Tu es qui, toi ? | ft Feuille de Houx -end

Au cœur de la pouponnière, une féline bicolore sur la fourrure de laquelle jouaient le noir et le blanc dormait, serrant contre son flanc quatre petits: deux lui ressemblaient, des filles, jolies, avec plus ou moins d'ombre et de lumière sur la pelisse, tandis que les deux autres chatons, des jumeaux, un mâle un peu pataud qui promettait d'être grand et puissant, l'air gentiment balourd et innocent, ainsi endormi, et une femelle minuscule, très fine, à l'air naïf et à la sensibilité enfantine, se serraient l'un contre l'autre. Petit Mimosa avait toujours eu tendance à se servir de son frère - le seul garçon de la portée - comme peluche, et Petit Aulne la protégeait avec tendresse. Un joli tableau de nuit... Les couleurs se mêlaient, les rayures aux taches, le brun au blanc, au noir, malgré les paupières closes sur des prunelles d'émeraude ou d'ambre. Pour autant, une des enfants rouvrit bientôt les yeux avec un petit miaulement de protestation en sentant la patte de sa sœur lui heurter le flanc sans douceur, la tirant de ses rêves et de l'immense plaine fleurie traversée d'un cours d'eau qu'elle voulait explorer. Elle pouvait encore ressentir la douce caresse du vent sur son corps, avant que Petite Violette ne la heurte ! Mais même en refermant les yeux et en blottissant un peu plus dans le nid contre leur maman et sa fratrie de petites fleurs constellations, Petit Mimosa n'arrivait pas à retrouver le sommeil, et la petite chatte brune aux fines rayures plus foncées se leva bientôt, ses yeux d'or s'ouvrant peu à peu, pour quitter la douce étreinte pour le monde du dehors - elle ne voulait pas gêner ses frère et sœurs. Et puis - ses yeux se mirent à scintiller à cette pensée - c'était toujours l'occasion d'explorer ou d'approcher les grands!

À petits pas bondissants, agiles et légers, emplis de gaieté, la minuscule féline sortit de la pouponnière, et s'installa juste devant pour observer le ballet incessant des occupations du camp, alors que le soleil qui se levait parait les nuées de mille couleurs: guerriers sapins, patrouilles, combats, chasse, entraînement, lieutenante soleil. La sensible fillette, submergée d'affection pour son Clan, eut un ronron, puis releva à nouveau la tête. C'était tellement joli le ciel! Moi aussi je veux devenir une nuage... songea l'enfant, qui contempla du même coup, songeuse, la tanière du guérisseur. Guerrière... Ou guérisseuse. Oui, guérisseuse. Petit Mimosa tenta d'imaginer, laissant venir jusqu'à elle les fragrances d'une plante que rangeait Esprit Soucieux, puis se mit à lécher sa fourrure pour la lisser, faisant sa toilette et tâchant de discipliner sa fourrure vaporeuse et douce, la nettoyant, la laissant briller. C'était bien, en fait, se lever tôt! Elle pourrait toujours retourner faire la sieste après, dans un coin frais, puisque les jours se réchauffaient. Relevant la tête et voyant un guerrier un peu plus loin, prenant une proie, elle coula un regard léger derrière elle, vers les autres petits, ses frère et sœurs mais aussi Petit Cerisier contre le flanc d'Éclat d'If, une autre reine. Le petit mâle était gentil, doux, réservé, et elle l'aimait bien. Elle les aimait tous beaucoup. Mais elle aurait toujours le temps de faire plein de câlins après. À Lys, et Violette, et Aulne, et maman Papillon de Lune, et papa Étoile Maudite, et à Cerise aussi, tiens! Pour l'instant... Elle s'approcha de l'adulte repéré, qui s'installait pour manger, assurée sur ses petites pattes pourtant tellement fines, et demanda, d'une petite voix mélodieuse, claire et enfantine:

« Je peux manger avec toi ? »

Spoiler:

Mimosa, déconcertée, légèrement inquiète et amusée tout à la fois, avait observé le grand tousser un peu et chercher son souffle, l'ayant fait sursauter. Elle l'avait surpris, s'en voulant légèrement, et ne voulait pas qu'il s'étouffe par sa faute ! Mais, dans le même temps, c'était un peu drôle de voir ce guerrier se laisser avoir par une toute petite fille.Et puis, il s'était redressé, ce grand félin que la chatonne avait déjà vu quelquefois avec Papillon de Lune - c'était quoi son nom déjà ? La brunette aux prunelles d'or s'en voulait d'avoir oublié. C'était une feuille, non ? Toute contente, elle étira les centimètres de sa taille au maximum et se redressa légèrement, osant lever la tête et esquisser un sourire quand le matou miaula, gentiment, une permission.

« Si tu as faim, tu peux finir ! »

Il poussa du bout de la patte la musaraigne vers elle, et la petite fleur examina quelques secondes la proie entamée des yeux avant de mordre timidement près de l'endroit où il avait déjà planté les crocs - c'était moins difficile pour entamer la peau. Parce que maman disait qu'en cette saison les proies étaient coriaces - ouf, ce serait pas toujours aussi difficile manger - et elle manquait encore un peu de force, avec ses toutes petites mâchoires aux crocs pointus et minuscules. Comme ses bouchées, d'ailleurs. Mais elle espérait qu'elle ne s'en sortait pas trop mal ? Elle se rappela du même coup du nom de celui qui l'avait acceptée auprès de lui, tandis qu'elle pensait qu'elle détesterait le décevoir (déjà qu'elle ne valait, à ses propres yeux, pas grand-chose !); son nom, c'était Feuille de Houx. Mais lui, il la connaissait ou pas? Préférant être polie, elle avala une petite bouchée et souffla:

« Moi, c'est Petit Mimosa ! »

Peut-être qu'il lui poserait des questions, après ? Ou qu'elle, elle pourrait poser les siennes... C'était bien de parler aux grands. On pouvait leur demander plein de choses, et on apprenait beaucoup ! Curieuse, la petite fleur dorée posait souvent des questions, sur plein de sujets différents. La famille, le code, les amis, les plantes, les tactiques de chasse, de combat, le quotidien, l'entraînement, les proies, les Assemblées, les étoiles, les blessures et les cicatrices, et surtout, comment, comment c'était dehors. Il y avait tellement à découvrir...

« Wouaah ! »

Le grand monsieur que Mimosa avait approché avait laissé échapper cette réaction, qu'elle préféra considérer comme la reconnaissance à la fois de sa réussite pour manger - quoique avec difficulté - et de sa présentation de grande. Elle était polie, elle ! Tous les chatons le faisaient pas tout le temps, et certains guerriers étaient tout ronchons après. Mais le grand sapin là, il semblait content. Et un peu amusé aussi. La brunette aux yeux d'or esquissa un tout petit sourire timide. Et puis il posait une question, silhouette à la pelisse toute douce et belle, d'un gris uni, avec de grands yeux verts. Heureusement que la petite s'était chargée de nettoyer aussi sa fourrure à elle !

« Et tu sais qui je suis, hein ? »
« Feuille de Houx... » répondit-elle avec une douceur enfantine, hésitant légèrement pour la suite mais complétant avec enthousiasme. « Tu viens voir maman parfois-souvent parce que c'est la famille ! »

Pour une chatonne, malgré tout, elle restait plutôt calme, parce que peut-être que le grand sapin il voudrait pas lui parler si elle était pas sage ? Et elle avait pas envie d'être toute seule, elle ! Elle voulait lui poser plein de questions, et puis répondre, et puis peut-être jouer ou écouter des histoires. Il était guerrier, lui, alors il devait être fort fort fort ! Peut-être qu'il saurait la conseiller pour si elle devenait guerrière, concernant la manière de compenser sa force ? Elle avait un peu grandi, pousserait encore, mais même éclose, ses pattes resteraient fines. Elle avait pas vraiment la carrure pour se battre... Cela pensé, la voix de l'adulte la ramena à la réalité après qu'il n'ait lancé un regard à un apprenti - le sien, sans doute. Elle posa aussi ses petits yeux soleil sur le novice : lui elle le connaissait, c'était Patte Gelé - enfin, il était Nuage maintenant.

