De l'amitié - Perce-Neige <3 - end

Jamais je n'aurais cru que la solitude serait... étrange. Cela faisait des jours que je n'avais pas vu un chat, si ce n'est de loin. Maintenant, je les fuyais tous. On m'avait attaqué beaucoup trop de fois sans raison. Peut-être finalement m'étais-je trompé? Que tous les systèmes étaient identiques à celui des Lunar Pods? Dans ce cas, pourquoi Perce-Neige aurait planté cette graine d'espoir dans mon cœur? Sa seule pensée réussissait à me faire avancer. N'était-elle pas mon amie?

Mes coussinets écorchés témoignaient de mon acharnement à marcher sans relâche pour la retrouver. Mes muscles fatigués peinaient à fonctionner. Leur mécanique se rouillait progressivement. Mais, chaque fois que la contraction de leurs fibres tardaient, un flux d'énergie leur donnait le courage nécessaire. Ce flux d'énergie provenait de mon coeur. Ce coeur tendre, à la frêle carapace, si souvent martyrisé, mais qui était gonflé d'espoir. De la revoir, de lui reparler... De sentir son odeur. De sentir son regard doux et bienveillant posé sur moi.
Ressentir à nouveau, de la considération, de la vraie.

Cependant, parfois, ce flux n'était pas assez puissant. Le soleil tapait, je ne m'étais pas abrité de la chaleur, ni n'avais bu. Mes paupières étaient lourdes, mes mouvements lents. Mon corps s'écrasa au sol, exténué, non loin de l'ombre d'un pommier...

Spoiler:

Perce-Neige était inquiète. Elle n’avait pas revu Déchet depuis leur rencontre, et l’espoir de le croiser à nouveau se consumait un peu plus chaque jour. Quelle idiote elle avait été ! Bien sûr qu’un enfant si craintif, si brisé ne pouvait pas abandonner tout ce qu’il avait connu pour la rejoindre, elle, une étrangère dont il ne connaissait que le nom. Comment pouvait-il savoir qu’elle n’essayait pas, elle aussi, de le manipuler pour finalement le blesser à son tour ? Quand bien même il ne connaissait que la violence chez lui, qui pouvait lui affirmer que ce ne serait pas pire dehors ?

L’écaille soupira. Elle s’était installée dans le verger, où elle avait rencontré Toucan pour la première fois. Tant d’eau avait coulé sous les ponts depuis, et c’était elle, désormais, la solitaire assise au beau milieu des arbres torsadés. Soudain, un mouvement non loin d’elle attira son attention. Pensant qu’il s’agissait d’un rongeur, elle s’approcha prudemment et resta stupéfaite quelques instants, avant de murmurer :

« … Déchet ! »

Elle trottina, le reniflant avec inquiétude. C’était bien lui, encore plus maigre et exténué que lors de leur première rencontre … D’un geste sec, Perce-Neige l’empoigna par la peau du cou et l’amena sous l’ombre d’un pommier. Reprenant ses vieux réflexes de guérisseuse, elle courut chercher de la mousse et alla la tremper prudemment dans une gamelle d’eau que des Bipèdes semblaient avoir laissé volontairement ici. Elle revint, déposa la boule devant le museau de l’enfant, et le secoua doucement mais fermement en parlant :

« Déchet … Oh ne sois pas mort s’il-te-plaît … Déchet, écoute-moi, ouvre les yeux. Il faut que tu boives. Déchet, c’est moi, Perce-Neige. Ouvre les yeux, fais cet effort, s’il-te-plaît. Déchet … »

Elle commença à lécher son front, priant pour qu'il ne soit pas venu mourir ici.

Dans état comateux, je ne réussissais guère à comprendre ce qu'il se passait autour de moi. Mes paupières semblaient être de plombs, il me fallait un effort incommensurable pour ne serait-ce que les entrouvrir. Je sentis une présence, floue venir à mes côtés... Mais semblait déjà bien lointaine... Pourtant, elle s'activait. Je ne percevais que des bribes de mots... Le son de sa voix était déformé par ma progressive perte de conscience, si bien que je ne la reconnus pas. Je me sentais sombrer, incapable de lutter, faible.
Mes moustaches vibrèrent lors d'un contact avec une matière particulière, mais surtout, de la fraîcheur. Cela réactiva aussitôt mes instincts de survie. Ma langue s'échappa de ma bouche pour venir laper ces substances non identifiées. De l'eau! Ce liquide frais eut un effet immédiat. Son contact sur ma langue puis le long de mon œsophage me vivifia. Les sons revinrent, de plus en plus clair, jusqu'à ce que, enfin, je percutai.

Perce-Neige!

L'adrénaline fusa immédiatement dans tout mon corps, tel un électrochoc. Je réussis à entrouvrir les yeux. D'une vision floue, celle-ci se clarifia peu à peu et je pus discerner les formes de celle que j'avais tant cherchée. Un petit sourire se dessina sur mes lèvres, et je murmurai :

"Jt'ai... enfin... trouvée..."

