La vie en rose. Oupas [Avec Kézenkiel] - abandon

Guilleret, je trottinai, truffe en l’air, un sourire béat peint sur mon visage. Mon ventre ne criait plus famine depuis que j’avais rencontré Nuage de Nuit. Cette femelle m’avait offert un repas et de l’eau, et je lui en serais toujours reconnaissant. Je pouvais chercher Perce-Neige serein, sans avoir peur de mourir de faim… du moins pour les prochains jours. Mais mon âme d’enfant m’empêchait de voir plus loin que l’instant présent. Le papillon multicolore qui voletait à ma gauche… La tempête de ciel bleu juste au-dessus de moi avec ses quelques nuages épars ici et là. Ces étendues d’herbe qui semblaient s’offrir à moi. J’étais heureux. J’étais heureux d’être libre. Libéré de ses chaînes, mon cœur était léger. J’avais l’impression de pouvoir voler parmi les volatiles criards tout là-haut, eux qui voyaient tout, et pouvaient se rendre d’un lieu à un autre sans aucun obstacle. De plus, mes bourreaux n’étaient plus depuis que mon géniteur était mort. J’ignorais que les bêtes mortes depuis longtemps pouvaient tuer. En plus de me sauver, cela avait eu le bénéfice de m’apprendre des choses. N’était-ce pas merveilleux ? Quant aux autres, d’après Picolo, tout le monde avait été tué durant la grande bataille…
Soudain, une forte odeur chatouilla mes moustaches. Je me stoppai net, aux aguets. Ma nature méfiante prit le relais, et je m’arrêtai à bonne distance de la silhouette qui se dessinait devant moi. Mais ma rencontre avec Nuage de Nuit m’avait donné un peu plus d’assurance. Alors, je lui lançai :

« Heu… Bon…jour ? Je cherche euh… une femelle… euh couleur écaille, vous ne l’auriez pas vu ? »

Le vent soufflait dans mon dos, annonciateur d’un mauvais présage. Mon interlocuteur ne pouvait pas louper mon odeur. Mais… Je n’y étais pour rien si j’étais né chez les Lunar Pods. On ne pouvait m’en vouloir pour cela, n’est-ce-pas ? Alors, il n’y avait pas de soucis à se faire, il suffirait de lui expliquer…

Mataï et moi, nous étions levés de bonne heure pour aller en ville. J'avais insisté pour l'accompagner voir son frère. Non pas que j'avais beaucoup d'affinités avec son frère mais plutôt que je voulais voir les enfants de ce dernier au moins une fois. Mais j'avais caché ma raison principale à Mataï.. Je m'inquiétais pour lui. Certes, nous avions tous souffert durant le règle des Lunars Pods et bien qu'ils ne soient plus là. Mataï avait gardé une dernière blessure de ses derniers. Toujours en train de cicatriser, il avait encore un peu de mal à marcher depuis sa deuxième rencontre avec un deuxième matou de la lune en fuite durant la cérémonie des clans.

Nous arrivions avec une bonne demi heure en retard par rapport au temps prévu mais au moins, nous avions eu aucun problème sur le chemin. J'avais salué les petits et fait rapidement connaissances avant de laisser la petite famille. Je me promenais dans la ville, attendant que Mataï soit près à repartir. Je ne voulais pas le laisser traverser seul la ville, bien qu'il la connaisse bien mieux que moi. Pendant que j'attendais.. Une odeur de Lunar Pods me prenait la truffe. Je pensais que c'était que mon imagination, pensant continuellement à ses chats meurtriers. Mais quand une voix avec une assurance de chaton m'adressait la parole, je commençais à comprendre que l'odeur venait de lui. La voix du félin me demandait si j'avais vu une femelle écaille de tortue. Bien qu'il avait été poli, je me retournais en grognant. Je lui montrais les crocs avant de répliquer :

"-Qu'est-ce qu'un Lunar fait dans le coin ? Tu cherches une victime, gamin ?"

La réaction fut aggressive. Mes poils s'hérissèrent. La peur se lit instantanément dans mon regard, et je fis un bond en arrière de protection. Aussitôt face à cette menace, j'adoptai une posture de soumission. Les oreilles basses, la queue entre les pattes, complètement recroquevillé sur moi-même, je levai des yeux apeurés vers mon interlocuteur, qui feula :

"-Qu'est-ce qu'un Lunar fait dans le coin ? Tu cherches une victime, gamin ?"

Une victime? Moi? Quoi?
Je voulus me défendre, mais tout ce que je pus répondre ne fut que des baragouinements et mots incompréhensibles. Ma respiration s'était accélérée. Mes muscles s'étaient tendus, prêts à esquiver le moindre coup.

"Je ... non!"

Malgré ma taille presque d'adulte, mon état misérable et chétif jouait en ma faveur. Qui penserait qu'un chaton comme moi, même avec l'odeur des Lunar Pods, pourrait faire du mal à quelqu'un?

"Jamais ... je... victime... jamais."

Mais mes cordes vocales vibrèrent si doucement que ces mots balbutiés furent très probablement inaudibles, à moins d'avoir une bonne ouïe. Je fixais le matou en face de moi, sans savoir si je devais prendre la fuite, ou rester avec le risque qu'il m'attaque. Mon cerveau de chaton n'avait absolument pas envisagé la possibilité qu'il ne me croit pas. Qu'il pense que j'étais assez tordu pour mimer quelqu'un de faible pour mieux attaquer ensuite. Alors, peut-être que mon optimisme paradoxal me mettrait en danger...

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