Prise en patte (avec Éclat d'Argent) -end

Il allait fuir, encore et toujours. C'était tout ce qu'il osait faire. Mais Eclat d'Argent, bizarrement, protesta. Et ça il ne le comprit pas. Une oreille interloquée se leva tandis que la grise lâchait, froide, mais bizarrement ardente :

" Stop ! Tu restes là. Tant que tu n'arrêteras pas de me prendre pour une débile. Tu bouges pas. Arrête de t'autoflageller. Ça me faut autant de mal à qu'à toi d'entendre ce genre de parole. C'est clair ?
- Je m'en doute bien, excuse-moi. C'est pour ça, j'préfère autant pas traîner. "

" Excuse-moi ", ça passait partout, ça voulait tout dire. Il ne comprenait pas comment elle pouvait protester, et ne voulait peut-être pas le comprendre. Après tout, c'était plus facile de s'autoconvaincre qu'on ne méritait rien et que pour le monde entier c'était évident, plutôt que de croire, d'oser espérer, que quelqu'un attendait de soi autre chose qu'une disparition soudaine.

Il voulait en quelque sorte avorter de sa propre vie, et n'imaginait pas qu'un autre puisse comprendre mieux que lui quelque chose à ses problèmes.

" Mais toi, ne te fais pas attendre. Tous les guerriers sont pas débiles, et t'es taillée dans un bon bois. "

Elle comprenait forcément tout ce qu'elle avait à perdre, à côtoyer un sang-mêlé maladroit, elle se souvenait sans doute de l'idiot camarade de tanière qu'il avait été. Elle se doutait nécessairement qu'il était capable de la pourrir involontairement, s'il restait. Il n'osait plus la regarder, désormais. Tête basse, retournée sur le côté alors qu’Éclat d'Argent était devant lui, il fuyait comme le dernier des goujats une conversation qu'il ne voulait pas avoir.

" Et quand il veut serrer, son bonheur, il le broie ;
Sa vie est un étrange et douloureux divorce. "

" Allez, porte-toi bien. " soufflait-il.

Il y en a beaucoup qui feraient pour toi de merveilleux amis, et même d'avantage. Qui ne te pourriraient jamais.

Éclat d'Argent ne le laissait pas fuir et ça l'inquiétait plus qu'il n'était capable ni ne voulait le montrer. Sa queue était sous la patte de la guerrière. Il pouvait se dégager et partir, mais quand même... Forcer ? Contre Éclat d'Argent ? Il avait les yeux mi-clos et n'osait pas tourner la tête en arrière, tandis que la femelle lançait :

" J'aimerais bien ne pas être la dernière au courant des choses. Mais surtout, évite de faire des suppositions la prochaine fois, laisse donc ces guerriers pas débile ou ils sont. J'en ai rien à faire de ce qu'il pense. Ce qui m'importe c'est toi. "

Elle le disait comme si elle ne comprenait pas la racine du problème, mais pourtant, Crocs Nacrés se souvenait bien qu'elle avait été là le jour où Cobra Royal lui avait expliqué ce qu'il était. Pourquoi d'ailleurs à l'époque n'avait-il pas cru le Cobra ? Pourquoi n'avait-il pas anticipé les difficultés que cela créerait ? Pourquoi, hein, s'était-il mis dans la merde jusqu'à ne plus vouloir toucher quelqu'un ?

Faisait-elle la comédie ? Se moquait-elle de lui ? Faisait-elle semblant de ne pas comprendre parce qu'elle s'imaginait que ça l'aiderait ? Mais qu'on la cache ou non, la vérité, elle finissait TOUJOURS par nous retomber dessus. C'était là quelque chose d'évident. A la naissance de ses filles, Crocs Nacrés s'était rongé les griffes jusqu'à s'en empêcher de dormir, tellement il avait peur de ce qui risquait de leur arriver, si on découvrait quel père elles avaient vraiment, et quel grand-père cela impliquait. A tout instant, d'innocentes gamines risquaient peut-être de mourir noyées dans les crachats par sa faute. Il cachait le tout tant bien que mal, mais fatalement, ça se saurait, ça se saurait.

C'était évident, et ça le rendait dingue. Et si ça se savait, que dirait-on d'une amie comme Éclat d'Argent, hein ? Elle ne pouvait pas l'ignorer non plus. Elle ne pouvait pas faire semblant de ne pas comprendre. Elle ne pouvait pas mettre sa vie innocente et méritante en jeu pour rien, strictement rien, car tout ce que Crocs Nacrés pourrait jamais lui donner, cela ne pourrait jamais que la détruire, la pourrir, briser son honneur, son avenir, ce qu'il lui restait de famille. Il s'écarterait donc, il n'avait pas le choix. C'était bien là la seule réponse raisonnable qu'on pouvait avoir, lorsqu'on songeait qu'on serait sans doute un jour l'instrument par lequel des dizaines de visages souriants deviendraient autant de visages persécutés, du jour au lendemain.

Il n'attendait que de mourir la tête haute, d'une façon qui peut-être, compenserait la profondeur du scandale qu'aurait de toute façon été sa naissance et son existence. Il n'attendait que de mourir pour son Clan, pour au moins ne pas se sentir ingrat vis-à-vis de cette chance qu'on lui avait donnée et dont il avait lamentablement abusé. Il n'attendait que de disparaître pour qu'on l'oublie, pour que les autres soient libérés de son souvenir et de cette menace qui pesaient sur eux par sa faute.

Puissant Guépard, lui, ignorait tout et n'abusait de rien. Tout l'excuserait donc. Mais Crocs Nacrés était tout son contraire. Il savait, et il s'était malgré tout endetté si profondément que sa connaissance devenait un crime. N'importe qui de digne, à sa place, aurait disparu, plutôt que de compromettre davantage trois pauvres petites belles comme le jour et innocentes de tout.

" Fais pas semblant " grogna-t-il péniblement, les crocs bizarrement serrés. " Fais pas semblant de pas comprendre. Tu sais très bien ce que je suis, et tu es déjà beaucoup trop gentille de ne rien répéter. Merci beaucoup, mais vraiment, non, non, je ne veux pas, je ne vaux pas que tu te mettes dans la merde pour RIEN DU TOUT. "

Ses pattes arrière tremblaient. C'était idiot de parler, il ferait mieux de se taire. De toute façon il ne pouvait plus regarder Éclat d'Argent désormais. Il avait la gorge sèche et les yeux humides, son cœur battait si violemment qu'il avait l'impression que quelque chose de terrible et d'épouvantable risquait de se passer d'un instant à l'autre.

Il tira d'un seul coup et partit en courant, pas vraiment vite, mais assez pour s’essouffler. Ses quelques poils de dignité étaient restés derrière lui, sous la patte stupéfaite d’Éclat d'Argent.

Qu'est-ce qui lui avait pris de venir voir la sentinelle ? Pourquoi était-il si bête ? Où était-il, désormais. Quand ?

Pourquoi cette impression de silence ?

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