I guess it's the end ? // LIBRE -end

« La plongée était brutale et l'eau encore plus glaciale que d'habitude. Elle remuait des pattes en vain pour remonter à la surface mais la force du courant la trimballait et ses pattes ne répondaient plus. Jamais dans sa vie elle n'avait ressentie une terreur pareille. »

« I guess it's the end ? »

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Une giclée d'eau rageuse s'écrasa sur les feuilles d'un plant de roseau vigoureux situé sur le bord de la rivière. Encore en rogne, pour changer, Écaille d'Anguille s'était laissée portée par ses pattes jusqu'au ruissellement sécurisant de sa rivière chérie ; on aurait dit que ce matin, tout les félins de la Rivière s'étaient décidés à se liguer contre elle, l'ignorant royalement tout le long de la matinée et ce qui avait porté un sacré coup au moral de la féline qui cherchait un tant soit peu d'attention.

Pourtant, qu'est ce qu'elle avait mérité pour recevoir un tel traitement ? D'accord, elle était toujours désagréable et râlait à tout bout de champs, ce n'était pas la meilleure binôme mais quand même. Alors qu'elle allait donner un nouveau coup de patte dans l'onde calme, un éclair brillant attira son attention et lui fit suspendre son mouvement à quelques centimètres de l'eau. Les couleurs chatoyantes d'une petite truite jouaient avec le soleil et firent en même temps naître une idée derrière la tête de la femelle : les truites étaient coriaces à attraper et en attraper une serait à coup sûr un moyen d'attirer les louanges sur elle. Motivée à bloc, la grise se leva avec une détermination nouvelle dans les yeux et la queue droite comme un piquet, et tourna la tête vers la rivière : les truites les plus belles étaient réputées pour vivre au beau milieu des torrents de la cascade. En attraper une serait déjà un exploit, alors si elle racontait à tous qu'elle l'avait chassée au milieu des eaux tumultueuses elle serait reçue en tant que pêcheuse d'exception ! Sourire aux lèvres, elle remonta alors le fil de la rivière pour aller vers la Cascade, d'abord au pas puis en trottinant de plus en plus vite.

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Encore quelques queues de ragondin et j'y serais ! La petite femelle grassouillette avait entamé la montée de la falaise, bien qu'elle soit encore sur la terre ferme et qu'elle n'ait pas entreprit une descente périlleuse le long de la paroi. Au loin, elle entendait le grondement tumultueux de la cascade qui ne semblait jamais s'arrêter même pendant la Saison de la Rivière Gelée. Néanmoins, elle s'arrêta et s'approcha du bord de la côte pour voir si des truites étaient dans le coin. Mais aucune trace d'un poisson, elle décida de reprendre son chemin.

Le sol se faisait de plus en plus dur et rocailleux, et les plantes qui arrivaient à perçer la couche de roche étaient souvent rachitiques. Elle s'arrêta un moment sous un aulne maigrichon dont les racines avaient fracturées la falaise afin de reprendre son souffle. La montée commençait à être sévère mais elle ne pouvait pas abandonner là. Toujours aussi déterminée, elle se leva tant bien que mal et reprit sa randonnée.

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Elle grimaça lorsqu'elle retira un caillou de la plante de ses coussinets, et ragea silencieusement contre le sol qui en était jonché. A ce stade, elle devait prendre garde où elle mettait les pattes car la falaise se faisait plus traître qu'avant et cachaient de nombreuses fissures prêtes à céder. Elle avait failli glisser une ou deux fois mais fort heureusement, ce n'étaient que quelques gravillons qui avaient chutés au fond de l'eau. Mais toujours pas de trace d'une quelconque truite, elle devait continuer.

Rapidement, le grondement de la cascade se fit de plus en plus assourdissant et elle pu vite distinguer la chute d'eau. Les récentes pluies d'été avaient gonflées la rivière qui redoublait de puissance. Difficile à croire que le calme régnait quelques kilomètres plus loin. Prise d'une certaine curiosité, Écaille d'Anguille se décida de s'approcher plus près. On lui avait longtemps défendu d'y aller lorsqu'elle était apprentie mais maintenant elle pouvait prendre elle même ses décisions. Elle n'entendait plus rien aux alentours, le grondement de la chute couvraient tout les autres. La pierre était rendue humide par la bruine provoquée par l'eau qui s'écrasait en contrebas et presque aucune végétation ne poussait, mis à part des mousses vertes et gonflées par l'humidité. Voulant voir jusqu'où l'eau s'écrasait, Écaille d'Anguille en oublia tout les avertissements qu'on lui avait longtemps rabâché et fit taire sa petite voix qui l'alarmait du danger imminent. Elle regarderait juste quelques secondes et se retirerait vite du bord, se disait-elle !

