Le crapaud et la colombe ► Chant d'Alouette - abandon

« Allez, je reviens tout à l’heure, ne faites pas trop de bêtises mes petits cœurs ! »

C’est sur ces quelques mots qu’elle laissa Petits Crocs et Petit Muguet dans la pouponnière, après avoir joyeusement salué Papillon de Lune et le reste de ses petits. Délaissant son rôle de guerrière, Esprit Lent passait le plus clair de son temps auprès des petits Lunar Pods. Elle songea avec un peu d’angoisse à Esprit Soucieux, qu’elle avait abandonné en quittant ses responsabilités d’aide-guérisseur. Elle ne passait plus beaucoup de temps avec lui, entre les petits et les quelques tâches qu’on lui accordait, et puis tout son nouvel entourage d’amis – et de presque-compagnon-enfin-elle-n-était-pas-sûre !

Dernière Danse la rattrapa alors que la tigrée se dirigeait en sautillant joyeusement vers l’antre de son frère, dans l’espoir de tout de même pouvoir lui faire coucou. Elle lui indiqua qu’elle l’assignait à la patrouille du soir avec Chant d’Alouette – ses patrouilles préférées, super ! La guerrière asséna une léchouille sur le front de sa sœur, qui eut l’air franchement contrariée de son geste, et s’en alla chercher sa compagne de patrouille. Au passage, elle regarda tendrement Grain de Sel qui faisait une sieste dans l’antre des guerriers, avant d’aller murmurer près de la jolie guerrière :

« Chant d’Alouette ! Tu viens à la patrouille du soir avec moi, on doit surveiller les frontières au Chemin du Tonnerre, c’est Dernière Danse qui vient de me le dire ! On y va ? Ou tu as besoin de te préparer ? »

Esprit Lent avait complètement oublié les gestes d’animosité que lui avait témoignés la femelle par le passé, lors du règne de Serpentaire, et se comportait avec elle comme avec n’importe qui.

Tôt de bon matin, Chant d'Alouette était partie en patrouille à proximité du charnier, son apprenti et une autre guerrière pour toute compagnie, prête à rapporter aux oreilles d'Étoile Maudite le moindre signe inquiétant. La zone pouvait être la cause d'infections et de maladies graves, abritant des dizaines de rats sales et repoussants. Alors, elle ouvrait les yeux bien grands, dressait les oreilles bien hautes et humait l'air chaque minute qui passait.

Ce jour-ci, rien n'était visiblement à déclarer. Rentrant au campement aux alentours de midi, Chant d'Alouette avait donc usé une bonne partie de son énergie pour pas grand-chose. Elle accorda son temps-libre à Nuage de Glace avant d'aller se reposer dans la tanière des guerriers, sombrant bien vite dans un sommeil profond.

•••

À peine les paupières rouvertes, en toute fin d'après-midi, qu'elle vit la caboche d'Esprit Lent, la seule et l'unique, penchée à quelques centimètres de son propre crâne. Chant d'Alouette soupira, plus encore en voyant la guerrière grise lui articuler d'irritantes paroles, de la même manière qu'un enfant le ferait.

— Chant d’Alouette ! Tu viens à la patrouille du soir avec moi, on doit surveiller les frontières au Chemin du Tonnerre, c’est Dernière Danse qui vient de me le dire ! On y va ? Ou tu as besoin de te préparer ?

Coincée toute une patrouille avec cette chatte à l'esprit si étroit qu'on ne pouvait rien y faire entrer, quel supplice. D'autant plus que Chant d'Alouette possédait à l'égard d'Esprit Lent un grief assez particulier qu'était celui d'avoir soutenu le serpentaire bien des lunes en amont.
Bref, elle ne la portait pas dans son cœur.

— Oui, je me lève... Recule un peu.

Pourtant, la grise était une proche d'Étoile Maudite et la sœur de Dernière Danse et Esprit Soucieux.
Une tête vide, mais bien entourée.

C'est pourquoi Chant d'Alouette la suivit à l'extérieur, cachant tant bien que mal son animosité, sans faire d'histoires.
Et puis, heureusement, elle était sans doute avev la moins pire de toutes celles qui avaient, par le passé, encadrées Étoile du Serpentaire.
Quel n'avait pas été sa surprise en apprenant que celle-ci avait rejoint le harem ! Ça avait bien été la dernière chose à laquelle elle s'attendait, voyant , aujourd'hui encore, bien plus Dernière Danse dans le rôle...

— J'aimerais rentrer le plus vite possible, alors ne nous attardons pas, s'il te plaît.