« Tu te souviens un peu de Patte Gelée, de Patte Nerveuse et de Petit Léopard, hein ? »

Il semblait curieux, et elle, elle hésitait. Oui elle se souvenait mais c'était tout flou tout vague tout petit, parce qu'ils étaient partis vite. Elle leur parlait pas beaucoup, ils étaient déjà grands pour elle... Mais ils avaient été à la pouponnière, ça elle s'en rappelait, parce qu'elle avait posé plein de questions sur tous les gens. Et Léo il avait l'air gentil. Gel aussi. Nerveuse, elle tremblait souvent. C'était facile de la surprendre, mais ça lui faisait peur. Mimosa opina gentiment et souffla, curieuse et innocente:

« Oui, mais pas beaucoup... C'est qui exactement pour nous, Gelé et Léo et Nerveuse ? Et où elle est ? »

C'est vrai ça. De tous les grands, elle pensait que Nerv' reviendrait se réfugier avec elle et Lys à la pouponnière un peu. Mais elle était pas revenue. Elle les avait oubliées ?

Feuille de Houx avait soupiré en entendant la question de Mimosa, et aussitôt, la petite brunette se sentit coupable: elle avait du faire une bêtise, à demander ça ! La fillette réservée eut une moue triste, espérant qu'il ne lui en voudrait pas, ses petites oreilles se plaquant sur son crâne en un mouvement désolé, et, peinée, comprit bientôt la réaction du guerrier - en même temps qu'elle comprenait que la grande Patte Nerveuse ne reviendrait jamais. Elle ne ronronnerait plus. Ne lui donnerait plus des coups de langue pour lui faire sa toilette devant la pouponnière. Ne la bercerait plus de son souffle. Ne jouerait plus avec elle. Ne se laisserait plus surprendre pour se mettre à trembler. Plus rien. Elle courait sur la voûte céleste à présent, et la chatonne ne pourrait pas la rejoindre d'ici un bon moment.

« Nuage Nerveux a rejoint le Clan des Étoiles, il y a une Lune. »

L'aîné de l'étrange duo, la surplombant d'une bonne tête sinon plus, brun et or contre gris et vert, enchaîna malgré tout, sans doute pour ne pas s'appesantir sur le sujet, ce que la cadette comprit, écoutant du reste avec plaisir les explications :

« Et donc Gelé et Léopard, ce sont tes tontons, comme moi ! On est les frères de ta maman et Chant des Coquelicots, ta grand-mère, c'est notre maman à nous ! Rivière Silencieuse aussi, c'est ta tata ! »

Chant des Coquelicots et Rivière Silencieuse, maman Papillon de Lune en parlait presque pas - et c'était jamais jamais positif. Mais Gelé et Léopard... Elle avait rien dit à Mimosa sur eux. Donc c'était ses copains potentiels, non ? Comme Feuille de Houx - même si lui, il voudrait peut-être pas jouer à certaines choses. Parce que c'était un grand, et puis il avait l'air très droit, très propre... Mais s'il voulait bien parler avec elle, ça allait ! Doucement, Mimosa murmura, levant ses prunelles d'or vers le ciel:

« J'espère que tata Nerveuse est bien et heureuse ! »

Puis, reprenant ses questions :

« Pourquoi que la famille elle est divisée ? Et pourquoi que Gelé et Léopard ils viennent jamais me voir ? »

Et enfin...

« Tu crois que papi il aurait réagi comment avec les disputes ? »

« J'en doute pas ! »

L'approbation de son oncle rassura Mimosa, et la petite observa Feuille de Houx avec un petit sourire face à la malice que transmettait le ton du guerrier, la faisant rire et ronronner; elle était bien, là, avec le frère de sa maman Papillon de Lune et puis leur discussion. Et puis si Nerveuse était heureuse avec les Étoiles, bah... Elle aussi, alors, la petite fleur, elle serait heureuse. Parce que c'était bien d'avoir les graines de la joie dans le cœur. Arrosées d'une pluie de tendresse et d'astres d'amour, en un bel arc-en-ciel, elles germeraient pour donner naissance aux plus belles floraisons. C'était bien, le bonheur. Et Nerveuse, si elle pouvait arrêter de trembler et davantage rire... Bah Mimosa, elle serait contente aussi ! Puis la fillette s'installa, pour écouter la réponse du plus grand.

