[LP] Magicarpe utilise trempette - C'est inefficace... Ft. Merle -end

Petite Émeraude avait enfoui en elle ses sentiments depuis tant de temps qu'ils s'étaient accumulés - tristesse, impatience, colère, inquiétude - et avaient fini par former un nœud dans son estomac, et un autre dans son esprit. Le premier lui avait ôté la faim et l'envie de s'amuser ; le second la rendait folle de rage à mesure que le temps passait et qu'elle sentait une énergie malsaine grandir en elle, de laquelle elle ne savait pas comment se défaire. Il lui fallait faire quelque chose... Mais quoi ? Elle n'était plus qu'une machine dictée par des instincts primitifs qu'elle ne connaissait pas et qu'on ne lui avait jamais expliqués ; elle se laissait guider tel un petit robot incapable de penser et de réfléchir.
En réalité, elle avait besoin de se défouler. Elle avait besoin de se décharger de toute cette énergie négative qui la pourrissait, elle avait besoin de se vider et de repartir sur des bases saines. Ce dont elle avait besoin, c'était d'un combat ; et pas ces jeux de chatons, mais bel et bien une vraie bagarre, là où les griffes et les crocs ne sont pas en mousse, là où le sang coule pour de vrai. Les événements de ces dernières lunes avaient peu à peu transformés la petite rouquine en une machine à combattre ; du moins avait-elle l'envie, mais pas les capacités a priori.
Seulement, la chatonne de quatre lunes ne savait pas mettre de mot sur cette envie profonde et animale en elle. Elle tournait en cage tel un lion attendant sa liberté ; elle attendait quelque chose, mais ne savait pas quoi.

Lorsqu'elle vit Nuage de Merle, cet ancien chaton qu'elle avait autrefois vénéré, se faufiler dans la pouponnière avec un air espiègle et malin qu'elle lui détestait, elle l'avait automatiquement suivi, sans comprendre que son corps était devenu maître de son esprit, et non plus l'inverse. Les éléments venaient de s'inverser.
Elle s'était retrouvée dans la pouponnière, derrière lui, seule avec lui, et lorsqu'il s'était retourné avec cet air mauvais qu'il lui avait toujours lancé, sa bouille à elle affichait un terrible faciès : un mélange affreux de toutes ces émotions qui la hantaient depuis des lunes, la tristesse, la peine, l'inquiétude, mais surtout l'impatience, l'envie de se venger, la colère, la fureur. Nuage de Merle, en l'observant, dut comprendre rapidement ce qui se préparait ; Petite Émeraude, elle, ne le savait pas, même lorsqu'elle se rua sur l'apprenti noir, griffes au-dehors.

Nuage de Merle évita agilement l'attaque : Petite Émeraude sentit simplement le bout de son pelage lui caresser les coussinets tandis qu'elle plongeait à côté de lui, se réceptionnant très maladroitement sur le sol poussiéreux de la pouponnière. Elle éternua deux fois, son museau étant rempli de poussière, puis se releva et se retourna avec vivacité, faisant à nouveau face à son adversaire.
Tiens donc... Petite Émeraude... Tu m’as pris pour une proie où j’ai rêvé ? Si tu veux un adversaire à ta taille va plutôt chercher des boules de mousse. Je risquerais de te faire très mal sinon. Petite Émeraude sentit sa mâchoire se contracter tandis qu'elle encaissait la provocation de l'apprenti au poil de jais. Sa menace de lui infliger de terribles blessures lui passait au-dessus : elle n'avait pas peur, ni de se battre contre lui, ni de devoir encaisser les coups. Il était simple pour elle de ne pas s'imaginer l'insupportable que pouvait être la douleur physique : elle n'avait jamais eu à souffrir de blessures, si ce n'est quelques épines plantées dans un coussinet. C'était davantage l'histoire des boules de mousse qui l'agaçait au plus haut point. C'était une provocation, encore une de la part du mâle, qui était l'arrogance même ; et Petite Émeraude n'en pouvait plus de son petit air suffisant, supérieur ; et elle avait besoin de se défouler, alors toute raison était bonne pour trouver tous les défauts du monde à Nuage de Merle, et toutes les justifications au combat qui se profilait.

« Je ne cherche pas un adversaire à ma taille, sinon je ne serais pas venu te chercher ! » répliqua-t-elle, insinuant que Nuage de Merle était plutôt dans le camp des plus faibles qu'elle. « C'est toi qui salueras les boules de mousse lorsque je te ferai manger la poussière ! » continua-t-elle en sautant à nouveau sur l'apprenti, toutes griffes dehors.