Je me remis ensuite à laper la boule de mousse, de plus en plus énergiquement, ragaillardi par cette retrouvaille bien qu'incapable de prononcer davantage de mots pour le moment.

Ses yeux s'ouvrent légèrement et j'observe cette boule d'os et de chair trembloter devant moi. Ce qu'il est beau quand il sourit, il a enfin l'air d'un enfant !

« J't'ai... enfin... trouvée...
- Bien sûr que tu m'as trouvée ! »

Je sens mon cœur se gonfler et des larmes de soulagement couler le long de mon visage. Quelques lunes auparavant, je me serais interdit de tels débordements, mais maintenant, qui peut me juger ? De toute façon, je suis grande dame quand il s'agit de moi ... Je m'autorise même un petit rire, avant de murmurer :

« Du calme, du calme, l'eau ne va pas s'évaporer dans la minute ... Laisse le temps à ton corps de comprendre ce qu'il se passe, il ne faut pas le brusquer. »

Je lance à nouveau quelques joyeux coups de langue sur son crâne sale - vraiment sale ! Je ne peux empêcher des grimaces de dégoût de secouer discrètement mon museau. Je l'observe plus attentivement quelques instants, et je remarque avec beaucoup d'inquiétude les blessures fraîches qui parcourent son corps - encore des plaies qui n'ont de toute évidence pas été soignées. Je me demande comment il est arrivé ici, dans cet état ... A-t-il réussi à s'échapper des griffes des Lunar Pods ? Est-ce qu'il s'est passé quelque chose qui l'a amené à être séparé d'eux ? Se sont-ils débarrassés de lui ? A vrai dire, je n'ai aucun moyen de pencher pour une hypothèse ou l'autre. Je ne connais rien de Déchet, sinon son espoir évident de trouver une vie meilleure et sa trop grande peur du monde qui l'entoure.

« Déchet ... Tu as quitté les Lunar Pods ? Que s'est-il passé pour que tu arrives ici dans cet état ? »

« Du calme, du calme, l'eau ne va pas s'évaporer dans la minute ... Laisse le temps à ton corps de comprendre ce qu'il se passe, il ne faut pas le brusquer. »

Je souriai. Ses paroles étaient apaisantes. Aussitôt, je ralentis le rythme. Ma confiance en Perce-Neige était aveugle. Je me laissais bercé par ses mots, par sa présence, par sa douce odeur qui m'enivrais. Je voulais me blottir contre elle. Ses coups de langue vigoureux m'arrachèrent un ronronnement. Ce bruit m'étonna. J'ignorais en être capable. Ronronner... Jamais je n'avais vu ça... mais c'était si agréable... Une douce sérennité m'envahit.

« Déchet ... Tu as quitté les Lunar Pods ? Que s'est-il passé pour que tu arrives ici dans cet état ? »

Je clignais des yeux plusieurs fois, le temps de comprendre. Je fronçais alors les sourcils, et me mis à réfléchir. Comment expliquer? Tout s'était passé si vite... J'étais dans le campement, à réfléchir comment partir, et la minute d'après j'avais été emmené de force dans le champ de combat. La vieille abbesse s'était offerte à la Lune et ça avait soigné mes blessures. La confusion se lisait ouvertement sur mon visage, toutefois, je tentais de donner une explication:

"Euh... une nuit la lune est est devenue rouge et...e uh... l'abbesse morte... blessures guéries... on m'a emmené dans un endroit bizarre, y'avait plein de chats de partout, beaucoup beaucoup d'odeurs mélangées, avec quatre chats en hauteur."

Je fis une pause, essayant de me remmémorer ce qu'il s'était passé.

"Les jumelles ont tué des chats. Tout le monde s'est mis à se battre. On m'a poursuivi j'ai couru, couru, couru... finalement, il m'a laissé survivre... il s'appelle heu... Cobra... Royal je crois."

C'était dur de se souvenir.

"Après j'ai marché longtemps longtemps, je savais pas comment te retrouver! Y'a eu des méchants chats qui m'ont attaqué, d'autres qui m'ont un peu aidé... "

J'étais si fatigué. Mes muscles étaient endoloris d'avoir tant marché. Je me mis à bailler, à presque m'en décrocher la mâchoire.

"Je suis tellement content de t'avoir retrouvée..."

Un sourire sincère se peignitt sur mon visage. Et c'était l'amour qui se lisait dans mes prunelles. Un amour inconditionnel pour celle qui, il faut le dire, m'avait sauvé la vie. Qui m'avait fait connaître l'espoir et l'envie de vivre. De vivre autre chose, de vivre mieux.