Grave erreur.

La rivièreuse s'était approchée avec précaution du précipice et avait jeté un regard joyeux en contrebas : c'était un joli spectacle à voir et elle regrettait de ne pas avoir regardé plus tôt. Un mouvement attira son champs de vision et c'est avec une immense joie qu'elle vit les corps de plusieurs poissons qui luttaient contre la force du courant : des truites !

Et dans son euphorie elle se pencha un peu trop en avant ;

Emportée par son poids et par le bord érodé, elle glissa hors de la terre ferme et se retrouva quelques instant dans le vide. Elle miaula de terreur ;

Elle lança une patte désespérée sur le bord et s'accrocha de toute ses forces à la première prise qui vint à elle ;

Pendant quelques secondes elle se crut sauvée, mais la roche rendue glissante par l'humidité fit riper ses griffes et elle ne put arrêter sa chute dans le vide.

Elle trouvait la descente anormalement longue mais sa tête heurtant les rochers en contrebas la rappela bien vite à la réalité. Elle cracha une petite gerbe de sang et un filet rougeâtre coula dans ses yeux.

Plongeant rapidement dans l'eau, le courant semblait se jouer d'elle et la ballottait comme une proies à sa merci. Elle tentait en vain de remonter à la surface mais ses pattes ne répondaient plus du tout.



Un instant, elle pu dégager la tête hors de l'eau et voulut reprendre sa respiration. Mais une vague immergea sa tête et s'engouffra dans sa gueule. Et elle ne pouvait plus rien faire à part subir et agoniser.

Autours d'elle le sang se répandait mais disparaissait bien vite dans le courant. La voix paniquée dans sa tête se fit de plus en plus lointaine jusqu'à se taire complètement et Ecaille d'Anguille sentait un sommeil lourd s'emparer d'elle. Tout son corps la pesait, comme si on lui avait posé des rochers sur les épaules.

Est-ce que c'est vraiment la la fin..? Ses yeux de glace luttaient pour rester ouverts mais les couleurs perdaient de leur intensités. Elle avait l'impression d'être au ralenti, le tumulte des rapides s'était finalement tût et seule cette envie de plonger dans le sommeil se faisait ressentir. Et étrangement, elle se mit à sourire tristement.


Peut être que fermer les yeux un instant serait une bonne idée.. ?

HRP:

Pendant les six premières lunes de leur vie, la portée des cailloux avait fait parler d'eux. D'abord parce que leur naissance avait été extrêmement violente, et que cette histoire s'était répandue dans toute la forêt : non pas qu'Aigue-Marine, la reine sauvagement assassinée alors qu'elle était sur le point d'accoucher, soit connue de tous les Clans ; mais la nouvelle de ce crime atroce commis par les Lunar Pod, avec l'aide dissimulée du Clan du Tonnerre, avait défrayé la chronique, car c'était l'annonce d'un avenir sombre... Les petits cailloux, Petit Jaspe, Petite Émeraude, Petite Améthyste, Petite Opale et Petit Quartz, étaient nés sous le signe de la mort, disait-on. Mais on n'arrêta pas de parler, même quand du temps fut passé et que la tristesse se fut légèrement éloignée. Non, on n'arrêta pas de parler parce que lors d'une attaque du Clan du Tonnerre, deux des cailloux furent enlevés : Petite Améthyste et Petit Quartz furent retenus par le Clan ennemi pendant de longues semaines, et la première n'en revint pas vivante. Alors on parla encore des cailloux et de leur malheur. Ensuite, et malgré la menace des Lunar Pod, ça se tassa quelque peu ; mais au camp, on continua à parler des frasques des chatons - qui, pour le coup, n'étaient rien d'autre que des banalités de bêtises d'enfants. Et on commença alors à entendre parler beaucoup, beaucoup de Petite Émeraude, qui se révéla infernale. Une vraie boule d'énergie enflammée, qui ne se fatiguait jamais et qui entraînait toujours d'autres chatons dans ses bêtises, et notamment Petit Blaireau ; ah, ils s'étaient bien trouvés, ces deux-là, disait-on. Toujours les premiers à faire ce qu'il est interdit de faire. Ainsi donc, pendant plusieurs lunes au camp du Clan de la Rivière, on entendait pester contre Petite Émeraude, on entendait Petite Émeraude se faire réprimander, on entendait Petite Émeraude rouspéter contre ces injuuuustes punitions, on entendait crier contre Petite Émeraude, et Petite Émeraude par-ci et Petite Émeraude par-là.
Mais depuis que la portée des cailloux était enfin sortie de la pouponnière pour rejoindre la tanière des apprentis, on n'entendait plus un seul mot sur la rouquine. Après des débuts difficiles - elle avait complètement échoué aux Olympiades et Écaille d'Or avait eu du mal à canaliser ses débordements lors des premiers entraînements -, Nuage d'Émeraude brillait désormais par son absence dans les conversations et dans les récits échangés pendant la cérémonie du partage du soir. Et à raison : elle ne faisait plus parler d'elle, elle ne faisait plus de bêtise - du moins, celles qu'elle faisait n'étaient pas visible, pour le moment - et au contraire, elle se montrait désormais une apprentie exemplaire. Son comportement avait changé du tout au tout et du chaton surexcité et difficile à canaliser, elle était passée à une apprentie déterminée et obéissante, et cela parce qu'elle savait très bien quel était son objectif : devenir une très grande guerrière. Aussi était-elle devenue perfectionniste, une acharnée du travail. Elle ne cessait de s'entraîner, même l'entraînement terminé. On la voyait régulièrement répéter ses enchaînements de combat, ses positions de chasse, ou le nez en l'air, les yeux fermés, concentrée pour analyser chaque odeur qui arrivait jusqu'à son museau. Les seuls moments de répit qu'elle acceptait de s'offrir étaient ceux qu'elle consacrait à la découverte des territoires qu'elle ne connaissait pas encore, seule ou accompagnée, mais souvent seule. Bref, après six lunes à n'entendre parler que de Petite Émeraude, Nuage d'Émeraude était aujourd'hui une apprentie exemplaire dont le nom avait presque entièrement disparu des discussions.

Ce qui n'était pas le cas de Nuage d'Opale. La Petite Opale qu'elle avait été s'était montrée discrète, très discrète, au point que pendant six lunes, elle avait été complètement dans l'ombre des frasques de sa sœur. Il n'y en avait eu que pour Petite Émeraude - et pas parce qu'elle était merveilleuse, mais plutôt tout l'inverse. Petite Opale avait tellement fait peu parler d'elle qu'on la connaissait peu dans le Clan, du moins, on n'en était pas proche : difficile d'avoir de profondes conversations ou de partager des moments intenses avec un félin qui ne fait que dormir et fuir la compagnie des autres - pour dormir, bien sûr. Mais la raison pour laquelle on avait si peu parlé de Petite Opale jusqu'ici était justement la raison pour laquelle on parlait beaucoup de Nuage d'Opale désormais. Parce que Nuage d'Opale n'avait pas perdu de son flegme en gagnant son nom de Nuage, et elle passait son temps à fuir ses responsabilités, et notamment son mentor, Cœur de Ronce. Elle ne s'entraînait pas, ou trop peu, et fuyait constamment le camp pour se trouver des coins tranquilles où dormir. Et évidemment, c'était indigne d'un chat de Clan, et au camp, les rumeurs allaient bon train.
Nuage d'Émeraude était absolument concentrée par son entraînement et son ambition, pour ne pas dire obsédée. Alors elle se préoccupait peu de tout ce qui ne concernait pas cet objectif-là. Elle accordait peu de temps à Nuage de Blaireau, elle ne voyait presque plus ses frères et sœur, et elle ne surveillait même plus Merle Noir. Mais ce jour-là, Cœur de Ronce était venue la trouver, excédé par les absences répétées de Nuage d'Opale et l'avait suppliée de la retrouver et de la lui ramener, en la tirant par la peau du dos si c'était nécessaire, avait-il dit en s'éloignant tout en continuant à râler contre sa flemmarde d'apprentie.