Cette fois-ci, elle ne loupa pas son assaut et arriva à s'agripper aux flancs du novice. Elle y planta ses griffes de toutes ses forces et, à l'aide de sa mâchoire, réussit tant bien que mal à se hisser sur son dos, lui infligeant par la même occasion des griffures peu profondes, mais douloureuses et à vif. Une fois bien agrippée sur le dos de Nuage de Merle, elle entreprit de lui donner des coups de griffes et de crocs, dans le vide et sans contrôler ce qu'elle faisait. Elle n'avait jamais vraiment eu d'entraînement au combat, et les jeux entre chatons s'avéraient finalement très inutiles face à un vrai combat. Cela dit, elle réussit plusieurs fois à sentir la chair de son adversaire dans sa gueule, sous ses griffes, et elle sentit le goût du sang se répandre dans son gosier.
Tandis qu'elle s'affairait à faire le plus de dégâts possible dans un bazar et une indiscipline sans nom, elle grondait, les oreilles plaquées contre sa nuque et la queue hérissée, tout comme le reste de son pelage flamboyant. Au bout d'un moment, trop enfermée dans ses attaques maladroites et sans technique, elle dégringola du dos de Nuage de Merle et tomba au sol, sur le flanc, dans un bruit sourd. Sous le choc, elle sentit sa respiration se couper et elle mit plusieurs secondes à respirer à nouveau normalement et à se relever. Elle fixait Nuage de Merle avec des yeux injectés de sang, attendant la suite, prête à combattre, indifférente à la petite voix en elle qui lui criait qu'elle faisait une erreur et qu'elle le regretterait très vite.

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Petite Émeraude sentit les crocs de son adversaire se refermer avec force sur sa nuque. Elle laissa échapper un cri de douleur tandis qu'elle se sentait valser à droite et à gauche, traîner au sol, jusqu'à ce que Nuage de Merle l'envoie se fracasser contre l'une des parois de la pouponnière. La chatonne se releva, tituba plusieurs fois, sentant ses forces quitter son corps, respirant l'odeur de son sang, crachant les morceaux de verdure qu'elle avait avalés en se cognant contre le mur végétal. Elle se sentait faible, très faible, et une intuition lui chuchotait à l'oreille que quelle que soit la bonne volonté qu'elle y mettait, elle ne faisait pas le poids contre l'apprenti. Après tout, elle ne l'avait pas vénéré pendant plusieurs lunes pour rien ! Il était fort, terriblement bête, mais surtout très fort. Petite Émeraude, elle, promettait aussi un bel avenir de guerrière, mais elle n'était pour l'instant qu'un chaton. L'heure de battre Nuage de Merle n'était probablement pas arrivée...
Mais, si elle se doutait de l'issue du combat, elle n'était pas prête pour autant à abandonner pour l'instant. Alors, après avoir laissé à ses membres le répit de trembler pendant plusieurs secondes, elle se redressa finalement, avec un air fier et arrogant sur sa bouille rousse.

Si tu as cru que j’allais avoir de la pitié, tu t’es lourdement trompée. Gamine. Petite Émeraude cracha, laissant s'échapper quelques gouttes de sang de sa gueule, et s'approcha de Nuage de Merle avec l'air aussi menaçant dont une chatonne était capable.

« J'ai pas besoin de ta pitié » dit-elle, les yeux noirs. « J'en ai déjà trop pour toi ! »

Elle se remit en position d'attaque et cette fois, consciente de sa petitesse par rapport à Nuage de Merle, elle décida de s'attaquer à ce qui était à sa hauteur : les pattes, le bas des flancs, le ventre, le poitrail. Elle ne chercha pas à sauter sur son adversaire, mais au contraire, elle se plaqua au sol et se chercha un chemin vers son ventre. Une fois qu'elle se pensa en bonne position, elle recommença à donner des coups de pattes à tort et à travers, espérant réussir à déchiqueter quelques morceaux de chair par-ci par-là. Elle manquait indéniablement de technique et de discipline, ce qui rendait la majorité de ses attaques vaines, et surtout, ce qui lui faisait perdre de la force à s'échiner dans le vide. Cependant, elle réussit à donner quelques jolis coups à Nuage de Merle, à l'aveugle, les yeux fermés, la mâchoire contractée, essayant d'échapper à ses propres blessures qui, si elles étaient superficielles, la lançaient terriblement : c'était la première fois que Petite Émeraude faisait face à la douleur physique, et elle se sentait vaciller.
Mais elle tenait bon. Pour l'instant. Tout était dans la tête. Si elle sentait qu'elle ne pouvait pas gagner ce combat dans l'immédiat, elle avait au moins l'ambition de prouver à Nuage de Merle qu'elle avait les moyens de devenir une grande guerrière, et que le jour venu, il aurait à se méfier d'elle.

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