de dormir... Le rythme de ses rondes était infernal. Déjà parce que la surveillance des terres était renforcée comme jamais en ces temps dangereux, et aussi parce qu'il voulait retrouver la bonne piste. Tout cela était si fatigant...

« Tu devrais savoir que j'écoute pas ce qu'on me dit » lança-t-elle, d'un seul coup. Il faillit, en mangeant, s'étouffer de rire, tant le ton fier de la petite avait quelque chose de merveilleux, d'insolent, de déplacé. Une vraie perle de niaiserie et de caractère, tout ce qui lui manquait de sa jeunesse de casse-cou prêt à faire tout, et surtout n'importe quoi, pour obtenir ce qu'il voulait, ou plus généralement, un peu d'autosatisfaction. Juste ce qu'il fallait pour compenser les blâmes et les crachats. Et il avait résisté si longtemps ! Et avec tant de foi et de beaux rêves insensés !

Une étincelle de bonheur lui fit fermer les yeux : il n'avait pas le droit d'en trahir quoi que ce soit. Il fallait qu'il soit une coquille vide. Et ce fut avec un ton légèrement moins rebelle que la petite reprit, pour une coquille vide :

« Et d'ailleurs... Ça n'est pas près de changer. Toi et moi, on va sortir du camp. On va aller chercher Petit Blaireau. Tu vas m'emmener là où ont disparu les ennemis. Je suis sûre que je suis bien plus capable que tout ce Clan qui ne se bouge pas. »

Il ne craignit plus d'ouvrir les yeux, l'étincelle n'était plus là. Pas plus que le regret, d'ailleurs. Non, c'était ni plus ni moins un regard protecteur qu'il essayait d'avoir, et même rassurant. Pas en direction de la petite, non, mais plutôt vers ceux qui, tout autour d'eux, auraient pu tourner leur oreille brusquement en entendant le plan de l'Émeraude.

Pas un ne réagit, mais quelques-uns regardaient Matin Embrasé, ou bien pour l'avertir, muets, ou bien pour ne rien manquer de ce qu'il allait répondre, jubilants à l'idée de trouver une bonne raison de le dénoncer auprès du chef. Ces deuxièmes regards n'étaient pas nombreux, mais ils étaient présents, dans la cervelle fatiguée de Mat. Aussi le rouquin, qui n'avait toujours pas répondu à la petite, eut-il tout d'abord une moue dégoûtée, et s'exclama, très gras, très théâtral : " Allez tous vous faire enculer ! ".

Il ne riait pas vraiment, mais cela sembla détendre l'atmosphère, globalement. Avec un signe de tête revêche destiné à la gamine, pour qu'elle n'hésite pas à le suivre, il s'éloigna de cette bande de curieux, laissant un quart de truite correctement épluché par terre. Quelque chaton saurait apprécier le cadeau. Et il avança, sans un mot, près du saule pleureur où avaient lieu les assemblées, qui était désert à cette heure, car chacun savait en principe ce qu'il avait à faire.

" T'es qui, au juste, toi ? " demanda-t-il à la petite. La fatigue le rendait un peu bourru. " Eh bien j'vais te faire une proposition très sérieuse : tu me montres comme tu te bats. Si t'es assez forte, je t'embauche pour qu'on aille récupérer Blaireau tous les deux. Et si t'es pas assez forte, j'irai demander à un de ces guerriers qui ne se bougent pas. " Il feignait le ton le plus sérieux du monde. Ce qu'il voulait, c'était montrer à la petite à quel point les Lunar Pods n'étaient pas des rigolos chez qui on pouvait se permettre d'aller comme ça. Mais dans le fond, il savait très bien qu'il n'avait ni autorité pour mener un guerrier nulle part, ni le droit de faire sortir un chaton du camp. Enfin, surtout pas à ce moment-là.

" Vas-y, petite, mord-moi la patte, te gêne pas ! J'espère que t'as pas peur ! " la provoqua le rouquin, avec un regard moqueur, mais maîtrisé. Il faisait preuve d'un sang-froid qu'il ne se connaissait pas. D'ordinaire, ce genre de jeu, il le faisait sans le moindre sérieux, pour simplement s'amuser avec un chaton. C'était d'ailleurs un miracle qu'il ne l'ait pas proposé à Petit Blaireau. Mais là, il devinait comment il pourrait agencer la chose.

Spoiler:

« Dis, Matin Embrasé, ça veut dire quoi "se faire enculer" ? » répondit la petite, ce qui transformait l'espèce d'enthousiaste détermination du rouquin en une admiration vaguement amusée. Les chatons trouvaient toujours le moyen de marcher à côté du chemin qu'on préparait pour eux. Ils avaient un côté surprenant et déconcertant que même le meilleur comédien du monde était incapable de reproduire.

Et Matin Embrasé n'était, lui, qu'un mauvais clown. Néanmoins, il était assez bon orateur pour savoir qu'une réponse évasive générait souvent plus de questions qu'un mensonge habile : " Ça veut dire manger un goujon pas très frais et s'étouffer avec. " rétorqua-t-il, le plus naturellement du monde.

" Mais dis donc, t'as la frousse ou quoi ? Tu sais, moi, les Lunar Pods n'ont eu aucun mal à me piétiner ou à réduire le chef en purée. Alors pour une GRAAAANDE guerrière comme toi, me battre devrait être un jeu. " reprit-il, faussement naïf. Il essayait de faire comme s'il croyait vraiment à ce que lui avait appris ce chaton si sage et si avisé quelques instants auparavant. " Parce que toi, tu n'aurais aucun mal à les enculer, ces enculés de Lunar Pods ! " ajouta-t-il, vaguement complice.

Loin de lui l'idée de surcharger de travail les reines du Clan de la Rivière, mais puisque de toute façon, la question gênante avait été posée, il était trop tard pour faire marche arrière... Le rouquin connaissait un peu les chatons. Bref, autant s'amuser un peu, comme on le pouvait. Et puis après tout, si on venait critiquer sa façon de s'occuper des petits, il pouvait sans mal clamer son innocence. Pour une fois, le vrai coupable n'était pas lui, mais la mère de cette petite qui n'était pas là pour s'occuper d'elle.