Nuage d'Émeraude était donc partie vers les territoires du Clan, rageant intérieurement contre sa sœur : le temps qu'elle allait passer à la retrouver et à la convaincre de revenir au camp était du temps perdu pour sa réussite à elle ! C'était impardonnable. Mais alors qu'elle parvenait aux chutes, terre bien connue pour sa dangerosité, la rouquine oublia bien vite tout cela et son sang ne fit qu'un tour lorsqu'elle entendit les cris de Nuage d'Opale au loin, presque étouffés par le vacarme du torrent. Nuage d'Émeraude dut tendre l'oreille et se concentrer pour entendre ce que sa sœur criait. Et son cœur manqua un battement lorsqu'elle entendit enfin : c'était des appels à l'aide ! Nuage d'Émeraude se mit alors à courir en direction du torrent. Mille pensées emplirent son esprit : elle s'imaginait déjà le corps pâle et bourru de sa sœur se faire maltraiter par les eaux vives, elle s'imaginait ses yeux opalins disparaître dans l'eau trouble, elle l'imaginait tenter tant bien que mal de rester à la surface, à l'air libre. Nuage d'Émeraude dévala la pente qui la conduirait au torrent à toute vitesse, paniquée à l'idée que sa sœur soit en train de se noyer ; mais alors qu'elle parvenait enfin sur la berge, elle la repéra enfin, courant le long de la rivière. Ouf, elle était saine et sauve, elle n'était pas en danger ! Rassurée l'espace d'un instant, Nuage d'Émeraude sentit à nouveau l'inquiétude la gagner : mais alors, que se passait-il pour que Nuage d'Opale demande de l'aide ?
Et bientôt, la raison émergea à la surface, l'espace de quelques secondes seulement : elle replongea presque aussitôt et cette fois-ci, elle ne remonta pas vers l'air libre. Nuage d'Émeraude comprit immédiatement que sa sœur appelait à l'aide pour quelqu'un d'autre, et parce qu'elle était elle-même impuissante : elle ne savait pas nager, elle n'avait jamais appris, la faute à ses absences aux entraînements mais surtout au fait que son mentor ne savait pas nager.

« Nuage d'Opale ! Il faut la sortir de là ! » Nuage d'Émeraude avait reconnu la guerrière de leur Clan, Écaille d'Anguille. « Et il faut aller chercher Nuage des Ruisseaux ! Je vais la sortir de l'eau et il va falloir qu'il la soigne ! »

Il était trop tard, mais les deux frangines ne le savaient pas encore.
Sans attendre davantage, Nuage d'Émeraude se jeta à l'eau. Le froid mordant du torrent la fit frissonner, mais l'adrénaline lui permit de ne pas perdre ses esprits et elle commença à battre frénétiquement des pattes pour lutter contre les courants qui tentaient de l'attirer vers le fond, elle aussi. Mais Nuage d'Émeraude avait hérité de la constitution costaude de son père, et elle avait assez de force pour lutter un tant soit peu contre la furie de l'eau. Elle plongea une fois mais dut remonter à la surface sans avoir atteint le corps las d'Écaille d'Anguille. Elle plongea à nouveau et réussit à toucher le pelage glissant de la guerrière ; elle dut remonter à nouveau sans être parvenu à l'attraper. La troisième tentative fut la bonne, alors même qu'elle sentait que ses forces l'abandonnaient et qu'elle commençait à craindre pour sa propre vie. Elle était une bonne nageuse, mais elle manquait encore de justesse dans ses mouvements et elle s'épuisait vite. Et à présent qu'elle portait le poids de la guerrière entre ses crocs, réussit à contrôler ses mouvements et à lutter contre la force décuplée du torrent était une tâche très difficile ; d'autant qu'Écaille d'Anguille était inerte et pesait sur sa nuque comme un véritable poids mort... ce qu'elle était, et Nuage d'Émeraude l'avait désormais compris. Elle n'abandonna néanmoins pas le sauvetage : il fallait la sortir de l'eau.

Quelques minutes plus tard, qui lui parurent une éternité, Nuage d'Émeraude sortait de la rivière. De sa gueule pendait le corps sans vie d'Écaille d'Anguille. Trempée, l'apprentie la déposa délicatement sur la rive et s'écroula à ses côtés, haletant, frigorifiée et surtout mortifiée par la mort de l'une des leurs.
Elle se redressa et jeta un regard désespéré vers Nuage d'Opale.
... Et maintenant ?