Pas d'humeur [ Chant du Cygne ft. Patte Noire ] - abandon

Le museau plongé dans les poils de son poitrail, Patte Noire somnolait dans la tanière. Cette même tanière qu’il avait rejointe après des lunes et des lunes d’entraînement pour ne plus jamais quitter. Et il ne lâcherait probablement pas sa litière au premier venu, il faudrait qu’il revienne suffisamment amoché d’une bataille ou qu’il vive suffisamment longtemps pour qu’on le déloge de là. Et encore, pas sûr qu’il gagnerait de bon gré une autre tanière. Le Clan des Étoiles viendrait peut-être le chercher avant qu’il n’ait droit à ce fameux repos des Guerriers. Un repos que peu atteigne au final. Bien trop peu… Patte Noire pouvait compter le nombre de Guerriers qui avaient pris leur retraite en de bons termes sur les doigts d’une seule patte, du moins, ceux qui l’avait fait de son vivant et à sa connaissance. Est-ce que lui y aurait le droit ? Il ne se posait pas même la question. Non. Tout ce qui l’intéressait actuellement, ce qui lui provoquait migraine après migraine à force de plancher de longues, de très longues, minutes sur le sujet, c’est son devenir amoureux. C’était là, la première préoccupation à ses yeux, peut-être même avant l’accomplissement de ses devoirs de Guerrier. Il n’était pas de ceux à chômer ou à se rebiffer devant la tâche, encore fallait-il en connaître la nature avant d’en connaître la réaction du noir et blanc, mais son côté fleur bleue reprenait bien vite le dessus et ses pensées tournaient et retournaient, sans trouver de réelles réponses. Si seulement tout pouvait être écrit simplement. Si seulement ces informations-là pouvaient être connues des félins qui doivent les vivres, tout serait drôlement plus simple. Savoir s’il était bon ou pas de se lever aujourd’hui. Bon ou pas de tenter telle ou telle cabriole pour en impressionner une plus que l’autre…

Et s’il n’était pas spécialement des plus doués pour faire des compliments, bien au contraire, le Guerrier ne désespérait pas de trouver une demoiselle susceptible de répondre à ses charmes. Encore fallait-il que cette dernière ne le voit pas sous son véritable jour, qu’elle le voie simplement par les paroles qu’il parviendrait à lui glisser. On dit que l’amour rend aveugle, n’est-ce pas un avantage dans le cas présent ? Pouvoir masquer ses défauts aux yeux des autres et pour le coup, le plus gros défaut du matou était probablement ce trop peu de bravoure dont il faisait preuve. Il pouvait bien parler. Il pouvait bien cracher sur tous les félins. Ça n’allait généralement pas plus loin que quelques remontrances verbales. Eh bien oui. C’est bien simple de jacter, de prononcer des mots, lourds ou non de sens, blessants ou non. Par contre, avoir du courage, ce n’est pas donné à tout le monde. Tout le monde n’a pas cette petite chose au fond de la poitrine poussant à aller de l’avant malgré les obstacles et les dangers. Et Patte Noire en était tout bonnement dépourvu. Dépourvu du moindre courage. Pourtant, il avait de quoi se défendre. Du moins, ce n’était pas Mère Nature qui l’avait mal doté. Non, de ce côté-là, rien a signaler. Il n’était ni trop grand, ni trop petit. Il n’était ni trop lourd, ni léger comme une plume. En soit, il pouvait faire, physiquement parlant, un redoutable adversaire. Mais encore fallait-il s’en donner réellement les moyens. Gesticulant dans sa litière au moment où l’agitation devint palpable dans la tanière, le Guerrier se laissa tranquillement retrouver le monde réel, se dépatouillant rapidement des quelques brindilles logées dans son pelage. Prenant la peine de passer quelques brefs coups de langue sur son poil pour lui faire retrouver un aspect propre et brillant, il n’en fallut pas moins, mais pas plus non plus, au matou pour faire son apparition dans le camp. Et la première chose sur laquelle ses mirettes tombèrent, c’est une Guerrière prenant en grippe un Apprenti. Ayant encore un peu de temps devant lui avant de réellement être assigné à la chasse, Patte Noire qui n’avait de courage que pour des actions médiocres, suivit de loin la femelle et l’accosta une fois cette dernière sortie du Camp :