« Oh t'en fais pas l'important c'est que... qu'on s'aime, hein ! »

Au début, ça ne semblait pas répondre à sa question. Par contre, c'était rassurant, de manière un peu maladroite. Comme un câlin un peu balourd, un peu gauche, comme par peur de briser la petite poupée de porcelaine qu'elle était. Les grands aussi ils avaient du mal à parler, parfois, alors ? Mais finalement, le mâle à la fourrure grise, aux yeux verts, avait semblé trouver les mots.

« On a beaucoup de chance je trouve, tu as un papa et une maman, deux sœurs et un frère, et nous on est là aussi, avec Nuage Gelé et Nuage du Léopard. On ne vient pas très souvent vous rendre visite mais on patrouille et on chasse exprès pour vous ! »

Mimosa opina, comprenant dans son cœur d'enfant que c'était compliqué, les histoires de grands, mais appréciant sa famille avec enthousiasme, affection et gratitude. Admiration et gaieté, aussi, parce que les patrouilles et la chasse, pour elle, ça paraissait compliqué. Elle voulut poser une question, se retint. Elle voulait toutes les réponses avant, sinon les adultes ils oubliaient ses questions, après ! Et la toute petite voix, mélodieuse mais ténue, miaulement enfantin, innocent et clair, pur comme la neige qui tombait du ciel l'hiver, n'osait pas souvent répéter. Alors elle attendait, en ouvrant grand ses yeux d'or et ses petites oreilles. Maintenant, Feuille de Houx parlait de Croc d'Ébène. Papi.

« Oh pour lui à chaque fois que des frères et des sœurs se séparent, c'est une grosse bêtise, j'en suis sûr. Mais peut-être que Maman et Rivière Silencieuse finiront par se réconcilier, un jour. »

Et il avait l'air gentil ! Mimosa se prit à espérer que, pour grand-père, ses deux filles, maman Papillon de Lune et tata Rivière Silencieuse, se remettent à parler et tout le reste, un jour. Chasser. Patrouiller. Ronronner. Et puis même ! Se séparer de ses frères et sœurs, c'était horrible !La brunette ferma les yeux une seconde pour faire un vœu, et rangea ce rêve de paix dans un petit coin de sa tête, en écoutant la suite.

« Papi nous regarde, en haut du ciel. Et beaucoup d'autres, parce qu'il avait des parents lui aussi, tout comme ... Mamie... »

Ça devait être passionnant, de parler aux Étoiles... Après tout, il y avait papi Ébène. Et tata Nerveuse. Et tous les anciens des autres Clans. Au moins, sur la voûte céleste, tout le monde était ami... C'était bien, ça ! Parce qu'il y avait pas de rivalités, dans le ciel, pas vrai ? Voyant son oncle faire un peu de toilette, la petite, par mimétisme, se donna quelques coups de langue sur la patte, la glissa derrière l'oreille, puis lissa une ou deux touffes de fourrure rebelle - la minuscule chatonne était légèrement ébouriffée. Et le moulin à paroles de reprendre. Une source infinie de douceur, d'innocence, de gaieté et de curiosité.

« Tu crois que moi je pourrais être une bonne guerrière et chasseuse ? » La suite avait des airs de confidence. « Maman veut pas trop que je sois guérisseuse... »

Une pause. Changement de sujet.

« Tu viendras me voir avec Léo et Gel alors ? Oh, et ça doit être horrible de se séparer de ses frères et sœurs... Moi j'aime beaucoup Violette, Aulne et Lys ! Et on est tous amis, dans les Étoiles ? Et puis elle est où mamie ? »

Respiration. La timide féline sembla aussi réaliser qu'elle s'était emportée. Rosit.Eut une moue, puis un léger sourire. Souffla un petit :

« Désolée... »