Perce-Neige essayait d’écouter avec la plus grande attention possible le récit du petit Déchet, mais elle ne comprenait honnêtement pas tout du fil conducteur de l’histoire. La lune rouge, oui, elle l’avait vue … Mais cette abbesse ? Elle imaginait qu’il devait avoir été emmené aux Quatre Chênes, d’après les indices qu’il lui donnait, mais rien n’était moins sûr … Et puis, qui étaient ces « jumelles » ? Elle comprit simplement qu’elles étaient des tueuses, et qu’une bataille avait eu lieu. Cependant, deux mots retinrent son attention :

« … il s'appelle heu... Cobra... Royal je crois. »

Cette ordure l’avait poursuivi ? Mais pourquoi ? Que faisait-il dans toute cette histoire ? …

« Après j'ai marché longtemps longtemps, je savais pas comment te retrouver! Y'a eu des méchants chats qui m'ont attaqué, d'autres qui m'ont un peu aidé... Je suis tellement content de t'avoir retrouvée...
- C’est … C’est fini, je suis là maintenant. »

Un millier de questions virevoltaient dans sa cervelle, et Perce-Neige était incapable de faire le tri dans ce fouillis. Elle ne comprenait rien à rien, sinon le sourire éperdu d'amour de l'enfant. Elle ne comprenait pas pourquoi Cobra Royal, pourquoi ces batailles, pourquoi elle Déchet l'avait choisie, cherchée elle, pourquoi il avait réussi à s’accrocher à cette histoire … Mais de toutes ces informations, ces interrogations, ces confusions, elle ne retint qu'une chose : Déchet était en vie, et il avait échappé à l'existence misérable qu'il avait semblé mener jusqu'alors et lui aussi avait droit à une nouvelle vie.

« Tu ne les verras plus jamais. Ils sont partis. On va … On va te trouver un abri. On va te trouver à manger. On va te trouver une jolie vie, Déchet, et elle commence maintenant. »

Prudemment, elle vint s'installer près du petit et se coucha son flanc contre le sien. Son jeu d'actrice prenait : elle était Perce-Neige, solitaire en vagabondage, et elle allait s'occuper d'un petit nommé Déchet, et cela lui sembla être le vrai début de son histoire à elle.

Sa voix douce s'éleva, comme une tendre caresse sur mon coeur, rassurante, apaisante:

- C’est … C’est fini, je suis là maintenant. »

Un léger ronron fit vibrer ma gorge. Je me sentais bien, si bien...

« Tu ne les verras plus jamais. Ils sont partis. On va … On va te trouver un abri. On va te trouver à manger. On va te trouver une jolie vie, Déchet, et elle commence maintenant. »

Je portai des yeux émerveillés sur mon amie. La belle Perce-Neige, dont le visage m'était désormais familier et synonyme de gentillesse, et d'affection. La chaleur envahit mon coeur, en l'enveloppant avec attention et tendresse, comme s'il s'agissait d'une chose fragile et belle, dont il fallait prendre soin. Je recevai pour la première fois de ma vie une réelle marque de considération. Doucement, comme pour me ménager, elle vint se placer à mes côtés. Je la fixai avec une certaine appréhension, ne sachant pas vraiment comment réagir. Lorsque sa fourrure toucha la mienne, je sursautai légèrement. Mais très vite, sa sérénité se propagea. Je posai ma tête contre son épaule, et fermai les yeux. J'étais en sécurité désormais. Tout serait beau maintenant...

Spoiler:

Déchet sembla surpris, puis rapidement, son souffle se calma, et il s'assoupit. Perce-Neige s'autorisa alors à quitter son masque de sérénité et de douceur. Le petit avait vu des événements qui concernaient son ancienne troupe de criminels et les Clans, sans le moindre doute. Mais que s'était-il passé ? Etoile Vaillante, Nuée d'Alcidés, Cri des Albatros, est-ce qu'ils allaient tous bien ? Est-ce qu'Alby avait cessé de s'accrocher à ses rêves amoureux inconcevables avec Toucan ? S'était-elle fait prendre la main dans le sac avec l'étranger ? Est-ce que Nuée d'Alcidés s'en sortait, seul dans sa tanière, à compter ses plantes et à renifler du thym à longueur de journée ? Les quelques mots de Déchet avaient remué l'imagination de la solitaire, qui soupira longuement, comme pour évacuer l'angoisse de sa tête.

Elle leva les yeux au ciel. Ce n'étaient de toute façon ni les Etoiles, ni son ancien Clan qui lui apporteraient ces réponses. Elle ne pouvait compter que sur elle-même, c'était le revers de la médaille à cette liberté qu'elle avait tant voulue. Mais maintenant, maintenant elle l'avait, lui, tout petit être noir de suie et rouge d'entailles, à ses côtés. Elle n'était plus seule, elle pouvait partager sa tendresse, son savoir et sa liberté. Ils en avaient tous les deux besoin. Elle profita du profond sommeil de l'enfant pour panser superficiellement quelques-unes de ses blessures avec de la mousse propre, de l'eau et quelques toiles d'araignée. Il devait être si épuisé qu'il ne se réveilla qu'à moitié par moments.

Une fois son oeuvre accomplie, Perce-Neige s'installa à nouveau confortablement contre Déchet et lui lécha le front. Maintenant, ils étaient libres à deux.

HRP :