« Oui, je me lève... Recule un peu. »

Esprit Lent opina brièvement du chef et précéda la guerrière à l’extérieur de la tanière des guerriers.

« J'aimerais rentrer le plus vite possible, alors ne nous attardons pas, s'il te plaît. »

La tigrée remua des moustaches. Que pouvait-elle avoir de si important à faire pour avoir hâte de rentrer ? Son fils était passé guerrier, désormais, il n’avait plus besoin que sa maman soit toujours près de lui. Mais il était vrai qu’elle semblait très proche de Poils de Suie … Esprit Lent ne le connaissait pas trop, mais elle admirait sa ténacité malgré son handicap évident. Le début de la patrouille fut calme, Esprit Lent tentant de garder sa langue pour ne pas ennuyer la guerrière. Puis, elle n’y tint plus et s’exclama :

« Tu as quoi à faire après la patrouille ? Tu vas aller voir Poils de Suie ? Tu es contente qu’il soit guerrier ? Ça doit être super chouette de voir son propre fils devenir guerrier ! J’aimerais bien avoir mes propres bébés pour vivre ça, être devant le promontoire, les voir recevoir leur nouveau nom … Tu as vécu ça comment, toi ? »

Elle dressa soudain les oreilles, se désintéressant complètement de la montagne de questions qu'elle venait de poser. Elle se mit en position de chasse, indiquant à Chant d'Alouette de ne pas la suivre, puis s'approcha doucement d'une souris non loin d'elle. Elle prit garde à lever suffisamment les pattes - plus efficacement que pendant son entraînement avec Aube -, puis bondit et ramena, ravie, le rongeur près de la guerrière, sans ajouter un mot.

Son ton demeurait assez sec, qu'on comprenne qu'elle ne voulait pas tenir de discution, mais pas trop non plus, qu'on ne l'accuse pas de manquer de respect à son interlocutrice. Chant d'Alouette s'échappa donc du campement à la suite de son aînée, murée dans le silence. Une dizaine de lunes seulement séparaient les deux femelles, qui appartenaient à la même génération et se côtoyaient depuis leur plus âge, même rien que de loin. Alors, la reine d'or connaissait assez bien la femelle niaise, ayant même patrouillé avec elle quelques fois auparavant. Pourtant, elle se fit la réflexion que jamais encore elles ne s'étaient retrouvées seule à seule.

Esprit Lent n'avait toujours pas reprit son babillement et Chant d'Alouette profita du calme qui régnait pour laisser son esprit vagabonder, s'intéressant pour une fois à autre chose que sa propre existence. Discrètement, elle regarda l'autre femelle. Si elle n'y avait jamais fait attention, l'alouette remarquait à présent le charme d'Esprit Lent. Son corps dégageait une innocence et une joie de vivre enfantine, en dépit des récents événements. Un étrange sentiment se propagea dans le cœur de Chant d'Alouette, qu'elle réfréna aussitôt. L'enfantine Esprit Lent restait une ancienne partisane d'Étoile du Serpentaine.

- Tu as quoi à faire après la patrouille ? Tu vas aller voir Poils de Suie ? Tu es contente qu’il soit guerrier ? Ça doit être super chouette de voir son propre fils devenir guerrier ! J’aimerais bien avoir mes propres bébés pour vivre ça, être devant le promontoire, les voir recevoir leur nouveau nom … Tu as vécu ça comment, toi ?

Chant d'Alouette s'arrêta brutalement, chose que sa compagne de patrouille ne remarqua pas, commençant une traque aussitôt après ses paroles. Comment l'animal n'avait-il pas pu entendre l'enfantine guerrière ? Elle soupira, ne voyant aucune raison de ne pas chasser elle-aussi. Même si, initialement, il s'agissait d'une patrouille frontalière. Assez rapidement, elle repèra une souris, et, adoptant la position de chasse adéquate, avança avec douceur vers l'animal. Le rongeur ne l'entendi pas venir, Chant d'Alouette n'eut donc aucune difficulté à l'achever. Quand elle revient au point de base, Esprit Lent l'attendait déjà, une autre souris entre les pattes.

Adressant une prière muette de remerciement au clan des étoiles, Chant d'Alouette enterra sa proie. Finalement, un d'un air bravache, elle accepta de répondre à la toute dernière interrogation de sa camarade. Juste pour lui montrer, si elle faisait parti de ceux qui rabaissaient Poils de Suie dans son dos, à quel point elle le soutenait.

- C'est très satisfaisant... pour les baptêmes, je veux dire. Je suis très fière de lui.