« Alors comme ça, on rembarre les p’tits jeunes ? »

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À peine les yeux en face des trous, ou presque, c’est sur une telle scène sur laquelle il tombait. Il avait de la veine aujourd’hui. Enfin, lui, au moins, n’avait pas eu la malchance de tomber sur la Guerrière furibonde et d’en payer les frais. Et quand bien même, aurait-il montré un poil d’une quelconque plaie à quelqu’un ? Pas le moins du monde. Il était bien trop fier, tenait bien trop à sa petite image, pour en montrer ne serait qu’une miette. Et puis, tout le monde savait, ou presque, qu’à ce petit jeu-là, de grabuge de bas étage, il était plutôt bon. Les ragots arrivaient presque tous à ses oreilles, les bonnes comme les mauvaises choses et sa cervelle avait ce don fabuleux d’enregistrer des épisodes plus ou moins noble sur tout un chacun et de les recracher lorsqu’il en avait besoin. Et s’il savait parfaitement que la minette blanche en majorité possédait un caractère bien trempé, presque similaire au sien, même s’il avouerait sans mal la dépasser de par son expérience dans le domaine, il avait tout de même pris ce « risque » de la suivre. Après tout, autant mettre un peu de piment dans une vie tristement monotone. Non ? D’humeur joueuse et taquine ce matin-là, sa voix n’avait en aucun cas vrillée quand sa gueule s’était ouverte pour la laisser s’échapper en un miaulement. Sûr de lui et moqueur comme jamais, il n’avait pas non plus cherché à masquer cette partie de son humeur actuelle. La mauvaise langue qu’il était n’était bon qu’à cela, cracher du venin, des petites piques, bien que celle-ci puisse paraître dérisoirement gentillette par rapport à d’autres, l’état d’esprit derrière était le même. Il aimait taquiner tous ceux qui daignaient croiser son chemin et encore plus s’ils osaient se donner en spectacle juste sous ses yeux railleurs.

Il l’avait accosté comme il se permettait d’accoster à la fois tout le monde et à la fois n’importe qui. Dans ces situations-là, seules les rangs de Lieutenant et de Meneur pouvait paraître comme une réelle barrière devant la joug du Guerrier noir et blanc, autant dire que la jeune Guerrière ne prêtait ni l’un, ni l’autre des titres qui faisait encore obstacle à la nonchalance et à l’irrespect coutumier du matou. Ses deux yeux ambrés posé sur le corps de la femelle, il ne manqua rien de sa mise en scène dérisoire. Lui ressemblant sur certains points et un peu moins sur d’autres, la jeune Guerrière prit son temps pour lui rendre la pareille d’un échange de regard, allant jusqu’à soulever un sourcil que le mâle prit comme un signe clair et net de dédain. Et le reste qui s’en suivi, se jouant là devant lui, ne fit que renforcer cette idée. Lançant un regard idiot au ciel avant de laisser un sourire persifleur se dessiner sur le coin de ses babines, la chatte blanche aux larmes noires prit finalement la parole pour faire écho à la remarque du matou. Ce dernier ne laissa rien trahir ce qui se passait au fond de son être, quelque part dans un coin de son crâne. Pourtant, il aurait pu. Le peu de répartie de la jeune l’accabla dans un premier temps. Sur quoi est-ce qu’il était tombé ? N’était-elle donc pas capable de trouver meilleure partie que celui de reprendre ses propres mots ? Et puis, comme elle l’avait si bien commencé, elle retourna bêtement à sa mise en scène désuète, nettoyant ses griffes sous les yeux du Guerrier qui n’en avait que faire de ses jeux idiots d’apparence. Autant être franc et direct, inutile de jouer de quelques gestes et mimiques inutiles. Pourtant, quelque chose dans le fond de son être s’alluma. Une lumière qui ne s’éteindrait probablement pas de sitôt, un sourire discret étirant ses babines alors qu’il miaula d’une voix égale à son être :

« Si tu appelles cela être dur, tu n’as encore rien appris de la vie toi non plus, ma petite. M’enfin, peut-être que ça te renforcera toi aussi ? Après tout, c’est ce que tu insinues non ? »

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